Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur l'analyse des progrès de la longevité, l'annonce de la création d'un Institut de la longévité et sur les axes prioritaires de la recherche sur le vieillissement et les handicaps sensoriels, Paris le 29 octobre 2001.

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Circonstance : Colloque "Aspects scientifiques, médicaux et sociaux de la longévité et du vieillissement "organisé à l'Académie des sciences à Paris le 29 octobre 2001

Texte intégral

Colloque "Aspects scientifiques, médicaux et sociaux
de la longévité et du vieillissement"
Le 14 mars dernier, j'ouvrai ici même un premier colloque franco-britannique consacré aux encéphalopathies spongiformes transmissibles, organisé conjointement par l'Académie des sciences de l'Institut de France, l'Académie nationale de médecine et l'Academy of Medical sciences of the United Kingdom. La coopération scientifique entre le Royaume Uni et la France se poursuit aujourd'hui, avec le concours aussi de l'Académie des sciences morales et politiques, sur un autre sujet : "Les aspects scientifiques, médicaux et sociaux de la longévité et du vieillissement". Une troisième rencontre traitera, en mars 2002, de l'usage des cellules souches à des fins thérapeutiques.
Nos académies ont donc choisi de consacrer leurs travaux conjoints à des questions essentielles qui concernent chacun : l'amélioration de la santé humaine, la préservation et la qualité de la vie pour les personnes âgées, la sécurité alimentaire.
Elles offrent, par là-même, l'exemple d'une "science citoyenne", placée au contact direct des préoccupations de nos concitoyens britanniques et français.
Les progrès de la longévité
Dans les sociétés occidentales, les progrès de la longévité ont été spectaculaires au XXème siècle.
En France, le nombre de centenaires (une centaine en 1901, 200 en 1950, 6840 en 1998 et environ 9000 actuellement) s'est sensiblement accru. Surtout, l'espérance de vie à la naissance est parmi les plus élevées au monde : 75,2 ans pour les hommes et 82,7 ans pour les femmes. Si l'on extrapolait à partir de ces statistiques, on pourrait en conclure que la moitié des filles qui naissent aujourd'hui atteindront l'âge de cent ans.
Au recensement de 1999, les plus de 60 ans représentaient déjà 21,3% de la population en France. En 2010, ce pourcentage s'élèvera à 25%, puis à 33% en 2035.
Dès 2011, c'est-à-dire dans dix ans, les moins de 20 ans seront moins nombreux que les plus de 60 ans.
Le nombre de personnes concernées par le vieillissement est, à lui seul, une raison suffisante pour en faire un domaine de recherche prioritaire.
Mais un autre élément renforce notre détermination : le niveau social reste, en France, l'un des déterminants majeurs de l'espérance de vie. Or l'égalité devant la maladie et la mort, comme le droit d'accès aux soins pour tous, sont des principes fondateurs de notre démocratie. Je tiens donc particulièrement à ce que soient analysés les facteurs qui rendent les couches sociales défavorisées plus vulnérables au vieillissement, afin que les avancées scientifiques bénéficient à la société toute entière.
Nous devons favoriser le mieux-être des personnes des 3ème et 4ème âges. Pour qu'elles puissent vivre plus longtemps en meilleure santé. Il importe de concilier durée de la vie et qualité de la vie. L'objectif, c'est à la fois vivre vieux et vivre mieux.
L'Institut de la longévité
Il faut donc impulser, développer et mieux coordonner les recherches relatives au vieillissement et en particulier aux maladies associées à l'âge.
Le 8 mars 2001, à la suite d'une concertation menée en particulier avec le Professeur Etienne-Emile BAULIEU, j'ai annoncé que mon ministère préparait la création d'une structure de recherche "intégrée" sur le vieillissement.
Dès les premiers mois de 2002, nous allons créer un "Institut de la longévité". Ce sera une institution sans murs, mettant en uvre un programme fédérateur et, qui agira en réseau.
