Déclaration de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération, sur les missions de la francophonie et les attentes de la communauté francophone, à Paris le 4 novembre 1997.

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Circonstance : Dîner-débat du cercle Richelieu Senghor, à Paris le 4 novembre 1997

Texte intégral

Je suis heureux de pouvoir participer ce soir à ce dîner-débat
Je le fais en tant que secrétaire d'Etat à la Coopération, exerçant, par délégation du ministre des Affaires étrangères, les attributions du gouvernement en matière de Francophonie, étant entendu que la Francophonie appartient au domaine partagé, dans lequel le président de la République exerce des responsabilités importantes. C'est évidemment lui qui représente la Franc au Sommet. Et c'est son "représentant personnel", Denis Tillinac, qui représente la France au CPF (le Conseil permanent de la Francophonie, c'est-à-dire l'organe qui, entre deux Sommets, veille à l'application des décisions prises par le précédent et prépare le suivant).

Pourquoi le secrétariat d'Etat à la Coopération est-il en charge de la Francophonie ?
Je sais que d'aucuns se sont posé la question. Je citerai trois raisons : la liste des pays bénéficiaires de notre Coopération et celle des pays membres de la Francophonie se recoupent largement, l'Afrique demeurant au coeur de notre coopération comme de la Francophonie, sans que celles-ci s'y résument ; notre coopération bilatérale et la coopération francophone multilatérale sont très proches, et en tout cas complémentaires, par la nature des actions conduites ; enfin le secrétariat d'Etat à la Coopération est de très loin le plus gros contributeur français à la Francophonie des Sommets (et le plus gros contributeur, à égalité avec le Quai d'Orsay, si l'on tient compte du financement de TV5).
Je souhaite naturellement évoquer le Sommet de Hanoï, qui se tiendra dans une dizaine de jours.
Mais je voudrais tout d'abord prendre un peu de distance par rapport à cet événement, si important soit-il, et parler plus généralement de la Francophonie, de ce qu'elle signifie, de son importance pour notre pays, de son avenir.

Puisque j'exerce mes fonctions depuis cinq mois tout juste, laissez-moi vous dire en préalable quelques mots des impressions qui se sont imposées à moi au cours de cette période, somme toute brève, mais fort remplie.

J'ai d'abord dû constater hélas que la Francophonie ne passionne ni l'opinion publique, ni les médias, ni, convenons-en, la classe politique. Le constat n'est d'ailleurs pas dénué de paradoxe à une époque où sont si présentes la crainte de perdre son identité, la recherche des racines, pour les collectivités comme pour les individus. Un autre paradoxe, plus frappant encore, c'est que ce désintérêt est probablement plus marqué en France que dans les autres pays de notre communauté ! J'ai pu l'observer, depuis quatre mois que je sillonne les autres pays francophones et que j'entends les appels de tous les non-francophones qui veulent entrer dans notre communauté et qui nous demandent de les aider à introduire ou renforcer le français dans leur système d'enseignement. Il est vrai que, dans notre pays, la Francophonie n'est pas un enjeu de politique intérieure (même si la question des langues régionales n'est pas entièrement résolue), comme elle l'est chez beaucoup de nos partenaires. l n'est que de songer au Canada, à la Belgique ou encore à la Suisse. Je considère néanmoins que les enjeux liés à la Francophonie ne sont pas suffisamment perçus dans notre pays et, bien évidemment, je le regrette.

