Déclaration de Mme Dominique Voynet, secrétaire nationale des Verts, sur la situation internationale, la politique gouvernementale et les relations entre les Verts et le PS dans la perspective des élections présidentielles et législatives de 2002, à Paris le 15 décembre 2001.

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Circonstance : Réunion du Conseil national interrégional (CNIR) à Paris les 15 et 16 décembre 2001

Texte intégral

Cher(e)s Ami(e)s
Depuis notre dernier CNIR, le paysage politique qui sera celui de la France au moment des échéances électorales de 2002 a continué à se mettre en place.
Il faut bien le constater, dans une certaine indifférence de l'opinion publique et sur fond de société inquiète.
· Les drames à répétition qui ensanglantent l'actualité mondiale, et particulièrement depuis le 11 septembre, ne donnent à priori guère de raisons d'être optimistes.
La chute du régime des talibans, l'accord conclu à Bonn pour une transition gouvernementale relativement pacifique, représentent certes une lueur d'espoir. Mais les conditions actuelles de la victoire militaire américaine sur AL QUAIDA ne laissent pas d'êtres inquiétantes : elles risquent de rejeter dans l'ombre les conditions d'une lutte de fond contre les causes mêmes du phénomène terroriste ; elles n'ont pas jusqu'à présent abouti à la mise en cause de l'unilatéralisme des USA ; ceux -ci, au contraire, envisagent l'extension de leur propre action militaire sans contrôle ni partenariat international, à de nouveaux territoires et à de nouveaux Etats. Ils
viennent unilatéralement de dénoncer le traité anti-missiles de 1972.
Leur comportement dans l'arène internationale, à Doha à propos de l'OMC ou à Marrakech, à propos du climat, reste dans la continuité d'un refus de prendre en compte, au delà de leurs propres intérêts, les questions sociales et nvironnementales à l'échelle de la planète. Dans ce contexte, le mutisme de l'Europe qui peine à avancer sur le chemin de sa propre construction institutionnelle et de nouvelles
politiques communes de développement durable, reste un handicap considérable.
Le temps n'est pas encore venu de tirer un bilan complet de la période qui vient de s'achever. Mais alors que le traumatisme né du 11 septembre avait permis d'espérer un retour sur eux-mêmes des pays développés dans le sens d'une réforme de la gouvernance mondiale, il n'est pas sur qu'en terme diplomatique et en terme de Droits de l'Homme, des pas en arrière n'aient pas été accomplis, dont le prix à payer quant aux relations entre le Nord et le SUD risque d'être considérable.
L'illustration terrible de ce risque nous est donné en ce moment même par la situation du conflit israélo-palestinien. Nous sommes revenus, en pire, à l'avant Oslo.
La dialectique infernale des violences, en particulier celle du terrorisme contre des civils, et la politique scandaleuse d'Ariel Sharon, ont affaibli le camp de la paix. Dans l'indifférence générale, c'est l'existence même de l'Autorité Palestinienne qui se trouve menacée. En pratiquant volontairement l'amalgame et la désinformation, l'actuel gouvernement israelien transforme un conflit de souverainetés nationales en guerre de religions.
Il est de la responsabilité de tous les démocrates européens, et en particulier des écologistes et de la gauche, de contribuer à arrêter l'engrenage de cette violence, d'exiger l'envoi d'une force d'interposition, le rétablissement des pouvoirs de l'autorité palestinienne, la fin des violences contre les civils, l'arrêt des colonisations et la reprise des négociations de Paix.
· Ainsi, le contexte international fait-il apparaître comme forts relatifs les débats franco-français dont l'opinion peine à saisir nettement les enjeux de fond.
A ces menaces sur la paix, s'ajoutent en effet les incertitudes économiques et sociales. Les USA et l'Allemagne, après le Japon, sont en limite de récession. La France elle même réajuste ses objectifs de croissance, et même si le pire n'est pas certain, le doute s'empare de nos concitoyens.
Le chômage, qui avait été un des points phares du bilan de la majorité plurielle, redevient un motif d'inquiétude. La fragilité de notre économie aux secousses internationales se traduit en bout de chaînes par des vagues de licenciements annoncées dans des secteurs aussi variés que les télécoms, l'alimentation, les transports, l'électroménager, l'habillement, la sous-traitance automobile, ou la
chimie
Notre capacité à affronter cette phase délicate se trouve très
largement réduite par le flou des messages délivrés depuis plus de 18
mois à l'opinion publique par le gouvernement de la majorité plurielle,
en matière économique et sociale.
L'annonce, dans les conditions confuses, d'une cagnotte, puis des baisses d'impôts, massives et mal ciblées socialement, le refus, jusqu'à un certain point, de prendre acte de la situation nouvelle, et des difficultés qui sont devant nous, par exemple en matière de retraite, entretiennent une certaine confusion parmi nos concitoyens.
Dans ces conditions, on assiste à la montée des revendications catégorielles, plus ou moins légitimes, mais à qui le gouvernement paraît céder au coup par coup, sans priorité claire ni cohérence affichée.
Pourquoi les patrons de cliniques privées et pas les salariés de Moulinex?
Pourquoi les gendarmes et pas les internes ?
S'il n'y a pas de dépenses supplémentaires, comme le dit Laurent Fabius peut être à juste titre, où seront ponctionnés, sur quels budgets, les redéploiements mobilisés pour faire face à ces revendications ?
Si Les Verts, qui appartiennent au gouvernement de la majorité plurielle, n'ont été ni consultés, ni informés sur ces sujets, alors que peuvent imaginer les citoyens " dits " de base ?
