Déclarations de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, et intervention de Mme Joëlle Bourgeois, ambassadeur de France auprès de la conférence du désarmement, sur la position de la France sur les mines anti-personnel, notamment par rapport aux Etats-Unis, et les actions prioritaires à engager, à Ottawa le 3 décembre 1997.

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Circonstance : Conférence pour la signature de la convention internationale sur l¿interdiction des mines anti personnel, du 2 au 4 décembre 1997, à Ottawa.

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,
La cruauté extrême des souffrances infligées, l'injustice profonde qui fait des plus innocents les victimes désignées, l'absurdité d'une arme qui continue à tuer bien après que la paix fut déclarée, tout cela a été exprimé à cette tribune, il n'est pas nécessaire d'y ajouter pour confirmer l'aberration des mines antipersonnel et justifier qu'elles soient bannies de la surface du globe. Encore fallait-il que la compassion des premiers témoins, et leur colère, mobilisent la générosité des populations, et la volonté des gouvernants, pour qu'enfin l'intelligence triomphe et l'espoir aussi.

Si nous sommes ici, c'est d'abord au Canada que nous le devons, et je voudrais rendre hommage à nos hôtes. Au printemps 1996, la Conférence de révision du Protocole II de la Convention de 1980 apportait une première limitation à l'emploi des mines antipersonnel. Elle était insuffisante. Et le mérite du gouvernement canadien fut de le constater et d'en tirer les conséquences. En octobre 1996, rapidement rejoint par un certain nombre d'entre nous, le Canada proposait à la communauté internationale une convention d'interdiction totale des mines antipersonnel.

Dès cela arrivé, le nouveau Premier ministre français Lionel Jospin en prenait l'engagement, la France signerait la Convention. Et j'ai eu, il y a quelques instants, l'honneur de signer cette Convention pour le compte de la France, la France qui avait, et Jody Williams ce matin le rappelait, joué un rôle de son côté important pour que le Traité d'Ottawa édicte une norme qui soit dépourvue d'ambiguïté et sans exception.

Mon pays n'a pas eu recours aux mines antipersonnel en opération depuis plus de dix ans. Il ne produit ni n'exporte plus de mines depuis longtemps, mais je suis en mesure de vous annoncer que la destruction de la totalité de notre stock de mines antipersonnel, qui a déjà commencé, sera achevée avant la fin de l'année 2000.

Le gouvernement soumettra au Parlement, avant l'été 1998, le projet de loi de ratification de la Convention d'interdiction totale des mines antipersonnel. Vous pouvez compter sur notre détermination absolue, qu'il s'agisse de mettre en oeuvre la Convention d'Ottawa ou d'en assurer l'universalité. Nous sommes convaincus qu'elle constitue une avancée majeure sur le plan humanitaire. Mais nous voulons aussi souligner son réalisme. Elle comporte, notamment, des éléments en matière de vérification qui seront déterminants pour son efficacité, et donc sa crédibilité. Nous souhaitons que la Convention soit mise en oeuvre avec le concours de tous et en particulier, comme certaines d'entre elles l'ont proposé, des organisations non gouvernementales.

M'autorisera-t-on de dire à ce point combien le rôle de la société civile aura été déterminant. Et puisque son rôle a été déterminant pour la signature et la préparation de cette Convention, je voudrais dire aux organisations non gouvernementales qu'évidemment leur rôle n'est pas terminé. L'application de cette Convention, la vérification de l'éradication, du déminage, à l'échelle de la planète, dépendra très largement du travail que les organisations non gouvernementales vont continuer à faire. Il faut que le déminage soit, en quelque sorte, sous surveillance populaire si nous voulons être sûrs qu'il atteigne ses objectifs.

S'agissant, en tout cas, de l'universalité de la Convention, toutes les voies doivent être utilisées, aucun effort ne doit être ménagé, aucun forum négligé. C'est dans cet esprit que la France souhaite que s'engagent, dans les toutes prochaines semaines, des négociations sur la question des mines antipersonnel à la Conférence du désarmement. Ces négociations permettraient aux Etats qui ne sont pas encore en mesure de nous rejoindre, de s'engager sur la voie d'une interdiction totale des mines antipersonnel Mais tout cela, Mesdames et Messieurs, n'est qu'un point de départ, l'autre combat qu'il nous faut mener, c'est en effet celui du déminage et de l'assistance aux victimes. Il nous faut le gagner, avec les pays où la présence des mines est un obstacle majeur au retour à la vie normale et au développement.

