Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Vous avez décidé de vous réunir ici, dans ce magnifique palais de Tokyo, pour parler de deux France. Moi, je vais vous parler de deux mondes.
Il y a le monde de ceux qui tirent le meilleur parti de la mondialisation : les entrepreneurs à succès, les géants du digital, les salariés très qualifiés, les ingénieurs, les développeurs, les financiers.
Et puis, il y a le monde des victimes de la mondialisation, ceux qui sont relégués par les progrès techniques : les ouvriers qui sont confrontés depuis des années à la fermeture de leur usine, un million d'emplois industriels détruits en 15 ans. Les employés dont les postes disparaissent à cause de la digitalisation, et à qui on explique qu'ils ne vont plus servir à rien. Les salariés modestes, qui ne peuvent plus se loger à proximité de leur emploi et pour qui les coûts de déplacement sont exorbitants. Ils habitent, par exemple, dans ma circonscription de l'Eure, où je vois nombre d'entre eux qui travaillent loin de leur domicile et qui prennent leur véhicule pour se rendre d'abord à la crèche, à l'école, déposer leur enfant, puis, sur le lieu de travail. Ils accumulent les kilomètres, et avec les kilomètres, les dépenses.
Le choc de ces deux mondes a produit la plus grande vague populiste que nous ayons connue dans le monde occidental depuis 1945. Cette vague populiste a provoqué des événements politiques qui ont pris tout le monde de court, et pas un observateur, pas un spécialiste de la politique économique, pas un critique n'avaient vu venir ni le Brexit ni l'élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis d'Amérique, ni la montée de l'Alternative für Deutschland en Allemagne - qui désormais, dépasse les 10 % dans les scrutins - ni l'arrivée de cette coalition au pouvoir en Italie, ni l'élection d'élus d'extrême droite en Espagne, en Andalousie, pour la première fois depuis le général Franco.
L'élection d'Emmanuel Macron en 2017 avait fait de la France une exception. Elle avait permis d'endiguer cette vague. La crise que nous vivons actuellement, dans ces jours, dans ces heures, montre que les digues ont sauté. La France n'est plus une exception. Les souffrances, les inquiétudes, la haine, la violence, parfois, ont pris depuis quelques semaines le devant de la scène politique en France. S'il y a encore une singularité française, ça n'est plus d'être épargné par la vague populiste. C'est qu'en France, elle ne se traduit pas dans les urnes, elle se traduit dans la rue. C'est pour cela que cette crise ne menace pas simplement une majorité, cette crise menace nos institutions et elle menace notre démocratie.
Je souhaite donc que chacun fasse preuve du sens des responsabilités face à cette crise que vit la France. J'ai appris que le président des Républicains, qui m'a précédé à cette tribune, avait enfin appelé au calme, après avoir longtemps attisé les braises. Mieux vaut tard que jamais ! Mais je regrette malgré tout que le président des Républicains continue à jouer avec les peurs en proférant des mensonges. Non, la France n'est pas en déficit public excessif. Au contraire Monsieur Wauquiez, elle en est sortie pour la première fois depuis dix ans, l'année dernière, grâce aux efforts de réduction des dépenses publiques que nous avons engagés.
Non, Monsieur Wauquiez, il n'y a pas d'accélération de la dépense publique. Il y a simplement, vous le savez parfaitement, la transformation du CICE en allègement de charges définitif, qui d'ailleurs avait été proposée par votre propre parti. Non, il n'y a pas eu d'échec sur la taxation des géants du numérique.
Il y a eu un accord conclu entre la France et l'Allemagne pour les taxer. Cet accord franco-allemand est un succès parce qu'il ouvre la voie, je l'espère, à une taxation au niveau européen des géants du numérique avant le mois de mars 2019.
Alors, monsieur Wauquiez a visiblement fait du mensonge sa marque de fabrique, je préfère donc le laisser à ses mensonges, à sa parka rouge qu'il revendique, et à son gilet jaune qu'il assume moins.