Nous comprenons bien sûr que l'art de gouverner soit aussi celui de contourner les obstacles, mais il y a des moments où la limite devient floue entre la navigation à vue et la perte des points de repère.
Il ne faut donc pas s'étonner si le débat public part à l'avenant. il ne faut pas être surpris de la montée des thèmes sécuritaires, des discours grandiloquents sur l'autorité, la nation et l'ordre , dont le candidat citoyen fait ses choux gras.
C'est sur tout cela que surfe une droite qui reprend l'espoir.
Alors qu'elle nous ressert les mêmes têtes calamiteuses, alors qu'elle nous ressert les mêmes discours sur la réduction des tranches d'impôts ou les exonérations d'ISF, alors qu'elle revient sur ses propres votes comme à propos de la Corse ou de la loi sur la présomption d'innocence, elle tente de masquer ses propres fractures politiques et générationnelles en s'alignant sur les pires discours d'un MEDEF pourtant contesté dans des franges entières du patronat.
***
Je le dis avec d'autant plus de regret que je l'avais déjà dit à Lamoura : la majorité plurielle a pris et continue de prendre un retard qu'il lui sera de plus en plus difficile de combler.
Les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui dans la négociation avec nos partenaires socialistes, sont l'illustration de ce retard.
Nous discuterons demain de façon plus approfondie de notre négociation, dont le rapport d'étape du collège exécutif précise les avancées et malheureusement surtout les blocages qui sont nombreux.
Ce que nous constations en la matière, ce sont les mêmes tergiversations, les mêmes atermoiements, la même navigation à vue, que dans les autres domaines.
Ce n'est pas en essayant de ménager la chèvre et le chou, en tentant de jouer l'équilibre entre des options contradictoires, que le parti socialiste redonne du souffle à la majorité plurielle. C'est en écoutant les aspirations et les questions nouvelles, en se portant à la hauteur des demandes de la société, que nous mobiliserons nos électorats pour aller à la victoire.
· Le parti socialiste croit aujourd'hui que la relation entre élections présidentielles et élections législatives fonctionne exclusivement en faveur de la première : il se trompe. C'est aussi parce que les électeurs auront une perspective nette quant à la solidité et à la qualité de la coalition de l'après juin, qu'ils feront confiance au second tour de la présidentielle à un candidat de la majorité plurielle.
· Le parti socialiste croit peut-être qu'il peut attendre avril pour s'entendre avec les Verts et que les verts se contenteront d'un simple accord électoral : il se trompe, car notre première exigence porte sur le contenu, sur le niveau des réponses à apporter en terme de politiques publiques et de développement durable.
· Le parti socialiste croit peut-être que son programme suffira à convaincre et que la seule qualité de son candidat probable lui permettra, dans un sprint effréné, de couvrir l'espace et la diversité de toute la gauche : eh bien là encore il se trompe ; il sous-estime l'impact négatif de ses décisions récentes en matière de fiscalité
écologique de troisième aéroport de réouverture du tunnel du mont blanc. Il ne comprend pas qu'à lui seul, il représente la moitié de l'électorat de la majorité plurielle et que les reports de l'autre moitié ne lui sont acquis qu'à condition de réaliser avec les autres composantes, une vraie synthèse politique.
Hier les négociateurs socialistes ne pouvaient pas prendre de décisions parce que leur parti n'avait pas bouclé son propre programme et arbitré entre ses différentes composantes. Aujourd'hui et demain encore plus Les verts ne comprendraient pas que ce programme socialiste, quelle que soit sa qualité, soit l'horizon indépassable de la négociation, et que nos partenaires n'acceptent les compromis que nous leur proposons.
Les verts n'ont fait aucune surenchère : leurs propositions ne contiennent aucune menace ni pour l'emploi ni pour les finances publiques. Elles sont, par exemple en matière d'énergie, de transports, de services publics, d'agriculture, de préservation des espaces naturels, et de réductions des inégalités, parfaitement réalistes et inscrites dans la progressivité.
Parce qu'elles réduisent la place des gaspillages et des lobbies, elles sont de nature à rendre plus efficaces l'action publique. Elles permettent d'améliorer la vie de nos concitoyens au quotidien, de renforcer la démocratie à tous les niveaux et le dialogue civique, de redonner confiance à ceux qui se détournent de la politique. Enfin loin d'affaiblir tel ou tel partenaire de la majorité plurielle elles tiennent compte de nos différences et font jouer nos complémentarités.
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Nos militant(e)s ont votés la semaine dernière, lors de la partie décentralisée de notre AG extraordinaire. En l'absence de texte clair de négociation leur vote pourrait être interprété aussi en fonction des problèmes internes de la construction des verts.
Mais les observateurs auraient tort de ne juger ce vote qu'à partir de ce critère.
Ce que disent ces votes, et de façon lumineuse pour qui connaît notre mouvement, et j'ajoute de façon unanime, c'est à la fois que Les verts souhaitent un bon accord, qu'ils estiment ce bon accord indispensable pour la victoire, mais qu'ils ne repartiront pas dans les conditions d'à peu près, d'imprécision qu'on nous propose à l'heure actuelle.
Nous avons fait des pas importants dans la négociation. Il en reste à faire d'aussi significatifs.
Nous y sommes prêts, mais ne tardons pas.
(Source http://www.les-verts.org, le 24 décembre 2001)