Nous devons éviter, nous semble-t-il, deux écueils. Ne nous laissons pas d'abord décourager par l'immensité de la tâche qu'il reste à accomplir. Nous avons un impérieux devoir d'assistance aux victimes des mines. Ne croyons pas, non plus, que les appels de fonds, si importants et si nécessaires soient-ils - et il faut saluer les annonces qui ont été faites à cette tribune ce matin d'un effort considérable, et je pense au Canada en particulier, par la déclaration que son Premier ministre a faite à cette tribune. Mais il est vrai que ces appels de fonds ne suffiront pas, à eux seuls, à faire reculer le fléau des mines antipersonnel.

Il est essentiel que nous saisissions l'occasion, ici, de discuter entre nous des stratégies que nous devons adopter, des programmes que nous devons lancer, des moyens que nous devons dégager.

En ce qui concerne la France, nous avons retenu six lignes d'action que nous voudrions partager avec vous.

D'abord, il faut poursuivre nos efforts financiers et intensifier, chaque fois que possible, ces efforts. La France a été parmi les premiers à s'engager activement dans le déminage humanitaire, il y a déjà plus de vingt ans. Elle fait aujourd'hui partie des principaux contributeurs dans ce domaine. Plus de 120 millions de francs ont été consacrés depuis 1994 à des programmes orientés vers les pays les plus affectés par les mines antipersonnel, soit à titre bilatéral, soit sous la forme de contributions à des fonds multilatéraux - Nations unies, Union européenne. Nous entendons accentuer cet effort autant que possible.

Deuxièmement, il nous faut adapter nos structures administratives souvent trop complexes pour rendre l'action de tous plus efficace. Comme d'autres l'ont déjà fait, nous entendons poursuivre nos efforts de rationalisation des acteurs publics chargés du déminage dans notre pays. Et parce qu'une grande partie de notre effort passe par l'intermédiaire de programmes européens, nous proposerons à nos partenaires de l'Union qu'un coordinateur soit désigné pour superviser l'ensemble des programmes de déminage et d'assistance aux victimes mis en oeuvre par l'Europe.

Troisièmement, tirons la conclusion qui s'impose de notre expérience passée. Je veux parler de l'importance de la formation des démineurs locaux. Nous pouvons tirer partie de l'acquis et de la grande compétence de nos forces armées dans ce domaine. Celles-ci ont mené, au cours des dernières années, notamment dans le cadre de missions de maintien de la paix sous l'égide des Nations unies, plus de vingt opérations de déminage et de formation au déminage.

Et je voudrais annoncer, avec quelque solennité aujourd'hui, que la France a décidé d'ouvrir plus largement, y compris aux stagiaires étrangers, y compris aux membres d'organisations non gouvernementales, les portes de son centre militaire de formation au déminage, l'Ecole supérieure du Génie d'Angers. Ce renforcement de nos capacités de formation se fera en concertation avec ceux de nos partenaires qui prendraient des initiatives comparables.

Quatrièmement, je veux souligner l'impérieuse nécessité, pour guider l'effort international, de disposer d'instruments de cartographie et d'un état des lieux très précis de la situation des zones minées dans le monde. De tels instruments existent déjà, au sein des Nations unies ou au niveau des Etats. Ils ne sont pas suffisants. Il faut donc encourager la mise en place rapide, et en tout état de cause avant l'entrée en vigueur de la Convention d'Ottawa, d'une banque de données mondiale actualisable, dont la responsabilité pourrait être confiée au Secrétaire général des Nations unies. La France est disposée à apporter son concours à une telle initiative, notamment par la communication des données recueillies par son centre d'expertise sur les mines.

Et il faudra pour cela, Mesdames et Messieurs, que la notion de secret des forces parfois cède le pas à l'objectif de déminage que nous avons aujourd'hui décidé.

Cinquièmement, il faut mettre l'accent sur le déminage de proximité, celui qui profite vraiment aux populations. Nous sommes convaincus que c'est là l'essentiel. L'accès aux zones concernées reste encore aujourd'hui insuffisant. Il faut, pour lever cet obstacle, développer un dialogue plus étroit entre les gouvernements, les responsables locaux et les acteurs engagés dans le déminage.

