Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse à Radio Classique le 3 décembre 2018, sur le développement du conflit social des gilets jaunes et la situation sociale.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Nous sommes en direct avec Jean-Michel BLANQUER qui, vous le savez, est notamment ministre de l'Education nationale et un des piliers du pouvoir d'Emmanuel MACRON. D'abord, merci d'être sur l'antenne de Radio Classique, les questions ne manquent pas, elles sont d'ordre différent. Première question, elle est très simple, elle est un peu suggérée par Guillaume TABARD, bienvenue. C'est, au fond, pourquoi recevoir des dirigeants politiques qui veulent tous abattre le chef de l'Etat, en gros ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est tout à fait normal de recevoir dans des circonstances de crise les chefs des partis politiques, c'est justement le fonctionnement de la démocratie le plus normal qui soit, et de ce point de vue-là, nous avons besoin de cadres démocratiques aujourd'hui, donc on est en train d'accomplir ce que fait toute grande démocratie dans ce genre de cas, c'est-à-dire écouter chacun des chefs de parti, c'est important...
GUILLAUME DURAND
Mais les écouter pourquoi faire Jean-Michel BLANQUER, pour leur demander de constituer une sorte d'union nationale ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est-ce que la journée permettra de savoir, justement, il faut les écouter pour comprendre quelle est leur approche dans ces circonstances, ensuite, le jeu est ouvert, par définition, si on écoute, c'est pour ensuite interagir, donc nous nous verrons bien à l'issue de la journée ce que cela donne, mais je pense qu'aussi bien les partis politiques que les syndicats font partie des structures de la démocratie, et que dans des circonstances difficiles, comme les circonstances actuelles, on doit pleinement jouer ce jeu des institutions, du cadre démocratique, du respect des formes, de la non-violence évidemment, tout ceci est essentiel, et doit être rappelé.
GUILLAUME DURAND
On va y revenir. Mais quand par exemple Laurent WAUQUIEZ parle de référendum, Marine LE PEN ou MELENCHON parlent d'une dissolution de l'Assemblée nationale, on ne voit pas très bien ce qu'il peut y avoir de compatible avec le pouvoir d'Emmanuel MACRON quand d'autres demandent le retour de l'ISF intégral, alors qu'il a toujours été contre, on ne voit pas très bien comment on pourrait retisser quelque chose avec des points de vue aussi différents ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, eh bien, vous voyez bien justement qu'il y a une espèce d'éparpillement et de fragmentation des propos, tous les mécontentements s'agrègent tout en étant très hétérogènes et incompatibles entre eux, c'est bien pour ça que dans ce genre de moment, il faut être à la fois très serein et très structurant, être structurant, c'est justement recevoir les uns, les autres, mettre chacun devant ses responsabilités, parce que vous savez, c'est toujours facile de dire : il faut, je sais ce qu'il faut faire, il faut baisser les impôts et augmenter les dépenses publiques, on a beaucoup de champions de cette combinaison sans aucun sens des responsabilités, donc il faut le rôle du pouvoir politique, c'est-à-dire de nous-mêmes, aujourd'hui, c'est de structurer cette attente sociale, la prendre au sérieux, puisqu'on voit bien qu'il y a un mécontentement et qu'il ne faut certainement pas le prendre à la légère ; mais la prendre au sérieux, c'est justement la structurer, et la structurer, c'est recevoir des responsables qui représentent réellement la population.
