Conférence de presse de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, avec une intervention de M. Michel Duclos, sous-directeur du désarmement au ministère des Affaires étrangères, sur l'engagement de la France "à respecter totalement les termes" de la convention d'Ottawa sur les mines anti-personnel, dès 2000, à Paris le 1er décembre 1997.

Prononcé le 1er décembre 1997

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence pour la signature de la convention internationale sur l¿interdiction des mines anti personnel, du 2 au 4 décembre 1997, à Ottawa.

Texte intégral

M. CHARLES JOSSELIN
Nous allons, si vous le voulez bien, commencer cette conférence de presse en évoquant la question très actuelle des mines antipersonnel. Vous savez en effet que j'aurai l'honneur de représenter notre gouvernement mercredi à Ottawa, pour y signer la convention interdisant toute forme d'emploi des mines à usage antipersonnel. Cela concerne donc non seulement la production et la commercialisation, mais également le simple emploi de ces mines. La France, en signant cette convention, s'engagera à en respecter totalement les termes, dès lors que la procédure de ratification aura été menée à bien. Mais nous irons encore plus loin en fixant une limite dans le temps : la fin de l'année 1999.
Même si la procédure de ratification n'avait pas été convenablement conduite, c'est-à-dire même si un nombre significatif d'Etats n'avaient pas signé cette convention, la France s'engagerait tout de même à la respecter

Au printemps prochain, une procédure de ratification sera conduite devant le Parlement. Un projet de loi est en préparation. Il intégrera dans le droit français certaines des dispositions prévues par la Conférence d'Ottawa, en particulier celles concernant la pénalisation des contrevenants.

Cette heureuse issue a été précédée de tentatives moins fructueuses. Le débat est ouvert depuis plusieurs années. La pression des ONG, et plus généralement de la société civile, s'exerce très fortement. Il faut d'ailleurs convenir que cette victoire revient très largement à la société civile.

Je peux maintenant vous donner quelques informations chiffrées. Nous avons encore un stock de mines antipersonnel important. Néanmoins, la France n'en produit plus depuis les années 80. Elle n'y a pas eu recours, même pour défendre ses propres forces, depuis une dizaine d'années. Elle n'y a pas eu recours par exemple en Bosnie, ni au Congo.

Q - En revanche, elle y a recours en Corse. La base de Solenzara a été protégée par des mines antipersonnel jusqu'en 1996.

R - Certes, mais ces mines avaient dû être posées bien avant. Il n'y a pas eu de nouvel emploi de mines antipersonnel depuis déjà une bonne dizaine d'années.

Q - Même pendant la guerre du Golfe ?
R - Oui. Je vous ai dit que la France n'y avait pas eu recours depuis dix ans, même pour défendre ses propres forces.

En ce qui concerne les exportations, le mémorandum de 1993 a décidé de les arrêter. Le mémorandum marquant la fin de leur production date, quant à lui, de 1995. Mais, de fait, la production s'était interrompue bien avant puisque les stocks apparaissaient largement suffisants. En effet, nos stocks s'élèvent aujourd'hui à 1 400 000 mines antipersonnel. La destruction de ces stocks a déjà commencé. A la fin de 1998, 700 000 mines auront été détruites. Le reste le sera avant la fin de l'an 2000.

Vous pourriez me demander pourquoi nous ne détruisons pas ces stocks plus rapidement. Vous pourriez également me demander pourquoi la France à fixé à la fin de 1999 la date limite d'emploi des mines antipersonnel. C'est parce nous avons besoin de ce délai pour mettre au point des moyens de substitution qui n'en sont encore qu'à l'état de prototypes. Deux modules sont en train d'être expérimentés et feront prochainement l'objet de développements : le système Cougar et le système Moder (Moyen de défense rapprochée).

La mine antipersonnel a une fonction d'alerte, mais elle a également une fonction de destruction. La fonction de destruction est "automatique" et durable. Les recherches ont porté sur le moyen de découpler les fonctions d'alerte, d'une part, et les fonctions de destruction, d'autre part, en faisant en sorte que celle-ci ne se produise qu'en cas d'intervention d'un opérateur. Sans opérateur, la nouvelle arme restera inerte. C'est là la principale différence avec le système actuel, puisque les mines antipersonnel peuvent tuer bien longtemps après leur mise en place, même lorsque la guerre est finie.

Le système Moder assure la protection rapprochée des unités en projetant à distance des projectiles, sur commande d'un opérateur. Le système Cougar, quant à lui, est un nouveau système d'alerte basé sur des clôtures faiblement électrifiées associées à des radars. Ces deux systèmes sont actuellement à l'état de prototypes. La France a désormais pour obligation d'en disposer avant la fin de l'année 1999.

