Interviews de M. Denis Kessler, vice président délégué du MEDEF, à LCI le 25 avril 2000, Europe 1 le 4 mai et dans "Le Figaro Magazine" du 13, sur le projet et le calendrier de refondation sociale du patronat, notamment le contrat d'aide au retour à l'emploi et l'Unédic.

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Média : Europe 1 - La Chaîne Info - Le Figaro Magazine - Télévision

Texte intégral

Interview sur LCI du 25 avril 2000
PIERRE-LUC SEGUILLON : Denis Kessler, bonsoir.
DENIS KESSLER : Bonsoir.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Vous êtes le numéro 2 du MEDEF, l'organisation patronale. A ce titre, vous représentez les chefs d'entreprise. Des chefs d'entreprise, j'imagine, qui sont au premier chef concernés à la fois par les arbitrages économiques et fiscaux que s'apprête à rendre Lionel Jospin au cours de cette semaine, et puis aussi par ce projet de loi sur les nouvelles régulations économiques qui a commencé à être discuté cet après-midi même. Alors, nous allons revenir sur ces deux sujets, mais d'abord, il y a un autre sujet qui m'a semblé important dans l'actualité et je me demande comment vous réagissez à cela. Louis Schweitzer, l'ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius, qui se retrouve aujourd'hui patron d'un géant de l'automobile française, après les acquisitions de Renault, et notamment la dernière opération avec Volvo où Renault prend 20 % de Volvo. Quel chemin parcouru ! Est-ce que vous n'avez pas le sentiment, quand vous voyez une chose comme cela, que la société française évolue à toute allure et qu'on est loin du socialisme que vous critiquiez ?
DENIS KESSLER : Je trouve cela formidable. Moi, je trouve cela formidable qu'une grande entreprise française comme cela se développe, procède à des acquisitions, essaye de dominer une partie du marché mondial, de s'emparer de parts de marché, je trouve cela absolument extraordinaire. Je crois que les entreprises doivent être conquérantes...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Une entreprise dont le premier actionnaire est l'Etat.
DENIS KESSLER : Absolument. Mais je souhaite que l'Etat sorte de ce capital. Il n'a rien à y faire, je veux dire. Toutes les grandes entreprises automobiles sont privées, elles savent parfaitement se débrouiller sans la présence de l'Etat, au contraire. Et donc, je considère que c'est une formidable aventure.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Mais apparemment, ça ne gêne pas l'entreprise que d'avoir, à un peu plus de 40 %, comme premier actionnaire l'Etat.
DENIS KESSLER : Non, pas pour le moment. Mais en tout cas, pour son développement, lorsque l'entreprise devra faire appel vraiment au marché, lorsqu'elle voudra nouer de nouvelles alliances avec d'autres partenaires, je crois que cette entreprise est tout-à-fait destinée à être entièrement privatisée, d'ailleurs pour le bien de tout le monde. Parce que vous avez pu remarquer que les entreprises qui ont été privatisées ont eu des succès absolument extraordinaires par la suite.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, ces arbitrages, on va y venir, que va rendre le Premier ministre, se déroulent dans un contexte économique précis. Moi, j'aimerais savoir d'abord si vous partagez l'optimisme ambiant sur la prospérité, sur la croissance revenue, une croissance vigoureuse ? Est-ce que ça signifie des entreprises dont les carnets de commandes sont bien remplis, des entreprises qui se portent bien ?
DENIS KESSLER : Oui, la situation est bonne. Et elle est même très bonne. Depuis maintenant 2 ans, la croissance est revenue et elle devrait durer encore quelques années. Nous sommes dans un cycle tout-à-fait vertueux. Tous les moteurs de la croissance sont allumés : on voit la consommation, on voit l'investissement à l'heure actuelle dans le logement des ménages, on voit l'investissement, on voit les exportations, dans un contexte mondial qui est extrêmement porteur. Le crise asiatique a disparu, nous sommes tirés par la locomotive américaine et la plupart de nos grands partenaires européens connaissent également la croissance. Donc, ce n'est pas un phénomène spécifiquement français, mais la France en bénéficie et vraiment, il faut s'en réjouir.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Mais est-ce que vous en savez gré au gouvernement par exemple, pour tout le moins de ne pas avoir gêné cette croissance sinon de l'avoir aidée ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, je ne suis pas sûr que le gouvernement ait vraiment aidé cette croissance. Il ne l'a pas empêché de se développer, mais nous sommes en face de ce que l'on appelle un cycle économique. Ce cycle est fort, il est puissant, il produit des effets, nous créons beaucoup d'emplois à l'heure actuelle, les entreprises effectivement ont des carnets de commandes remplis : tout ceci est absolument formidable. Je dis bien encore une fois : ni excès d'opprobre, ni excès d'honneur, je crois très honnêtement que les phénomènes économiques sont premiers par rapport aux phénomènes politiques.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Est-ce que l'économiste que vous êtes est préoccupé par la chute de l'euro ? Ou est-ce qu'il se dit, au fond, c'est bon pour les entreprises puisque ça permet des exportations vigoureuses ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, l'euro reflète la puissance relative des différents blocs mondiaux. Les Etats-Unis connaissent un taux de croissance à l'heure actuelle de l'ordre de 4 à 5 % absolument extraordinaire. Ils créent en un mois autant d'emplois que nous en un an, donc vous voyez un peu la différence, investissements, nouvelles technologies. Eh bien, l'euro reflète la puissance économique américaine à l'heure actuelle et une certaine difficulté qui reste présente en Europe. Nous n'avons pas encore atteint la vigueur de la croissance économique de nos partenaires américains.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Vous en concluez qu'il faut laisser filer l'euro ou qu'il faudrait que la Banque Centrale Européenne...