Nous savons enfin que l'effort de la communauté internationale est d'autant plus soutenu que les grandes conférences contribuent à intervalle régulier à rappeler la nécessité de la mobilisation de tous. Nous continuerons à nous associer à ces initiatives.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, c'est avec émotion que je participe, au nom du gouvernement français, à la Conférence d'Ottawa. Je pèse le poids de l'engagement que nous prenons aujourd'hui. Mon pays est de ceux qui assument des responsabilités en matière de sécurité dans le monde. Il est aussi de ceux qui mesurent depuis longtemps les enjeux du drame des mines antipersonnel - sur le plan humanitaire mais également sur celui du développement. Il est de ceux, vous le savez, qui considèrent qu'une place essentielle doit revenir au développement dans l'organisation du monde.

A tous ces titres, la France se joint avec une très grande satisfaction à la Convention d'interdiction totale des mines antipersonnel. Elle ne ménagera aucun effort pour développer son action en faveur du déminage et de l'assistance aux victimes, et contribuer ainsi au renforcement de l'effort international dans ces domaines.

Je vous remercie./.
Ottawa, 3 décembre 1997)
Nous nous souvenons que le Canada est un pays francophone. On comprendra que je m'exprime en français. Francophone, dans le sens qu'il appartient à la Francophonie. Mais je sais qu'au Canada cela va plus loin que dans d'autres pays, qu'il y a en plus des gens qui parlent français, qu'ils sont un peu plus nombreux à l'est mais qu'à Ottawa il y en a aussi beaucoup. J'ai pu le vérifier encore ce midi. Ce qui personnellement m'arrange plutôt.
Je voudrais, en commençant ce point de presse, présenter, s'il en était besoin, mes voisins de tribune.
A ma gauche, Mme Bourgois, ambassadeur de France auprès de la Conférence du désarmement à Genève, qui a suivi au plus près cette aventure qui nous a amenés aujourd'hui à Ottawa.
Et à ma droite, Philippe Chabasse, qui est un acteur important puisqu'il est directeur adjoint, co-directeur d'Handicap International France, cette grande famille présente dans presque 40 pays et qui aura joué dans l'histoire de cette Convention, que nous avons signée ce matin, un rôle également très important.
Je voudrais, très simplement d'abord, dire la fierté que je ressens personnellement en ayant signé au nom de mon gouvernement cette Convention, par laquelle 123 pays s'engagent, et sans ambiguïté, à ne plus employer, produire, exporter les mines terrestres antipersonnel, une Convention qui prévoit des sanctions pour les contrevenants mais qui prévoit aussi des outils permettant de vérifier la bonne application de cette convention.
On pourra toujours considérer que les outils, même bien imaginés, ne suffisent pas toujours. J'ajouterais simplement que je suis enclin à faire confiance aux mêmes forces qui ont abouti à cette convention, c'est-à-dire les associations, ce qu'on appelle généralement la société civile, pour maintenir la pression au-delà de cette Convention. Mettre - j'employais l'expression à la tribune tout à l'heure, en quelque sorte - la planète sous surveillance populaire pour obliger les Etats signataires à respecter leurs engagements, j'ajouterais, pour obliger ceux qui n'ont pas encore signé à le faire.
En ce qui concerne la France, elle n'emploie plus de mines antipersonnel depuis les années 80. Un moratoire interdisant, la production a été décidé au début des années 90. Il en va de même pour l'exportation. Nous avons un stock d'environ 1 400 000 mines, que nous avons commencé à détruire ; fin 98, la moitié, 700 000 au moins seront détruites ; le reste sera détruit au plus tard en l'an 2000.
Quant à l'application de la Convention, c'est-à-dire le non-emploi quelles que soient les circonstances, c'est à la fin de 1999 que nous en fixons le délai, même si, je le répète, nous n'en n'employons plus depuis 1980. Mais c'est sur hypothèse de circonstances particulières que cette possibilité reste ouverte, au plus tard fin 1999, et ceci même dans l'hypothèse où il n'y aurait pas 40 pays à la ratifier.
Il est clair que la présence à Ottawa de 123 pays nous donne de bonnes raisons de penser que c'est dans le courant de l'année 1998 en réalité que les instruments de la ratification complète seront réunis.