Le système Cougar aura donc une fonction d'alerte et le système Moder, une fonction de destruction, mais uniquement sur commande manuelle d'un opérateur. Ce système ne pourra détruire que si quelqu'un en décide ainsi. Ainsi, contrairement aux mines antipersonnel actuelles, un enfant ne pourra plus perdre une jambe en posant le pied dessus dix ans après la guerre.

Q - Si les projectiles lancés par le système Moder n'explosent pas immédiatement, ils risquent d'exploser plus tard, lorsque quelqu'un posera le pied dessus.

R - Non. Ces projectiles n'exploseront que grâce à l'intervention d'un opérateur. Monsieur Duclos, pouvez-vous en dire davantage sur ce sujet ?

R - Michel Duclos, sous-directeur du désarmement, ministère des Affaires étrangères - Avec une mine antipersonnel, le soldat n'assume pas ses responsabilités. A la guerre, on peut malheureusement être amené à tuer, mais cela se déroule dans des conditions précises de responsabilité et de réciprocité. La mine antipersonnel, en revanche, est aveugle et ne répond pas à la volonté d'un individu responsable.

Le système Moder prévoit plusieurs phases. Une phase d'alerte, tout d'abord, lorsqu'un adversaire entre dans une zone surveillée, puis une deuxième phase durant laquelle le soldat analyse la situation et prend une décision ; il peut notamment prévenir l'adversaire que celui-ci est entré dans une zone dangereuse. Enfin, dans une troisième phase, le soldat peut décider de tuer. Il tue alors comme doit le faire tout soldat, c'est-à-dire dans des conditions loyales.

Q - Ce nouveau système n'est-il pas beaucoup plus coûteux que les mines antipersonnel ?

R - Si. La mine antipersonnel a - hélas ! - l'immense mérite d'être très peu coûteuse... à la pose tout au moins, car le déminage est quant à lui très coûteux. Mais les systèmes dont nous parlons perdent toute leur "dangerosité" - même si on les laisse sur place - dès lors que le système de télécommande n'existe plus. Ils restent inertes. Il n'est donc pas besoin de déminer. C'est là la grande différence avec les mines antipersonnel qui obligent au déminage, ce qui coûte extrêmement cher. Les nouveaux systèmes coûteront donc plus cher à la fabrication et à la pose, mais on pourra sans risque les laisser sur place.

Q - Combien coûtera la destruction des stocks ?
R - Je n'ai pas d'indications sur cette question pour le moment.
Pour poursuivre, je peux dire qu'il y a eu ces derniers temps un débat sur la procédure la plus pertinente à suivre. La France a longtemps considéré que la Conférence du désarmement était le lieu normal pour débattre et atteindre les objectifs de désarmement. Une première convention a été proposée en mai 1996 à Genève. Or celle-ci prévoyait uniquement de limiter l'utilisation des mines antipersonnel. C'est en réaction à cette proposition que la société civile et les ONG, relayées par le Canada, ont fait le choix d'aller plus loin en organisant une première conférence à Ottawa le 5 octobre 1996. La France y était présente, mais elle avait alors rappelé sa préférence pour une procédure du type Conférence du désarmement.

Le 27 juin 1997, à Bruxelles, après le changement de gouvernement, la France a accepté de signer la déclaration appelant à l'interdiction totale de ce type d'engins. Je regrette de ne pas avoir pris davantage de temps pour communiquer sur ce sujet à l'époque car d'autres - comme M. Blair par exemple - l'ont fait, mais mieux vaut tard que jamais. Je compte d'ailleurs sur vous pour faire savoir que la France sera parmi les premiers signataires de cette convention, tout en regrettant que d'autres - et non des moindres - ne la signeront pas. Je pense notamment à des pays tels que les Etats-Unis, la Russie, l'Inde ou la Chine. Néanmoins, nous ne désespérons pas d'arriver à les convaincre de signer au moins un accord de non-dispersion au sein de la Conférence du désarmement de
Genève, de façon à ce qu'ils réservent les mines antipersonnel qu'ils produisent à leur seul usage. Il nous reste à gagner cette bataille sur le plan diplomatique, en attendant que ces pays nous rejoignent dans une interdiction totale.