DENIS KESSLER : ... Surtout, pour le moment, laisser faire les marchés. Je crois que la valeur de l'euro reflète les valeurs économiques relatives des différents ensembles mondiaux. Pour le moment, nous bénéficions de ce niveau de l'euro. Je ne suis pas sûr qu'il faille avoir une politique de l'euro fort comme nous avions historiquement, vous vous en souvenez, une politique du franc fort. Il faut laisser les marchés s'ajuster. La vraie solution pour la valeur de l'euro, c'est de retrouver en Europe une croissance "booming" avec des créations d'entreprises, avec des nouvelles technologies, avec un essor de l'économie formidable et vous allez voir l'euro, forcément, retrouver une certaine vigueur.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Donc, ce ne serait pas de la part de monsieur Wim Duisenberg, le patron de la BCE, de relever les taux d'intérêt ?
DENIS KESSLER : Il ne faut pas casser la croissance, elle est repartie, je pense qu'elle sera durable sur le long terme. J'étais l'un des premiers à défendre la thèse de ce que l'on appelle le 5ème Kondratieff, c'est-à-dire ces cycles longs de l'économie qui, comme au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, ont porté pendant plusieurs décennies la croissance. Bien entendu, il y a des fluctuations au sein de ce grand cycle et je trouve que les choses s'enroulent bien à l'heure actuelle. Laissons-faire l'histoire et essayons de ne pas casser ce qui marche.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, dans ce contexte prospère, de croissance, le Premier ministre et son ministre de l'Economie et des Finances, et plus exactement son nouveau ministre de l'Economie et des Finances, Laurent Fabius, vont devoir rendre un certain nombre d'arbitrages. Au fond, il y a trois grandes directions. Il y a le problème du collectif budgétaire, il y a le cadrage pour 2001 et puis il y a, très emblématique, le fameux projet de loi sur les stock-options, ou en tout cas les projets de loi, les compromis possibles sur les stock-options. Alors, le collectif budgétaire d'abord. On ne va pas beaucoup s'éloigner de ce que Lionel Jospin avait annoncé, c'est-à-dire 40 milliards de baisses d'impôts, 10 milliards de dépenses si mes souvenirs sont bons. Ca vous semble judicieux ou est-ce que vous êtes un petit peu comme les autorités bruxelloises qui disent : on aurait dû davantage baisser les déficits ?
DENIS KESSLER : Attendez, nous aurions dû d'abord réduire la dépense publique. Quand vous regardez les chiffres 1999, nous avons augmenté la richesse nationale, et puis nous avons augmenté les prélèvements obligatoires. Mais les nouveaux prélèvements obligatoires en 1999 ont absorbé les trois quarts de la nouvelle richesse nationale produite. Les trois quarts ! Mais c'est absolument insupportable ! Nous avons donc non seulement un niveau de prélèvements obligatoires trop important par rapport à la richesse nationale, mais d'année en année, ce ratio se détériore. Nous avons le record historique des prélèvements obligatoires en 1999. L'urgence, c'est la maîtrise de la dépense publique. Et la dépense publique passe par une réforme de l'Etat. Et vous constaterez avec moi que, malheureusement, ce qui est en panne dans ce pays, ce n'est pas les entreprises qui progressent, qui investissent, qui embauchent, qui s'internationalisent - vous avez cité le cas de Renault. Ce qui est en panne dans ce pays, c'est malheureusement la sphère publique, engluée à l'heure actuelle dans l'application des 35 heures, la réforme par exemple des impôts engluée après la démission de monsieur Sautter, la réforme de l'Education nationale engluée... Bref, l'Etat est immobile, pesant, coûteux, prélève trop sur la richesse nationale et retire aux ménages, retire aux salariés français, retire aux entreprises de quoi, justement, créer de la richesse. C'est pour cela que la priorité des priorités, c'est la dépense. Puis, lorsque l'on aura maîtrisé la dépense et le niveau de la dépense, il faudra réduire les déficits et réduire les impôts. Mais tant qu'il n'y aura pas de réduction de la dépense, c'est-à-dire la partie active j'allais dire, inutile de penser que durablement, durablement, on aura une baisse des prélèvements obligatoires dans ce pays.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, projet de baisse des prélèvements obligatoires, 40 à 45 milliards par an d'ici à 2002. Ca vous paraît, après ce que vous venez de dire, plausible ? Possible ? Souhaitable ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, en 1999, les prélèvements obligatoires ont augmenté de 193 milliards de francs. 193 milliards de francs. La richesse nationale a augmenté de 272. Et nous avons encore une des dettes publiques qui est la plus importante, un des déficits publics qui est le plus important de l'ensemble des pays européens et mondiaux. La plupart de nos partenaires ont des excédents budgétaires : c'est le cas du Royaume-Uni, c'est le cas de l'Irlande, c'est le cas des Pays-Bas, c'est le cas du Canada, c'est le cas des Etats-Unis. Nous sommes dans une drôle de situation : nous avons trop de dépenses, trop de déficits, trop d'impôts. Et qu'est-ce que nous demandons ? Moins de dépenses, moins de déficits, moins d'impôts, encore là, suppression du déficit. Je ne rêve pas : il faut des impôts bien entendu, mais dans un cadre qui reste, j'allais dire, compatible avec notre ouverture européenne. On ne pourra pas rester durablement dans l'Europe dans les conditions dans lesquelles nous sommes si nous n'agissons pas sur le grand absent des réformes, c'est-à-dire le secteur public français.