Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Michel BLANQUER, bonjour.
JEAN-MICHEL BLANQUER, MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE ET DE LA JEUNESSE
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous. Je lis à propos de la polémique autour des propos tenus par le Président de la République sur le maréchal PETAIN, je lis le tweet de François HOLLANDE : « L'histoire n'isole pas une étape même glorieuse d'un parcours militaire. Elle juge l'immense et indigne responsabilité d'un maréchal qui a délibérément couvert de son nom et de son prestige la trahison, la collaboration et la déportation de milliers de Juifs de France. » Vous êtes d'accord avec François HOLLANDE ou pas ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, bien sûr. D'ailleurs, ce n'est pas tellement différent de ce que le Président de la République a dit. Ne cherchons pas à mettre de la division là où en réalité on a besoin d'unité. Cette phrase peut être reprise, je pense, par tout le monde.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est quand même une critique des propos tenus par Emmanuel MACRON.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ça peut aussi être une explication de texte. Ça peut être lu des deux façons, en réalité. C'est-à-dire qu'Emmanuel MACRON n'a jamais dit le contraire de cela ; il a tout simplement dit, il a même affirmé que bien entendu ce qui s'était passé pendant la Deuxième Guerre mondiale était ignoble. Ce n'est pas l'adjectif qu'il a utilisé
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, « funeste ».
JEAN-MICHEL BLANQUER
Funeste. Donc ça, personne ne le conteste et certainement pas le Président de la République. Il est même le premier à dire ce qu'il y a à dire sur le sujet, mais ça n'interdit pas de dire qu'évidemment en 14-18, PETAIN était un maréchal qui a compté beaucoup.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on ne gomme pas le passé de Philippe PETAIN ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Parce que c'est impossible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le passé militaire.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le passé militaire, vous ne pouvez pas le gommer. Il faut distinguer ce qui relève de l'histoire et chaque tranche d'histoire s'analyse et puis, bien entendu, ce qui relève du jugement qu'un pays a sur les personnes qui ont compté dans ce pays et, bien entendu, le jugement sur le maréchal PETAIN est un jugement négatif du fait de ce qui s'est passé pendant la Deuxième Guerre mondiale. C'est un problème pratiquement philosophique. Vous savez, ce que vous avez fait, à la fin de votre vie rétroagit sur tout ce que vous avez fait.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est effectivement lié.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le passé de PETAIN de 14-18 est lié à son présent de 40-45.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Absolument. Il s'est appuyé sur la gloire acquise en 14-18 pour faire ce qu'il a fait en 40-45. Chacun sait ça. C'est, je dirais, les bases de l'histoire. Après, on isole certaines phrases du Président pour essayer de créer une polémique ; en réalité, il n'y en a pas. Il est évidemment hors de question de rendre hommage au maréchal PETAIN, il n'a jamais été question de cela. Par contre, quand on parle de 14-18, il est évident qu'il a eu un rôle. On ne va pas faire comme les dictatures qui gomment les personnes sur les photos pour faire comme si elles n'avaient pas existé. C'est une question d'honnêteté intellectuelle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On peut rendre hommage au soldat tout en rappelant les ignominies commises des années plus tard.