La Conférence d'Ottawa sera dans le même temps l'occasion de dynamiser notre action en faveur du déminage. On dit que les Etats-Unis ont l'intention, sur ce second volet, de compenser leur absence sur le premier. Il est vrai qu'il leur est déjà arrivé de mener de nombreuses interventions de déminage, en Amérique centrale notamment. En ce qui nous concerne, je rappelle que la France est très active dans ce domaine. En effet, depuis 1994, 48,5 millions de francs ont été consacrées à des opérations de déminage humanitaire dans le cadre de ce que nous appelons le "bilatéral". Mais il faut y ajouter notre participation aux programmes mis en oeuvre par l'Union européenne. Sur la seule période 1996-1997, ces programmes ont représenté 50 millions d'écus et notre participation s'est élevée à 68 millions de francs. Autrement dit, la France a consacré environ 120 millions de francs au déminage depuis 1994. Il faut y ajouter un certain nombre d'actions de déminage et de formation au déminage menées directement par nos soldats depuis 1978 au Liban, au Tchad, au Cambodge, en Somalie, en ex-Yougoslavie, en Bosnie, au Mozambique ou en Angola.

Je vous parlais tout à l'heure de la destruction de nos stocks de mines. Pour être complet, je vous informe que nous avons l'intention d'en conserver 5 000 après l'an 2000, afin de pouvoir enseigner à d'autres forces armées à les détecter et à les faire disparaître, dans le cadre des actions de coopération que nous menons avec elles. Dans le secteur dont j'ai eu l'occasion de m'occuper plus récemment, trois pays sont directement concernés : le Cambodge, qui a reçu 4 millions de francs en "bilatéral" pour mener des opérations de déminage, l'Angola, qui en a reçu 13 millions dont 9 millions au titre de 1997, et le Mozambique, qui a reçu 27,5 millions de francs dont 18 millions à partir de 1997. La Bosnie-Herzégovine a reçu quant à elle 2 millions de francs via le fonds de l'ONU au titre de 1995, le Nicaragua, 1 million de francs via l'EEA au titre de 1997, et l'Afghanistan, 1 millions de francs via le fonds spécifique de l'ONU en 1997. Vous voyez que les choses sont en train de s'accélérer. Il faut s'en féliciter car les besoins restent gigantesques.

Il n'est nul besoin de vous rappeler que les mines tuent et qu'elles s'opposent totalement au développement. Il est impossible en effet de penser à construire une route ou à installer une ligne électrique si l'on a pas déminé le terrain au préalable. Faut-il rappeler, enfin, que des surfaces considérables de terres agricoles sont neutralisées de par la seule présence des mines ?

Q - Avez-vous aujourd'hui la certitude que la Russie ne signera pas la convention interdisant les mines antipersonnel ?

R - Aux dernières nouvelles, la Russie ne devrait effectivement pas signer cette convention. Néanmoins, elle peut encore changer d'avis d'ici là. Si la campagne de presse que vous allez organiser produit ses effets sur l'opinion publique russe dans les 48 heures, nous avons encore une chance. Par ailleurs, la Chine, l'Inde, le Pakistan et les Etats-Unis ne devraient pas non plus signer cette convention. Si nous parlons essentiellement de ces cinq pays, c'est parce qu'ils produisent et utilisent des mines antipersonnel. En revanche, un autre pays producteur de mines - l'Italie - va signer cette convention. C'est une bonne nouvelle.

Q - Parmi les pays qui ne signeront pas cette convention se trouve un membre de l'Union européenne : la Finlande. Cela ne risque-t-il pas de poser un problème de politique européenne ?

R - Cela est regrettable. Je crains que la Finlande n'applique le "parallélisme des formes". Si la Russie ne signe pas cette convention, la Finlande ne la signera pas non plus. Cela vous montre l'importance de la bataille diplomatique qu'il nous reste à gagner.

Par ailleurs, je vous indique que les deux seuls pays membres de l'OTAN qui ne signeront pas cette convention seront les Etats-Unis et la Turquie. Je ne peux que regretter cette situation...

Q - Le cas des Emirats arabes unis n'est toujours pas réglé. Il fait toujours partie des pays n'ayant pas arrêté leur décision. Or ce pays a signé un accord de défense avec la France. Cela va-t-il avoir une conséquence sur l'engagement de l'armée française ?

R - Michel Duclos - Nous préviendrons nos partenaires que nos interventions se dérouleront sans l'appui des mines antipersonnel. Mais comme l'a indiqué M. Josselin, cela fait déjà plusieurs années que nous n'en utilisons plus lors de nos opérations sur des théâtres extérieurs. Je pense donc qu'il ne s'agira pas d'une grande surprise.

