Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur le dialogue entre l'art et l'industrie, notamment par les musées dédiés au patrimoine industriel et à la culture technique, Saint Etienne le 7 décembre 2001.

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Circonstance : Inauguration du musée d'art et d'industrie à Saint Etienne le 7 décembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Sénateur-Maire,
Monsieur le Député,
Monsieur le Président du Conseil Général,
Madame la Vice-Présidente du Conseil Régional,
Monsieur le Préfet,
Cher Jean-Michel Wilmotte,
Mesdames, Messieurs,
Il y a souvent de beaux musées dans les villes françaises. Mais il est plus rare d'y trouver un musée qui résume une ville sans figer son histoire, son identité, un musée qui retrace l'épopée anonyme de ceux qui y travaillèrent, y vécurent. Ces histoires-là ne se racontent pas toujours avec des mots. Les objets, façonnés par les "mains d'or", dont parle Bernard Lavilliers dans une chanson, sont parfois beaucoup plus éloquents. Vous disposez d'un lieu d'exception pour faire écho à ce que nous "murmurent" ces mains et ces objets.
A mes yeux, le musée d'art et d'industrie de Saint-Etienne n'est pas seulement la marque de l'amour que l'on porte à une ville. Il témoigne également de l'envie de la faire aimer à ceux qui la découvrent et de décider en commun de son avenir. Sachez donc combien je suis heureux et fier d'être à vos côtés aujourd'hui, pour inaugurer les travaux de réhabilitation de ce musée.
Vous avez fait, Madame la conservatrice, un commentaire éclairant à propos de l'esprit de ce lieu. Permettez-moi de vous citer : " Ce qui compte pour nous, c'est le "et" entre art et industrie ". Tout comme vous, il me semble en effet que la dimension esthétique de notre patrimoine industriel est bien trop souvent occultée. Ce défaut de lucidité n'est pas fortuit. Il résulte d'une conception erronée de l'art, d'une méconnaissance du rapport intime qu'il entretient avec toutes les autres activités humaines. Le savoir technique des hommes est au fondement de leurs représentations, de l'organisation de leur cité, de leur désir de connaître. La culture technique est au cur de l'aventure humaine, elle n'est absente d'aucun de ses registres.
Dès lors, elle ne peut être isolée, assignée dans un compartiment. Tel est l'enjeu que revêt à mes yeux l'existence d'un musée d'art et d'industrie comme le vôtre. Il est un trait d'union entre la création et le travail des hommes ; il éclaire leurs liens, leur imbrication. De la sorte, il incite en retour à porter un autre regard sur le travail, un regard où la dimension créative de cette expérience humaine est mise en pleine lumière. Travailler, c'est se faire soi-même autant que faire une chose. A cet égard, la beauté des objets exposés ici ne se résume pas à la finesse de leurs ornements. Elle procède de l'intelligence technique, de la créativité humaine, matérialisées dans ces objets. Hegel disait, je crois, que travailler c'est se réaliser en se projetant à l'extérieur de soi, se contempler dans ce que l'on a fait, tout comme on aperçoit son reflet dans un miroir.
Certes, ces considérations ne valent que ce que valent les généralités. Mais il me semble qu'elles sont fidèles à l'histoire de ce musée. Cette histoire est déjà bien longue. Il n'est pas inutile de remonter à sa source pour comprendre les enjeux de sa réouverture. En 1889, Marius Vachon, historien et critique d'art, transforme le musée de Fabrique en musée d'art et d'industrie. Pour éclairer le sens de cette entreprise, il emprunte ces mots à John Ruskin : " Il faut répandre le goût des arts dans les masses, non pour que chaque ouvrier fasse grossièrement le métier d'un artiste, mais pour qu'il fasse artistiquement son métier d'ouvrier. ".
Sans doute est-il difficile aujourd'hui de prendre l'exacte mesure de la fonction impartie au musée d'art et d'industrie, dès sa naissance. La brochure que vous venez d'éditer, à l'occasion de sa réouverture, y contribue. Il s'agissait alors de doter une ville et une région d'un outil inédit de développement économique et de progrès social, de construire un lieu de formation et de partage de la culture technique. Quelle que soit la distance qui nous sépare de ce moment fondateur, son inspiration n'a pas pris une ride. Aujourd'hui, pas plus qu'hier, la politique patrimoniale ne se résume à la conservation statique des traces du passé.
Elle est une manière de peser sur le cours actuel de la société. C'est d'ailleurs pourquoi elle doit faire l'objet d'un débat et d'une élaboration démocratique. Le projet de rénovation du musée a su se montrer à la hauteur de ces exigences. C'est désormais un parcours qui est proposé à chaque visiteur ; un parcours au vrai sens du terme, où chaque objet, chaque uvre, est replacé dans l'intimité de son contexte économique, social, de production. Vous donnez à voir et à comprendre, dans quelles conditions des hommes et des femmes ont écrit l'histoire industrielle d'une ville. Il n'est plus possible de poser le même regard sur Saint-Etienne, sur ses façades, ses quartiers, les visages que l'on y croise, après avoir accompli cet itinéraire mental. Votre plus grande réussite est sans doute d'avoir su donner de l'unité à ce parcours sans rien sacrifier de la richesse des collections qui le composent.
Qu'il s'agisse de l'industrie du ruban, des armes ou du cycle. Toutes les trois recèlent une part essentielle de l'identité stéphanoise. Le parti pris muséographique relève, sans exagération aucune, du coup de maître. Il traite la multitude d'objets exposés, du pistolet des mousquetaires au vélo de Roger Rivière, en passant par les métiers à tisser, comme autant d'indices d'un monde qui, sans leur présence, se déroberait à notre regard. Mais il permet également de comprendre combien ce monde est encore présent, combien son investigation peut éclairer l'avenir, en redonnant la possibilité de le choisir.
En outre, l'invitation est adressée à tous. Les salles d'exposition, leurs articulations, sont conçues pour permettre différents niveaux de lecture et d'approche. L'utilisation souple du multimédia et la réalisation d'une salle de documentation sans équivalent vous ont permis de remplir cet objectif. Une réussite qui doit beaucoup à la qualité du travail de rénovation architecturale accompli par Jean-Michel Wilmotte. Je sais combien les contraintes budgétaires et les choix muséographiques ont rendu cette tâche délicate. La fluidité de circulation, la luminosité, la beauté et la sobriété des matériaux caractérisent cette entreprise de réhabilitation et d'extension du bâtiment d'origine.Cette prouesse architecturale et muséographique vous permet aujourd'hui d'ouvrir vos collections et d'enrichir votre fond.
Je pense notamment à la place que vous accordez aux nouvelles technologies. L'exposition d'ouverture d'Elisabeth de Senneville est à ce titre emblématique. Elle montre à quel point les innovations techniques nourrissent l'imaginaire des créateurs, leur ouvrent des horizons insoupçonnés. Le dialogue entre l'art et l'industrie n'est pas près d'être rompu. C'est le même souci je pense, qui vous a conduit à programmer au sein du musée des performances d'artistes, en collaboration avec l'Esplanade Jeunes Publics de Saint-Etienne. Je sais tout le bonheur que procure aux Stéphanois la réouverture de ce musée.
Votre ville dispose à nouveau d'un lieu dédié à son patrimoine industriel et artistique. Ce patrimoine porte la marque des luttes et de la générosité humaine de toutes celles et tous ceux qui l'ont édifié. J'aimerais, pour ma part, vous féliciter très sincèrement d'avoir contribué à son rayonnement.
Je vous remercie de l'attention que vous m'avez accordée.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 10 décembre 2001)