Texte intégral
R. Elkrief Vous lancez votre campagne, ce soir, par un premier meeting à Paris et vous étiez hier soir à la manifestation contre la guerre qui se déroulait toujours à Paris et également en province. Le discours de ces manifestants - aidez-moi à comprendre - était : "Ben Laden et Bush, même combat" ?
- "C'était que les bombardements sur le peuple afghan sont aussi ignobles, aussi horribles, que l'attentat perpétré - paraît-il - par M. Ben Laden, sur le World Trade Center."
Vous ne croyez pas que ce soit lui ?
- "Si, c'est possible qu'on en ait les preuves, je ne sais pas."
J'ai aussi lu dans vos éditoriaux que vous dites qu'on ne peut entretenir des guerres aux quatre coins du monde sans qu'elles vous rattrapent un jour, que les victimes du World Trade Center sont victimes d'une action terroriste que rien ne justifie, mais aussi de la politique de leurs propres dirigeants. Cela veut dire en subliminal que les Américains l'ont bien cherché ?
- "Cela veut dire que les causes du terrorisme sont à chercher dans cette société d'inégalités, d'oppressions, d'injustices, dans cette économie de marché qui, à l'échelle du monde, creuse un écart de plus en plus grand entre une minorité riche et une majorité de pauvres. Le terrorisme se nourrit de tout cela. Et que les Etat-Unis puissent représenter, comme d'autres grandes puissances évidemment, dont la France, un rejet de cette société d'injustice, c'est une évidence. Les Etats-Unis ont pratiqué le terrorisme d'Etat à grande échelle en bombardant au napalm les Vietnamiens pendant toute une époque, en soutenant les contrats en Amérique centrale, en soutenant les pires réactions en Amérique latine. Ils n'ont pas laissé dans la conscience des pauvres du monde entier une image très positive."
Aujourd'hui, qu'est-ce qu'on peut faire contre le terrorisme ?
- "On ne fait certainement pas ce que les Américains, soutenus par les grandes puissances sont en train de faire, c'est-à-dire tuer des victimes civiles, tuer des innocents, parce que c'est la même chose que ce qu'a fait M. Ben Laden en touchant des victimes innocentes à Manhattan. Le gouvernement américain, aidé par M. Blair et soutenu finalement par MM. Chirac et Jospin, est en train de faire la même chose : tuer des victimes innocentes."
Vous dénoncez, je l'entends bien, mais qu'est-ce que vous proposez ?
- "Je propose qu'on change cette société. Vous savez peut-être - je n'en sais rien - qu'on arrêtera Ben Laden un jour, mais si cette société continue à aller comme elle va, elle nourrira toujours le terrorisme. Cette société d'injustice est le terreau sur lequel est en train d'exister le terrorisme."
Parlons de la France et de ce qui s'est passé au Stade de France, la semaine dernière, lors du match France-Algérie et où des jeunes ont sifflé la Marseillaise. Cela a choqué certains. Le Premier ministre en a reparlé hier. Cela vous a choqué vous ?
- "Il ne faut pas être naïf. Il y a toute une histoire entre la France et l'Algérie et ces jeunes qui ont manifesté l'ont peut-être fait par provocation ou simplement pour qu'on s'intéresse à eux. Mais il y a une histoire et l'hymne français a représenté la guerre, une guerre terrible menée contre le peuple algérien pour son indépendance. Les fils ou les petits-fils de ceux qui se sont battus contre l'armée français ne portent pas, à juste titre, la Marseillaise dans leur coeur"
Vous les comprenez ?
- "Oui, bien sûr que je peux les comprendre."
Si vous aviez été au match, vous auriez chanté la Marseillaise ?
- "J'aurai chanté l'Internationale. Ni l'hymne algérien, ni l'hymne français."
Fidèle à vous-même ! Sur le plan économique et social, puisque vous lancez votre campagne ce soir, vous avez ce discours consistant à dire qu'il faut rejeter la société telle qu'elle est aujourd'hui, la société capitaliste, mais que proposez-vous ?
- "D'abord, je vais axer ma campagne sur une dénonciation. La dénonciation que finalement, dans cette société, dans cette économie, ce sont les travailleurs qui paient pour les soubresauts de la Bourse, pour les soubresauts de l'économie et que ce sont eux seuls qui paient. Quand on voit des entreprises comme Moulinex, Brandt, comme AOM-Air Liberté, comme Alcatel, comme Danone, comme Philips - on peut en citer des dizaines en ce moment -, où il y a des plans de licenciements ou des plans de suppression d'emplois, on sait que les actionnaires ont récupéré, sinon leurs mises, du moins tout ce qu'ils ont accumulé de bénéfices, pendant des dizaines d'années, sur le dos des travailleurs qu'ils sont en train de jeter à la rue."
C'est un constat !
- "C'est le constat, mais je voudrais que dans cette élection, les travailleurs puissent rejeter la politique de la bourgeoisie, qu'elle soit servie avec une sauce de droite ou avec une sauce de gauche."
Est-ce que vous n'avez pas l'impression que ceux auxquels vous vous adressez - ce sont peut-être des trotskistes, puisque Lutte ouvrière est un parti trotskiste, mais cela peut-être aussi tout simplement des gens qui rejettent le système et qui pourraient voter un jour pour vous - pourraient un jour voter pour l'extrême-droite ? Ce sont des protestataires pour la protestation ?
- "Je crains un petit peu pour la raison de ceux qui ne distingueraient pas entre moi et l'extrême-droite quand même ! Il y a une injustice profonde. On sait par exemple que lorsqu'un petit artisan ou un petit entrepreneur fait faillite, on prendra sur ses biens personnels - y compris les banques - pour récupérer leurs mises, alors que tous ces actionnaires, tous ces propriétaires actionnaires des très grandes entreprises, qui ont investi ailleurs l'argent gagné sur le dos des salariés, ont encore des biens et restent riches. La seule solution aujourd'hui est de prendre et de réquisitionner les profits des actionnaires, pour maintenir les salaires et les emplois, y compris produire à prix coûtant s'il le faut, pour sauver les travailleurs de Danone, de Moulinex, Brandt, Alcatel, Alsthom et de tous ceux qui subissent en ce moment des plans de suppressions d'emplois, parce que ces propriétaires actionnaires se moquent complètement de réduire les travailleurs au chômage, même s'ils ont travaillé pendant 20 ans, 30 ans pour leur profit"
Donc, réquisitionner ?
- "Oui, réquisitionner les profits des entreprises. On ne peut plus laisser faire cela. Malgré la situation difficile créée par la guerre, les travailleurs vont continuer à se battre et j'espère qu'ils obtiendront le maintien de leur emploi et ne pas voir des vies, et quelquefois des villes et des régions, complètement brisées."
Tout le monde vous connaît car c'est votre cinquième candidature, mais on connaît moins bien Lutte ouvrière. Certains ont parlé de sectes et de gourou invisible.
- "Cela les arrange. Quand on ne sait pas expliquer comment des idées révolutionnaires peuvent trouver une audience, on s'en sort comme ça."
Est-ce que cette campagne sera l'occasion d'une grande transparence pour Lutte ouvrière ?
- "Il y a de la transparence. Vous connaissez les militants de Lutte ouvrière, vous connaissez leurs dirigeants. Ils prennent la parole tous les mois à la Mutualité, comme je vais le faire ce soir. Ils animent nos débats. Beaucoup maintenant sont d'ailleurs des élus."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 24 octobre 2001)