Cette crise est évidemment une crise sociale. Tous ceux qui travaillent et qui vivent avec des salaires modestes ne parviennent plus à joindre les deux bouts : l'accumulation des charges, des taxes, le coût des déplacements, le prix du logement, les dépenses contraintes, rendent leur vie chaque mois de plus en plus difficile. En France, on peut avoir un travail, on peut avoir un CDI, et ne pas vivre dignement de ce travail. C'est contraire tout ce pour quoi la France s'est battue.
Mais cette crise sociale, elle est aussi une crise démocratique sur laquelle je crois avoir alerté depuis des années. Les représentants du peuple ne représentent plus tout le peuple : députés, sénateurs, ministres, élus. Une grande partie des Français ne se retrouvent plus dans la représentation démocratique telle qu'elle existe aujourd'hui. Mais tous ceux qui partagent ce constat devraient soutenir la réforme institutionnelle que nous proposons, devraient soutenir la réduction du nombre de députés et de sénateurs, devraient soutenir l'introduction d'une dose de proportionnelle, parce que c'est précisément cela qui répondra à l'attente d'une partie du peuple. C'est une attente de représentation pour mettre fin à cette crise démocratique.
Enfin, c'est une crise de la nation, la nation française repose sur des principes simples, intangibles, qui sont ancrés au plus profond dans la mémoire de chacun de nous : l'unité, la laïcité, l'égalité. Ce sont les principes qui sont au coeur de notre République et au coeur de notre nation. Mais l'unité est déchirée par les fractures territoriales, par la relégation de certains territoires qui perdent des habitants, des emplois, des usines, des industries, tandis que d'autres richesses se concentrent autour des métropoles.
L'égalité, elle est contestée par une mondialisation, qui fait croître les inégalités partout à travers la planète. Il n'y aura pas de croissance durable sur la base de la croissance des inégalités. Il n'y aura pas de croissance durable sans réduction des inégalités. Quant à la laïcité, disons-le aussi haut et fort, même si certains hésitent à le faire, elle est contestée dans beaucoup de points du territoire par un islam politique, qui refuse la séparation du laïc et du religieux, qui est pourtant au coeur de notre culture et de notre histoire nationale.
C'est cette crise de la nation que nous devrons traiter le moment venu. C'est cette crise démocratique qu'il faudra traiter également, et c'est cette crise sociale, à laquelle nous voulons déjà apporter des réponses par la politique économique que nous avons engagée et à laquelle je crois.
Ce n'est pas parce que nous traversons des moments de tempête qu'il faut perdre le fil de ce que nous voulons construire en matière économique. Ce n'est pas parce que nous traversons des tempêtes qu'il faut revenir à des ports qui ne nous abritent plus, qui sont ceux de toujours plus de dépenses publiques, toujours plus d'allocations, toujours plus de dettes, toujours plus d'appauvrissement.
On a essayé, ça ne marche pas. Il faut avoir le courage de continuer à avancer dans la bonne direction, celle de la réindustrialisation, celle de la justice, celle de la création d'emplois, celle de la prospérité pour tous les Français.
Le premier sens de notre politique économique, c'est la reconnaissance du travail. Pendant des années, pour ne pas dire pendant des décennies, on a mis sur un pied d'égalité revenu du travail et revenu de la redistribution. Je pense qu'il est temps d'affirmer la valeur que nous attachons au travail : au travail pour chacun, au travail pour tous, au travail sur tous les territoires, au travail justement rémunéré, au travail qui donne au-delà de la rémunération, de la dignité.
Parce que ce que demandent les gilets jaunes, avant tout, c'est de la dignité. La dignité du travail, la dignité d'une juste rémunération, la dignité d'une place dans la société qui donne du sens à votre vie personnelle, et à votre vie familiale. La dignité du travail passe d'abord par cette juste rémunération dont je viens de vous parler. Tout ce qui permettra d'aller vers plus de justice aura mon soutien.
Tout ce qui permettra d'avoir une feuille de paie à la fin du mois qui sera plus élevée aura mon soutien. Du moment que ce n'est pas de la décision administrative qui consiste à faire monter artificiellement le Smic, comme on l'a fait pendant des années, au risque de créer plus de chômage, et donc plus de malheur dans notre société. Nous avons commencé à engager cette politique-là, nous avons supprimé les cotisations assurance-maladie, nous avons supprimé les cotisations assurance-chômage.
