Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'introduction de l'euro et l'avenir de la construction européenne, Paris le 17 janvier 2002.

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Circonstance : Voeux à la presse de M. Moscovici, Paris le 17 janvier 2002

Texte intégral

C'est pour moi un grand plaisir que de vous rencontrer aujourd'hui pour vous présenter mes vux, en une occasion que je n'ose qualifier de cérémonie tant elle est devenue conviviale. Voilà en effet la cinquième fois que nous nous retrouvons. Et cette heureuse tradition touche à sa fin, comme celle de la législature.
J'ai effectivement bénéficié à ce poste d'une longévité exceptionnelle. Cela a été une formidable chance, tant les affaires européennes obéissent à un rythme long, qui se mesure en années. A l'heure des comptes, cette durée est impitoyable. Elle permet d'apprécier, dans ce domaine comme dans d'autres, la force d'une conviction, la cohérence dans l'action. Les fins analystes politiques que vous êtes le savent bien. Elle permet aussi, avec responsabilité et lucidité, de prendre du recul sur le travail accompli et d'ouvrir des perspectives.
Mais, n'ayez crainte, je ne compte pas vous imposer des vux sur un mode binaire, en parlant d'abord du bilan puis du projet, pour être dans l'air du temps, au demeurant stimulant. Je me permets de vous renvoyer à d'excellents ouvrages parus récemment sur le sujet.
Non, ce matin, je préfère vous faire partager, très librement, les réflexions que m'inspire le moment exceptionnel que nous vivons, dominé à la fois par l'introduction de l'euro, le processus de refondation de l'Europe engagé à Nice et approfondi à Laeken, sans oublier, évidemment, les prochaines élections.
1) J'évoquerai en premier l'introduction de l'euro. Le résultat est éclatant. C'est d'abord une réussite technique, grâce à la mobilisation de tous. L'ambiance actuelle me semble assez unique : voir sur nos marchés nos concitoyens s'y lancer de plain pied, dans la bonne humeur, et s'entraider. Et penser que nos voisins et amis, à Berlin, Athènes ou Rome s'engagent simultanément, avec le même engouement, dans la même appropriation collective de notre monnaie unique. N'y a-t-il pas de plus vivante illustration de ce lien social que constitue, chez nous et dans l'espace européen, la monnaie ?
Pour ma part, je n'ai jamais abordé cette échéance avec crainte, faisant confiance à la capacité d'adaptation de nos concitoyens.
Mais c'est aussi une réussite politique, teintée, pour une fois, d'émotion, celle du sentiment de vivre un événement historique. Cette irruption de l'Europe concrète, tangible, aura, j'en suis certain, des effets profonds sur les opinions. Attendons aussi les prochaines vacances d'été, qui verront sans doute les grands voyageurs que sont nos amis britanniques, danois et suédois évoluer encore plus positivement.
Je ne vous cache pas que ce résultat met du baume au cur du Ministre chargé des Affaires européennes que je suis. L'année dernière, au même moment, nous étions, - vous vous en souvenez - dans une ambiance radicalement différente. Nous avions un peu la gueule de bois. Pas celle des lendemains de fêtes, mais celle du réveil après de longues et pénibles nuits de négociations à Nice.
Je ne reviendrai pas sur le passé et le traité de Nice, dont j'ai parlé à de multiples reprises, sans complaisance et sans masochisme. Il était nécessaire, il le reste pour réussir l'élargissement. Mais il nous a aussi montré la voie du renouveau des méthodes de travail et de l'ambition européenne.
Aujourd'hui, l'euro a évidemment un impact considérable sur la perception de l'Europe. Mais il faut aussi souligner que cette avancée est intervenue dans un contexte dramatique, nous rappelant que l'histoire est tragique, mais aussi porteur et encourageant. Je pense d'abord aux dramatiques événements du 11 septembre à New York et à Washington et à la réaction, solidaire et déterminée, de l'Union européenne, mais aussi à son rôle de plus en plus actif sur la scène internationale, notamment à Doha, à Durban, dans les Balkans, mais aussi au Proche-Orient où l'impasse actuelle est profondément affligeante.