JEAN-MICHEL BLANQUER
On rend hommage, au pluriel, à tous les soldats de la Première Guerre mondiale. C'est ce qu'est en train de faire le Président de la République. Il le fait d'une manière unique et c'est pour ça que c'est quand même triste que la polémique publique vienne en quelque sorte entacher ce qui a été fait magnifiquement depuis plusieurs années déjà parce que cette commémoration française a été très réussie. Je crois qu'il faut rendre hommage à tous ceux, dans toute la France, qui se sont mobilisés pour célébrer ces cent ans de l'Armistice et, de façon générale depuis quatre ans, la Première Guerre mondiale. Il y a un travail public remarquable qui a été fait et qui, bien entendu, transcende les clivages. Les Français sont venus porter eux-mêmes leurs archives personnelles. Désormais sur Internet, vous pouvez trouver par exemple des choses sur chaque soldat de France. Il y a un travail d'unité nationale qui s'est réalisé qui a été en quelque sorte parachevé par le Président de la République qui fait cette itinérance, où j'étais avec lui hier et où on voit justement toute cette France qui est à la fois dans le souvenir mais aussi dans la projection et dans l'avenir. Tout ça, c'est un travail d'unité. Dans quelques jours, nous aurons quatre-vingts chefs d'Etat et de gouvernement en France pour célébrer l'enjeu de la paix avec toute sa dimension d'actualité. Ça, c'est ça qui compte. C'est ça qui est très important plutôt que d'aller rechercher une polémique là où en réalité il n'y en a pas. On est évidemment tous unis pour tout simplement célébrer le centenaire de l'Armistice.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous dites qu'il n'y a pas de polémique mais vous comprenez aussi les réactions des institutions juives de France.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais bien entendu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous comprenez ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Evidemment. Je dis que le Président de la République n'a certainement pas dit qu'il fallait rendre hommage au maréchal PETAIN, et donc il ne doit pas y avoir de polémique même si dans notre pays on aime bien cultiver les polémiques.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'ailleurs à l'école, en cours d'histoire, on rappelle le rôle de PETAIN en 14-18 sans hésitation.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais bien entendu, c'est normal. Encore une fois, on n'est pas une dictature où on va gommer des personnages parce qu'ultérieurement ils ont fait quelque chose. Après, ce n'est pas du tout contradictoire avec le fait de dire que
JEAN-JACQUES BOURDIN
Même un homme condamné à l'indignité nationale ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il faut le dire qu'il est condamné à l'indignité nationale. Il faut le préciser, bien entendu, et c'est ce qu'on fait aussi en cours d'histoire. Si vous regardez nos manuels d'histoire, ils sont sans ambiguïté là-dessus. Encore une fois, sachons à la fois avoir la subtilité de l'analyse historique et la clarté du discours politique. C'est exactement ce que fait le Président de la République.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans son itinérance, il croise des Françaises et des Français qui viennent le saluer, qui prennent des selfies et avec lui et puis il croise aussi des Français en colère beaucoup. J'en ai croisé un sur l'antenne de RMC, Jean-Michel BLANQUER, hier. Il a appelé, il nous a appelés à propos des carburants, à propos du 17. Il s'appelle Florent, il est prof contractuel. Il était prof jusque-là à quarante kilomètres de chez lui. Puis cette année, il a été nommé à cent quarante-cinq kilomètres de chez lui. Donc il est obligé cette année de faire cent quarante-cinq aller et cent quarante-cinq retour tous les jours pour aller enseigner dans un lycée hôtelier. Ça se passe en Haute-Savoie. Et il dit : « Avec l'augmentation du prix de l'essence, je n'y arrive plus. Ça me coûte quatre cents euros par mois sur ma paie. » Il n'y a pas de solution pour lui.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il est évident D'abord, des trajets de ce type ça paraît démesuré. Je pense que ça devrait nous faire réfléchir dans notre société sur la façon dont on conçoit la distance au travail.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il a été nommé à cent quarante-cinq kilomètres par vos services, par le rectorat.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, bien sûr. Après, je ne connais pas évidemment le détail.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il est contractuel.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, bien sûr. Enfin, bien entendu, je ne connais pas le détail de sa situation. Peut-être qu'il a souhaité ou pas cette affectation ; en tout cas, il l'a acceptée. Après, qu'il y ait un temps de transport démesuré, c'est évidemment déjà regrettable en soi. Que cela lui coûte cher, je le comprends aussi. Ceci étant, il y a des mesures pour les contractuels dans notre système, y compris d'ailleurs des mesures d'aides sociales.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pas d'indemnités kilométriques.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, il n'y a pas d'indemnités kilométriques et c'est d'ailleurs un sujet qui n'est pas du tout nouveau dans l'Education nationale
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais je sais, je sais.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce qui parfois peut poser des problèmes pour le remplacement. Encore une fois, je ne vais pas regarder ce qu'il en est mais ça renvoie quand même aussi à l'enjeu de cette distance excessive entre son travail et son lieu de vie, et donc c'est des choses qui doivent se discuter avec son rectorat bien entendu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec son rectorat pour être rapproché si possible.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il n'est pas normal d'avoir à faire deux fois cent quarante kilomètres en voiture en un jour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour aller travailler.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je ne pense pas que ce soit normal, non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour aller travailler. Journée nationale ce jeudi pour dire non au harcèlement, quel que soit le harcèlement. Qu'il soit verbale, physique, le cyber-harcèlement, le harcèlement sexuel, sexiste. Un élève sur dix est concerné. Est-ce que le nombre de faits de harcèlement est en progression ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, il est en légère régression.