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, évoquons un problème qui n'a pas une très très grande importance fiscale, mais une très grande importance emblématique, c'est celui des fameuses stock-options, ces actions que l'on peut acquérir pour un prix privilégié lorsque l'on est haut cadre d'une entreprise. Alors, on ne sait pas très bien ce qui va être décidé. On a l'idée que l'on va aller vers un compromis. Compromis : la transparence d'un côté, statut fiscal de l'autre, c'est-à-dire que l'on resterait à 40 % . Ou encore compromis : allégement pour une partie qui serait en dessous d'un certain seuil et alourdissement pour ceux qui auraient des gains supérieurs à 500 000 ou 600 000 francs. Bon. Est-ce que, d'abord, la transparence, ça vous paraît une bonne chose ?
DENIS KESSLER : Attendez, avant, monsieur Séguillon, tous ceux qui, toute la journée, ne pensent qu'à la répartition, devraient soutenir le développement des stock-options. Pourquoi ? C'est une opération de transfert des actionnaires qui acceptent de transférer une partie de leur patrimoine, de leurs actions, vers les salariés, vers les managers et plus largement, un certain nombre de collaborateurs des entreprises. Comment peut-on être contre les stock-options, alors que c'est une opération de répartition qui va bien des actionnaires vers les salariés. Et qui n'impacte pas le compte d'exploitation des entreprises. C'est une dilution de l'actionnariat, acceptée par les actionnaires en Assemblée générale. Je n'arrive pas à comprendre - ça fait partie de mes grandes interrogations - pourquoi on veut limiter une opération de répartition qui va dans le sens d'une meilleure distribution du patrimoine en France. Ca, il faut me l'expliquer !
PIERRE-LUC SEGUILLON : Vous vous souvenez historiquement pourquoi cette affaire est venue à être évoquée. C'est le départ de monsieur Jaffré avec plusieurs dizaines de millions, semble-t-il, de stock-options. Ce qui a beaucoup choqué.
DENIS KESSLER : Alors, les dizaines de millions de monsieur Jaffré, je ne rentrerais pas dans ce cas particulier, bien entendu, c'était les actionnaires d'Elf qui ont transféré cet argent qui était là, qui serait resté chez les actionnaires d'Elf, à monsieur Jaffré. C'est peut-être un reproche qu'il faut faire aux actionnaires d'Elf d'avoir accepté, dans le cadre de décisions d'Assemblée générale ou à son conseil d'administration qui doit ratifier les attributions de stock-options, d'avoir attribué ces montants-là. Mais sur le fait, personne n'a été lésé dans cette opération-là, sauf peut-être éventuellement les actionnaires. Donc, restons à des choses très simples. Les stock-options, il faudrait les encourager. Il faudrait encourager leur diffusion dans l'entreprise. Il faudrait faire en sorte que ça soit un formidable vecteur de redistribution de la richesse créée dans les entreprises, partagée entre les actionnaires et les managers. J'ajoute que ça marche très bien les stock-options parce que la Bourse monte. Mais je rappelle que lorsque la Bourse baisse, et je veux dire, dans ce cas-là, rien ne se passe.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, pour le moment, elle monte. L'EXPANSION a publié quelques chiffres, montrant que les hauts cadres qui ont des stock-options appartenant au CAC 40, en six mois, ont doublé leurs avoirs...
DENIS KESSLER : Potentiellement...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Potentiellement. Ils sont passés en moyenne de 1 million à 2,5 millions. C'est énorme quand même.
DENIS KESSLER : Potentiellement. Il faut attendre cinq ans, délai d'indisponibilité, donc il faut attendre cinq ans, d'ici là, il peut y avoir des heurts et malheurs. Et puis, deuxième chose : il ne faut pas laisser croire au public que les stock-options ne sont pas imposés. Ils sont imposés à l'heure actuelle, après un délai d'indisponibilité de 5 ans, à 40 %. 40 %, c'est quand même une somme élevée. Donc, pour le moment, la situation nous semble à peu près souhaitable. Ce qui n'est pas souhaitable, c'est d'avoir pour nos cadres, pour nos entreprises, en permanence un débat sur toutes ces questions-là. De mois en mois, des hypothèses, on augmente ci, on plafonne là, on empêche, on diffuse, on rend obligatoire, on demande la transparence, on modifie le taux marginal... Tout ceci, attendez, c'est du brouhaha, c'est du bruit ! Nous souhaitons pour le moment sérieusement laisser les stock-options se développer et faire tout au contraire pour les encourager, pour les diffuser. C'est quelque chose au contraire qui est positif. Positif lorsque l'on croit vraiment qu'il faut partager et les risques et les bénéfices de l'entreprise.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Encore un mot. Quand Henri Emmanuelli, qui est le président de la commission des Finances dit : on prêche la flexibilité pour les salariés et, au niveau des stock-options, ce sont de véritables bunkers que l'on construit pour dirigeants, je reprends sa citation.