Sur le plan législatif, la France va présenter à son parlement au cours du semestre prochain deux projets de loi, l'un pour ratifier la Convention, l'autre pour harmoniser le droit interne français et introduire en droit français les dispositions permettant en particulier de sanctionner pénalement ceux qui contreviendraient aux dispositions de la Convention.
Voilà les principales indications que je voulais vous donner sur la situation telle qu'elle se présente.
J'ai, tout à l'heure, à la tribune, donné un certain nombre d'indications sur le plan d'action français. En ce qui concerne le déminage, le premier élément de ce plan c'est la volonté d'accentuer l'effort financier autant que possible. La France est engagée, depuis 20 ans déjà, dans des actions de déminage, mais c'est surtout sur la dernière période, en particulier depuis 1994, que des moyens plus importants ont été mobilisés et dont ont pu profiter en quelque sorte plusieurs pays - sans vouloir en faire une liste exhaustive, le Cambodge, l'Angola, le Mozambique, la Bosnie. Donc, la première décision est d'accentuer l'effort financier.
J'ai observé ce matin, et j'en suis heureux d'ailleurs, que plusieurs pays avaient fait le choix d'augmenter leur participation, à commencer par le pays hôte, le Canada, qui a fait une annonce forte ce matin en ce qui concerne ce plan de cinq ans, mobilisant 100 millions de dollars canadiens, ce qui est important. Les Suédois ont également confirmé. Les Norvégiens ont fait des annonces importantes. J'espère que tout cela permettra de mobiliser des moyens significatifs, mais nous pensons que les mises de fonds, pour importantes qu'elles soient, ne sont pas suffisantes, encore faut-il coordonner les actions produites, d'où notre souci d'une meilleure cohérence, en particulier au plan européen, et nous demandons qu'un coordinateur européen soit désigné, permettant justement de mettre en cohérence des actions que les différents pays européens ont commencé de produire.
Nous pensons, dans le même temps, qu'il faut augmenter le nombre de démineurs qualifiés, et nous faisons le choix d'ouvrir l'école de Génie militaire d'Angers aux étrangers, y compris aux ONG, pour que les uns et les autres puissent bénéficier du savoir-faire que nous avons réuni au fil des années. C'est d'ailleurs pour nous donner les moyens de faire cette formation, mais aussi cette recherche, notamment en ce qui concerne les moyens de détection, que nous garderons - sur le stock que j'évoquais tout à l'heure - quelques mines, 5 000. La Convention que nous avons signée ce matin d'ailleurs le prévoit expressément. J'y insiste parce qu'il n'est pas sûr que ce soit toujours très bien compris. Si nous gardons 5 000 mines, ce n'est pas pour déroger à la Convention, c'est dans une certaine mesure pour mieux l'appliquer et disposer précisément des moyens nécessaires pour faire cette formation à la détection et à la destruction des mines.
Et puis nous faisons une proposition qui nous paraît importante, qui va probablement obliger à certains efforts, à une interprétation, peut-être différente, de la notion de secret défense. C'est la mise en commun, dans une banque de données cartographiques, de toutes les informations que les armées ont sur la localisation des mines sur la surface du globe. La France, en tout cas, est prête de son côté à ouvrir la voie et verser les informations dont elle dispose en ce qui concerne ces zones à une banque de données qui fonctionnerait. C'est notre proposition, sous l'égide des Nations unies.
Voilà les premières observations que je voulais présenter avant de répondre à vos questions.
Je voudrais dire enfin que s'il est vrai que la Convention d'Ottawa aura eu une genèse un peu particulière, il n'y a pas que la manière qui est particulière. La rapidité avec laquelle cette Convention a été conclue est également singulière, puisqu'il aura fallu 14 mois entre la première Convention d'Ottawa et notre réunion aujourd'hui. Ce qui est extrêmement court à l'échelle du temps diplomatique, si je peux dire. C'est bien parce qu'il y a eu la pression que j'évoquais à l'instant, parce qu'on a su se sortir des procédures habituelles - et je crois qu'il faut en prendre la leçon, en tirer la leçon et se dire qu'on peut, dès lors qu'il y a une bonne conjonction entre l'opinion publique et la volonté politique, inventer des procédures.