GUILLAUME DURAND
Démission d'Edouard PHILIPPE ou renvoi d'Edouard PHILIPPE par Emmanuel MACRON, c'est exclu, d'après vous ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, c'est exclu, et ce n'est pas le sujet aujourd'hui, on voit bien que, justement, le chef du gouvernement doit être dans son rôle en contribuant fortement à cette structuration dont je parle, le sujet, il n'est pas celui du Premier ministre tel qu'il est, le sujet, c'est comment est-ce qu'on arrive à structurer la demande politique et lui apporter une réponse concrète en faisant du bien à la France, parce qu'aujourd'hui, ce qui se passe, c'est qu'on fait du tort à la France, la France se fait du tort elle-même en ce moment-même, son image se dégrade depuis quelques jours alors même que, un des grands atouts de l'arrivée d'Emmanuel MACRON, c'était un changement complet d'image de la France, et nous en bénéficions, songeons que c'est quand même l'année où on bat des records d'investissements étrangers en France, c'est-à-dire des créations d'emplois, concrètement, c'est cela. Donc chaque jour qui passe…
GUILLAUME DURAND
Eh bien, c'est aussi la journée où Michelle OBAMA, qui devait venir en France, annule son voyage, donc ça veut dire que tout est capable d'être retourné, les hôtels sont en chute libre, la restauration, c'est une catastrophe, les magasins sont saccagés.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout à fait, mais justement, donc…
GUILLAUME DURAND
Et l'Etoile est propulsée sur les chaînes de télévision du monde entier…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien entendu. Donc vous savez, il faut qu'on ait tous le sens des responsabilités, et ceux qui manifestent comme le gouvernement comme tous les Français. La France, elle dépend de nous tous, elle ne dépend pas que d'une personne ou d'un groupe de personnes, elle dépend de nous tous, et donc de ce point de vue-là, il faut avoir le sens des responsabilités, ça commence déjà par la non-violence, par la capacité à avoir le sens du dialogue, par la cohérence, on ne peut pas réclamer une chose et son contraire, par le sens du court terme, du moyen terme et du long terme. Tous ces enjeux, dès que l'on réfléchit un peu, on voit bien qu'ils doivent être structurés et qu'on doit devenir raisonnable sur cette question ; donc, il y a un appel à la sérénité et à la rationalité qui doit être fait, c'est ce qui se passe aujourd'hui avec, non seulement ce que fait le chef du gouvernement, mais ce que l'ensemble du gouvernement fait dans chacun de ces domaines, par exemple dans le domaine de l'éducation, j'ai évidemment, moi aussi, ce rôle à jouer de rationalité, d'écoute, et c'est ce que je fais d'ailleurs.
GUILLAUME DURAND
Alors plus plusieurs questions, pardonnez-moi de revenir sur celle d'avant, parce que, ce n'est pas que votre réponse n'a pas été claire, mais est-ce que, par exemple, il pourrait y avoir une recomposition du gouvernement et on pourrait aboutir à une certaine forme d'union nationale pour intégrer ceux dans l'opposition qui sont compatibles avec Emmanuel MACRON, pour élargir le spectre politique de manière à ce qu'on n'ait pas le sentiment que MACRON soit l'homme à abattre ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, ce que vous venez de dire, c'est évidemment dans les mains du président de la République, des choix de ce type, avec le Premier ministre, donc ça lui appartient, ce qui est certain, c'est que...
GUILLAUME DURAND
Mais ce scénario vous paraît probable…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Probable, non…
GUILLAUME DURAND
Possible ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Possible, mais, je pense que les scénarios d'ouverture politique, d'écoute politique sont évidemment ouverts, et c'est important quels qu'ils soient, parce qu'on est évidemment à l'écoute aujourd'hui, donc comme cela est normal.
GUILLAUME DURAND
Question, parce que ça a été posé par beaucoup de gens, notamment de l'opposition, ils l'ont fait exprès, c'est-à-dire, ils l'ont fait exprès, c'est vous, pour décrédibiliser le mouvement, il y avait 500 gardes mobiles, CRS qui étaient opérationnels, tous les autres gardaient les bâtiments publics, donc en fait, face à une foule déchaînée, mélangeant gilets jaunes radicalisés et casseurs cassant, 500 personnes, ça ne sert à rien ? Donc on l'a fait exprès, ils l'ont fait exprès...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, c'est évidemment faux, et bien des choses très fausses et très folles sont dites de nos jours. Donc il faut faire très attention à cette propension à dire n'importe quoi, j'étais hier soir à l'Arc de Triomphe pour raviver la flamme avec Geneviève DARRIEUSSECQ et Richard FERRAND, c'était l'occasion...
GUILLAUME DURAND
C'est un scandale cette affaire quand même…
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'était un scandale total, mais c'est un scandale qui doit émouvoir tous les Français, c'est-à-dire que...
