Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, sur la qualité et la continuité des soins médicaux, notamment le groupement des réseaux de soins publics et privés dans les communes rurales et la décentralisation des besoins en terme d'accès aux soins par les Agences régionales d'hospitalisation (ARH), Paris le 20 novembre 2001.

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Circonstance : 84 ème congrès des Maires de France à Paris le 20 novembre 2001

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames, Messieurs,
Ce n'est pas simple de répondre aux questions que François Doset vient de résumer en s'en tenant aux seules communes du milieu rural, parce que, malgré mon grand respect pour celle-ci, les problèmes se posent aussi pour les villes moyennes et les grandes villes.
Ce qui est ennuyeux dans notre système, c'est qu'il est bon : lorsqu'un système est bon, on a tendance à vouloir accéder à ce niveau de qualité à partir de tous les points du territoire, et c'est bien naturel. J'ai aimé l'expression de François Doset " je ne suis pas un syndicaliste du territoire ". Mais - et il l'illustre lui-même à Commercy, parce que la fermeture des services de chirurgie et de la maternité dans sa commune, est un bon exemple - pour avoir cette excellence, et maintenir notre qualité sur tout le territoire, il nous faut bien entendu faire un certain nombre de choix. Ces choix doivent être dirigés vers la personne, et donc la personne malade, ou qui sera un jour malade, que ce soit en zone urbaine ou rurale. C'est compliqué !
Par exemple pour les maternités, et c'est un exemple qui m'oppose souvent à vous, mesdames et messieurs les maires, la qualité doit être préservée aussi bien pour la maman que pour le bébé. Il faut pour cela un certain niveau technique et les professionnels, donc les obstétriciens, savent très bien qu'il faut qu'un nombre minimum d'accouchements - d'ailleurs en progression - soit effectué chaque année ; et ce n'est pas du tout pour une question de fonctionnement technique, ou de révérence envers l'administration. Donc, et merci de l'avoir compris, un certain nombre des maternités existantes gagnent à se regrouper.
La solution, c'est le regroupement, et comme François Doset l'a dit, ce sont les réseaux. Il faut organiser la continuité des soins à partir d'un certain nombre de demandes qui sont forcément des demandes de terrain, et donc qui proviennent notamment des communes rurales. Il nous faut développer ces réseaux qui doivent grouper le public et le privé, les libéraux et l'hôpital, et ainsi permettre les examens et les prises en charges plus lourdes qu'on ne peut pas dispenser en tout point du territoire.
J'enfonce des portes ouvertes, bien entendu. Mais ce mouvement va aller en s'accentuant, parce qu'en matière de techniques médicales, la progression est infinie. Avant il n'y avait pas de limitation financière, il y avait des limitations techniques, mais les progrès sont tels sur 20 ans, sur 30 ans, que maintenant les limites sont financières et nous devons portant distribuer le meilleur à tous nos citoyens, vos mandants, les gens qui sont dans vos communes. Or nous avons un système qui est assez rigide, trop rigide à mon goût : comment l'adapter à des demandes qui sont à la fois toujours les mêmes, et toujours différentes ?
Ainsi, même si vous avez quelques kilomètres à faire, n'est-ce pas mieux pour votre santé de vous adresser à un centre compétent et équipé ? oui, c'est mieux. Mais c'est difficile à accepter, et pour les personnes âgées, c'est encore plus compliqué...
Nous sommes en train de " dérigidifier " , et vous avez pu constater que depuis quelques mois, ce n'est plus le moment des grands débats sur le financement du système de soins auxquels j'ai participé en mon temps et que je continuerai à mener, il faut raisonner, et nous le faisons depuis quelques mois, par pathologies : nous avons pris en charge un certain nombre de grosses pathologies qui intéressent les gens dans les communes rurales, comme dans les villes moyennes, comme dans les grandes métropoles ; nous avons pris en charge la santé mentale il y a quelques jours, le diabète, l'insuffisance rénale ; aujourd'hui les antibiotiques, et il y en aura d'autres, les maladies cardio-vasculaires, bientôt...
Qu'est-ce que nous constatons ? Je prends l'exemple des IRM. Pour faire des diagnostics, il faut des appareils très coûteux, qui ne peuvent pas être disposés partout. Mais la manière dont nous en disposions faisait que le ministre de la Santé devait arbitrer entre une commune et une autre ; les arbitrages se tenaient entre les communes de droite et les communes de gauche, pour ne mécontenter personne... C'est idiot ! Ce n'est pas comme ça qu'il faut raisonner. Nous réfléchissons maintenant avec les professionnels de la santé, et c'est ça qui est nouveau, avec les associations de malades ; nous raisonnons pour la distribution des IRM - appareils très lourds, qui sont de la responsabilité de l'Etat - pour les répartir sur tout le territoire de la meilleure manière au regard des besoins des malades.
De même pour les appareils de dialyse. Vous savez que dans notre pays, malgré son excellence, on découvre souvent le diabète à l'occasion d'une insuffisance rénale chronique au moment où c'est trop tard. Eh bien, nous allons disposer les appareils de dialyse de façon différente, en fonction des besoins.