JEAN-JACQUES BOURDIN
En légère régression.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais le nombre est important quand même. C'est évidemment pour ça que j'y accorde tant d'importance et je vous remercie de m'inviter en ce jour qui est le jour de la lutte contre le harcèlement, le 8 novembre. Nous choisissons à chaque fois le premier jeudi de novembre, mais là cette année le 1er novembre était férié. En réalité, c'est trois cent soixante-cinq jours par an qu'on doit lutter contre le harcèlement, parce que c'est un phénomène gravissime. C'est un phénomène d'abord qui touche le monde entier ; il n'y a pas une spécificité française. Même d'ailleurs les enquêtes montrent qu'on est parfois un peu meilleurs que les autres, mais peu importe. Ce qui est grave, c'est que plus d'un élève sur dix pâtit de cela. En réalité, beaucoup de gens ont vécu de près ou de loin quelque chose qui ressemble au harcèlement. C'est donc un phénomène de société contre lequel on doit lutter, d'autant plus qu'il prend des formes nouvelles avec, en particulier, le cyber-harcèlement. Donc je suis pleinement mobilisé sur ce sujet de différentes manières mais nous devons encore progresser sur ces questions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a un numéro d'appel national, le 30 20.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous dites : « Je suis pleinement mobilisé » mais qu'allez-vous faire de mieux ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, il y a plusieurs choses à faire. D'abord en parler, c'est très important. Ça fait partie de ces sujets sur lesquels ce que nous sommes en train de faire est très important, parce que des gens nous écoutent. Et vous êtes parents de victimes de harcèlement ou peut-être parents d'enfants qui harcèlent les autres ; c'est pour ça que c'est important de parler avec ses enfants pour savoir ce qui se passe dans la journée, connaître ce qui se passe dans la cour de récréation. C'est très important. Il y a aussi des professeurs ou des adultes qui travaillent dans les écoles, les collèges et les lycées, qui nous entendent. Quand on traverse la cour et qu'on voit des enfants qui se battent ou un enfant harcelé par plusieurs autres, on doit agir. C'est un sujet, si vous voulez, où c'est l'ensemble de la société qui doit se mobiliser. Par ailleurs, nous formons certains élèves à être des ambassadeurs contre le harcèlement, autrement dit à porter ce message établissement par établissement. Et donc, nous allons arriver à la systématicité de la présence de ces ambassadeurs dans chaque collège et dans chaque lycée. Et puis, nous allons avoir de plus en plus de formation à la médiation chez les enfants. C'est quelque chose, en réalité, qui commence dès l'école primaire. C'est-à-dire habituer les enfants à avoir le sens du collectif, habituer à respecter autrui. Vous savez, je dis toujours lire, écrire, compter et je vais rajouter respecter autrui. C'est évidemment ce respecter autrui qui est derrière le message. Et enfin, et c'est peut-être un des points les plus importants, la formation des adultes et notamment la formation des professeurs pour avoir le sens de ce qu'il faut faire face à ce type de situation et le réflexe d'agir, même quand on voit un début de harcèlement, un petit harcèlement qui peut se transformer en quelque chose de grave pour un enfant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Michel BLANQUER, harcèlement, violence ; oui, c'est voisin. Violence dont sont victimes aussi et les directeurs d'école et les enseignants. D'ailleurs l'autorité de professeur, je trouve, est en train d'être battue en brèche.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, ce n'est pas là non plus un phénomène nouveau.