Je voudrais réfléchir avec vous aux raisons de cette situation paradoxale. L'une d'elles est sans doute que la notion est difficile à définir, à la fois dans sa compréhension et dans son extension.
Dans sa compréhension : qu'est-ce que la Francophonie ?
La langue en est évidemment un fondement, la dénomination exacte des sommets est d'ailleurs : "Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage".
Mais la Francophonie est aussi politique. C'est du reste essentiellement pour des raisons politiques que le Vietnam s'est porté candidat à l'organisation d'un sommet : il s'agissait pour lui de rompre son isolement sur la scène internationale (je rappelle que cette candidature a été évoquée dès 1991).
Et l'une des innovations du Sommet de Hanoï sera la création d'un poste de Secrétaire général de la Francophonie, qui aura notamment pour mission de permettre à la communauté francophone de mieux se faire entendre sur la scène internationale.
Pourtant, si nous espérons que le futur Secrétaire général donnera une nouvelle impulsion à la Francophonie politique, cette dimension n'a jamais été absente. Elle était naturellement en filigrane des débats des années soixante, quand plusieurs personnalités éminentes des anciennes colonies françaises ayant accédé à l'indépendance (Senghor, Hamani Diori, Bourguiba) tentaient de convaincre un général de Gaulle réticent de susciter un mouvement francophone. Ce sont des considérations politiques toujours qui, le général de Gaullconvaincu, ont retardé la mise en place d'institutions francophones, à l'époque des débats animés sur le Québec libre. C'est dans une très large mesure pour des raisons politiques que de nombreux pays demandent à participer aux Sommets et à devenir membres de l'ACCT, alors même que le français y est souvent davantage une réminiscence historique, qu'une réalité vigoureuse. Je pense aux pays d'Europe de l'Est.

Difficile à définir par son contenu et sa finalité culturelle ou politique, la Francophonie ne saurait non plus se définir par la géographie. On y trouve des pays du Nord : France, Belgique, Canada, ainsi que communauté française de Belgique et province du Québec et puis la Suisse, le Luxembourg, Monaco. On y trouve des pays du Sud, du tiers-monde, essentiellement africains, pas seulement francophones - au fil du temps, des lusophones et des hispanophones se sont joints à nous. D'autres sont candidats : le Mozambique, l'Angola. Des pays anglophones nous ont même discrètement sondés, le Nigeria par exemple L'Asie est représentée par le Vietnam, le Cambodge, le Laos. Les Caraïbes sont également présentes (Haïti). Enfin, depuis la chute du mur de Berlin, des pays de l'Est, de plus en plus nombreux, s'y sont intégrés (Roumanie, Bulgarie, Moldavie) ou sont candidats (Albanie, Pologne, Macédoine).
Force est de reconnaître que, dans certains cas, on est conduit à s'interroger : les pays candidats peuvent-ils véritablement être qualifiés de francophones
Cette diversité que je viens de mettre en évidence est, à mes yeux, une richesse de la Francophonie. Mais jusqu'où peut-on aller ?
Jusqu'à quel degré d'hétérogénéité, sans que les liens entre les participants soient trop ténus pour que le rassemblement ait encore un sens ?

Il y a donc bien un dilemme : qu'est-ce que la Francophonie ?
Une langue et une culture communes ? Un ensemble de valeurs communes ?
A mon sens, ces incertitudes n'expliquent pas le désintérêt dont j'ai fait de prime abord le constat.
D'ailleurs, d'autres notions fondamentales sont affectées de la même incertitude conceptuelle sans que leur validité soit pour autant mise en doute. J'ai cité la Nation : se définit-elle par un territoire et une population, ou une langue, ou par une communauté de valeurs ? Je pourrais évoquer l'Europe : où doit-elle s'arrêter ? Certainement pas à l'Oder-Neisse, mais peut-être à la frontière orientale de la Pologne ? Ou à celle de la Russie ? Vous connaissez l'expression célèbre "de l'Atlantique à l'Oural", mais la Russie chevauche l'Oural !
Or, cette indétermination n'empêche ni les nations, ni l'Europe d'exister, bien au contraire. Alors pourquoi attache-t-on autant d'importance à la difficulté que l'on éprouve à définir la Francophonie ?
Pourquoi la légitimité du concept est-elle davantage mise en question que celle d'autres concepts qui, comme je viens de le dire, sont, me semble-t-il, tout aussi difficiles à cerner ?
La première raison, c'est, me semble-t-il, que la notion est récente. Le mot même de "Francophonie" a été utilisée pour la première fois en 1888 par le géographe Elisée Reclus. Le concept est né beaucoup plus récemment encore, après la vague des indépendances du début des années soixante. Et il ne s'est incarné que récemment dans les institutions. En 1970 avec la création de l'ACCT (Agence de Coopération culturelle et technique). Et seulement en 1986 pour ce qui est des Sommets et de la Francophonie politique à proprement parler (l'ACCT demeurait dans une large mesure - comme son nom l'indiquait - un organe technique qui ne pouvait passionner le grand public).
En outre, les institutions de la Francophonie multilatérale souffrent d'un manque de visibilité, lui même conséquence de la complexité de l'édifice. J'y reviendrai dans un instant.