GUILLAUME DURAND
Mais ils le sont émus...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Et c'est pour ça qu'hier, c'est aussi avec calme, sérénité, mais une certaine force sereine, que nous y sommes allés, pour bien montrer que la République est là, qu'on ne touche pas à ses symboles, que c'est totalement anormal, quelles que soient les revendications que l'on a, de se mettre dans ce type de situation, il n'y avait pas que des casseurs, il y a des gens qui se radicalisent tout seuls aussi dans ce type de manifestation. Ce n'est pas parce qu'ils ont des revendications qu'on doit leur dire que tout est bien, quand ils font ça, c'est mal, par définition, ils se sont mis dans une situation délinquante, et d'ailleurs, ceux qui ont été attrapés seront châtiés et c'est bien normal. Quand vous voyez les dégâts que j'ai vus hier à l'Arc de Triomphe, vous avez tout simplement le cœur qui se serre et vous n'avez qu'une envie, c'est que la France revienne sur les rails de façon normale, et ça dépend, certes, du gouvernement qui joue son rôle en la matière, ça dépend aussi du sens de la responsabilité de tout le monde, parce que c'est très facile de crier dans tous les sens, c'est plus difficile d'avoir le sens des responsabilités, et j'en appelle en disant ça aussi aux responsables politiques, vous en avez cité un certain nombre, c'est toujours très facile alors que la plupart d'entre eux sont en réalité responsables de cette frustration qui monte depuis des années…
GUILLAUME DURAND
Vous parlez de WAUQUIEZ, vous parlez de LE PEN...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, par exemple, mais on peut en citer d'autres. Si vous voulez, cela fait des années qu'il y a eu du matraquage fiscal en France, ce n'est certainement pas depuis 18 mois que ça s'accentue, au contraire, ce gouvernement fait un travail qui permet progressivement d'envisager, par exemple, la baisse des impôts, c'est un engagement qui a été pris
GUILLAUME DURAND
Mais l'envisager, ce n'est pas le faire, pour l'instant...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, c'est le faire sur la durée d'un quinquennat. Eh bien, nous avons la dette publique que nous avons, elle ne date pas d'il y a 18 mois, nous avons les difficultés économiques que nous connaissons, la récupération est en train de se réaliser, les chiffres macro-économiques sont bons, c'est par exemple la première année en 2018 que le pouvoir d'achat se met à augmenter, alors qu'il y avait dix années, soit de stagnation, soit de baisse. Donc si vous voulez...
GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi cette ironie, mais je serais gilets jaunes, et je vous interviewerais, ce qui n'est pas leur métier d'ailleurs, ils vous diraient : il se moque de nous.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, mais parce qu'il y a une question d'arbitrage entre le court terme et le long terme, et il est tout à fait normal à la fois de comprendre la frustration de quelqu'un qui habite loin, qui doit utiliser sa voiture et qui voit le diesel augmenter, au passage, ce diesel augmente aussi à cause de l'augmentation du pétrole…
GUILLAUME DURAND
Mais pourquoi ne pas faire un moratoire sur ces taxes…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Et d'ailleurs, majoritairement à cause…
GUILLAUME DURAND
Pourquoi pas, ce matin, décider ça, pour commencer par déminer la situation ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, là, je ne veux pas sortir de mon rôle, c'est, là encore, le sujet du... le Premier ministre écoute aujourd'hui, et il verra bien ce qu'il en est sur ce type de question, de toute façon, l'essence à la pompe est en train de baisser puisque le cours du pétrole est en train de baisser actuellement, donc la mesure qui a été prise…
GUILLAUME DURAND
Donc c'est une situation qui est ouverte ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
La situation, concrètement, si vous voulez, les raisons qui ont fait que les personnes se sont mises à protester il y a quelque temps, il y a quelques jours, sont elles-mêmes en train de s'atténuer puisque le prix du pétrole est en train de baisser. Donc la question, si vous voulez, de la mesure qui a été prise la semaine dernière, avec le cours flottant de l'essence, est typiquement une réponse concrète à ce qui a été demandé et dont on va voir les conséquences ces jours-ci.
GUILLAUME DURAND
Bruno BONNELL, par exemple, qui est un député de la République en Marche, considère que sur l'affaire de l'ISF, il faudrait peut-être maintenant installer une traçabilité pour être certain que ceux qui ont bénéficié justement, à titre industriel ou économique, de ces abattements - je ne parle pas de l'immobilier - eh bien, qu'ils l'aient vraiment réinvesti dans l'économie et qu'ils n'aient pas construit des piscines dans des maisons qu'ils ont achetées ; est-ce que cette traçabilité par exemple, qui peut tout à fait être faite par les services fiscaux de Bercy, c'est aussi une urgence pour calmer la colère, parce que tous les gilets jaunes qui étaient sur les plateaux de France 2, hier, qu'est-ce qu'ils disent : il faut rétablir l'ISF !