Mais je n'oublie pas pour autant qu'il existe sous l'égide des Nations unies, là encore, dépendant des Nations unies, une conférence de désarmement à Genève qui a ses propres règles, lesquelles montrent parfois leurs limites, c'est vrai, mais qui peuvent aussi avoir leurs mérites, et que cette conférence de désarmement ne doit pas considérer qu'elle aurait été en quelque sorte contournée. Je ne sais pas si le mot "shunt" est complètement francophone, mais chacun a compris ce que je voulais dire. Et il nous semble important que la Conférence de désarmement accompagne en quelque sorte cette Convention d'Ottawa, parce que c'est peut-être dans ce cadre-là qu'on peut trouver le moyen d'un dialogue utile avec les pays qui n'ont pas fait le choix de signer ce matin.
Je regrette que les voisins du Canada n'aient pas fait de choix. Et je comprends mal d'ailleurs les raisons qui le justifient, ni sur le plan juridique, ni sur le plan technique, même s'il s'agit de prendre en compte les intérêts tout à fait légitimes des soldats américains en Corée. Car ce que nous avons su faire, nous Français, pour inventer des moyens de substitution, j'ose imaginer que le génie technologique américain, les Etats-Unis auraient su le faire aussi. Je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas eu cette signature. J'espère qu'elle pourra intervenir rapidement. Je suis convaincu qu'une signature pourrait en entraîner d'autres.
Q - Comment peut-on faire pour obliger ces pays-là à signer le traité autrement qu'en en appelant à la société civile, à son courage, au phénomène d'entraînement ?
R - La société civile, dans une affaire comme celle-là, c'est déjà bien. Elle a joué un grand rôle.
Je ne sais pas quelles sont les relations entre les responsables politiques américains et leur opinion. Je pense quand même que nous sommes en face d'une société démocratique et extrêmement médiatisée, et que le poids des mots et le choc des photos qu'il m'est arrivé souvent de critiquer pour leurs excès a produit des effets pour que nous arrivions à Ottawa. J'espère que cette pression peut convaincre. Je n'ai pas d'autres moyens à proposer, je le répète, que le dialogue, la pression diplomatique, une sorte d'encerclement pacifique de ceux qui n'ont pas encore signé. Peut-être d'ailleurs, que la manière dont vous rendrez compte de cette conférence d'Ottawa peut contribuer aussi à faire avancer un peu certaines positions, on peut l'espérer.
Q - La plupart des interventions militaires sont aujourd'hui sur un cadre multinational. Est-ce que le gouvernement français accepterait que des soldats français soient protégés par des champs de mines antipersonnel américains ?
R - Tout de même on ne doit pas exagérer le recours que les Américains sont susceptibles d'avoir à cette forme d'armement. Que je sache, pour l'instant, le seul argument qui a été opposé c'est la protection des soldats américains en Corée.
R - Mme Joëlle Bourgois - Il y a la Corée, d'un côté, c'est vrai. Et puis d'un autre côté, il y a la manière dont fonctionnent les mines anti-chars américaines, si je peux m'exprimer d'une manière extrêmement simplifiée. Les mines anti-chars américaines sont larguées en même temps qu'un certain nombre de mines antipersonnel destinées à les protéger mais qui en sont distinctes. Et c'est ce système mixte qui a empêché, en plus de l'exception coréenne, les Etats-Unis d'entrer maintenant dans ce traité, parce qu'ils ne voyaient pas comment ils allaient faire pour protéger leurs mines anti-chars à partir du moment où les mines antipersonnel qui, dans leur esprit, allaient avec, étaient interdites.
Donc, effectivement il y a une difficulté technique.
R - M. Charles Josselin - Mais je pense que ce n'est pas seulement, sans doute, une question de rapport de forces, en quelque sorte, entre l'opinion et le pouvoir politique américains. C'est peut-être aussi une question de rapports, au sein même du pouvoir américain, entre les civils et les militaires. Je peux même imaginer que les choses puissent se passer ainsi. J'espère qu'ils trouveront le moyen pour que la volonté des civils finisse par triompher. Cela me paraît quand même important. C'est aussi cela la démocratie, je crois.