DENIS KESSLER : Non, mais c'est incroyable de dire cela. Je dis bien encore une fois que la valeur des stock-options n'est absolument pas garantie puisque sur les cinq ans qui viennent, on l'a vu récemment, la valeur de l'entreprise, la valeur de l'action peut complètement diminuer et que la personne aura tout perdu. Je rappelle que s'il n'y a pas de création de valeur par le manager et par son équipe, il n'y a pas de valeur. Et lorsqu'elle se réalise, l'Etat en prend 40 %. L'Etat est donc associé au succès des stock-options.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Si le gouvernement, le ministre de l'Economie et des Finances parvenait à un compromis avec la majorité plurielle qui ne vous convienne pas, ça pourrait être un casus belli avec le gouvernement ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, on demande par exemple la publication des dix titulaires, des rémunérations et les stock-options des dix principaux titulaires dans une entreprise. Or, vous vous voyez bien, c'est le genre de mesure qui a du sens lorsque c'est pris par l'entreprise ou par ses actionnaires, son conseil d'administration, par le dirigeant de l'entreprise et que ça se limite aux mandataires sociaux. Mais publier pleine page les rémunérations et les stock-options, c'est donner à tous nos concurrents les possibilités de venir chez nous chercher les meilleurs. On connaît leur rémunération, on sait la proposition qu'on peut faire pour les décocher, on connaît les stock-options, on sait quand ils sont levables... Mais c'est incroyable ! Pourquoi voulez-vous absolument, systématiquement, donner des moyens à nos concurrents d'aller chercher les meilleurs en France ? Ecoutez...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Est-ce que ça ne rend pas aussi difficile une gestion sociale de l'entreprise ?
DENIS KESSLER : Mais évidemment. Mais ça va créer entre...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Non, mais attendez...
DENIS KESSLER : Entre le dixième et le onzième ou le dixième et le centième...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Attendez, moi, je pensais plutôt entre le haut cadre ou le responsable et les salariés.
DENIS KESSLER : Oui. Evidemment, oui. Ca va attiser sans doute entre cadres, entre les cadres et les non cadres, et entre les entreprises...
PIERRE-LUC SEGUILLON : ... Donc, si on arrivait par voie législative à souhaiter, à vouloir la transparence, vous feriez la grève de cette transparence ?
DENIS KESSLER : Mais non, nous ne faisons pas grève. Nous appliquons les lois de ce pays. Lorsqu'elles sont applicables bien entendu, nous appliquons les lois de ce pays. Jamais le MEDEF, qui est démocrate et républicain, a décidé de ne pas appliquer les lois. Mais le point, c'est de savoir pourquoi nous devons passer par la loi pour demander la publication des rémunérations, alors que nous avons pris l'engagement de le faire en 2001 pour l'ensemble des responsables des sociétés françaises cotées. La décision a été prise et a été appliquée par Ernest-Antoine Seillière, ça a été rendu public. C'est ça la bonne démarche. Dans une démocratie moderne, il faut que la loi se borne à l'essentiel, monsieur Séguillon et qu'on ne rentre pas dans les dénominations de chocolat à midi, dans les stock-options le soir et que le lendemain matin, on reparte dans la fixation du prix du carburant dans les grandes surfaces.
PIERRE-LUC SEGUILLON : D'une manière générale, vous pensez que d'ici à la fin de la semaine, vous allez pouvoir être éclairé sur tous ces points et que vous allez pouvoir, en fonction de ces différents compromis, avoir une visibilité sur l'action gouvernementale.
DENIS KESSLER : J'espère, j'espère. On espérait qu'un jour on mettrait en place l'épargne retraite, ça a été disjoint de ce texte, c'est renvoyé à la fin de l'année. Sur les stock-options, ça ne sera pas à la fin de la semaine qu'on aura une orientation, il va y avoir un débat parlementaire, une seconde lecture, des propositions. Et puis je suis très surpris de voir que le mot Europe a disparu à l'heure actuelle de beaucoup, de beaucoup des débats. Enfin, nous sommes en Europe ! Est-ce qu'on s'interroge à l'heure actuelle pour savoir les dispositions qui existent dans les autres pays. Nous, dans le cadre du MEDEF, lorsque nous prenons une décision en matière d'assurance chômage ou de retraite, nous allons regarder systématiquement ce qui se fait dans les autres pays. Là, c'est bizarre : on continue à faire une cathédrale franco-française en ignorant toutes les chapelles et toutes les religions qui sont en Europe à l'heure actuelle. Ca, très honnêtement, ça me surprend. Un exemple : dans ce projet de loi sur les régulations économiques, on dit : on n'a pas le droit à cinq mandats d'administrateurs. Il y en a 8 aujourd'hui. Vous allez me dire : la différence entre 8 et 5 ? Mais ce sont des entreprises françaises. Parce que, évidemment, on ne peut pas vérifier d'être administrateur dans une entreprise communautaire. En Belgique ou en Italie ou en Espagne. Ecoutez, très surprenant, très surprenant. Nous faisons l'Europe bizarrement et l'euro, nous y sommes fortement attachés, et nous continuons à construire des réglementations, des législations, qui font abstraction de ce qui se passe chez nos autres partenaires. Mais non, mais non.
