Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur les études d'impact et la concertation à l'occasion des projets d'aménagement, Paris le 18 novembre 1997.

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Circonstance : Colloque sur le 20ème anniversaire des études d'impact, à Paris le 18 novembre 1997.

Texte intégral

Mesdames, Messieurs
Je suis contente d'être parmi vous pour fêter les vingt ans des études d'impact. Cette procédure est aujourd'hui entrée dans les murs, et si plus personne ne songe, désormais, à en contester l'intérêt et les mérites, c'est qu'elle a atteint, pour l'essentiel, ses objectifs.
Le constat s'impose : l'étude d'impact a contribué à transformer les pratiques des différents acteurs et à diffuser parmi les aménageurs une culture de l'environnement, qu'il s'agisse de l'insertion des grandes infrastructures ou la construction des installations industrielles. Elle a ainsi nourri le dialogue social et contribué à dépassionner les débats en leur fournissant une base plus objective. Les résultats obtenus montrent l'importance de la réforme, ils justifient les principes qui l'ont inspirée et les grandes options sur lesquelles repose le dispositif.
Retour en arrière
En adoptant, en octobre 1977, en application de la loi de 1976 sur la protection de la nature, le décret sur les études d'impact, la France était alors l'un des premiers pays à se doter d'une telle réglementation. Depuis, plus de 100 000 études d'impact ont été réalisées.
Il s'agissait alors d'une démarche innovante, inspirée, avant l'heure, par le principe de précaution. Ses objectifs étaient d'alerter le maître d'ouvrage sur les conséquences de son projet pour l'environnement et l'inviter à en tenir compte dans sa conception comme dans sa réalisation ; il fallait aussi éclairer l'administration qui doit autoriser le projet, avant qu'elle ne prenne sa décision ; enfin, il s'est avéré indispensable d'informer le public, afin qu'il puisse se prononcer en toute connaissance de cause lors de l'enquête publique.
Cette nouvelle procédure a rapidement trouvé sa place. Un succès qui s'explique. L'étude d'impact a, tout d'abord, été considérée comme étant la règle ; la dispense était donc l'exception, d'où le très grand nombre d'études réalisées chaque année, 6 000 environ, ce qui nous distingue de la plupart des autres pays. De plus, elle ne constituait pas une nouvelle procédure d'autorisation, puisqu'elle était mise en uvre dans le cadre des procédures existantes. Enfin, l'étude est réalisée sous la responsabilité du maître d'ouvrage, afin de l'impliquer plus fortement et l'amener à mieux intégrer l'environnement dans le processus d'élaboration de son projet.
La loi Bouchardeau de 1983 a apporté à l'enquête publique une nouvelle dimension en renforçant le rôle du commissaire enquêteur, et en s'adressant au citoyen et plus seulement au propriétaire riverain.
Les limites de la procédure
Pour autant, l'étude d'impact a aussi montré ses limites. Elle n'a ainsi pas permis de maîtriser les impacts cumulatifs sur la ressource en eau des élevages industriels. De même, elle n'a pu infléchir la " pensée unique " du tout autoroute. Mais peut-être était-ce trop attendre de l'outil ?
C'est pourquoi, une réforme importante de la procédure d'étude d'impact a été introduite en février 1993. Vous en connaissez les détails mais, comme moi, vous partagez le sentiment que cette réforme n'était pas suffisante. Parmi d'autres, je retiendrai deux critiques majeures. L'étude d'impact, telle qu'elle est conçue aujourd'hui, ne permet pas d'appréhender les véritables incidences sur l'environnement d'un projet car elle intervient à un stade où le choix du site a été fait. En d'autres termes, il est impératif d'agir plus en amont. De plus, l'étude d'impact ne comble pas - c'est le moins que l'on puisse dire - le manque de dialogue en amont de la décision publique.
Les propositions du colloque
Vous avez fait de nombreuses propositions en vue de renforcer l'efficacité de ce système tout en conservant son esprit. J'en retiendrai quelques-unes :
- Etablir des "termes de référence" pour mieux adapter le contenu de l'étude aux caractéristiques de l'ouvrage et à la sensibilité du site envisagé.
- Réaliser des "résumés non techniques", dignes de ce nom.
- Motiver la décision avec une véritable prise en compte des engagements de l'étude d'impact.
- Organiser le suivi, en associant les acteurs de la société civile.
- Développer des observatoires pour permettre le retour d'expérience.
- Et améliorer les enquêtes publiques et la formation des commissaires-enquêteurs, autant d'orientations que je fais miennes.
Je prends l'engagement de ne pas laisser ces propositions lettre morte. Elles seront mises en uvre à l'occasion de la transposition de la directive communautaire du 3 mars 1997.
De la nécessité d'agir plus en amont
Mais je pense qu'il convient d'aller encore plus loin, et répondre aux limites que j'évoquais tout-à-l'heure, à savoir l'incapacité de l'étude d'impact à permettre la prise en compte de paramètres essentiels et l'absence de dialogue en amont des projets.
Certains petits projets ont en effet un faible impact individuel, sinon de proximité immédiate, mais leur concentration dans un territoire limité peut excéder la capacité de charge des milieux et dégrader de manière dramatique les ressources.