Au 1er novembre, des millions de salariés ont bien vu que leur salaire net augmentait. Au 1er janvier 2019, nous supprimerons le forfait social à 20 %, une taxe sur l'intéressement et la participation pour toutes les entreprises de moins de 250 salariés. Je lance un appel à tous les chefs d'entreprise : signez des accords d'intéressement et de participation pour que le plus grand nombre de salariés français puisse être associé aux bons résultats de votre entreprise. Si une entreprise tourne bien, c'est d'abord grâce aux salariés, la justice est qu'ils soient bien rémunérés pour leur travail.
Une prime totalement défiscalisée a été proposée par le président de la région des Hauts-de-France il y a quelques jours, j'y suis favorable. J'ai réuni ce matin l'ensemble des organisations représentant les chefs d'entreprise - le MEDEF, l'AFEP, la CPME, l'U2P- pour leur demander s'ils étaient prêts à s'engager dans cette voie d'une prime totalement désocialisée et défiscalisée. Ils y sont prêts. Je souhaite donc que le plus rapidement possible, nous puissions, dans les textes législatifs, inscrire le principe de cette prime totalement désocialisée et défiscalisée et que le plus grand nombre d'entreprises puisse verser cette prime au plus grand nombre de salariés possible en reconnaissance de leur travail, de leur efficacité et de leur engagement.
Cette reconnaissance du travail n'est pas que matérielle. Elle ne passe pas seulement par la rémunération. Elle passe aussi par la reconnaissance de la place des salariés dans l'entreprise et de ce qu'ils peuvent apporter. J'ai le souvenir de visites dans des PME vendéennes dont certaines sont très en pointe sur l'association des salariés à la réflexion sur l'organisation de l'entreprise, sur la chaîne de production, sur la commercialisation, sur la valorisation des produits. Ecoutons les salariés, faisons-leur une place et reconnaissons ce qu'ils ont apporté à l'entreprise. Cela passe par une meilleure écoute des propositions qu'ils ont à faire, et cela passe encore plus concrètement par une place plus importante des salariés dans les conseils d'administration.
C'est ce que je porte dans le projet de loi pour la croissance et la transformation des entreprises. Les salariés seront davantage associés aux conseils d'administration.
Enfin, cette reconnaissance du travail passe aussi par un meilleur accompagnement des salariés en matière de formation. Tout le monde connaît ce défi. Avec la digitalisation et la robotisation, les changements de métiers sont de plus en plus fréquents. Des métiers qui, hier, étaient valorisés, ne le sont plus quelques mois plus tard. A nous d'accompagner les salariés en matière de formation et de qualification, pour que cette reconnaissance du travail soit aussi un accompagnement des changements et des mutations technologiques en cours.
Voilà le premier axe de notre politique économique, la valorisation du travail pour redonner à chaque Français qui travaille sa dignité.
Le deuxième axe de cette politique, c'est d'aller vers une économie innovante, innovante pour être demain totalement décarbonée.
La bataille qui se livre aujourd'hui entre les grandes nations de la planète, en matière d'innovation, est une bataille farouche et sans pitié. Il y aura les gagnants et les perdants de cette bataille. Il y aura ceux qui auront leurs propres technologies et ceux qui emploieront les technologies des autres. Il y aura ceux qui resteront souverains du point de vue technologique, et ceux qui seront totalement dépendants des transmissions, des télécommunications, de la gestion des données, aux mains des autres puissances.
L'innovation, c'est la souveraineté, sans innovation, pas de souveraineté. Sans innovation, pas de succès économique. Sans innovation, pas de capacité à prendre des parts de marché. C'est pour cela que nous avons décidé de sanctuariser le crédit impôt recherche, qui permet à nos entreprises de prendre de l'avance en matière d'innovation. C'est pour cela que nous avons prévu un suramortissement de deux ans pour toutes les entreprises qui s'engagent dans la digitalisation et dans la robotisation. Il y a urgence.
