Déclaration de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat chargé de la coopération et de la francophonie, sur la position du gouvernement quant aux propositions communautaires de renouvellement des accords de Lomé, à Bruxelles le 28 novembre 1997.

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Circonstance : Réunion du Conseil du développement à Bruxelles le 28 novembre 1997

Texte intégral

M. CHARLES JOSSELIN
Je souhaiterais répondre aux questions posées par la présidence Avant cela, je souhaiterais remercier la Commission pour son intéressant document d'orientations, qui fait suite au "livre vert" dont la qualité a été reconnue par tous. Je me réjouis que la renégociation de la Convention de Lomé nous fournisse en effet l'occasion d'une évaluation et d'une mise en perspective de nos relations avec les pays ACP et de la coopération technique et financière de l'Union. A mon sens, les discussions sur l'avenir de la Convention de Lomé constituent une étape importante de la réflexion commune européenne sur les politiques de développement. L'Union doit y voir
l'opportunité de conceptualiser dans un document unique de nombreuses
initiatives ou idées sur ses relations avec les pays du Sud.

De façon générale, le document d'orientations de la Commission devrait refléter notre souci d'une plus grande lisibilité et cohérence de l'aide européenne, ce qui passe par des architectures et l'utilisation de mécanismes les plus simples possibles. L'expérience de la Commission dans sa coopération avec d'autres régions ou encore le recours à des instruments de l'Union déjà existants ou en cours d'élaboration devraient être privilégiés.

Sur le dialogue politique :
La France est résolument favorable au renforcement du dialogue politique entre l'Union européenne et les ACP et souligne que la plus grande importance devrait être donnée dans la future Convention à la bonne gestion des affaires publiques (aspects politiques, économiques, corruption). Il faudrait toutefois s'efforcer de définir des critères d'appréciation aussi transparents que possible pour éviter tout risque d'arbitraire ou d'incertitude lors de leur mise en uvre.

Le renforcement de la conditionnalité politique exige également que l'aide européenne soit davantage orientée dans les secteurs concernés par le volet politique (assistance aux administrations locales mise en place des institutions nécessaires) et recours aux opérateurs les mieux adaptés à ces préoccupations qui relèvent de la société civile, ONG, syndicats, organismes de formation.

En d'autres termes, un volet politique étendu requiert de la part des donateurs une action en amont mieux ciblée sur les blocages et les insuffisances institutionnelles dans les pays bénéficiaires. La conditionnalité politique ne saurait donc être simplement réactive ; elle doit conduire au contraire à des actions préventives et pédagogiques.

La France souhaite qu'un accord cadre traite des modalités de ce dialogue politique entre l'Union européenne et les ACP. Cet accord cadre devrait aussi prévoir les mécanismes de suspension de l'aide européenne, dans l'esprit de la révision opérée en 1995 qui reste d'ailleurs encore à mettre en uvre. Il accorderait aussi une attention particulière à la prévention des conflits, dans le respect bien entendu des compétences des autres enceintes concernées. Afin de ne pas multiplier les lieux de discussion, le dialogue politique UE/ACP pourrait bénéficier des nouveaux instruments de la PESC, tels que les stratégies communes ou les envoyés spéciaux. L'accord cadre ferait enfin une place aux domaines liés à la justice et aux affaires intérieures (criminalité, drogue, immigration) comme l'indique la Commission.

Je voudrais plus particulièrement insister sur le sujet de l'immigration. Les questions d'immigration sont devenues un enjeu majeur dans les relations entre les pays de l'Union européenne les pays du Sud ceux de l'Europe de l'Est et de l'Europe méditerranéenne. Elles reflètent incontestablement le fossé existant entre des niveaux économiques et de développement très différents. Ces questions ne peuvent plus aujourd'hui être dissociées des politiques de développement, d'emplois et de formation dans les pays d'émigration II semble que la réponse qu'il conviendrait d'apporter à ce défi est avant tout une réponse collective communautaire. Il s'agit de marquer notre solidarité avec des populations qui au cours de ces dernières décennies ont très largement contribué à participer au développement de nos pays respectifs ; ce serait un juste retour des choses et un signe fort de notre solidarité commune, que de contribuer aujourd'hui au retour et à la réinstallation dans leur pays d'origine, d'immigrés disposant d'un savoir-faire.

C'est dans cet esprit que je propose que nous puissions engager ensemble une réflexion conduisant à définir et à mettre en uvre une politique d'aide à la formation et à la réinsertion des migrants dans leur pays d'origine. Le principe d'une telle réflexion pourrait être intégré dans le cadre de la nouvelle Convention de Lomé ou le cas échéant dans le cadre de Conventions définissant les bases d'un développement contractuel (qualifié par certain de codéveloppement). Les pays qui s'engageraient à mieux contrôler leurs flux migratoires par l'affichage d'une réelle volonté de développement pourraient constituer des pays-pilotes avec lesquels ce processus commencerait à être discuté.