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, ce n'est pas un phénomène nouveau mais inquiétant. Inquiétant, Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr. Mais c'est quelque chose que j'ai dit dès que je suis arrivé. Dans les premières choses que j'ai dites, il y a cela. Encore une fois, lorsque je dis lire, écrire, compter, respecter autrui, ce respecter autrui est clé parce que c'est le message. Je dis toujours : « L'école, c'est la transmission des connaissances mais c'est aussi la transmission des valeurs » ; en l'occurrence les valeurs de la République. Des choses très simples : la politesse, le respect d'autrui, la capacité à se mettre à la place d'autrui. Ce sont des choses toutes simples de la vie quotidienne mais que nous devons transmettre à nos enfants, l'école mais aussi les parents. Nous avons évidemment un problème de société aujourd'hui avec, parfois, une éducation qui a de grandes failles et on peut le constater au quotidien. Nous avons besoin de reconstruire une convergence entre ce que font et ce que disent les parents d'une part, et ce que fait et ce que dit l'école d'autre part. Les sociétés qui vont bien, ce sont des sociétés où il y a cette alliance entre les parents et l'école mais c'est aussi le travail que je fais. Concrètement, ça signifie que nous devons avoir contre la violence une stratégie. Une stratégie d'ensemble qui passe en effet d'abord par la restauration de l'autorité du professeur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors comment renforcer l'autorité des professeurs ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Premier point de base que j'ai annoncé la semaine dernière, c'est à chaque fois qu'il y a un fait d'insolence, d'atteinte à l'autorité du professeur, ce fait doit être signalé et le suivi doit être porté sur un registre de l'établissement. Certains établissements le font déjà mais ce que je souhaite, et c'est évidemment une réponse importante à ce qui a été derrière le mouvement #PasDeVague, c'est que face à ce suivi, il y a un signalement indiqué.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, parce que beaucoup, beaucoup se taisent. La hiérarchie se tait.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui mais ce discours Là aussi, je n'ai pas attendu les événements de Créteil pour avoir un discours très clair là-dessus.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Créteil, je le rappelle, un professeur menacé par un élève avec une arme factice et relayé sur les réseaux sociaux.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout à fait. Premièrement, si on revient sur tout ça, premièrement j'ai réagi dès le lendemain avant même que ce soit médiatisé pour faire ce qu'il y avait à faire. Les deux élèves sont aujourd'hui exclus et l'un d'entre eux est mis en examen, donc il n'y a eu aucun laxisme dans cette affaire. Et deuxièmement depuis dix-huit mois, et donc bien avant ces événements-là - parce que je suis parfaitement conscient des réalités qui sont derrière ça - j'ai dit qu'en effet les établissements ne devaient pas être jugés sur le nombre de conseils de discipline qu'ils faisaient mais sur leur capacité à créer le bon climat scolaire. Autrement dit, on ne doit pas être dans l'esprit du #PasDeVague, on doit être dans l'esprit de dire les choses comme elles sont et apporter une réponse et une sanction à chaque fois qu'un élève commet quelque chose qui ne convient pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous allez aller jusqu'à évaluer Chaque établissement est évalué finalement dans sa capacité justement à rétablir cette autorité et rétablir un bon dialogue entre les parents et les enseignants.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez aller jusqu'à une évaluation établissement par établissement ? Un classement en quelque sorte des meilleures des meilleures écoles, des meilleurs collèges.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le but n'est pas le classement en soi. Le but, c'est d'aider les établissements à avoir un bon climat scolaire. Jusqu'à il y a peu de temps, ce que pouvaient penser les professeurs, les chefs d'établissement, l'ensemble des personnels - ils pouvaient le penser à tort ou à raison -, c'est que l'institution les incitait à ne rien dire, à ne pas faire de vague. A faire comme si tout allait bien même quand ça n'allait pas bien. Mon message, c'est : « Non, dites les choses comme elles sont. » D'ailleurs quand ça va bien il faut le dire ; quand ça ne va pas bien, il faut le dire aussi. « Et chaque fois que ça ne va pas bien, on vous aide pour que ça aille bien. » C'est très relié à ce qu'on vient de se dire sur le harcèlement : on doit tourner ça en positif d'ailleurs. C'est comment on crée un climat scolaire de qualité ? Comment est-ce que c'est le harceleur qui commence à avoir honte et pas le harcelé ? Comment est-ce que chaque fait de violence est signalé et suivi d'une sanction ? Ce sont des choses très simples qui ont vocation à s'appliquer dans chaque école, chaque collège, chaque lycée, qui passent par toute une série de mesures que j'ai prises. Et, encore une fois, certaines je les ai prises depuis un certain temps. Bien entendu, les effets sont dans la durée et c'est cela qui fera diminuer et le harcèlement et la violence.