Cela étant, il y a aussi, je crois, des raisons spécifiquement françaises au scepticisme dont j'ai fait état en estimant qu'il a été particulièrement marqué en France.

C'est seulement depuis 1986 qu'un Département ministériel est plus spécifiquement en charge de la Francophonie. Encore ces dix années ont-elles été caractérisées par une grande instabilité des structures administratives. Ont été successivement en charge de la Francophonie : un secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre (Mme Michaux-Chevry), un ministre délégué auprès du Premier ministre (M. Decaux), un ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, en charge de la Francophonie et de l'Audiovisuel extérieur (Mme Tasca), puis un secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, avec des compétences élargies à l'ensemble de l'action culturelle (Mme Tasca encore), le ministre de la Culture (M. Toubon), un secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, en charge de la seule Francophonie (Mme Sudre), et enfin, depuis juin dernier, le secrétaire d'Etat à la Coopération. Cette absence de continuité ne facilite pas les choses.
Outre cette instabilité de la structure ministérielle, il convient de mentionner certaines attitudes que l'on prête dans notre pays aux promoteurs de la Francophonie. A tort ou à raison. Je crains que cela n'ait pas toujours été à tort.

La Francophonie s'est trop longtemps présentée sur un mode crispé, à la fois frileux et agressif. Elle a trop souvent tenté de se poser contre l'anglais en dressant des digues que le flot ne pouvait qu'emporter.
Pour nombre d'observateurs, elle est aussi synonyme de chapelle, d'émiettement en petits groupes dominés par telle ou telle personnalité qui n'est guère disposée à partager son maigre pouvoir.

Au plan international non plus, du reste, la Francophonie n'est pas exempte de ce défaut. Les petites guérillas larvées entre l'ACCT et l'AUPELF-UREF, voire entre le Canada et la France, n'ont certes pas servi la cause.
Je dirai enfin que, jusqu'à une période récente, la Francophonie est apparue aux yeux de nombreux observateurs comme l'expression d'un esprit, sinon néocolonial, à tout le moins paternaliste. C'est du reste l'une des explications essentielles au fait que, jusqu'à l'institution des Sommets par François Mitterrand, la préoccupation francophone est demeurée étrangère, voire, suspecte, à la gauche de ce pays.
Il va sans dire qu'il n'entre pas dans mes intentions de conforter ce type d'attitudes. Permettez-moi de reprendre ces différents points successivement.

L'anglais est désormais une sorte de lingua franca contemporaine. C'est ainsi et rien ne sert de prétendre lutter contre. Ce n'est d'ailleurs pas un problème en soi. La solution est évidemment dans le plurilinguisme. Je ne m'inquiète pas pour ma part de constater que l'anglais progresse dans les pays francophones, à condition que le français ne recule pas, dès lors surtout que le français progresse dans les pays anglophones. Or, c'est le cas en Afrique.

Il n'est nul besoin du reste que l'appartenance à la Francophonie soit exclusive. Sans doute savez-vous que le Cameroun, le Vanuatu, l'île Maurice, et bien entendu le Canada, sont également membres du Commonwealth.