En définitive, nos concitoyens ont bien conscience de vivre un moment charnière dans l'aventure européenne : la fin d'une séquence avec l'euro, aboutissement d'années d'efforts, avec les réformes institutionnelles conclues à Nice ; et une nouvelle page à écrire avec la perspective du grand élargissement, celle de l'Europe réunifiée, refondée autour d'une ambition commune, d'une Europe puissance dans la mondialisation.
J'en veux pour preuve le grand débat national sur l'avenir de l'Europe que nous venons de vivre. Le président de la République et le Premier ministre m'en avaient confié l'organisation et l'animation. Je garde un souvenir très fort des multiples contacts noués à l'occasion des forums régionaux. Cet exercice fut un succès, sans équivalent dans l'Union. Le rapport de synthèse, réalisé par le groupe des personnalités indépendantes, est une photographie, vivante, chaleureuse et fidèle des attentes de nos concitoyens, de leurs espoirs et leurs craintes, face à l'Europe. Ils ont une vraie envie d'Europe, mais d'une Europe dans laquelle ils puissent se retrouver, c'est-à-dire avec des pouvoirs incarnés et des politiques répondant à leurs préoccupations concrètes.
2) A cette étape, en toute logique, les interrogations se multiplient : Quelle Europe, après l'euro ?
J'observe que nous nous retrouvons dans une situation de choix qu'a déjà connue l'Europe, mais avec une intensité sans précédent. En effet, il y a toujours eu la recherche d'une progression parallèle de l'Europe économique et de l'Europe politique, du plan Werner à Amsterdam, en passant par l'étape décisive de Maastricht. Mais aujourd'hui, l'Union ne doit pas être submergée par deux lames de fond, c'est-à-dire le grand élargissement et la mondialisation. S'y ajoutent aussi les exigences, forts légitimes, de nos peuples qui veulent que cette Europe, désormais si présente au quotidien à travers l'euro, soit plus démocratique et efficace, leur offre des repères pour stabiliser le monde.
C'est pourquoi, je ne pense pas qu'il faille répondre à cette question de "l'après-euro" d'une manière classique, en distinguant l'union économique et l'union politique, combinées selon une dialectique d'intégration, en quelque sorte croisée, pour faire avancer l'Europe.
Dans le contexte actuel, la question est bien plus, me semble-t-il, de préciser ce que nous voulons faire ensemble de notre Europe. Elle est bien plus existentielle, et sans doute plus dérangeante car l'épreuve de vérité à laquelle elle nous renvoie ne peut plus être différée.
Tel est bien l'objet du processus lancé au Conseil européen de Laeken, avec la mise en place d'une Convention. Nous sommes dans un exercice inédit, extrêmement exigeant compte tenu du niveau des attentes. La déclaration de Laeken a le double mérite d'être à la fois ambitieuse et propice au débat, comme l'illustre la mention, à mes yeux très satisfaisante, de la perspective d'une Constitution. Les autorités françaises attachent une haute importance à ses travaux et entendent pleinement jouer le jeu de l'ouverture sur la société civile. Car, à l'horizon, en 2004, il s'agira de décider des réformes cohérentes avec le projet de l'Europe élargie.
Nous sommes donc engagés dans une période stratégique, dans un climat favorable, même si nous ne devons pas céder à l'euphorie, excès inverse de la morosité de l'année dernière.
Loin de moi l'idée d'être rabat joie. Mais tous les connaisseurs de la construction européenne savent qu'il n'y a pas d'enchaînement automatique vers un grand saut fédérateur, ni même plus d'intégration. Ces progrès ne se décrètent pas, ils se conquièrent. L'Europe est ainsi faite. Elle repose sur une approche patiente et le fait national est profondément enraciné. Il ne faut pas le regretter mais prendre en compte ces réalités. En définitive, c'est la volonté politique qui continuera à primer, et c'est bien ainsi.
3) J'en viens ainsi à évoquer, pour terminer, les prochaines échéances politiques que nous avons tous en tête.
Je tiens tout d'abord à m'inscrire en faux contre un certain discours selon lequel les questions européennes seraient, durant cette période, mises entre parenthèses ou devraient être reléguées au second plan pour faire la place à d'autres enjeux.