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez annoncer un plan d'action pour la protection - on est bien d'accord - de l'école.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. J'ai déjà annoncé une première partie. Tout ce qui concerne la classe et l'établissement, je l'ai annoncé. Par exemple, ce que je viens de vous dire sur le suivi, je l'ai dit.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des sanctions mieux ajustées.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Des sanctions mieux ajustées.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des conseils de discipline plus rapides.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, plus simplifiés.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec des décisions plus rapides et simplifiées entre autres. Je ne sais pas moi, il y a beaucoup de choses. Par exemple, remise en état par les élèves qui ont dégradé des bâtiments, remise en état de ces bâtiments par ces élèves-là.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Exactement. C'est ce qu'on appelle les sanctions de responsabilisation qui sont éducatives puisqu'elles font une relation entre la faute que vous avez commise et la sanction que vous exécutez.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors maintenant, le deuxième volet ça va être quoi ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est tout ce qui concerne l'interaction entre l'école et le reste de la société, et donc notamment les autres ministères déjà - l'Intérieur, la Justice, mais aussi les Affaires sociales - de façon à ce que, premièrement, on soit capable d'envisager des structures dédiées pour les élèves qui posent le plus de problèmes, notamment les fameux poly-exclus puisqu'aujourd'hui, on est dans la situation parfois absurde d'exclure un élève qui va dans un autre établissement semer le même désordre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on pourrait ouvrir des établissements pour les élèves qui sont poly-exclus.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. Et en tout cas avoir des mécanismes adaptés.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des établissements spécialisés en quelque sorte.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, oui. Aujourd'hui il y a des choses, mais nous voyons qu'il y a en quelque sorte des trous dans la raquette, que parfois il y a certains types de dispositifs qui pourraient exister, ce qui nous permettrait de mieux encadrer les élèves. Ça, c'est ce qui a trait aux élèves les plus difficiles. Et puis, on doit réfléchir aussi à ce qui permet de davantage responsabiliser les familles. Et puis, on doit réfléchir à tout ce qui permet
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça veut dire « responsabiliser les familles » ? Supprimer par exemple des aides sociales si les élèves sont absents, trop absents ? C'est possible ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
La réflexion est ouverte actuellement
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'êtes pas contre ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est dans un mois que nous allons y travailler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais vous n'êtes pas contre.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais je suis pour le fait qu'il y ait une convergence famille-école et que, donc, tout soit mis sur la table. Parce que il n'est pas normal d'avoir des familles qui
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire qu'une famille qui ne fait pas ce qu'il faut pour que son enfant aille à l'école pourra être sanctionnée.
