Interview de M. Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement, à RFI le 29 novembre 2018, sur l'organisation d'un dialogue avec le mouvement des gilets jaunes.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

GUILLAUME NAUDIN
Et Frédéric RIVIERE, vous recevez ce matin Marc FESNEAU, le ministre chargé des Relations avec le Parlement.
FREDERIC RIVIERE
Bonjour Marc FESNEAU.
MARC FESNEAU
Bonjour.
FREDERIC RIVIERE
La popularité des gilets jaunes grandit dans l'opinion publique, 84 % des Français approuvent ce mouvement selon un sondage publié ce matin par nos confrères du Figaro et France Info. 78 % des personnes interrogées n'ont pas trouvé le président de la République convaincant lors de son discours de mardi matin. Est-ce que ce résultat vous inquiète ? Est-ce que ça veut dire que, pour l'instant, l'exécutif n'a pas trouvé la bonne approche, la bonne réponse ?
MARC FESNEAU
Eh bien, il y a un moment, il faut qu'on arrive à rentrer dans une situation de dialogue avec les gilets jaunes et ceux qui, d'une certaine façon, par procuration, les soutiennent. Je pense qu'il y a des réponses de court terme, et c'est ce qu'ont posé sur la table et le Premier ministre et le président de la République, il y a la perspective à donner aussi en termes de transition écologique, et globalement, la perspective du pays, et je pense que notre exercice à tous, ministres députés, et ceux qui ont envie que le pays change, c'est d'expliquer le sens que nous donnons aux choses. Et puis, il y a des choses de plus long terme, on ne va pas dire le contraire, j'ai essayé de l'expliquer encore hier en dialoguant avec des gilets jaunes, c'est la transformation du pays, après parfois 30 ou 40 années de sujets qui n'ont pas été résolus, c'est une transformation longue. Donc c'est tous ces exercices-là qu'il faut faire pour répondre à cette colère et à cette désespérance, dont je ne suis pas, au fond, surpris, on est toujours surpris du moment où ça émerge, mais ça, c'est la nature des choses, mais je ne suis pas surpris, moi, je l'avais dit, je me souviens très bien, au moment de mon premier discours quand j'étais député, au Congrès à Versailles, où j'avais dit : attention, il y a des territoires qui se sentent délaissés, il y a des questions de ré-industrialisation, il y a des questions de service public, et on est devant ce problème-là, et c'est vrai qu'on a un arbitrage entre le court terme et le moyen et long termes.
FREDERIC RIVIERE
Alors, vous êtes ministre des Relations avec le Parlement. Vous avez été auparavant pendant un an et demi président du groupe MoDem à l'Assemblée. Qu'est-ce que vous disent aujourd'hui les députés de la majorité sur le climat social, sur ce à quoi ils sont confrontés précisément sur le terrain, dans leur circonscription ?
MARC FESNEAU
Moi, je perçois la volonté chez eux – et je pense que c'est utile en démocratie – la volonté chez eux de discuter territorialement dans leur circonscription, dans leur territoire avec les gilets jaunes, parce qu'il faut…
FREDERIC RIVIERE
Mais est-ce qu'ils ont suffisamment fait leur travail, c'est-à-dire, est-ce qu'ils ont bien fait remonter justement l'état d'esprit, les tensions ?
MARC FESNEAU
Ils ont fait remonter, mais vous savez, dans l'exercice du pouvoir, c'est toujours la même difficulté, et c'est valable pour tous les pouvoirs d'une certaine façon, c'est de transformer ce qu'on perçoit sur le terrain plus ou moins indistinctement et de le transformer en action publique, et puis, de transformer aussi – ce que je disais à l'instant – l'action publique avec une temporalité qui peut paraître, pour quelqu'un qui n'arrive pas à boucler ses fins de mois, lui parler de trois mois, ça peut paraître long, et quand on lui parle de trois ans ou de trente ans, ils disent – à juste titre – que c'est un horizon qu'ils ne comprennent pas. Et donc, mais moi, je trouve qu'en tout cas, pour répondre à votre question plus précisément, les parlementaires ont été au contact des gilets jaunes, j'ai eu plusieurs moments de rendez-vous cette semaine avec eux, et j'ai trouvé qu'ils étaient vraiment dans la volonté d'essayer à la fois de comprendre et de percevoir encore plus finement ce que les gens disaient, et par ailleurs, de trouver des solutions, et de les traduire, soit d'un point de vue législatif, et puis, il y a des choses qu'il faut essayer de traduire dans l'action territoriale, et je pense que c'est un exercice, ce n'est pas forcément un moment agréable quand on exerce le pouvoir, mais c'est un exercice qui, je pense, pourrait nous être utile collectivement, pas qu'à la majorité, à ceux qui essayent de transformer le monde, qui pourrait nous être utile pour regarder, quand il y a des problèmes comme ça, comment on les affronte, et comment on fait face à une détresse qui a sédimenté depuis des dizaines d'années.