Savez-vous que le Nigeria lui-même s'est enquis des conditions de participation aux Sommets francophones et a décidé d'accorder à notre langue une place beaucoup plus importante dans son système scolaire. En Afrique, de même que les pays francophones ressentent le besoin d'apprendre l'anglais, les pays anglophones ressentent le besoin d'apprendre le français. Pour la même raison : ils sont voisins. Cette situation offre du reste des possibilités de coopération très intéressantes. C'est ainsi que mon département ministériel va participer au financement d'un enseignement du français assuré au Nigeria par des professeurs béninois.
A propos des rapports franco-canadiens, avec ma collègue canadienne, nous sommes déjà convenus de renforcer notre coopération bilatérale au sein de la Francophonie, en développant conjointement des actions sur le terrain.
S'agissant de l'ACCT, je souhaite dire que j'en comprends la spécificité : le Traité qui a créé l'ACCT est, c'est vrai, le seul instrument juridique de la Francophonie ayant valeur d'accord international, et nous comprenons ce que cela signifie notamment pour le Québec et la communauté française de Belgique, et par voie de conséquence pour le Canada et la Belgique. Nous savons aussi que, pour les pays africains, principaux bénéficiaires - à juste titre - de nos programmes de coopération, l'ACCT a été la seule incarnation institutionnelle de la Francophonie jusqu'à la mise en place des Sommets en 1986, et qu'elle demeure depuis lors la principale.
J'en suis conscient : les principes que je viens d'énoncer sont désormais largement partagés. Mais comme je l'ai dit, cela ne se sait pas suffisamment. Il reste dont à le faire savoir, et peut-être quand même à mieux faire vivre ces principes. Je m'y attacherai pour ma part.

Il reste également à expliquer ce que la Francophonie représente pour notre pays.
Elle regroupe, vous le savez, les Etats et communautés qui participent aux sommets et à l'ACCT (expression choisie pour comprendre le Québec et la communauté française de Belgique, qui ne sont pas des Etats indépendants, mais qui sont parties à l'accord international qui a créé l'ACCT au même titre que les Etats). Ces membres, comme je l'ai dit, sont répartis sur tous les continents. Ils sont 49, ce qui représente un poids réel, le quart des pays du monde.
Tout d'abord pour défendre la langue qui leur est commune. Quelle serait la place du français dans les organisations internationales sans l'aide de nos partenaires ?
Pour faire vivre aussi, plus profondément, une certaine conception de la culture. La solidarité de la communauté francophone a joué lorsqu'il a fallu défendre au GATT la notion d'exception culturelle.
Cette communauté francophone dispose en outre d'un réel poids politique. Une culture commune, c'est aussi un système de valeurs, qui peut et doit trouver sa traduction dans tous les domaines de la vie sociale. Certes, cette communauté est bien hétérogène, en termes d'appartenance géographique, de niveau de vie, de systèmes socio-politiques. Et pourtant, ces 49 partenaires ont en commun le souci de préserver leur identité. On parle beaucoup de mondialisation, de risque d'uniformisation du monde. C'est une tarte à la crème. Mais c'est aussi une réalité. La Francophonie est un vecteur privilégié pour éviter de tels risques, pour les tempérer ou les maîtriser.
Elle n'est pas la seule communauté linguistique qui cherche à s'organiser. Vous savez que, ces dernières années, les hispanophones et les lusophones ont également commencé. Je pense que nous gagnerions à nouer des contacts avec ces deux communauté proches de nous.
J'ajouterai enfin que, pour la France, la Francophonie multilatérale peut être l'un des moyens de rénover sa politique africaine. La Francophonie ne se résume certes pas à l'Afrique, je l'ai dit. Mais l'Afrique en demeure une part essentielle. Si la Francophonie peut être un instrument de rénovation de notre politique africaine, c'est pour plusieurs raisons : elle permet de sortir d'un dialogue singulier entre anciens colonisateurs et anciens colonisés, les décisions sont élaborées et prises collectivement, qu'il s'agisse des prises de position politiques ou des programmes de coopération.