En revanche, cela risque de poser un problème plus délicat au sein de l'OTAN où les forces américaines jouent un grand rôle. Il y aura donc une négociation interne au sein de l'Alliance atlantique afin de redéfinir les doctrines de défense, suite à la renonciation de la quasi-totalité des pays alliés à l'emploi des mines antipersonnel.

R - Nous aurons sans doute des compléments d'information à vous donner lors de la Conférence d'Ottawa. J'y serai accompagné par Mme Bourgois, qui est notre ambassadeur à Genève auprès de la Conférence du désarmement. J'essaierai de trouver un peu de temps pour vous revoir ensuite. Il sera intéressant, par exemple, de voir comment les Etats-Unis vont essayer de défendre leur position. Vous savez en effet que l'argument principal utilisé par les Etats-Unis est la protection de leurs soldats, en particulier en Corée.

Q - Vous avez évoqué le dépôt d'un projet de loi au printemps 1998...
R - Non. C'est la ratification qui interviendra au printemps car nous n'aurons pas le temps d'y procéder avant la fin de l'année. Le projet de loi pénalisant les contrevenants devrait suivre, mais je ne peux pas encore vous dire à quelle date. Cette question concerne davantage M. Vaillant et mon homologue de la Défense.

Q - Qui fabriquait des mines en France ? Vers quels pays en exportions-nous ?
De quels pays en importions-nous ?

R - Le GIAT produisait des mines. Je ne pense pas que nous en importions et nous n'en exportions plus depuis le début des années 80.

Q - Les pays vers lesquels nous en exportions étaient-ils ceux avec lesquels nous avions passé des accords de défense ?

R - J'ai cru comprendre que le Mozambique avait été un pays bénéficiaire
Q - Vous avez parlé d'une loi pénalisant les contrevenants. Ces pénalités pourraient-elle s'appliquer aux pays qui ne signeraient pas la convention ?

R - Non. Il s'agit du droit français. La France ne peut appliquer des pénalités qu'à ses seuls ressortissants ou à des personnes ayant commis des infractions sur notre territoire, c'est-à-dire à des personnes qui y produiront, qui exporteront ou qui y utiliseront des mines antipersonnel. Quoi qu'il en soit, jusqu'à la fin de 1999, l'emploi des mines antipersonnel relèvera d'une procédure spécifique et la décision d'emploi devra être prise par le gouvernement.

Q - La France appliquera donc totalement cette convention dès la fin de l'année 1999, quels qu'en soient les pays signataires ?

R - Oui.
Je suis personnellement très heureux d'avoir été appelé à représenter la France à Ottawa car c'est l'un des sujets sur lesquels je me suis mobilisé depuis déjà plusieurs années. J'avais d'ailleurs essayé à plusieurs reprises d'infléchir la position de mon groupe politique sur ce dossier, en m'appuyant notamment sur les initiatives prises de son côté par Mme Taubira-Delanon, député de Guyane. Il était donc juste que je lui propose de m'accompagner à Ottawa demain.

Q - Quels seront les prochains rendez-vous de la Conférence du désarmement de Genève ? Se préoccupera-t-elle de la question des mines antipersonnel après la Conférence d'Ottawa ?

R - Michel Duclos - La Conférence du désarmement est un organisme permanent. Il s'agit de l'organisme des Nations unies au sein duquel sont négociés les accords de désarmement. Il fonctionne un peu comme le Parlement français et se réunit lors de plusieurs sessions tout au long de l'année. La prochaine de ces sessions débutera en janvier prochain et se poursuivra jusqu'au printemps. Au sein de cette Conférence, une soixantaine de pays participent aux négociations. Il représentent l'ensemble des zones géographiques et des groupes politiques de la planète. La procédure est très complexe puisque les décisions doivent être prises par consensus. C'est la raison pour laquelle il n'a pas été possible jusqu'ici de faire avancer plus rapidement ce dossier. Mais notre objectif est de parvenir à faire démarrer des négociations visant à interdire totalement les mines antipersonnel lors de la prochaine session de la Conférence du désarmement, en janvier.

R - Merci à tous. Pour conclure, je vous indique que j'ai l'intention de mieux communiquer qu'auparavant sur l'action humanitaire. L'un de vos confrères a entrepris récemment une enquête sur ce sujet. Cela m'a permis de constater que le rattachement gouvernemental de l'action humanitaire n'était pas clair pour tous. Je précise donc que l'action humanitaire m'a été confiée par délégation. Je pense qu'il sera utile de faire le point sur ce sujet dans quelques semaines afin de rappeler ce que nous avons fait récemment en Pologne, à Anjouan, à Brazzaville ou en Somalie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 février 2002)