Q - Pourquoi faut-il attendre jusqu'à la fin du siècle, à l'an 2000, pour que la France détruise son stock de mines antipersonnel ? Est-ce que cela ne peut pas aller plus vite ?
R - Je pense que techniquement les moyens à mobiliser pourraient sans doute être augmentés, et gagner du temps, en ce qui concerne la destruction. La question de savoir si c'est en deux ans ou en un an qu'on détruit le stock, dès lors que nous ne l'employons pas, me paraît subalterne.
La question, par contre, qui me paraît plus importante c'est de savoir pourquoi nous attendons fin 99 pour nous appliquer à nous-mêmes le non-emploi pour lequel nous nous sommes engagés ce matin. Et là, la réponse, vous êtes un spécialiste, vous la connaissez, mais je peux en effet profiter de l'occasion pour la donner. C'est que c'est le temps que nous estimons nécessaire pour mettre en place ou disposer des moyens de substitution qui ont été étudiés, qui commencent à être réalisés, et qui permettront, fin 99, de mettre, en cas de circonstances extrêmes, nos forces, au moins les forces projetées à l'extérieur, à l'abri - cela correspond, à peu près à 5 000 hommes - les années 2000, 2001, étant mises à contribution pour mettre en sécurité, si je peux dire, grâce à ces moyens de substitution, le reste de l'armée française.
Les moyens de substitution dont je parle, qui portent les noms de Couguar(ph) et de Modair(ph), consistent à découpler les fonctions d'alerte et de destruction que les mines antipersonnel aujourd'hui conjuguent, mais surtout les fonctions d'alerte seraient assurées par des moyens électroniques - disons que c'est le radar qui permettrait, grâce en plus à une faible électrification, d'assurer la fonction d'alerte. Et s'agissant de la fonction de destruction, c'est un système de projection, je crois que c'est le nom. Le lancement de projectiles est décidé par un opérateur manuel, autrement dit, il faut un homme, il faut, dans le cadre, disons, d'une opération de combat normale, il faut qu'il y ait une décision et un homme qui appuie sur l'élément de déclenchement pour le lancement de ces projectiles.
Cela n'a plus rien à voir avec le caractère tout à fait aléatoire de la mine antipersonnel, pour qui l'élément déclenchant c'est le pied de l'enfant qui joue.
Nous pensons avoir trouvé la solution. Nous sommes un peu surpris, là aussi, que nos amis américains n'aient pas cru bon de procéder de la même manière.
Juste une précision, tout de même, sur le calendrier.
La France s'engage à ne pas employer les mines antipersonnel dès lors que les conditions de ratification du Traité auront été réunies, c'est-à-dire, six mois après que le 40ème Etat ait ratifié. Elle ajoute, au plus tard, quoique il advienne, fin 99.
Mais on peut penser en effet que la date sera plus proche, car je pense qu'on peut s'attendre à ce qu'il y ait un certain empressement - en tout cas, nous pouvons l'espérer - de la part des Etats à ratifier. Autrement dit, on peut penser, dès à présent, que 40 Etats aient ratifié avant la fin de cette année, ce qui paraît peu probable malgré tout, compte tenu le temps qu'il reste pour y arriver, il faudrait six mois de plus pour que les conditions d'application de la Convention soient juridiquement réunies, en quelque sorte.
Le plus probable c'est qu'il faudra bien le premier semestre au moins pour que 40 Etats ratifient. Si, au cours du premier semestre 98, 40 Etats ratifient, la France devra s'interdire, dès fin 98, d'employer.
Voilà le calendrier tel qu'il est. C'est l'engagement que nous avons pris.
R - Mme Joëlle Bourgois- On aura probablement 125 Etats qui auront signé le Traité demain soir. C'est formidable. Ensuite, je pense qu'un certain nombre d'autres vont tomber des fruits mûrs, grâce à l'action de la Campagne internationale pour l'élimination des mines, et de Handicap International en particulier. Donc, on pourrait être assez vite à 140, ce qui est remarquable.