La France, qui était une grande terre d'innovation, a pris un retard considérable en la matière. Il y a 180 robots pour 10.000 salariés dans le secteur industriel en France, il y a 197 robots pour 10.000 salariés dans le secteur industriel en Italie, et il y a 340 robots pour 10.000 salariés dans le secteur industriel en Allemagne. Il faut rattraper ce retard.
Nous avons pris du retard aussi en matière d'innovations de rupture. Qu'est-ce que je veux dire par innovation de rupture ? C'est celle qui permet d'ouvrir de nouveaux champs pour 10, 15, 20, 25 ans aux nouvelles générations, en matière de recherche et de technologies. Prenez l'exemple du spatial. Il y a quelques années, c'était la gloire de l'Europe et de la France d'avoir une industrie spatiale à la pointe du progrès. Nous avons dans ce domaine les qualifications, les compétences, des savoir-faire, des ingénieurs, des produits exceptionnels. Mais un jour, des chercheurs aux Etats-Unis se sont dit : "les lanceurs, c'est très bien, mais c'est quand même du gâchis de les laisser partir en orbite et de ne pas les récupérer par la suite".
Ça coûterait moins cher de les récupérer. Cette proposition a été accueillie avec un immense mépris par la plupart des responsables des programmes spatiaux européens. Et maintenant le lanceur récupérable a marché. Il a été soutenu par des fonds publics américains, soutenu par des infrastructures publiques américaines, soutenu par des commandes publiques américaines. Il permet désormais aux Etats-Unis d'avoir des lanceurs renouvelables qui sont moins coûteux que nos propres lanceurs, quelle que soit la qualité des Ariane 5 et des Ariane 6.
Nous devons également faire attention en matière d'intelligence artificielle, de stockage des énergies renouvelables, de biotechnologies à ne pas rater ces innovations de rupture, qui vous donnent ensuite, en termes d'accès aux marchés, et en termes de prospérité, un avantage considérable sur vos autres concurrents. C'est pour cela que j'assume totalement le choix qui a été fait de céder des actifs de l'Etat dans certaines entreprises afin de financer un fonds pour l'innovation de rupture. Ce fonds nous permettra d'investir dans ces innovations et d'être le préalable à une DARPA européenne : un fonds pour l'innovation de rupture européen.
Cette économie de l'innovation doit être une économie décarbonée. Mais là encore, c'est une question de souveraineté. Sans doute qu'il faut mieux accompagner tous nos compatriotes dans cette avancée vers une économie décarbonée, mais c'est notre intérêt national, et c'est notre souveraineté qui sont en jeu. Je suis au regret de vous apprendre que je ne décide en rien du prix du pétrole.
Et que d'ailleurs, aucun responsable politique français ou aucun responsable économique français ne décide du prix du pétrole. Ce prix du pétrole, qui a varié en quelques semaines de 85 dollars à 61 dollars le baril, est décidé très précisément à Washington, à Riyad et à Vienne, aux réunions de l'OPEP. Alors, si on veut se lier les mains dans des dépenses contraintes de carburants, de fioul, d'essence, à Washington, à Riyad et à l'OPEP, continuons à avoir une économie qui dépend des énergies fossiles. Mais si on veut être un peuple libre, une nation libre, nous devons faire en sorte d'être souverain et de se libérer du pétrole, de se libérer des énergies fossiles.
Peut-être qu'il faut prendre plus de temps, peut-être qu'il faut mieux accompagner, sans doute qu'il faut mieux écouter ceux pour qui cette transformation est plus coûteuse, parce qu'ils n'ont pas d'autre choix pour le moment. Se libérer des énergies fossiles pour aller vers une économie totalement décarbonée, c'est notre intérêt national, c'est notre intérêt de souveraineté.
Là encore, s'il faut prendre plus de temps, prenons plus de temps. S'il faut écouter davantage écoutons davantage. Ce n'est pas le ministre de l'Economie et des Finances qui vous parle, c'est l'élu d'un département rural, c'est l'ancien ministre de l'Agriculture qui sait parfaitement qu'il y a des millions de Français qui n'ont pas d'autre choix que de prendre leur voiture et d'utiliser du diesel. Ils mettront sans doute plus de temps à changer leurs comportements car c'est coûteux de changer de voiture même s'il y a une prime à la conversion.