PIERRE-LUC SEGUILLON : DENIS KESSLER, parlez-moi un instant, parce que le temps passe vite, faites-nous le point sur vos discussions avec les organisations syndicales sur la construction de la nouvelle architecture sociale. Alors, on a le sentiment que tour à tour, vous, disent certains, provoquez les organisations syndicales puis ensuite, vous dites : on vous écoute. Mais est-ce que l'on avance ?
DENIS KESSLER : Nous avons le sentiment très fort...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Le contrat de mission a été refusé par les organisations syndicales...
DENIS KESSLER : Non, non, attendez, pour le moment, nous avons des groupes de travail et nous allons nous réunir le 3 mai avec, j'allais dire, les responsables des organisations syndicales. On prendra connaissance des travaux qui ont été faits dans le cadre des groupes de travail sur la réforme de l'assurance chômage, sur les nouveaux contrats de travail, et nous allons, à ce moment-là, savoir les directions que nous allons prendre pour la suite des négociations. Comme toute négociation, vous savez, moi, à la différence de l'Etat, je ne peux rien imposer à mes interlocuteurs. Je peux passer du temps fou à négocier, expliquer, convaincre, à les écouter, à dialoguer avec eux. Et in fine, il faudra signer.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Est-ce que le contrat dit de mission, qui est un contrat à durée déterminée est toujours à l'ordre du jour ?
DENIS KESSLER : Evidement. Bien évidemment.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Parce qu'on avait cru comprendre que les organisations syndicales...
DENIS KESSLER : Evidemment...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Que les organisations syndicales disaient : s'il est encore à l'ordre du jour, on claque la porte, on quitte...
DENIS KESSLER : Aucune organisation syndicale n'a claqué la porte. Lorsque l'on est en négociation, nous discutons, nous écoutons ce qu'ils nous disent, etc. Mais écoutez, monsieur Séguillon, c'est quand même fort de café cette histoire ! Nous avons un Etat qui vient d'embaucher 300 000 personnes à cinq ans. A cinq ans. Aucune garantie au-delà des cinq ans en matière d'assurance chômage, une formation quasi-inexistante. Nous avons un Etat qui a plus d'un million de personnes à contrat à durée déterminée comme il le souhaite : 3 ans, 5 ans, 9 ans dans l'armée, 9 ans dans l'Education nationale, 1 an pour les maîtres auxiliaires, etc. Un Etat qui vient nous dire : moi, Etat employeur, j'ai le droit de faire ce que je veux, ce que je veux, 5 ans, 3 ans, 6 ans, 9 ans, mais vous, employeurs particuliers, qui êtes obligés d'affronter la concurrence, de générer de l'argent pour payer ces gens-là alors que moi, je me nourris de l'impôt et de cotisations, vous, vous n'avez pas le droit. Mais c'est intolérable ! Pour nous, employeurs, c'est intolérable ! C'est les syndicats qui ne se sont pas opposés à aucun moment, à aucun moment, aux emplois-jeunes proposés. Et souvenez-vous des titres à l'époque : formidable avancée, formidable... Le gouvernement se glorifiait de ces emplois de cinq ans...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Est-ce que vous espérez encore parvenir à un compromis sur ce sujet avec les syndicats.
DENIS KESSLER : Bien entendu. Nous avons discuté du contenu de ces contrats. Nous allons discuter de l'aspect formation de ces contrats, nous allons discuter de la façon dont ils peuvent se dérouler. Voilà ce dont nous allons discuter en négociation.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, il y en a un, en tout cas, qui n'est pas d'accord avec vous, c'est Robert Hue. Robert Hue, qui a rencontré Ernest-Antoine Seillière (Sic), qui lui a dit : eh bien, venez me voir, discutons, et qui explique qu'il va vous voir pour dire que vous cherchez à procéder à un véritable, je le cite, renversement social. Alors, premièrement, est-ce qu'il va y avoir des discussions avec Robert Hue, en tout cas une entrevue, et comment est-ce que vous accueillez cette diatribe de Robert Hue ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, c'est assez bizarre parce que, d'abord, c'est Robert Hue qui nous a fait savoir qu'il souhaitait nous rencontrer. Nous, nos partenaires, c'est d'abord les syndicats. On a cinq organisations syndicales, ce sont nos partenaires naturels, ce sont ceux avec lesquels on rebâtit tout cela, et on le fait avec eux. On le fait avec eux. On ne peut le faire avec personne d'autre. Mais nous le faisons de bon coeur, de bonne volonté avec eux. Et puis, tout d'un coup, donc, monsieur Hue dit : nous souhaiterions voir monsieur Seillière, etc. Monsieur Seillière considère, effectivement, tout-à-fait souhaitable de rencontrer tous ceux qui peuvent apporter des idées ou qui souhaitent être informés sur notre démarche, sur nos propositions. Tout ceci, c'est normal et nous avons une longue tradition.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Ensuite, Robert Hue dit : je vais aller voir Ernest-Antoine Seillière et je vais lui passer un savon.