Mais il y a 19 pays qui ne seront toujours pas là, et ces 19 pays - au fond, je pourrais même dire 18, parce que je trouve que le cas des Etats-Unis est tout à fait à part, et qu'ils pourraient eux aussi tomber comme un fruit mûr un de ces jours. Ces 18 pays donc, eux, ils ne vont pas venir signer, pas plus à New York qu'à Ottawa, et puis Handicap aura beaucoup, beaucoup de mal à agiter leur opinion publique, pour des raisons que beaucoup d'entre vous peuvent comprendre sans que je les explicite.
C'est là où la notion d'encerclement pacifique, que je vais réutiliser, qu'a trouvée le ministre tout à l'heure, peut permettre une coopération entre les ONG et les diplomates. En tout cas, ces pays-là sont obligés d'y être et donc, on va leur ressasser, chaque jour, à Genève, l'année prochaine : mais, vous vous rendez compte, vous n'êtes pas allés à Ottawa. Faites quand même quelque chose. Je crois que cela va maintenir sur ces pays, qui ont quand même tous un profond désir de respectabilité internationale, une pression réelle, à un moment où les médias et les ONG ne pourront plus relayer la pression en question à l'intérieur de ce genre de pays ou de ce genre de régime.
Et c'est ainsi qu'on peut leur extorquer quelques concessions, qui seront déjà mieux que rien, en tout cas, du point de vue des victimes, et en attendant qu'ils évoluent, mais lentement, probablement, trop lentement, vers l'adhésion à la Convention d'Ottawa, un jour mais pas demain.
La France et le Canada n'ont pas la même histoire en ce qui concerne leur intervention en matière de sécurité sur les théâtres d'opération du monde. La France a un passé à cet égard, un rôle important, et il est vrai que si nous n'employons plus de mines antipersonnel depuis le début des années 80, nous en avons au pays. Ce n'est d'ailleurs pas un secret que, actuellement, il y a encore quelques mines qui protègent certains sites militaires français, que nous allons démonter dans le cadre du respect de ces engagements.
Il est vrai aussi que dans le même temps, hélas, comment dire, le résultat du dialogue entre les civils et les militaires, auquel je faisais allusion tout à l'heure, il y a ce besoin de quelques mois de développement où des fabrications industrielles, des moyens de substitution auxquels je faisais allusion tout à l'heure.
Le seul engagement que moi je serais tenté de prendre aujourd'hui c'est de souhaiter que l'accélération dans la mise en place de ces moyens de substitution permette d'accélérer aussi la mise en - comment dire, le respect de la convention du point de vue du calendrier, comme vous le souhaitez. En ce qui concerne, en tout cas, le traité de ratification, la convention de ratification, je ne peux pas faire d'autres engagements que ceux que je suis autorisés à faire aujourd'hui, c'est-à-dire vous l'annoncer pour les mois qui viennent, c'est-à-dire au plus tard, fin du premier semestre 98. Mais je suis tout prêt à être votre interprète auprès de mon gouvernement pour souhaiter qu'on accélère le calendrier. Je peux en prendre l'engagement.
Q - J'aimerais poser une question un peu générale, et une question d'ignorant, à Mme Bourgois. Est-ce qu'à Genève, à la Conférence du désarmement, il est déjà question de l'interdiction éventuelle des autres mines, maritimes ou anti-chars, ou est-ce qu'il y a un dialogue qui est amorcé là-dessus ?
R - Mme Joëlle Bourgois - Non, à la Conférence du désarmement, nous n'avons pas commencé à travailler sur les mines, et l'idée c'est de travailler sur les mines antipersonnel, puisque, bien entendu, c'est ce que j'expliquais tout à l'heure, c'est que nous allons essayer de rattraper par ce biais-là ceux qui ne sont pas venus ici, ou qui n'ont pas l'intention d'y venir, je dirais, avant quelques années ou peut-être même jamais, en tout cas, dans leur état d'esprit actuel. Donc, alors que nous n'avons déjà pas réussi, si vous voulez, à les entraîner sur la voie d'Ottawa, qui concerne exclusivement les mines antipersonnel, évidemment nous ne sommes pas prêts de les entraîner à discuter des problèmes de mines anti-chars. D'ailleurs, je pense qu'à ce moment-là cela poserait des problèmes militaires sérieux à un certain nombre d'Etats, dont le nôtre probablement.
Q - Monsieur le Ministre, concernant la formation à l'Ecole de Génie d'Angers, combien d'experts sont formés en ce moment,et quel est votre objectif ?
R - Quatre-vingt huit stagiaires étrangers par an.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2001)