Pour moi, c'est précisément l'attitude contraire qu'il convient d'adopter. Ma conviction profonde - et je crois qu'elle est juste -, est que l'avenir de notre pays s'inscrit totalement dans un horizon européen. J'irai même plus loin. Il me semble possible de passer tous les enjeux nationaux au crible de l'Europe. C'est un formidable révélateur des questions majeures auxquelles notre pays est confronté, de ce que nous sommes ou voulons être, de notre vision du monde, autant de questions auxquelles les candidates et les candidats au suffrage des Français devront apporter des réponses.
Je prendrai quelques exemples dans les dimensions qui intéressent le plus les Français :
- il y a d'abord la dimension économique : Dans tous nos grands choix de politique économique, dont l'objectif doit être la croissance, le retour au plein emploi, la recherche d'une cohésion sociale renforcée, l'Union européenne est à la fois un formidable levier et une discipline collective. Pour résumer ma pensée, je dirai que si l'union monétaire est faite, beaucoup de progrès restent à réaliser en matière d'union économique. Je pense tout particulièrement à la mise sur pied d'un véritable gouvernement économique, à partir de l'euro 12, au renforcement de la coordination des politiques économiques, à la reconnaissance des services publics. J'espère que la comparaison des performances et des prix dans laquelle les média se sont avec bonheur lancés depuis l'introduction de l'euro contribuera à accélérer ces évolutions. L'avènement de la monnaie unique est aussi un élément clef pour faire avancer nos thèses sur la gouvernance économique mondiale, autour de l'idée d'une mondialisation régulée.
- je pense aussi à la dimension concrète, celle du quotidien de nos concitoyens : vivre en toute sécurité, consommer des produits de qualité, se déplacer librement, protéger l'environnement, améliorer sa formation, autant de domaines où la valeur ajoutée de l'Europe est essentielle ;
- enfin, je mentionnerai aussi la dimension des valeurs, avec ces grandes questions, auxquelles nous Français, nous sommes légitimement attachés : notre identité, l'exercice de la souveraineté nationale, le fonctionnement de la démocratie, notre place dans le monde.
Dans toutes ces dimensions, le futur président, membre du Conseil européen, aura un rôle décisif à jouer. C'est bien ainsi qu'il lui reviendra fondamentalement d'intégrer son projet pour la France dans une vision de l'Europe et du monde, inspirée par les mêmes valeurs, tendue vers les mêmes objectifs. Projet, vision : c'est à ce niveau d'exigence que doit se situer la campagne électorale, c'est à cette aune que sera élu le prochain président. J'ai la conviction que certains des acteurs de cette confrontation démocratique sont, bien plus que "probablement", mieux à même que d'autres de s'élever à cette hauteur. A l'heure où les analystes politiques que vous êtes se muent en probabilistes, vous avez bien compris que notre future politique européenne ne saurait être une expérience aléatoire, - faite de coups de mentons, alimentée par des illusions ou jouant sur l'inquiétude - , tant elle imprègne tous nos grands choix.
Pour toutes ces raisons, je pense que l'Europe doit avoir dans notre combat politique le rôle qu'elle mérite, avec un vrai débat permettant de dépasser les slogans de campagne, de démasquer les étiquettes trompeuses, de balayer les propos de circonstance, et de privilégier, enfin, un projet européen de substance : faire la France en faisant l'Europe, une formule que je propose volontiers, sans droit d'auteur, à qui voudra l'assumer.
En définitive, nous vivons, je le répète, une séquence exceptionnelle et finalement courte, tant les défis sont lourds. J'ai le vraiment le sentiment, aujourd'hui, que 1997, c'était hier, et que 2004, c'est demain.
D'ici là, nous avons des choix déterminants à faire. Je souhaite que nos concitoyens soient bien conscients que choisir son avenir, c'est choisir son Europe.
Mes meilleurs vux vous accompagnent en cette nouvelle année, vous et les êtres qui vous sont chers. Nous aurons l'occasion de nous revoir dans les mois qui viennent, pour parler d'Europe, mais aussi - je le crois, je l'attends en même temps - d'autre chose,... Mais je voudrais vous dire, ici collectivement, combien j'ai apprécié de vous avoir côtoyé durant ces années. Et n'oublions pas, pour chacun d'entre nous, que l'on ne quitte jamais vraiment les affaires européennes. La politique nous en éloigne parfois, elle nous y ramène toujours !.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 janvier 2002)