FREDERIC RIVIERE
Est-ce que vous ne croyez pas qu'il y a des propos peut-être malheureux qui peuvent contribuer aux tensions, quand le ministre de l'Intérieur, Christophe CASTANER, parle des séditieux qui ont manifesté à l'appel de Marine LE PEN ou lorsque le ministre des Comptes publics et de l'action publique, Gérald DARMANIN, estime – je le cite – que ce n'était pas des gilets jaunes qui avaient manifesté sur les Champs-Elysées mais la peste brune, rien de moins que la peste brune, qui est quand même le nom du nazisme. Est-ce que ce genre de propos n'aggrave pas la situation au fond ?
MARC FESNEAU
Enfin, moi, je pense que chacun est avec son expression, mais en même temps, qu'est-ce qu'ont voulu décrire…
FREDERIC RIVIERE
Oui, mais il y a de l'outrance parfois, enfin
MARC FESNEAU
Qu'est-ce qu'ont voulu décrire l'un et l'autre, c'est quand même... ça n'est pas la majorité, et c'est loin d'être le cas des gilets jaunes. Un certain nombre de comportements qui sont des comportements qui ressemblent aux mots qu'ils ont mis sur ces questions-là. Mais, je le répète, ça n'est pas la majorité des gilets jaunes. En même temps, on ne peut pas laisser de côté que dans ces manifestations aient pu s'infiltrer, soit par les esprits, soit du point de vue physique, des gens qui cherchent à transformer un mouvement de colère et de désespérance, qu'on peut comprendre, en actes violents ou en actes de remise en cause tout simplement de la démocratie ; il faut toujours faire attention aux mots qu'on utilise. Mais, moi, j'ai perçu aussi chez les gilets jaunes, une part d'entre eux, une grande part d'entre eux, une gêne avec des comportements qui avaient pu se dérouler, des gens qui, à des ronds-points, ne pouvaient pas passer s'ils n'enfilaient pas un gilet jaune, ce n'est pas un exercice démocratique sain, ça, c'est la version soft, si je peux dire. Et quand il y a des actes de violences et de remise en cause, au fond, du pouvoir, parce que l'idée de : on va tous à l'Assemblée nationale, on va tous au Sénat, on va tous à l'Elysée, pour faire quoi ? Pour investir et prendre le pouvoir ? Là, il y a quelque chose qui est de l'ordre de l'inacceptable pour une démocratie qui doit fonctionner normalement, il faut qu'on dialogue, il faut qu'on parle, il faut qu'on trouve des solutions, mais pas par la violence.
FREDERIC RIVIERE
Alors, justement le président de la République a donc annoncé mardi une grande concertation qui doit se mettre en place et durer trois mois pour rendre, selon son expression, la transition énergétique acceptable. Comment ça va fonctionner, qui va parler avec qui, et avec quelle marge de manoeuvre ?
MARC FESNEAU
Le Premier ministre reçoit, je ferai partie de ceux qui recevront aux côtés du Premier ministre, un certain nombre d'opérateurs, si je peux dire, les collectivités territoriales, les élus, les syndicaux, à partir d'aujourd'hui, c'est l'occasion avec eux, j'ai discuté hier avec le président du CESE aussi, de discuter avec eux du Conseil économique et social et environnemental, essayons d'éviter les acronymes. C'est l'occasion de parler de la méthode, je pense qu'il faut que la maille soit assez fine, parce que je pense que la proximité avec les gens, c'est une proximité aussi géographique, et après, il faut trouver une méthode qui soit à la fois organisée, parce qu'on a besoin d'organisation pour organiser un dialogue comme celui-là, mais sans... comment dirais-je... sans formalisme trop lourd. Et donc le moment qu'on a là, pendant deux ou trois jours, ça va être un moment où on va essayer d'organiser ce débat sur les trois mois qui viennent.
FREDERIC RIVIERE
Mais il est clair aujourd'hui dans l'esprit du gouvernement, qu'au terme de ce processus, il faudra bien faire des concessions, répondre à un certain nombre des demandes exprimées aujourd'hui par les gilets jaunes.