C'est coûteux de changer ses habitudes. Il y en a pour qui c'est facile de changer les habitudes, il y en a d'autres pour lesquels c'est forcément plus long et plus difficile. Il ne m'a pas échappé qu'une chaudière au fioul, quand on habite dans une commune rurale reculée, cela ne se change pas du jour au lendemain par un autre système de chauffage électrique. J'en ai parfaitement conscience.
La décision qui a été annoncée par le Premier ministre et par le président de la République d'annuler en 2019 toutes les taxes sur les carburants est une décision sage parce qu'elle est un signal très clair de notre capacité à écouter et à entendre ceux qui disent "ça va trop vite, ça va trop fort, c'est trop brutal, donnez-nous du temps et écoutez-nous".
Le troisième sens que nous voulons donner à cette politique économique, c'est le rôle nouveau que nous voulons donner à l'entreprise : un rôle social et un rôle environnemental.
Il faut que notre économie soit une économie de l'innovation mais il faut que les entreprises occupent désormais dans la société française une place très différente de celle qu'elles ont occupée jusqu'à présent. Il n'y a pas deux France à mes yeux, il y a une seule nation. Nous préserverons l'unité de notre nation si chaque citoyen, chaque chef d'entreprise, chaque salarié, chaque journaliste, chaque responsable politique, chaque artiste se sent lui-même dépositaire de la culture, de l'histoire et des ambitions de notre nation.
Les entrepreneurs ont de ce point de vue-là un rôle clé à jouer en assumant que leur entreprise n'est pas uniquement là pour faire des profits. Elle est aussi là pour construire la société de demain. Les profits sont la base de la vie entrepreneuriale mais ils ne suffisent pas à donner du sens à l'activité d'une entreprise, une entreprise a aussi un rôle social, elle a aussi un rôle environnemental. Ce sont les entrepreneurs qui vont bâtir avec leurs salariés la société de demain. Les politiques fixent le cap et ce sont les entrepreneurs et les salariés qui travaillent avec eux qui le réalisent.
Je veux vous dire également que tous ces choix qui ont été faits depuis maintenant 18 mois sont des choix qui commencent à donner des résultats. Le chômage a baissé de 0,5 point en 18 mois, est-ce que c'est assez ? Certainement pas. Les investisseurs ont commencé à revenir, le niveau d'investissement des entreprises commence à augmenter et a repris des couleurs. C'est pour ça que je ne crois pas à un grand bouleversement fiscal, je ne crois pas à un changement radical dans les orientations qui ont été prises. Nous avons supprimé l'ISF, nous avons mis en place le prélèvement forfaitaire unique. Si l'ISF avait permis de supprimer la pauvreté dans notre pays cela se saurait ! Si l'ISF avait permis de réduire la dette et la dépense publique cela se saurait !
Je crois que l'allègement de la fiscalité sur le capital est une des clés pour permettre à nos entreprises d'investir, d'innover, de rattraper leur retard et donc de créer des emplois. Notre politique fiscale a besoin de stabilité, elle a besoin de constance. S'il faut aller plus loin sur la baisse des impôts je serai toujours à l'écoute. Tout simplement parce que j'y suis favorable sur les entreprises comme sur les ménages. Mais dans ce cas, cela doit s'accompagner aussi d'une baisse de la dépense publique. Si certains estiment que ces choix fiscaux, faits il y a 18 mois et voulus par le peuple français - puisqu'ils correspondaient à ce qu'avait proposé le président de la République - ne sont pas les bons il y a une évaluation !
Lorsque j'ai proposé cette nouvelle politique fiscale et que je l'ai faite adopter au parlement j'ai dit à tous les parlementaires présents de gauche comme de droite « il faut évaluer, c'est un choix politique que nous faisons ». Dans une démocratie moderne tous les choix sont contestables, contestables dans la sérénité, contestables dans le dialogue, contestables dans la raison. Mais il est nécessaire et il est légitime que les choix fiscaux que nous avons faits d'alléger de la fiscalité sur le capital soient soumis à l'examen d'experts indépendants, d'économistes, de parlementaires qui verront les avantages et les inconvénients de ce choix politique que nous avons fait.