DENIS KESSLER : Ah, voilà. Alors, après, Robert Hue parle en disant que nous sommes un parti politique de droite. Nous ne sommes pas un parti politique de droite. Là, il y a erreur. Il souhaite nous rencontrer, il peut rencontrer le MEDEF, le MEDEF qui est une organisation représentative des employeurs, représentative des entreprises, pour savoir ce que le MEDEF fait avec ses partenaires syndicaux, mais nous ne sommes pas un parti politique de droite. Ce qui fait que nous sommes extrêmement perplexes sur cette démarche. Tellement perplexes que...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Vous allez le recevoir ou pas ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, nous nous interrogeons. Parce que, vraiment, les déclarations de tout ce week-end... Non, attendez, je veux dire : on ne comprend plus. Autant nous sommes ouverts à des gens qui veulent construire, comprendre et apporter des éléments à tout ce que nous faisons, autant, très honnêtement, enfin, je veux dire, certains propos sont à la limite de l'indignité.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Merci beaucoup Denis Kessler.
Interview sur Europe 1 le 4 mai 2000
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Bonjour Denis Kessler.
DENIS KESSLER : Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : La date de sa mort probable est annoncée le 1er juillet : l'Unedic va mourir à 42 ans. Le MEDEF est en train de l'achever, peut-être avec les syndicats. Par quoi sera-t-elle remplacée ?
DENIS KESSLER : Par un nouveau système correspondant exactement à la situation économique actuelle, au fonctionnement du marché du travail et puis aux perspectives de notre pays. Un nouveau dispositif qui repose sur une idée très simple, très très simple : à partir du 1er juillet, nous proposons à nos partenaires syndicaux de mettre en place ce que l'on appelle un Contrat d'Aide au Retour à l'Emploi, où il y aura des droits et des devoirs de la part du demandeur d'emploi. Mais le système que l'on met en place, évidemment, aura aussi des droits et des devoirs vis-à-vis du demandeur d'emploi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Vous confirmez la disparition de l'Unedic. Ce système va avoir un nom. Comment il s'appellera ? Pour ne pas rester un système anonyme. Et d'autre part, est-ce que vous aurez l'accord, Denis Kessler, des syndicats ?
DENIS KESSLER : Alors, nous allons discuter avec les syndicats du nom du nouveau dispositif que l'on met en place. Mais nous reviendrons à quelque chose qui est assez proche de l'origine du mot Unedic. Je rappelle que c'était l'Union nationale pour l'Emploi, pour le développement de l'Emploi dans l'Industrie et le Commerce. Et donc nous voulons parler d'emploi et non plus un simple système d'assurance chômage. Alors, nous sommes confiants, les négociations avancent. Nous avons eu hier une longue séance, nous avons deux autres séances au cours du mois de mai et nous aurons un nouveau dispositif, négocié avec les syndicats bien entendu, d'ici le mois de juin, sans doute mi-juin. Et je crois que c'est extrêmement important pour l'ensemble à la fois des entreprises, l'ensemble des cotisants et l'ensemble des chômeurs.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Donc, une grande partie des projets du MEDEF n'est pas à jeter à l'eau comme on le croit ?
DENIS KESSLER : Certainement pas. Certainement pas. Bien au contraire. Tout ceci avance. C'est un exercice tout-à-fait ambitieux puisqu'il s'agit d'un exercice de refondation. Donc, il ne s'agit pas simplement de trouver des dispositifs pour aménager à la marge ce qui se passe à l'heure actuelle, non, non, non, non, non. Il s'agit vraiment d'inventer avec nos partenaires quelque chose qui est, j'allais dire, moderne, innovant...
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Alors, prenons le cas d'un chômeur. Il aura des offres d'emploi.
DENIS KESSLER : Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : S'il les refuse, il perd ses droits.
DENIS KESSLER : Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Au bout de combien d'offres d'emploi refusées, combien de temps, il passe sous la guillotine ?
DENIS KESSLER : Alors, ce que nous disons, ce n'est pas passer sous la guillotine. Qu'est-ce que c'est qu'un chômeur ? Au sens du Bureau International du Travail, c'est quelqu'un qui est disponible à la recherche effective d'un emploi. C'est pour cela d'ailleurs que nous l'indemnisons. Si la personne montre qu'il n'est pas à la recherche effective d'un emploi en refusant une, deux, trois, quatre offres d'emploi correspondant à ses compétences, refuse une formation pour acquérir des compétences qui lui permettraient d'obtenir un emploi, on voit bien qu'il n'est pas disponible à la recherche effective d'un emploi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Et il y en a combien comme ça aujourd'hui ?
DENIS KESSLER : Oh, mais nous le saurons à partir du moment où nous mettrons ce dispositif...
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Quelle est l'idée Denis Kessler ? Ca représente beaucoup ?