Cet Institut prendra la forme d'un GIS (groupement d'intérêt scientifique), associant les divers partenaires concernés : le ministère de la Recherche et sans doute d'autres structures ministérielles, les organismes publics de recherche (INSERM, CNRS, CEA, INRA), les universités et les associations de malades (France Alzheimer, France Parkinson, etc.).
Cet Institut de la longévité sera une structure d'impulsion et de coordination des recherches menée dans plusieurs champs disciplinaires : sciences de la vie, avant tout, mais aussi sciences humaines et sociales ou technologies de l'information et de la communication.
Dès 2002, le GIS disposera de 21 MF, provenant des deux Fonds incitatifs du ministère de la Recherche (Fonds national de la science et Fonds de la recherche et de la technologie), ainsi que de l'INSERM, qui s'est résolument engagé dans ce projet.
Quatre axes prioritaires de recherche
Le groupe de travail réuni autour du Professeur Baulieu a permis, en liaison avec la direction de la recherche du ministère, de sélectionner quatre axes prioritaires pour le démarrage du GIS.
Il s'agit d'initier des programmes de recherche, concrètement et dès 2002 - ce qui, bien sûr, n'exclut pas d'adopter de nouveaux thèmes par la suite.
Les études de génomique et de post-génomique devraient contribuer grandement à développer nos connaissances sur la longévité. C'est pourquoi nous avons choisi de nous appuyer sur l'expérience originale de l'étude des trois Cités (3C), et de lui donner un nouvel élan.
- L'étude 3C, coordonnée par le Professeur Dartigues, a recruté 9 692 participants dans la population de Bordeaux, Dijon et Montpellier. Chaque sujet, âgé de 65 ans ou plus, bénéficie d'un protocole d'examen approfondi qui inclut des bilans cognitifs précis et répétés : évaluation des capacités intellectuelles comme la mémoire, le langage, la logique. L'étude réalise également des mesures du vieillissement vasculaire et une évaluation du retentissement cérébral de la pathologie vasculaire infra clinique. Une banque de matériel biologique - sérum, plasma, ADN - est constituée, dont l'exploitation sera assurée par les plates-formes à haut débit de la génopole de Lille-Nord-Pas de Calais, dirigée par le Professeur Philippe Amouyel.
- L'ensemble des facteurs de susceptibilité génétique déjà décrits dans le domaine vasculaire sera analysé, et leurs impacts estimés. Seront également analysés de nouveaux facteurs génétiques selon une stratégie d'étude de gènes candidats. Une analyse combinée des différents polymorphismes retenus et des interactions gènes-environnement sera systématiquement réalisée.
- La coexistence, au sein d'une même étude de cohorte, des trois points forts que sont le caractère prospectif de l'étude, la qualité et la richesse des variables enregistrées, l'accès à des données biologiques, constitue une expérience pionnière. Le suivi prolongé de la cohorte 3C permettra en particulier l'analyse transversale et longitudinale des relations entre maladies cardiovasculaires et démence et, au-delà, l'ouverture à de nouveaux programmes de recherche pour la compréhension des mécanismes de la longévité.
- Cette étude est déjà une référence mondiale et une source de données cliniques unique en son genre. Avec déjà plus de 5000 examens d'imagerie cérébrale, elle constitue la plus grande base de données mondiale sur ce sujet.
L'élevage d'animaux utiles à l'étude du vieillissement et de la longévité constitue un deuxième axe de l'action du GIS. Ici encore, il s'agit de doter les chercheurs d'outils et de méthodes pour structurer leurs travaux sur la longévité.
- Presque tous les modèles animaux, et particulièrement les mammifères, relevant de travaux sur le vieillissement existent en France. Actuellement, ce qui limite surtout l'étude de certains modèles, c'est la disponibilité des animaux en nombre et en facilité d'accès. L'Institut de la longévité s'engage donc à soutenir deux projets.