Sur le partenariat économique :
Le document d'orientations de la Commission propose la création de divers types d'accord (global, coopération économique, partenariat économique). Cette construction pourrait alourdir le volet commercial des futurs accords et multiplier les négociations à tous les niveaux. Les futurs accords devraient refléter avant tout un certain nombre de préoccupations :

a) l'encouragement à la mise en place d'entités économiques sous-régionales,
b) la mise en conformité progressive avec les contraintes de l'OMC, et c) la prise en compte des dispositions de la Politique agricole commune.
A cet égard, notre objectif est bien d'aider les pays ACP à s'insérer dans l'économie mondiale. La France serait favorable à la mise en place d'un accord global qui comporterait des mesures communes à tous les ACP (préférences tarifaires, protocoles, règles d'origine) coopération en matière de normes techniques, sanitaires et de sécurité de respect des droits sociaux fondamentaux, de protection de l'investissement et de la propriété intellectuelle, et de la politique de la concurrence. Cet accord pourrait inclure des mesures financières pour compenser les baisses de recettes douanières, en particulier si ces pays s'engagent vers la création de zones d'union douanière. Il pourrait aussi encourager la formation des administrations à uvrer dans un nouveau cadre commercial.

L'accord global serait complété par des accords sous-régionaux entre l'Union et des ensembles régionaux qui viserait à favoriser la libéralisation des échanges entre les blocs. Mais la libéralisation des échanges n'est pas sans coût économique et social. Les accords sous-régionaux pourraient donc comporter des mesures d'accompagnement tendant à tenir compte de l'impact économique et social de la mise en place de ces zones en particulier sur les finances publiques et les secteurs abrités des Etats. L'association des DOM et des TOM à ces processus d'intégration régionale et à d'éventuels accords commerciaux spécifiques devra également être recherchée.

Enfin, nous considérons que la conclusion d'accords avec des sous-ensembles ACP prendra le temps nécessaire aux progrès de leurs propres tentatives d'intégration régionale. L'Union doit donc se fixer des ambitions réalistes. Il est néanmoins important d'inciter les Etats ACP à ne pas ménager leurs efforts vers des rapprochements régionaux. Il s'agira de rappeler notamment les contraintes européennes vis-à-vis à de l'OMC, en particulier la nécessité d'harmoniser les préférences entre pays en développement hors PMA.

Nous souhaitons que l'Union puisse faire valoir ce point de vue dans le cadre de l'OMC. Il nous faut montrer que nous respectons l'esprit des engagements de l'Union vis-à-vis de l'OMC puisque nous encourageons les pays ACP à mieux s'insérer dans le commerce mondial. Mais cela suppose des conditions préalables et certainement une phase transitoire indispensable pour laisser le temps aux pays ACP de se préparer. Nous souhaitons à cet égard qu'une concertation entre l'OMC et la Commission puisse se tenir sur la base de propositions concrètes dans les meilleurs délais.

Sur la pratique de la Coopération :
Les orientations de la Commission appellent les remarques suivantes :
- la France est attachée au principe d'un instrument permettant de compenser à court terme l'effet sur la balance des paiements des pertes sur les recettes à l'exportation. L'appui aux filières d'exportation et à la mise en valeur des ressources minières dans le seul cadre des enveloppes programmables, comme cela est proposé par la Commission, n'est donc pas suffisan - en matière d'investissement, les lignes de crédit mises à disposition du secteur privé ne devront pas concurrencer les systèmes financiers locaux. Dans ce contexte, la BEI devrait jouer un rôle que la Commission et les Etats membres devront préciser. Les interventions de l'Union devront privilégier la mise en place d'un environnement favorable à la promotion du secteur privé ; - l'évolution des interventions de l'Union européenne vers les aides budgétaires directes doit être liée à une amélioration substantielle de la gestion économique et à la consolidation des finances publiques des pays bénéficiaires ;

- enfin, en ce qui concerne les outils, la France souhaite qu'une réflexion soit poursuivie sur la création d'une structure pour mettre en oeuvre d'aide communautaire. Elle souhaite que la Commission se recentre principalement sur des missions de conception, d'état major et de tutelle. C'est je crois aussi une idée que l'on retrouve dans le rapport rédigé par M. Martens. Nous nous interrogeons dans ce cadre sur l'état des réflexions de la Commission qui avait fait part il y a quelques semaines, de son souhait de lancer une initiative dans ce domaine. Un point d'information à ce titre serait utile.

Au bout du compte, c'est bien la problématique de nos choix en Europe qui marquera l'entrée dans le prochain siècle des relations avec le monde en développement. J'encourage la Commission à faire preuve de vision et d'imagination, ce qu'elle a su démontrer dans ses premiers travaux.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 décembre 2001)