La Francophonie, enfin, peut être un espace de dialogue avec des pays avec lesquels nos relations bilatérales traversent, pour des raisons qui peuvent être diverses, une phase délicate. Je pense par exemple au Rwanda, pays dans lequel, d'ailleurs, nous poursuivons des actions de coopération sur le terrain dont l'ampleur demeure significative, mais s'est cependant rétractée. Eh bien, les opérateurs de la Francophonie sont présents au Rwanda et contribuent à maintenir la primauté de notre langue.
Dans ces conditions, vous le voyez, la Francophonie peut représenter pour l'ensemble de ses membres un bénéfice partagé. Les pays du tiers-monde (nombreux dans notre communauté) ont tout autant intérêt que nous à préserver notre langue commune, et à éviter que mondialisation rime avec élimination des différences ou domination culturelle.
Pour les partenaires du tiers-monde, la Francophonie ouvre d'autres perspectives encore. J'en citerai trois.

Dans certains d'entre eux, le français est la langue commune, c'est-à-dire un lien, un facteur d'unité là où existe une mosaïque linguistique qui est souvent aussi ethnique.
Le français peut aussi être une voie d'accès à la modernité. Cela suppose également que la Francophonie oriente résolument ses programmes de coopération en fonction des exigences de cette modernité. Elle doit s'attacher aux nouveaux réseaux, ce qu'on appelle les inforoutes, à la recherche scientifique, aux technologies nouvelles en général. J'y reviendrai à propos du Sommet de Hanoï.
Enfin, la Francophonie multilatérale est un lieu d'échanges qui peut faciliter, en Afrique notamment, la mise en place de politiques régionales (répartition des filières universitaires entre les petits Etats d'Afrique de l'Ouest par exemple), et même l'intégration régionale.
J'ajouterai un dernier élément : pour les pays du Nord comme pour les pays du Sud, la Francophonie représente un forum essentiel pour réfléchir ensemble aux moyens d'éviter une mondialisation mal comprise, qui serait synonyme d'uniformisation et d'alignement culturel. C'est une tarte à la crème, certes, mais c'est aussi une réalité. En contribuant à sauvegarder du GATT la notion d'exception culturelle, la Francophonie a déjà montré qu'elle était en mesure de faire prendre en compte ses préoccupations.