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est évident que quand vous avez une faille éducative, la société Nous avons des droits et des devoirs dans notre société. Vous ne pouvez pas simplement en permanence bénéficier d'une série de prestations, envoyer votre enfant à l'école, éventuellement d'ailleurs lui dire que c'est très bien quand il ne respecte pas les professeurs et n'en subir aucune conséquence.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc ces familles-là en subiront des conséquences.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, mais nous devons réfléchir de quelle façon et c'est ce que nous dirons dans un mois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
De quelle façon ? Ça peut être la suppression d'aides sociales ? Ça peut être quoi ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est ouvert.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça peut être quoi ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je ne vais pas vous dire que je dirai dans un mois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais Jean-Michel BLANQUER, ce sera quoi ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Votre impatience aura un terme dans quelques semaines.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Michel BLANQUER, ce n'est pas une impatience, c'est la volonté de savoir.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais vous saurez, vous saurez.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que les Français veulent savoir. Les auditeurs et téléspectateurs veulent savoir.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ils sauront. Ils sauront parce que nous ne faisons pas les choses dans la précipitation. Ça ne sert à rien de faire les matamores sur ces questions et puis simplement en réagissant à chaud. Ce qui est très important, c'est d'avoir une réflexion approfondie pour être efficace. C'est ce que l'on est en train de faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des sanctions seront donc possibles.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Des sanctions sont possibles mais surtout, ce qui est important, c'est qu'on réfléchisse tous. Parce que tous les sujets dont je parle, ce ne sont pas des sujets de simple décision d'un ministre. C'est des sujets de mobilisation de la société.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est bien d'accord.
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'où l'importance d'en parler. Et donc ce qui est important, c'est cette convergence parents-école et, dans notre société, ce que devient la parentalité avec toutes les évolutions technologiques que nous connaissons, toutes les évolutions de société bonnes et mauvaises. Il faut les prendre en compte pour qu'il y ait une parentalité responsable au vingt-et-unième siècle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La sécurité au sens large, formation à l'exercice de l'autorité pour les enseignants, ça c'est acquis. Enfin, « c'est acquis », c'est programmé, Jean-Michel BLANQUER. Mais moi, juste concrètement : vidéosurveillance à l'intérieur des établissements, ça se fait dans les Hauts-de-France, mais la CNIL nous dit qu'il n'est pas question de filmer. Vous voulez généraliser ou pas ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. On va on va faire un travail avec la CNIL pour voir ce qui est acceptable du point de vue de la loi et ce qui ne l'est pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous êtes favorable à la généralisation.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non. Je suis favorable au pragmatisme et le pragmatisme signifie que vous n'êtes pas obligé de faire la même chose partout de la même façon. Le pragmatisme, ça signifie que vous devez considérer une situation et cette situation, s'il y a des problèmes de sécurité, vous devez les résoudre. Les résoudre, ça peut passer par la vidéosurveillance ; pas forcément, ça dépend des circonstances
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pourquoi pas ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais pourquoi pas ? Mais il ne faut être fermé à rien si vous voulez. Ce qui nous tue parfois, c'est une sorte de dogmatisme qui nous empêche de faire alors même que, quand on fait, quand on agit pour la sécurité - je le rappelle et je redis très fortement - on agit pour les plus faibles. Agir pour la sécurité, ça n'a rien de réactionnaire ou de conservateur, c'est tout le contraire. Parce que si vous n'avez pas la sécurité, vous n'avez pas le reste. On a besoin de protéger nos enfants et nos adolescents, et parfois de les protéger vis-à-vis d'eux-mêmes d'ailleurs puisqu'un enfant ou un adolescent qui commet des choses contre un autre, on doit aussi lui poser des limites et c'est lui faire du bien que de lui poser des limites.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un nouveau proviseur adjoint nommé dans un lycée, celui de Stains, le lycée Utrillo, ça provoque débat. Ancien gendarme. Est-ce que vous allez comme ça nommer du personnel d'encadrement dans des établissements en REP ou en REP+ qui en ont besoin, chargés de la sécurité ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Pas spécialement en REP et en REP+ d'ailleurs, dans toute la France. Ce qui est important, c'est d'avoir