C'est cela une démocratie moderne, sage, sereine. On respecte la voix du peuple qui a tranché pour un programme mais on évalue ensuite la mise en oeuvre de ce projet pour vérifier qu'il correspond à l'intérêt général de la Nation. Je suis prêt à cette confrontation. Je suis prêt à cette analyse parce que je la crois nécessaire pour la sérénité de nos débats et l'efficacité de nos politiques.
Ces choix politiques et économiques pour le travail, pour l'innovation, pour la reconnaissance du rôle de l'entreprise dans la construction de la société de demain, ne peuvent avoir de sens que dans un cadre européen.
Tout comme la France, l'Europe est à la croisée des chemins, le choix désormais est extraordinairement clair, est-ce que nous voulons être un continent souverain entre la Chine et les Etats-Unis ou est-ce que nous voulons être un continent vassal ? La souveraineté, c'est long et c'est dur à construire. La vassalisation, c'est simple et ça va extraordinairement vite.
Petit renoncement par petit renoncement, on se vassalise, on se soumet aux géants du numérique, on leur donne nos données, on leur accorde toute domination sur les clients français ou européens.
La vassalisation, c'est renoncer à innover, la vassalisation, c'est se dire "il y a des technologies qui existent déjà en Chine, pourquoi les faire chez nous ?". La vassalisation, c'est se dire "faisons des voitures électriques, on fera la carrosserie et les pneus et pour tout ce qui est motorisation, stockage de l'énergie on va s'alimenter dans des batteries produites en Corée ou en Chine". Je crois à la souveraineté européenne et je refuse la vassalisation du continent européen.
Le constat est sans appel, l'Europe a été à la pointe des grands combats technologiques du XXème siècle : sur l'énergie, sur le spatial, sur les transports. Toutes les innovations, toutes les nouvelles technologies venaient principalement de l'Europe.
Depuis le début du XXIème siècle, l'Europe est en passe de perdre tous les combats technologiques. Il est temps de changer de méthode et de changer de politique pour affirmer la souveraineté technologique européenne.
Cette souveraineté technologique européenne et cet esprit de conquête européen passent d'abord par une protection de nos propres technologies. C'est stupéfiant de voir qu'il y a une certaine naïveté européenne qui a fait que les Etats-Unis, pays libéral, protègent leur technologie avec le CFIUS, l'instrument probablement le plus contraignant pour protéger les technologies de pointe. La Chine se protège avec beaucoup de force et l'Europe, en revanche, resterait ouverte à tous les vents et laisserait d'autres continents venir chercher sur étagère les technologies dont ils ont besoin.
Nous ne pouvons pas continuer comme cela et je me félicite que l'Europe, pour la première fois depuis des décennies, ait adopté un règlement européen de contrôle des investissements trangers. C'est le signe d'une vraie prise de conscience européenne et de la nécessité de mieux contrôler les investissements étrangers en Europe. C'est le prolongement de ce que nous faisons avec le décret sur les investissements étrangers en France.
Etre une grande puissance souveraine technologiquement, c'est se protéger mais c'est aussi innover. C'est permettre aux entreprises européennes de grandir, c'est construire des champions industriels européens, c'est prévoir des fonds de capital-investissement européens qui financent des grandes ambitions en matière technologique. C'est réaliser la DARPA européenne qui doit nous permettre de financer les innovations de rupture au niveau européen. C'est mettre ensemble nos capacités françaises et allemandes pour réaliser une industrie de production de batteries de troisième ou quatrième génération pour que sur nos voitures électriques, il n'y ait pas des batteries chinoises ou coréennes mais des batteries françaises, allemandes et européennes.
Ce sont les choix qui sont devant nous. Nos choix, ils sont faits. Nous croyons à cette souveraineté technologique et nous voulons la bâtir avec nos partenaires, en particulier nos partenaires allemands. Cette économie européenne doit être innovante et décarbonée.