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ecoutez, toutes les politiques publiques doivent être évaluées, c'est un principe de démocratie et c'est un principe d'efficacité aussi de l'action publique...
GUILLAUME DURAND
Et après, j'aurai une dernière question...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Donc il est tout à fait normal d'évaluer l'impact que les mesures qui ont été prises sur l'ISF peut avoir, et il faut le faire bien entendu, on verra peut-être à ce moment-là que ça fait partie de ce qui a permis l'amélioration de l'investissement tout au long de l'année 2018, on verra peut-être d'autres choses, donc faire une évaluation des politiques publiques, c'est normal. Ce n'est pas exactement la même chose que l'idée de traçabilité qui, à mon avis, peut nous mener assez loin, sur plein de sujets, en revanche, évaluer l'effet d'une politique publique, la faire évoluer en fonction de cette évaluation, ça, c'est tout à fait normal.
GUILLAUME DURAND
Vous connaissez l'histoire de France, vous êtes ministre de l'Education nationale, la France est un pays qui alterne monarchie, enfin, depuis le 19ème siècle, monarchie, République, et puis, période éruptive, à 89, 1830, 1870, 1936, 68, 95, les émeutes de 84. Est-ce que le président de la République est totalement hors sol et ne se rend pas compte que notre pays peut être gagné – c'est son histoire – par une séquence insurrectionnelle, qui serait une séquence qui durait depuis trois semaines ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Notre président n'ignore rien de notre histoire, et le fait de dire qu'il est hors sol, c'est ce qu'on martèle depuis 18 mois, tous les opposants, et effectivement, ça finit par rentrer dans l'esprit public, parce qu'à force de dire qu'il est hors sol, beaucoup de gens le pensent...
GUILLAUME DURAND
C'est une question...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce qui est totalement faux, j'ai rarement vu un responsable politique aussi peu hors sol, d'abord, c'est quelqu'un qui connaît parfaitement notre histoire, on le dépeint comme un Parisien, il est né à Amiens, et il connaît parfaitement les régions de France. On le dépeint comme quelqu'un de hors-sol, il connaît parfaitement notre histoire, il en est imprégné, c'est quelqu'un, à la fois d'une grande culture, mais qui est en même temps dans l'action, très fortement, il est dans l'action d'une manière totalement dédiée, il va à la rencontre des gens, on lui reproche tout et son contraire, parce que notre société est pétrie de contradictions, le fait est que s'il a été élu président de la République, c'est précisément parce que notre société attendait quelque chose de totalement neuf, c'était déjà finalement le signe d'une crise, il est venu pour résoudre cette crise, aujourd'hui, il y a des impatiences par rapport à la résolution de cette crise, et il faut entendre ces impatiences. Pour ma part...
GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que nous sommes dans une situation prérévolutionnaire ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, il ne faut pas exagérer, il ne faut pas utiliser de trop grands mots à chaque fois, je pense que l'immense majorité des Français n'ont aucune envie des désordres que nous avons vus, à commencer par la grande majorité des gilets jaunes, qui sont des gens, moi, que je prends très au sérieux et que je respecte, ceux qui sont dans la non-violence, bien entendu, et donc c'est ce cœur de la France qu'il faut savoir entendre. Alors, comme, d'ailleurs, je le dis depuis 18 mois, la question par exemple de la prise en compte des territoires, c'est quelque chose que nous avons à faire, c'est quelque chose que je fais au titre de l'Education nationale, c'est quelque chose que nous avons à faire au titre de la jeunesse et de la vie associative. Nous avons beaucoup de projets qui sont en cours et qui d'ailleurs suscitent une certaine adhésion, domaine par domaine, dès lors que, justement, on prend en compte la totalité du territoire français et tous les Français.
GUILLAUME DURAND
Jean-Michel BLANQUER donc, le ministre de l'Education, était ce matin sur l'antenne de Radio Classique. Il y a beaucoup de questions que nous aurions pu encore aborder, comme par exemple les mots employés par Emmanuel MACRON depuis qu'il est au pouvoir, qui pourraient décrédibiliser une partie de la politique qu'il mène. Mais donc nous aurons tout à fait l'occasion de retraiter ces sujets dans les jours qui viennent. Merci d'être venu ce matin sur l'antenne de Radio Classique...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 décembre 2018