- D'une part, la création d'un répertoire national des modèles animaux de vieillissement, disponible sur le web grâce à un site dédié. Ce répertoire, réalisé et mis à jour dans le laboratoire du Docteur Françoise Moos à Montpellier, pourrait ensuite être transféré à l'animalerie centrale du CNRS à Orléans, si un noyau de lignées utiles pour l'étude du vieillissement devait y être tranféré et maintenu.
- D'autre part, le développement de centres d'élevage agréés, à partir des sites déjà équipés et motivés pour la recherche dans le domaine de la biologie du vieillissement. Ces centres d'élevage se verront associer des laboratoires dévolus à la recherche dans ce domaine.
Les handicaps sensoriels liés à l'âge feront l'objet d'une troisième direction de recherche : les affections de la rétine menaçant la vision centrale, la baisse de l'acuité auditive, les troubles de l'équilibre, de la marche et de l'orientation sont les handicaps les plus fréquents chez les personnes âgées.
- A côté de la cataracte et du glaucome, la dégénérescence maculaire liée à l'âge est devenue la première cause de cécité en France : elle affecte au moins 1,5 millions de personnes, dont 15 % sont considérées comme aveugles. La DMLA est aujourd'hui identifiée comme la troisième menace pour la santé dans les pays industrialisés. Des programmes cliniques, de même que des programmes de recherche fondamentale seront donc développés.
- Nous encouragerons en particulier la création d'un centre d'investigation clinique (CIC) sur la rétine, afin de coordonner les expertises actuellement dispersées. Il s'agit de regrouper sur une plate-forme unique les explorations centrées sur l'évaluation fonctionnelle et les stades précoces des DMLA, l'angiographie et les rétinographies, et l'exploration de la basse vision.
- Le CIC et la plate-forme seront implantés au Centre national d'ophtalmologie des Quinze-Vingt, autour du Professeur Sahel. La mise en réseau avec les grands hôpitaux parisiens et régionaux sera facilitée par la création d'une plate-forme d'archivage, de gestion et d'analyse des données. Un centre de lecture des clichés des angiographies fonctionnera comme un service commun pour l'ensemble des études.
- Grâce à cette infrastructure, plusieurs programmes pourront être développés : une caractérisation phénotypique de l'affection dans ses stades précoces et tardifs ; le recueil de données épidémiologiques, soit dans le cadre de l'étude des 3 Cités, soit dans le cadre d'un suivi prospectif des patients vus dans les grands centres de recrutement, dans l'étude de famille ou dans différents projets plus restreints et ciblés.
- Le programme de recherches fondamentales fera une large place à la génétique (identification des gènes de susceptibilité de la DMLA), ainsi qu'au développement de modèles et de stratégies novatrices, allant de la thérapie cellulaire aux prothèses visuelles.
- La perte progressive de l'acuité auditive est due à une atteinte de l'oreille interne : la presbyacousie. Elle touche 25% de la population entre 65 et 75 ans, 40% au-delà de 75 ans. Il n'existe actuellement aucun traitement de cette affection : les prothèses amplifient le son, mais n'améliorent pas la discrimination auditive.
- Les objectifs du projet sont donc de cerner les facteurs de causalité. En particulier de définir les bases moléculaires des formes héréditaires et d'identifier les cibles thérapeutiques potentielles.
- En ce qui concerne l'approche étiologique, les chercheurs s'appuieront, ici encore, sur les résultats de la cohorte des 3 Cités pour évaluer les rôles de l'exposition au bruit, de la prise de médicaments, des anomalies vasculaires, métaboliques et hormonales dans l'apparition de la presbyacousie.
- La recherche des gènes impliqués combinera des approches ne s'appuyant sur aucune hypothèse fonctionnelle avec des approches ciblées (gène candidat). La validité de cette démarche a été éprouvée pour l'isolement des gènes responsables des surdités héréditaires congénitales, et c'est d'ailleurs le Professeur Christine Petit, récemment élue au Collège de France et spécialiste reconnue du domaine, qui animera ce réseau.