DENIS KESSLER : Je ne pense pas mais je pense que l'idée que les droits soient suspendus, voire dans un certain nombre de cas supprimés, sera extrêmement efficace pour dire aux gens : attention, vraiment, lorsque vous êtes au chômage, il faut que vous fassiez tout - avec notre aide ! Nous allons les aider ces gens-là - pour...
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Qui paiera la formation par exemple ?
DENIS KESSLER : Tout le dispositif que l'on met en place. On va essayer de faire en sorte qu'effectivement, il y ait des formations offertes au chômeur, lorsque l'on aura pu, avec lui - tout ceci se fait avec lui, avec le demandeur d'emploi -, vérifier qu'il a besoin d'acquérir des compétences nouvelles pour acquérir tel ou tel type d'emploi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Je lisais les déclarations du MEDEF et les vôtres. Vous promettez, vous, le MEDEF, de faire passer le chômage, Denis Kessler, sous la barre des 8 %. D'abord, j'ai envie de vous demander quand ?
DENIS KESSLER : Alors, pour le moment, on crée aux alentours de 300 000, 350 000 emplois avec un taux de croissance de l'économie fort, qui dépasse 3 %. On voit bien qu'on pourra atteindre 7,5 %, 8 % d'ici trois ans, mais que pour aller en deçà, c'est-à-dire pour atteindre des taux de chômage de 4 %, il faut faire des réformes structurelles. Il faut faire ce que font les autres pays qui ont réussi à obtenir des taux de chômage de 3 ou 4 % et c'est ce que nous faisons aujourd'hui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Mais vous donnez l'impression qu'aujourd'hui, il y a des zones entières, des départements, ou peut-être des régions dans lesquelles il n'y a plus de chômage.
DENIS KESSLER : Oui. La notion de taux de chômage national n'a plus tellement de sens. Il y a des bassins d'emplois dans lesquels il n'y a plus de chômage quasiment ou très faible. Il y a d'autres bassins d'emplois où, au contraire, il y en a beaucoup. Et vous voyez, dans notre innovation, nous avons proposé à nos partenaires syndicaux de financer les déménagements parce que s'il y a un emploi ici disponible, il faut bien entendu organiser ce transfert.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Dans votre système qui n'a pas encore de nom, vous supprimez l'ANPE ?
DENIS KESSLER : Non, nous allons faire en sorte de trouver des modalités de travail avec l'ANPE, de façon à ce que tout le monde soit sur le pont. La formation professionnelle pour adultes, l'ANPE bien entendu, et ce que l'on appelle jusqu'à aujourd'hui l'Unedic.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Mais est-ce que aujourd'hui, vous estimez que l'ANPE est assez performante ?
DENIS KESSLER : No coment.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Plus précisément.
DENIS KESSLER : Je pense que chacun doit améliorer ses performances, l'ANPE y compris, de façon à aller bien au-delà de ce qui a été fait jusqu'à présent pour lutter contre le chômage.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Donc vous créez quelque chose, un système concurrentiel de l'ANPE qui devrait être plus efficace.
DENIS KESSLER : Non. Nous essayons de faire en sorte que l'ANPE participe à ce grand dessein.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : En ce moment, on a l'impression que le patronat contrôle l'indemnisation, le placement des chômeurs, l'avenir du système de l'emploi. La mariée est trop belle pour vous, non ? Vous avez la voie libre. L'Etat ne dit rien ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, je rappelle que l'Unedic, c'est paritaire, que c'est sous la responsabilité des partenaires sociaux, syndicats et représentants des employeurs. Et donc, c'est de notre responsabilité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Alors, on parle de problèmes beaucoup plus généraux. Le Premier ministre a signé la lettre de cadrage à ses ministres, c'est l'orthodoxie budgétaire, vous avez vu tous les chiffres. Est-ce que vous avez l'impression qu'on ne rigole pas, que c'est sérieux ? Par exemple, sur l'emploi, monsieur Jospin répète qu'il y a un principe : les emplois publics doivent rester stables, les impôts vont baisser. Qu'est-ce que vous en pensez ?
DENIS KESSLER : Attendez, il faut comparer la situation budgétaire de la France, des finances publiques de la France, aux autres pays. Ca n'a pas de sens de l'apprécier en tant que telle. Nous constatons que la France reste un des pays dépensiers, nous constatons que la France n'a pas fait, dans le domaine public, les réformes structurelles absolument indispensables, nous constatons qu'il n'y a toujours pas d'orientation précise pour supprimer le déficit public et réduire les prélèvements obligatoires. Donc, notre message est très simple : nous ne sommes toujours pas dans la perspective fondamentale : moins d'impôts, mois d'impôts, moins de dépenses, moins de déficit.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Donc, il faut que le gouvernement fasse mieux.
DENIS KESSLER : Bien entendu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Est-ce que le MEDEF n'est pas en train de se transformer en premier parti politique de droite aujourd'hui ?
DENIS KESSLER : Certainement pas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Vous n'allez pas me dire oui, mais enfin, entre nous, sérieusement, quand vous voyez l'état de la droite et des propositions de la droite, et en même temps la combativité que vous montrez sur tous les terrains économique, politique, social ?