C'est cela que j'entends par " dérigidification " , c'est une souplesse qui va dans le sens que François Doset demandait, c'est-à-dire vers davantage de proximité par rapport aux besoins. Et nous allons procéder ainsi par pathologies.
Sur les ARH, je souhaite signaler que ce qui était fait dans les années précédant leur création était encore plus rigide et plus distant puisqu'il fallait en permanence s'adresser au ministère : il y a, je le reconnais, des gens souvent de très grande qualité, qui sont parfois difficiles d'accès ; je connais l'importance des rapports personnels. Il faut que les directeurs des Agences régionales soient à l'écoute et mènent des négociations en permanence. Mais ils ont l'avantage d'être plus proches de vous que les services du ministère. Nous venons de faire deux progrès formidables qui vous concernent, vous les maires : les réseaux n'étaient pas financés, il fallait une demande, selon un dispositif extrêmement rigide. Il y avait eu 12 réseaux acceptés, alors qu'il en faut beaucoup plus, des dizaines et des centaines sans doute. Eh bien maintenant, c'est l'ARH qui distribuera, sur la base d'un cahier des charges réduit. Il s'agira véritablement d'une demande très facile à faire, à un seul guichet. L'argent sera disponible car il est enfin pris sur les soins, c'est-à-dire sur l'enveloppe de la sécurité sociale. La construction d'un réseau tient sur un secrétariat, ou sur la façon de mettre ensemble des professionnels, privés et publics, car même si ceux-ci ce connaissent, ils ont besoin d'un petit circuit administratif pour travailler vraiment ensemble. Eh bien tout cela sera financé de meilleure manière, à partir du terrain.
Voici quelques points qui, je crois, répondent à ce qui a été dit, sur la nécessité de politiques au plus prés des réalités de terrain :
Les décrets des 2 et 5 novembre 2001 - il y a quelques jours - ont déconcentré au profit des Agences régionales les compétences relatives à la planification des IRM ; depuis cette année nous avons confié à ces agences le soin de décliner localement les mesures prioritaires de santé publique : ce sont eux qui feront les choix. La modernisation des équipements hospitaliers se fera également au plus près de vous, y compris celles des hôpitaux - que je ne juge pas modestes - mais dont la taille est plus réduite. Le FIMHO (fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux) n'était doté que de 272 millions en 1998, et 39 établissements seulement avaient pu en bénéficié. En 2002 il y a un soutien exceptionnel de 2,9 milliards de F. et 1,3 milliard de F. de plus sur le FIMHO lui-même. Vous aurez ainsi à portée de la main, grâce à des dossiers beaucoup plus faciles à présenter à l'ARH, la possibilité d'améliorer vos établissements.
Le soutien aux réseaux, je vous l'ai dit, sera fait localement, grâce à la loi " droits des malades et qualité du système de santé " . L'accréditation des établissements est un peu longue parce que c'est l'ANAES (agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé), est une grosse organisation, qui doit sans doute être rendue plus lisible pour les malades. Enfin, il y aura un observatoire de la qualité hospitalière et de l'offre de soins qui sera rattaché à la Direction de l'hospitalisation.
Qu'est-ce qu'on fait des médecins ? en ce moment nous sommes saisis par un certain nombre de demandes. II y a eu une table ronde hier sur le Nord Cotentin, et la semaine dernière à Cherbourg ; cette semaine il y en aura encore une dans la Manche : les médecins ne veulent plus - ou moins qu'avant - s'installer en zone rurale, pour répondre à la demande. C'est un problème majeur : comment les séduire ? Nous ne sommes pas dans un pays où on impose aux médecins l'endroit où ils doivent s'installer. Doit-on en arriver là ? Nous y sommes disposés ; mais ce serait mauvais.
Nous avons déjà, pour les praticiens hospitaliers, donné une prime, c'est-à-dire une incitation positive pour l'installation dans les petits hôpitaux : on touchera 10 000 euros à l'installation, et deux ans d'exercice compteront comme deux ans supplémentaires sur 5 ans de carrière ; donc la carrière en sera facilitée, ceci pour les hôpitaux publics. Pour les médecins libéraux, nous allons mettre sur pied, avec vos recommandations, un système qui sera le plus souple possible pour, disposer d'aides à l'installation en milieu rural. Pour cela, il nous faut former des médecins : je vous signale que cette année a connue le plus gros numérus clausus : 4700 futurs médecins ont été admis. Quand nous sommes arrivés, il y en avait 2900, et j'espère que l'année prochaine il y en aura 5700, en tout cas 5500.