Tels sont les principes que la France essaie de promouvoir, dans les sommets francophones comme à l'ACCT. Et je dois dire que, peu à peu, c'est bien en ces directions que progresse la Francophonie. Les priorités retenues pour le Sommet de Hanoï en témoignent
Je n'ignore pas que, dans la perspective de ce Sommet, ce qui passionne, ce sont moins les programmes de coopération qu'il s'apprête à arrêter que la question de savoir si M. Boutros-Ghali sera désigné comme secrétaire général de la Francophonie.
Vous connaissez les raisons qui ont conduit le président de la République à suggérer la candidature de M. Boutros-Ghali. Il s'agissait de situer d'emblée la fonction au plus haut niveau, en proposant une personnalité de grande envergure, disposant d'une riche expérience internationale et connue pour son indépendance d'esprit.
Je sais que ces considérations n'ont pas immédiatement emporté la conviction de nombre de nos amis du Sud, notamment l'Afrique subsaharienne, et je comprends tout à fait les préoccupations de ces pays.
Mais j'aimerais, si vous le voulez bien, prendre un peu de recul pour expliquer brièvement quel est le sens de la fameuse réforme institutionnelle de la Francophonie. Car la création d'un poste de Secrétaire général est l'élément
essentiel d'une réforme institutionnelle plus globale. L'objectif est de restaurer la cohérence d'un édifice institutionnel qui comporte actuellement ce qu'on appelle deux "filières", souvent concurrentes, parfois antagonistes : d'une part l'ACCT, créée en 1970, qui est l'agence de coopération de la Francophonie, mais qui est plus qu'une agence technique - car l'ACCT est la seule institution francophone créée par un traité de droit international -. En ce sens, elle est aussi une instance politique, notamment dans la mesure où le Québec et la communauté française de Belgique en sont membres à part entière, au même titre que les autres. A l'agence, le Québec et la CFB pèsent autant que la France, ou le Canada et la Belgique ; d'autre part, les sommets, dont le premier a eu lieu en 1986, et les instances qu'ils ont en quelque sorte sécrétées : le CPF (Conseil permanent de la Francophonie), chargé de veiller à l'exécution des décisions du sommet précédent et de préparer le suivant, et ses divers commissions.
J'ajoute que, progressivement, ont été reconnus par le Sommet des "opérateurs", comme l'on dit (c'est-à-dire des organismes chargés de mettre en oeuvre des programmes de coopération), extérieurs à l'ACCT : l'AUPELF-UREF (spécialisée dans le domaine universitaire), l'université Senghor d'Alexandrie, l'AIMF (coopération entre grandes villes), et aussi TV5 Afrique.
De cette évolution résulte un système institutionnel complexe, dont les différents rouages ne coopèrent pas toujours harmonieusement. D'autant qu'aux institutions que j'ai déjà citées il conviendrait d'ajouter les conférences ministérielles spécialisées (CONFEJES - ministres de la Jeunesse, CONFEMEN - ministres de l'Education, CONFEMER, ministres de la Recherche, et aussi les réunions des ministres de la Justice, et bientôt l'Economie).
Le Secrétaire général sera chargé d'assurer la cohérence du tout, de veiller à l'harmonisation des programmes et à la rationalisation des choix budgétaires.
En outre, il serait la voix de la communauté francophone sur la scène internationale, et nous en attendons une impulsion nouvelle pour la Francophonie politique. Le concept, il est vrai, ne va pas de soi et j'ai, pour ma part, beaucoup de compréhension pour ceux qui s'interrogent sur l'action que pourra mener le Secrétaire général. Deux points, je pense, peuvent faire consensus : il devra être le porte-parole de notre communauté, et non pas un électron libre ; la Francophonie politique ne devra pas faire double emploi avec les grandes organisations internationales existantes, tout spécialement avec le système onusien, et moins encore se poser en concurrente.
Cela ne réduira pas pour autant à néant la marge de manoeuvre du Secrétaire général. Il lui appartiendra de représenter la Francophonie dans certaines grandes négociations internationales, ou du reste elle est déjà présente parfois, mais trop peu souvent et avec une visibilité insuffisante : négociations sur l'environnement, la propriété littéraire, au sein d'organisations spécialisées, etc. Quant à l'expression proprement politique de la Francophonie, il s'agira, là aussi, de donner davantage d'ampleur et de visibilité à des types d'action qui, déjà, ne sont pas étrangers à la Francophonie : observation d'élections, programmes d'appui au développement de
l'Etat de droit.

Telle est donc la signification de cette réforme institutionnelle dont on ne retient trop souvent que les détails techniques ou les questions personnelles Nous espérons que le Sommet de Hanoï mettra fin aux querelles institutionnelles, afin que notre communauté puisse, enfin, consacrer ses efforts à développer la coopération entre ses membres.