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aura un référent sécurité dans chaque établissement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, pas dans chaque établissement : chaque fois que c'est nécessaire. Regardez, j'ai déjà cité à votre micro le cas du lycée Galliéni à Toulouse où il y avait du désordre. Ce désordre, on a décidé de prendre à bras-le-corps ce désordre parce que moins de 10 % des élèves semaient le désordre au détriment de tous les autres, et y compris des adultes. On a remis de l'ordre et une des choses par lesquelles on est passé, ç'a été la nomination d'un proviseur adjoint en charge de la sécurité. Ce n'est évidemment pas la seule solution
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous comprenez la colère de certains enseignants du lycée Utrillo de Stains ? Qui disent : « C'est un ancien gendarme, un chef d'escadron. »
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non seulement je ne comprends pas mais je trouve ça scandaleux, leur réaction. C'est inacceptable en réalité. D'abord parce que les choses se passent dans les formes, c'est-à-dire que le proviseur adjoint qui a été nommé est une personne qui était prévue d'ailleurs avant les événements de Créteil, ce qui vous montre d'ailleurs qu'on travaille structurellement sur ces sujets. Mais il vient d'un secteur de la fonction publique, en l'occurrence la gendarmerie, mais ça pourrait être un autre secteur selon des règles tout à fait normales. Il pourrait venir de toute autre administration : du ministère de la Culture, du ministère des Sports, de ce que l'on voudra. C'est tout à fait dans les règles que cela s'est passé et, bien entendu, je suis tout-à-fait fier qu'on puisse avoir des cadres qui viennent d'autres administrations, y compris de la gendarmerie, ce qui est en effet le prédispose à avoir une vision de la sécurité accentuée. Les mêmes enseignants il y a quelques semaines me demandaient de résoudre les problèmes de sécurité à Stains. Nous avons fait ce qu'il fallait à l'extérieur avec la police pour que l'ordre soit rétabli, et à l'intérieur maintenant pour que tout simplement les règles soient respectées au bénéfice des professeurs. Quand on dit les professeurs, ce n'est pas forcément tous.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, pas tous. Une partie.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il y a toujours des minorités agissantes qui masquent la majorité silencieuse.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pour en terminer avec ce sujet et pour en terminer avec notre interview, Jean-Michel BLANQUER, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que quand il y a un problème de sécurité dans un établissement où autour d'établissements mais spécifiquement dans un établissement, sera nommé un personnel d'encadrement chargé de la sécurité.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Chaque fois que ce sera nécessaire. Ce que je suis en train de vous dire en fait, c'est que nous développons et nous avons commencé depuis un an/un an et demi, un éventail de possibilités, des outils en quelque sorte, à la disposition de l'établissement pour rétablir la sécurité. Et ces outils ne peuvent pas être uniformes pour toute la France : c'est au cas par cas qu'on doit pouvoir utiliser tel ou tel outil. Dans certains cas, c'est un proviseur adjoint en charge de la sécurité. Dans d'autres cas, ça va être un dispositif technique nécessaire. Dans d'autres cas, un programme de formation.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comme à Nice, un policier municipal dans l'école.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Parce que c'était pertinent dans ce cas-là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça peut être pertinent ailleurs.
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est ce pragmatisme qu'on doit avoir, et donc nous devons avoir une analyse en termes de sécurité, en termes de bon climat scolaire. Tout ceci d'ailleurs ne doit pas être défensif. Nous devons tous être même, je dirais mentalement, dans une optique optimiste, dans une optique offensive, c'est-à-dire une optique ou le but ce n'est pas tellement de se défendre contre l'insécurité : c'est de créer un climat de sécurité. Ce n'est pas la même chose. Un climat de sécurité, c'est un climat de confiance. Le mot-clé que j'utilise en permanence pour parler de tout ce que j'ai à faire pour l'école, avec toute l'Education nationale, c'est l'école de la confiance. C'est donc une école où on vient avec plaisir, une école où on vient avec bonheur, une école où on se respecte les uns les autres. Et c'est cela qui génère aussi de la sécurité et de la sécurité mentale pour tous nos enfants.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Jean-Michel BLANQUER d'être venu nous voir sur RMC et BFMTV.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 novembre 2018