Malgré cet encouragement, certains ne veulent pas s'installer dans des zones rurales, du fait de la pénibilité, des visites... Nous changeons de génération, mes chers amis ; il faut bien voir qu'à l'hôpital aussi cela a changé ; que les médecins sont dorénavant attentifs à la qualité de leur vie, à leur vie familiale, et ne veulent pas se déplacer en permanence, c'est comme ça ! Et donc il faut trouver avec eux des arrangements : le fonctionnement en réseau en est un, insuffisant ; il faut les séduire, les amener à venir au plus prés de vous ; nous sommes prés à les encourager, éventuellement à employer la loi, ce qui serait déplorable. Mais je connais la difficulté de d'installer en zone rurale...
Dans les villes, en grandes métropoles, il n'y a quasiment plus de visites. En ce moment, le refus des gardes et des visites se traduit par quelques grèves - il y a toujours des grèves dans le système de santé - ; mais vous savez, les visites, cela devient très rare, il n'y en a plus que dans les zones rurales, et c'est très peu. Et quant à la disparition des gardes, parce que les libéraux ont changé de mode de vie - et je le comprend très bien, je ne les accuse pas - elle a pour effet de surcharger les urgences des hôpitaux. Je ne suis pas un optimiste à tout crin, mais je vous assure que par rapport à d'autres pays immédiatement environnants, un petit mot : Italie, même population, 1000 établissements de santé; France, 4000 établissements de santé ; est-ce raisonnable de tous les garder ? II faut les payer : qui paye ? vous, moi, les Français. Donc il faut combiner les exigences avec les moyens ; quand on dit " il faut plus d'infirmières " : d'accord, qui les paye ? la même enveloppe qui est votée par le parlement. Il faut donc ajuster l'offre et la demande ; si on a besoin de plus d'infirmières, il faut pouvoir les payer.
Pardon d'avoir été trop brutal, je n'ai pas tout dit, mais je crois que c'est un problème qui nous concerne tous.
Nous avons retranscrit ci-dessous deux des questions auxquelles le ministre a répondu au cours du débat qui a suivi
Question concernant les urgences je trouve particulièrement difficile et inacceptable, qu'à l'époque où on a fait un effort considérable pour centraliser l'organisation des secours, avec notamment les SDIS, l'autre jour, une cyclomotoriste renversée - elle était en faute - par un automobiliste, projetée sur la route, à une quinzaine de mètres de là, polyfracturée, a été secourue très rapidement par les services de secours; il a fallu attendre 4 heures son évacuation. Pourquoi ? Eh bien parce qu'il n'y avait soit-disant pas d'hôpital capable de l'accueillir. Or, à 15 kilomètres de là, il y avait un service, dans une clinique privée, certes, dans la Nièvre, dans lequel on pouvait immédiatement faire un diagnostic rapide, savoir s'il y avait au moins des conséquences neurologiques, il y avait un scanner ; eh bien il a fallu attendre 4 h avant qu'elle soit évacuée, alors qu'il était possible de la transporter en 15 mn dans cette clinique, où on pouvait faire un diagnostic. J'ai écrit au préfet, je n'ai pas eu de réponse.
Monsieur, je ne peux que participer à votre indignation, s'il y avait une clinique à côté qui pouvait faire l'examen dans de bonnes conditions, et que cela ne faisait pas perdre de temps ; je sais que quand c'est à la limite de deux régions sanitaires, c'est un peu compliqué, mais il faut raisonner en termes de bassin de vie et d'efficacité par rapport à la personne malade, et pas en termes administratifs, je partage avec vous ce sentiment. Alors je ne connais pas l'exemple même, j'espère que le préfet vous répondra, mais faire perdre 4 h...
Question concernant le contingentement des actes médicaux compte-tenu de la raréfaction des médecins qui veulent s'établir en milieu rural, pourquoi ne pas décontingenter le nombre d'actes qu'ils doivent faire, afin de pousser les jeunes qui s'établissent à aller vers les communes rurales afin de gagner plus d'argent ?
Les actes médicaux ne sont pas contingentés, ou alors c'est nouveau ! Ce qui est contingenté, c'est hélas l'enveloppe générale, et un certain nombre de pratiques qui sont contrôlées, mais l'acte médical, la consultation, la visite, ne sont pas contingentées. Elles sont contingentées pour certaines infirmières dans des quota qui concernent, localement, les infirmières libérales.
La raison d'une non-installation dans les zones rurales, c'est que, encore une fois, la vie quotidienne, l'esprit, la culture, pas seulement médicale - il ne faut pas accuser seulement les médecins - de l'ensemble de notre population a changé. Ce n'est pas une baisse du dévouement, comment puis-je dire cela, il n'y a aucun esprit péjoratif dans ce que je dis : cela a changé en général, on s'intéresse beaucoup plus à soi, à sa famille, à sa vie, et après tout, c'est aussi un des succès de notre société. Et donc les situations pénibles, les spécialités pénibles à l'hôpital, celles qui nécessitent des gardes, on s'en détourne considérablement, et les internes ne les choisissent pas : il y a un grand danger à voir la raréfaction des vocations en matière de chirurgie dans notre pays parce qu'on ne veut plus faire des gardes.
(source http://www.amf.asso.fr, le 3 décembre 2001)