A cette fin, plusieurs priorités ont été définies Tout d'abord, la formation, en général, de l'éducation de base à l'université (la formation doit être un continuum, il est vain de vouloir, comme on l'a trop souvent fait, privilégier l'un des bouts de la chaîne). Et, bien entendu, la formation du et en français.
La deuxième priorité concerne la place du français dans les organisations internationales. Un plan d'action a été adopté. Il comporte des actions comme : des aides à la formation linguistique des fonctionnaires des nouveaux pays membres, la mise à disposition d'experts nationaux francophones, etc
Ces deux premières priorités sont, dans une large mesure, la réaffirmation des priorités déjà retenues par les Sommets précédents, et qui demeurent au centre de l'intérêt de la communauté francophone.
J'insisterai peut-être davantage sur les trois dernières qui sont plus nouvelles.
La première est la mise au service de la Francophonie des technologies de la modernité : industries de la langue, inforoutes. Il ne s'agit pas de créer des réseaux (ils existent déjà), mais des contenus. Et de former les francophones à leur utilisation. Avec deux objectifs : mettre en commun les efforts de la communauté francophone pour ne pas abandonner les réseaux nouveaux à la langue anglais et aux industries anglo-saxonnes ; et permettre aux pays francophones du Sud d'accéder à ces réseaux, puis d'y apporter leurs propres contenus. Nous sommes, ici, vous le comprendrez, au carrefour de l'économique et du culturel, au cur du champ dans lequel, me semble-t-il, la Francophonie peut et doit affirmer sa spécificité.
Nos amis vietnamiens ont souhaité que l'économie soit un thème majeur du Sommet. Nous les approuvons pleinement. Il ne faut certes pas se méprendre sur la signification de cette priorité. Il n'y aura jamais d'espace économique francophone, au sens où s'est constitué un espace économique européen, avec un marché unique. Il ne s'agit pas non plus de créer un espace économique forteresse, nous vivons en économie de marché.
C'est du reste pourquoi nous avons demandé que l'expression "espace de coopération économique francophone" se substitue désormais, dans les documents de la Francophonie, à celle "d'espace économique francophone" jusqu'à lors utilisée.
Il s'agit de multiplier les occasions de contacts entre entreprises des pays francophones, de susciter là où cela est possible des coopérations par le biais d'incitations (inforoutes), de susciter des échanges de stagiaires et de cadre, de proposer des formations, de faciliter les intégrations régionales (par des conseils) sur l'harmonisation des législations, de se concerter avant les grandes négociations internationales (OMC, GATT, etc.) et de réfléchir à des stratégies alternatives, quand le FMI ou la Banque mondiale ne tiennent pas assez compte des spécificités, notamment sociales et sociologiques, du tiers-monde.

La dernière priorité, enfin, c'est la construction de l'Etat de droit, le soutien à la démocratie. Je n'insiste pas sur l'importance de ce secteur. Je n'insiste pas non plus sur les programmes de coopération mis en place par la Francophonie dans ce domaine. Il s'agit de leur donner une plus grande ampleur. La Francophonie peut, d'ailleurs, jouer aussi un rôle utile ne constituant un forum de réflexion sur des questions comme le rapport entre développement et démocratie. Une telle approche, constructive, me paraîtrait particulièrement utile.
Pour aider à la mise en oeuvre de ces programmes, la France a décidé d'accroître ses contributions à la Francophonie multilatérale de 42 MF, soit une augmentation de 17 %.
Pour terminer l'exposé des enjeux du Sommet de Hanoï, laissez-moi vous dire que, s'il revêt une importance particulière, c'est enfin parce que, comme vous le savez, ce sera le premier Sommet en Asie, c'est-à-dire dans une région qui présente deux caractéristiques : elle est appelée à jouer un rôle croissant et majeur dans le monde de demain ; la France (et la Francophonie) y sont trop peu présentes. Or, c'est une région où la France a été très influente et conserve des liens historiques et un capital de sympathie, et où le français a largement régressé, mais dispose encore d'atouts.
Quant au Vietnam, c'est un pays au potentiel très important (75 millions d'habitants, une riche histoire, des élites bien formées). Un pays aussi avec lequel nous avons, nous, Français, des liens particuliers.
Ce Sommet doit être l'occasion de mobiliser, dans les trois pays de l'ex-Indochine, ceux qui s'efforcent de maintenir une place pour la langue française et de l'élargir, ainsi que de créer un contexte plus favorable à leurs efforts. Il est temps, nous savons bien que ce sont surtout les générations plus anciennes qui parlent encore notre langue.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 2001)