Mais elle doit également être plus juste et l'Europe doit apprendre à affirmer ses intérêts européens, ses intérêts économiques, ses intérêts financiers, ses intérêts fiscaux. Je livre depuis 18 mois, comme vous le savez, un combat pour la taxation des géants du numérique. C'est un combat extraordinairement difficile où les menaces et les intimidations se mêlent aux craintes de voir ses propres entreprises touchées par cette nouvelle taxation.
Le plus simple face à cela est toujours de céder à la tentation de l'immobilisme ou de l'abandon. Ou encore d'attendre que d'autres ouvrent la voie et que l'OCDE trouve la solution ou que les Etats-Unis nous l'apportent sur un plateau d'argent. Mais que l'Europe ait du courage. Nous avons réussi il y a deux jours avec Olaf Scholz, mon homologue allemand, à nous mettre d'accord sur une taxation du numérique à 3 % sur la base du chiffre d'affaires, portant sur les recettes publicitaires. Est-ce que c'est assez, est-ce que j'aurais aimé plus ?
Bien entendu ! Mais je préfère un accord avec l'Allemagne à une posture d'intransigeance qui aurait exclu toute possibilité de parvenir à un accord européen sur la taxation des géants du numérique. Je ne lâcherai rien sur ce sujet, jamais, parce que c'est une question de justice vis-à-vis des PME qui payent 14 points d'imposition en plus que les géants du numérique et c'est une question d'efficacité.
Plutôt que de rouvrir le vieux débat sur l'ISF, nous ferions mieux de nous demander où est l'argent, où est la valeur et où il faut aller la chercher. La valeur de demain, elle est dans les données. Les données sont les moins taxées alors qu'elles sont la plus grande source de valeur. Je suis déterminé à aller au bout de la taxation des géants du digital. Car c'est là que nous trouverons de la valeur, c'est là que nous trouverons les moyens de financer nos crèches, nos hôpitaux, nos services publics, nos écoles, tout ce qui a besoin d'argent public.
Plutôt que de regretter la fiscalité d'hier, inventons la fiscalité internationale de demain. Elle passe par la taxation des géants du numérique et par ce qui sera un des grands enjeux du G7 Finances français : la lutte contre l'évasion fiscale et la mise en place d'une taxation minimale. Elle interdira aux entreprises d'aller s'installer dans des paradis fiscaux où ils peuvent bénéficier d'avantages de fiscalité injustifiables, indéfendables que ne supportent plus nos compatriotes.
Voilà ce qui attend l'Europe désormais, voilà ce qui se trouve devant nous, la capacité à construire une souveraineté européenne solide, technologique, économique, fiscale, financière. Nos compatriotes n'attendent désormais qu'une seule chose, que nous soyons capables de décider car ce qui fait le plus défaut à l'Europe aujourd'hui, ce qui explique la montée des populismes, c'est le manque de courage politique. C'est cette incapacité à décider qui fait le lit des extrêmes.
L'Europe adore discuter, les Gouvernements européens adorent se réunir, se rassembler, aller de Conseil en comité et de comité en Conseil, ils adorent essayer de bâtir des compromis, de prolonger les discussions jusque tard dans la nuit ou jusque tôt le matin, mais il y a un moment qui s'appelle le moment de vérité. Le moment où il faut prendre ses responsabilités et décider. Décider sur les nouvelles technologies, décider sur les investissements, décider sur la taxation des géants du numérique comme décider sur la protection de nos frontières ou sur la mise en place d'une armée européenne.
L'Europe doit s'affirmer comme un moteur de puissance stable. Elle doit parvenir à ces décisions politiques devant lesquelles elle recule beaucoup trop souvent.
Pour conclure, je reviens au sujet dont je me suis légèrement écarté. Mais les deux sont très liés : sur les deux France. Vous me permettrez de ne pas me reconnaître dans votre titre, qui a un caractère volontairement provocant, et qui je l'avoue bien volontiers, lorsqu'il a été choisi, ne laissait pas augurer de ce que nous vivons aujourd'hui. Mais il n'y a jamais eu dans mon coeur, dans mon âme de responsable politique qu'une seule France.
J'ai sillonné notre pays en long, en large et en travers, comme ministre de l'Agriculture, comme simple citoyen, comme candidat à une primaire de la droite et du centre.