DENIS KESSLER : Mais parce que nous croyons dans le destin économique de notre pays et que nous devons faire en sorte que les entreprises s'y développent, oui. Parce que nous, nous avons véritablement l'ambition de porter des messages auprès de tous - du gouvernement actuel, des partis d'opposition, des syndicats, des observateurs, des salariés, peu import- de façon à dire : attention, voilà la voie qui permettra d'assurer durablement le développement de notre pays. C'est notre mission.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Est-ce que vous estimez que Laurent Fabius bosse bien ?
DENIS KESSLER : Oh, moi, je lui souhaite bonne chance. Toute personne qui prend une responsabilité, il faut lui dire bonne chance.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Oui, mais ça ne suffit pas. Vous ne m'avez pas répondu.
DENIS KESSLER : Je ne vous ai pas répondu. Bonne chance. J'espère !
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Il a commencé comment ? Est-ce que par exemple, il travaille comme votre ami retrouvé Dominique Strauss-Kahn par exemple ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, pour le moment, oui, il consulte. Nous allons le voir la semaine prochaine pour discuter de l'épargne salariale. On se réjouit que, effectivement, l'on écoute les entreprises. En revanche, sur les stock-options, je trouve qu'on aurait pu se passer de ce débat.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Qu'est-ce qu'on lit dans la presse anglo-saxonne sur les stock-options ?
DENIS KESSLER : On lit tout simplement que l'on ne comprend pas que la France modifie encore une nouvelle fois ce dispositif et allourdisse la fiscalité des stock-options. On ne comprend pas. On ne comprend pas. Il y a une incompréhension sur la réduction du temps de travail et une incompréhension sur le débat fiscal français permanent.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Oui, mais enfin, ça correspond à la culture française. Il y a peut-être des résistances du côté des Français. J'entendais Bernard Thibault au " Club de la Presse ", il y a les positions des différents syndicats, de madame Notat.
DENIS KESSLER : Oui, mais, encore une fois, nous devons, nous, maintenant, je crois, nous adapter. Nous avons décidé de faire l'euro, nous avons décidé de faire l'Europe et l'Europe a décidé de faire le choix mondial. Et donc, il n'y a pas d'autre voie que l'adaptation. Il n'y a pas d'autre voie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Au passage, Denis Kessler, quand vous voyez l'euro dégringoler, 23 % de baisse en un an, est-ce que vous estimez que c'est grave alors qu'il y a la croissance qui est forte en Europe et qu'elle a une monnaie qui devient de plus en plus faible ?
DENIS KESSLER : Ca reflète exactement ce qui se passe en Europe. C'est-à-dire que l'on a un dollar extrêmement puissant parce que nous avons des Etats-Unis en pleine croissance, bien supérieure à la nôtre, qu'il n'y a plus de déficit public, qu'ils ont baissé les impôts, qu'ils créent des emplois en un mois autant qu'en Europe !
JEAN-PIERRE ELKABBACH : C'est terrible !
DENIS KESSLER : Donc !
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Et nous ne serons pas, les Français, nous ne serons pas des Angalais ou des Américains monsieur Kessler.
DENIS KESSLER : Pas du tout, ce n'est pas ça la question. Que l'Europe se dote d'un vrai projet politique, qu'elle fasse les réformes structurelles en Allemagne, en France, en Italie et on verra naturellement l'euro s'apprécier par rapport au dollar.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Un mot sur le social. La CFDT vient de proposer des élections professionnelles à un tour pour renforcer la représentativité syndicale. Et je lis les documents envoyés par la CFDT : " notre système de représentativité est à bout de souffle, le handicap social, faible taux de syndicalisation des unions, représentativité remise en cause, refonder la légitimité des syndicats avec les salariés ". Madame Notat est dans votre chemin ? Sur votre chemin ?
DENIS KESSLER : Madame Notat et la CFDT font un constat terrible, qui, je crois, va être pris en compte maintenant par toutes les organisations syndicales. C'est leur problème. La seule chose que je peux dire, c'est que nous avons fait la même démarche et que le MEDEF est représentatif, il est légitime et il est crédible. Nous souhaitons avoir des partenaires qui aient exactement la même position. Et donc, le débat ouvert par madame Notat, je crois et j'espère, va désormais se développer dans le monde syndical.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Mais est-ce qu'il tombe bien, au moment où les syndicats négocient avec vous, qui avez tant d'appétit. Le MEDEF, hein, pas Denis Kessler.
DENIS KESSLER : Mais nous avons besoin de partenaires. Nous croyons dans le contrat, dans la convention, nous croyons dans l'accord, nous croyons dans la négociation. Pour cela, il faut, comment dire, des contreparties, il nous faut des partenaires solides. Et c'est la raison pour laquelle le débat lancé par madame Notat est un très débat, très sain. Il concerne les syndicats. Nous espérons qu'il se développera.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : J'ai noté qu'aujourd'hui, vous ne parlez pas anglais. Il paraît que vous truffez vos discours, vos interventions de termes anglais.
DENIS KESSLER : Yes, mister Elkabbach.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Yes, you are a good friend. Merci et bonne journée.
(source http://www.medef.fr, le 06 mai 2000)