- Une partie des déficits de l'équilibre, de la marche et de l'orientation chez les personnes âgées est due à des facteurs périphériques : fragilité osseuse, faiblesse musculaire, troubles neurologiques. L'objectif est de comprendre les mécanismes qui sont à l'origine de ces dégénérescences, et de mettre au point des méthodes de prévention et de rééducation. Ce projet implique la contribution de neurobiologistes, de physiologistes, de neurologues, d'ORL, d'ophtalmologues, de rhumatologues et de psychiatres. Il sera coordonné par les Professeurs Jean Mariani et Alain Berthoz.
- Ceux-ci ont déjà suggéré deux dimensions de recherche : une analyse expérimentale de la désorientation et de la mémoire spatiale chez l'animal, pour laquelle les mesures précédemment énoncées en faveur des centres d'élevage fourniront des infrastructures; une action de structuration de la communauté scientifique et médicale travaillant sur les troubles de l'orientation chez l'homme.
Enfin la contribution des technologies de l'information et de la communication peut jouer un rôle essentiel pour améliorer les conditions de vie physiques et psychologiques des personnes âgées. Il s'agit de notre quatrième thématique de recherche, consacrée en particulier aux "appartements intelligents".
Ce projet a pour ambition de capter à domicile les paramètres vitaux de personnes âgées en perte d'autonomie, et d'assurer ainsi un contrôle non invasif à domicile. Il est en effet essentiel, pour le maintien à domicile de personnes âgées malades, de développer des environnements intégrés permettant la mesure, puis la fusion avant alarme, de variables vitales, comme les fonctions cardio-respiratoire, cognitive, locomotrice.
Là encore, il s'agit de prévenir pour éviter les lourdes conséquences physiques qu'entraînerait, par exemple, un accident cardiaque, ou les troubles psychologiques que risquerait de susciter un long séjour hospitalier.
Plusieurs grandes entreprises privées pourraient s'associer à ce programme pour ses aspects de domotique, de télécommunication, de miniaturisation des capteurs, d'informatique du traitement des signaux.
En effet, le premier objectif de cette recherche, coordonnée par le Professeur Jacques Demongeot, est de réaliser des appartements témoins expérimentaux au sein d'institutions gériatriques, telles que les hôpitaux Charles Foix à Vitry ou René Muret associé à Bobigny. Il convient, pour ce faire, de s'assurer de l'aide d'équipes de recherche technologique, comme le CCAS (CNRS) de Grenoble ou le TIISSAD (CNRS/INRIA) implanté au CHU de Nancy.
L'apport des sciences humaines et sociales
Les sciences humaines et sociales apporteront, elles aussi leur concours à cette structure intégrée de recherche sur le vieillissement. Elles permettront notamment de mieux connaître la sociologie du sujet âgé ou de mieux évaluer l'impact économique de la longévité.
Les sciences humaines et sociales pourraient ainsi s'engager dans deux grandes orientations d'étude. D'une part, l'organisation du temps personnel selon les âges : comment s'effectue le passage du travail à la retraite et au loisir ; quelle est la place exacte du bénévolat ; qui aide qui et de quelle manière ; comment se fait la transmission du savoir entre les générations ? D'autre part, la thématique Vieillesse et territoire, qui met en uvre les compétences des démographes, sociologues et géographes pour étudier comment on vit la ville en fonction de son âge.
Science citoyenne
A travers toutes ces recherches, nous retrouvons un concept auquel je suis très attaché : celui d'une "Science citoyenne", agissant avec une forte réactivité aux préoccupations et aux attentes de nos concitoyens. Bref, une science au service de la personne humaine et de la société.
C'est cette valeur émancipatrice de la science que nous défendons ensemble, parce qu'elle offre plus d'humanité à chacun et plus de solidarité à tous.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 30 octobre 2001)