L'étude d'impact, même associée à un mécanisme d'autorisation individuelle, est ici impuissante. Mais on pourrait dire tout autant que l'étude d'impact actuelle est inapte à éclairer l'implantation d'un projet industriel ou d'un projet touristique, car elle intervient à un stade où le choix du site a déjà, en réalité, été fait. De même, elle est inapte à justifier le choix d'un parti autoroutier plutôt que d'un parti ferroviaire pour relier deux villes, car c'est une question d'option de politique des transports : l'étude d'impact permet seulement de comparer, et encore, des variantes de tracés.
Si l'on veut prendre effectivement en compte les effets globaux - je pense tout particulièrement, à la veille de Kyoto, à l'effet de serre - il convient d'agir en amont, à des stades stratégiques de planification où se prennent en fait les véritables décisions.
Nos procédures de prise en compte de l'environnement sont en effet focalisées en aval des processus de décision ; nos investissements intellectuels sont surtout concentrés à maîtriser les conséquences de choix opérés en amont, à " réparer " en quelque sorte, alors qu'il conviendrait de " prévenir ". N'y a-t-il pas là un mauvais usage de nos moyens ?
J'en suis tellement convaincue que, sans attendre une réglementation nouvelle, j'ai la ferme intention, avec l'accord de mes collègues du gouvernement, de mettre en uvre une évaluation environnementale à l'occasion de l'élaboration des schémas de services qu'instituera la loi en préparation sur l'aménagement du territoire (LOADT). Autre exemple : la directive territoriale d'aménagement en cours sur les Alpes Maritimes prend en compte cette préoccupation.
Le déficit de dialogue
Le mouvement de contestation à l'encontre de nombreux projets d'aménagement, petits ou grands, les conflits et les situations de blocage auxquels ils aboutissent dans certains cas, révèlent, par ailleurs, des dysfonctionnements dans la décision publique.
C'est sans doute le reflet d'une évolution sociale profonde, marquée par une sensibilisation et une sensibilité croissantes à l'environnement et à la santé.
La notion d'intérêt public est elle-même devenue plus complexe et plus difficile à cerner. On voudrait qu'elle englobe tout. Mais les intérêts généraux - le droit au transport, le droit à la santé, la protection de la nature ...- se multiplient et entrent parfois en conflit avec elle, à l'occasion d'un projet particulier. Il convient alors d'arbitrer.
Ces choix ne sont pas aisés. Nos mécanismes d'arbitrage et de recours à l'expertise, manquent en effet de transparence et ne conduisent pas toujours à des décisions fondées. D'où une crise de légitimité.
Des évolutions se sont produites ces dernières années, avec la circulaire du ministère de l'Equipement du 15 décembre 1992 pour les infrastructures de transport et la loi du 2 février 1995, qui a institué la Commission nationale du débat public. Mais il faut aller plus loin. C'est pourquoi, à partir de ce constat, j'ai décidé de lancer une réflexion dans les mois qui viennent. Elle s'organisera autour des thèmes suivants :
- le renforcement du rôle du public dans l'élaboration et la mise au point de la décision, au-delà des simples mécanismes d'information et de consultation actuels ;
- le bon usage de l'expertise, afin d'en faire un élément d'un processus collectif et contradictoire, dans lequel le public joue un rôle actif et participe à la recherche de solutions ;
- le contenu des informations à produire aux différentes étapes du processus décisionnel, afin de permettre au public de se prononcer en toute connaissance de cause. Le recours à la contre-expertise doit être facilité.
- les modalités enfin d'organisation et de conduite des débats, voire de négociations et leur sanction par une décision. Cette réflexion est à lier à la profonde réforme de la formation, du rôle et de la sélection des commissaires enquêteurs.
Ces questions sont intimement liées dans mon esprit à celle de l'élargissement de l'évaluation environnementale en amont des processus de décision, c'est-à-dire précisément au niveau plans, des programmes, voire de certaines politiques. J'y suis pour ma part très favorable car c'est l'une des principales réponses aux insuffisances de l'étude d'impact qui est limitée aux seuls projets.
Pour mener à bien cette réflexion, j'ai demandé à Hubert Blanc, qui préside la Commission nationale du débat public (CNDP), d'animer par ailleurs une mission plus générale, qui procédera à de larges auditions, mais aussi à l'audit rétrospectif de quelques exemples éclairants de projets ou de choix technologiques, en y associant les protagonistes de l'époque.
Hubert Blanc me rendra ses premières conclusions fin janvier 1998. Il s'appuiera naturellement sur les travaux préparatoires à ce colloque, qui fournissent d'ores et déjà une matière très riche ainsi que sur vos débats d'aujourd'hui. Je vous invite en outre à lui adresser vos contributions écrites, par l'intermédiaire de la direction de la Nature et des Paysages, qui assurera le secrétariat de la mission.
J'attends des propositions qui me seront faites, qu'elles nous permettent de franchir une nouvelle étape significative, 20 ans après l'institution de notre système d'évaluation environnementale.
Le contexte international nous y invite : le projet de convention CEE/NU sur l'information et la participation du public, comme la proposition de directive communautaire sur l'évaluation environnementale des plans et des programmes. Mais, au-delà des textes, j'observe que de nombreux pays se sont déjà engagés ou s'engagent dans cette voie, comme nous-mêmes avons commencé à le faire. Il serait paradoxal que nous restions à la traîne, alors que nous étions l'un des tous premiers pays à nous doter de la procédure d'étude d'impacts. Voilà un défi de plus à relever.
Je vous remercie.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 29 novembre 2001)