Je suis allé dans tous les cantons les plus reculés, toutes les communes rurales, toutes les grandes villes, toutes les grandes agglomérations, sur le littoral et à l'intérieur des terres. Je suis allé sur la frontière du Rhin comme sur les bords de l'océan, sur les rivières de la Méditerranée comme sur la frontière à la Belgique. Je suis allé au coeur du pays comme à la lisière du pays.
Je me souviens de déplacements sur cette microscopique île de Futuna, que vous n'atteignez qu'après avoir été d'abord au Japon, à Osaka, puis d'Osaka jusqu'en Nouvelle-Calédonie, puis de Nouvelle-Calédonie jusqu'à Wallis, puis de Wallis jusqu'à Futuna. Et vous arrivez sur ce petit caillou perdu au milieu de l'Océan Pacifique, de quelques kilomètres carrés et vous vous dites "je suis en France". Le dernier endroit où il y a encore un roi en France, c'est Futuna et c'est Wallis.
Quand vous prenez le kava avec le roi de Futuna ou avec le roi de Wallis, qui vous donne quelques vapeurs transcendantes et qui vous inspire, vous êtes en France. Quand vous prenez le calva avec le paysan normand, dans ma circonscription, vous êtes en France. Quand vous allez dans le quartier de la Madeleine, à Evreux, participer à une rupture de jeûne, vous êtes en France. Quand vous êtes dans ce Pays Basque que j'aime tant, où j'arpente les montagnes, vous êtes en France.
Quand vous êtes auprès de salariés qui ont du mal à joindre les deux bouts et qui crient leur misère parce qu'ils ont besoin de plus d'argent pour vivre, vous êtes en France. Quand vous discutez avec ces mères qui sont seules, qui doivent s'occuper de la garde de leurs enfants, rejoindre leur usine, travailler dans l'industrie agroalimentaire, revenir chercher leurs enfants, qui ont du mal à payer leurs loyers, à payer leur transport et l'habillement de leurs enfants, vous êtes en France.
Quand vous êtes ici, au Palais de Tokyo, dans un lieu de prestige international, haut lieu de culture, de la culture contemporaine, vous êtes aussi en France.
Notre pire échec serait d'opposer la France du Palais de Tokyo avec la France du département de l'Eure, d'opposer la France de Wallis et Futuna avec la France de la Creuse, d'opposer la France de l'ouvrier avec la France du chef d'entreprise, d'opposer la France de l'infirmière épuisée par son travail avec la France du Professeur en médecine qui fait l'honneur de notre pays.
Notre pire échec serait d'opposer la France de l'employé de banque avec la France de celui qui dirige ces grandes institutions financières. Notre pire échec serait d'opposer TOTAL, parce que c'est une grande compagnie pétrolière qui réussit, qui est puissante, avec la petite PME, la petite TPE ou le petit commerçant.
Notre Nation ne se vit que dans l'unité. Notre Nation n'est heureuse, grande, forte que dans l'unité. J'en appelle à tous ceux qui croient dans la République, à tous ceux qui croient dans la Nation, à tous ceux qui croient dans notre culture, dans notre langue, dans ce que nous sommes comme Français, dans ces temps de détresse que nous vivons, où chacun craint samedi l'explosion de violences, chacun craint les débordements, chacun craint les déchaînements de haine verbale ou physique, rassemblons-nous ! Soyons capables de dire notre amour de la République et notre amour de la Nation française.
Ne cédons pas aux jeux politiciens qui ne feront que le malheur de la France. Ne cédons pas aux appels à la violence, aux appels à la condamnation qui feront le malheur de notre pays.
Soyons capables, quelle que soit notre histoire, quelle que soit notre origine, quel que soit notre lieu de résidence, notre parcours, notre ambition, notre destin, de nous rassembler et de dire haut et fort : nous refusons la violence. Nous refusons les dégradations. Nous refusons un débat politique qui tourne à la foire d'empoigne, à l'invective, à la condamnation.
Nous voulons un débat, mais un débat serein, un débat entre Français unis et rassemblés autour de la même volonté et du même amour de la Nation et de la République.
Je vous remercie.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 7 décembre 2018