MARC FESNEAU
On ne peut pas en démocratie dire que parce qu'on écoute les gens, on ferait des concessions, je pense que c'est bien d'écouter les gens, ce n'est pas une question de concessions ou pas concessions, parce que quand on se bloque dans la question de concessions, pas concessions, on ne fait pas un exercice démocratique sain. Mais l'objectif, c'est qu'au bout, on puisse avoir…
FREDERIC RIVIERE
Alors, n'appelons pas ça des concessions, mais répondre…
MARC FESNEAU
Non, non, mais, je vais répondre, moi, à votre question, l'objectif au bout, c'est de répondre, soit directement dans le court-terme, soit, dans le plus ou moins moyen terme, aux sollicitations qui sont celles qui sont exprimées par les gilets jaunes, c'est bien ça l'enjeu des choses, c'est bien ça la nécessité, si on réunit les gens, ce n'est pas pour le simple exercice de les réunir. C'est pour mieux comprendre et percevoir, moi, je pense que c'est beaucoup de gens, pourquoi ils ont mis un gilet jaune, au fond, parce que, ils ont eu le sentiment qu'ils étaient invisibles, et par le gilet jaune, ils ont voulu se rendre visibles, y compris physiquement visibles. Et donc, il faut à la fois mettre en visibilité leurs difficultés et pouvoir les percevoir et les exprimer, et par ailleurs, trouver, à la fois d'un point de vue macro-économique, si je peux dire, mais d'un point de vue plus fin, de pouvoir trouver des solutions concrètes sur le terrain.
FREDERIC RIVIERE
Est-ce que vous ne croyez pas que si l'intégralité des recettes, puisque ce sont les taxes, les augmentations de taxes sur les carburants qui ont mis le feu au poudre en quelque sorte, que si l'intégralité des recettes donc que rapportent ces augmentations de taxes avait été redistribuée aux Français, sous forme d'aide pour la conversion écologique, est-ce que vous ne croyez pas que les choses se seraient mieux passées, parce qu'au fond, vous voyez bien que le soupçon, c'est : tout ça n'est qu'un alibi pour renflouer les caisses de l'Etat...
MARC FESNEAU
Oui, mais tout ça n'est pas qu'un alibi, parce que la question, c'est d'orienter aussi nos comportements collectifs, après, il y a une question sur laquelle il faut qu'on travaille, c'est ceux qui vous disent : mais même si vous ne payez 80 % de la voiture, il me manque les 20 %. Et donc c'est le travail qu'il faut faire avec les concessionnaires, avec les industriels de l'automobile et avec les systèmes bancaires, c'est-à-dire qu'il faut qu'on trouve des dispositifs qui fassent que personne ne se trouve en situation d'impasse personnelle, et en ne disant pas aux gens : eh bien, finalement, vous ne pouvez pas, vous n'avez pas le choix, et donc vous ne pouvez pas faire face au défi qui est le nôtre. Après, la transition écologique, elle nécessite des mesures fiscales, il y a des moyens qui ont été mis sur la table, y compris des moyens complémentaires qui ont été annoncés par le Premier ministre, il faudra regarder ça avec finesse, mais il faut aussi que les... moi, j'ai été frappé ce week-end, j'étais dans mon département, du nombre de gens qui n'avaient pas perçu, et ça, c'est notre responsabilité, ce n'est pas la leur, les dispositifs qui étaient à l'oeuvre, et à quel point, ils pouvaient, pour certains, les mobiliser, après, il faudra regarder pour lesquels c'est difficile à mobiliser quand même.
FREDERIC RIVIERE
C'est le non recours aux droits qui est un problème plus général…
MARC FESNEAU
Oui. Absolument.
FREDERIC RIVIERE
Il reste quand même que…
MARC FESNEAU
Et là aussi, c'est des gens qui sont oubliés d'une certaine façon…
FREDERIC RIVIERE
Ça n'est pas l'intégralité de ce que ça rapporte qui est réinvestie dans la transition écologique.
MARC FESNEAU
Oui, mais il y a une partie qui est... oui, on ne va pas dire le contraire, mais il y a une grande partie qui est réinvestie, soit par l'Etat directement, quand vous donnez aussi des moyens aux collectivités, parce qu'une partie des taxes écologiques va aux collectivités, c'est aussi des services de mobilité, des services en général qui permettent de répondre à ce défi du carburant, et c'est le défi de la transition écologique.
FREDERIC RIVIERE
Merci Marc FESNEAU. Bonne journée…
MARC FESNEAU
Merci.

Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 novembre 2018