Texte intégral
Le syndicalisme a mis du temps à s'insérer dans le débat sur la mondialisation
Ce n'est tout à fait exact : à Seattle, le cur des troupes était syndical. Dites aux syndicalistes américains que le syndicalisme n'était pas à Seattle, ils se mettront en colère. Cela dit, il est vrai que parce qu'elle rassemble des affiliés de tous les continents, la CISL a eu besoin d'un peu de temps pour harmoniser les exigences des uns et des autres. Mais aujourd'hui, avec la journée mondiale d'action, elle entre de plein pied dans l'action sur la mondialisation.
C'est l'acte de naissance ?
Ce n'est pas le premier. Mais il a sans doute une visibilité plus forte.
À quoi va servir cette journée de mobilisation ?
Nous l'utilisons comme tribune du mouvement syndical international, pour sensibiliser, informer les salariés du monde entier sur les enjeux de Doha. Et aussi pour peser sur les débats.
Qu'espérez vous ?
Que l'OMC intègre la question des droits sociaux fondamentaux dans les négociations commerciales. La mondialisation des échanges commerciaux ne sera porteuse de progrès économique que si l'on cesse d'appliquer à des pays qui n'ont ni les mêmes histoires, ni les mêmes niveaux de développement, des règles uniques qu'ils sont incapables de digérer. La mondialisation ne doit pas être réduite à une affaire de commerce international: elle concerne aussi l'environnement, l'évolution des droits sociaux fondamentaux, l'encrage de la démocratie..
Ces questions sont souvent abordées dans les instances internationales
C'est vrai. Mais chacune est traitée séparément, dans un cloisonnement total. Or, il y a des conflits de logique entre chacune d'entre elles qui nécessitent des arbitrages politiques.
L'Organisation internationale du travail serait-elle inefficace ?
L'OIT fait un excellent boulot. C'est elle qui produit toutes les conventions avec les employeurs, les salariés, les Etats. Cette organisation est donc légitime pour fixer ce que doivent être la progression et l'application des droits sociaux fondamentaux. Mais il faut aussi qu'une autorité politique puisse concilier les différentes priorités pour que les sujets ne touchant pas à la libéralisation des échanges ne soient perpétuellement relégués en arrière-plan.
Et L'OMC ?
Nous sommes favorables à l'ouverture d'un nouveau round de négociations car il doit permettre d'intégrer notre exigence d'une vraie stratégie de développement dans les échanges commerciaux.
Les intérêts des salariés des pays du nord et ceux du sud ne sont pas les mêmes
C'est vrai, il y a des intérêts contradictoires. Tous ceux qui font croire qu'il n'y a pas des conflits d'intérêts entre les salariés du nord et ceux du sud ne rendent service ni aux uns ni aux autres. Regardez Moulinex. Voilà un secteur d'activité très concurrencé par d'autres pays, la Chine par exemple. Si cette entreprise avait su, plus tôt, prendre les décisions qui s'imposaient, on aurait évité bien des drames. Continuer à dire que Moulinex va continuer à fabriquer des fers à repasser et des micro ondes, alors qu'ils sont fabriqués dans des pays en voie de développement a été une grave erreur.
Dans les pays du nord, le mouvement syndical ne joue-t-il pas aussi la carte du protectionnisme ?
On a parfois un réflexe de protection des emplois, c'est humain, mais cela est perçu dans les pays en développement, comme le refus de voir des activités s'implanter chez eux. Derrière les discours généreux de certains en faveur de l'accès aux droits sociaux dans les pays en développement, il ne faut pas se cacher qu'il peut y avoir des arrières-pensées visant à éliminer une concurrence. D'où la nécessité de se réinterroger sur les modalités d'une vraie solidarité mondiale dans le contexte d'aujourd'hui.
Que proposez-vous pour parvenir à une meilleure régulation de la mondialisation ?
Il faut utiliser toutes les opportunités. D'abord le volet politique. L'Europe a un rôle à jouer en proposant un modèle de développement qui ne célèbre pas le culte du marché à tous prix et la puissance publique faible. Je trouve d'ailleurs encourageante la manière dont elle a défini le mandat de Pascal Lamy, qui devient ainsi l'interlocuteur identifié et le porte-drapeau du modèle européen de développement, dans ces négociations.
Au delà de l'Europe comment comptez vous faire progresser les droits fondamentaux ?
Je vois deux leviers. Le premier, se situe dans les multinationales. Il faut que partout où une multinationale s'implante, les syndicats puisent poser la question des droits sociaux et de toutes autres questions liées à l'éducation, à l'alphabétisation. Si le concept d'entreprise citoyenne peut avoir un sens, c'est bien là. Les syndicats doivent pouvoir y négocier des chartes de bonne conduite, se doter d'instruments de suivi des politiques sociales et obtenir des rendez vous réguliers de concertation et de négociation sur ces questions. L'autre voie est celle que nous avons conduite avec les ONG au moment du Mondial lorsque nous avons lancé la campagne "éthique sur étiquette" sur les vêtements de sport. Nous la recommençons aujourd'hui, sur les jouets, avec une campagne "exploiter n'est pas jouer". L'une et l'autre consistent à amener le consommateur à peser sur les comportements sociaux des fabricants de ces produits.
Croyez vous que les entreprises puisse s'amender ?
Elles ne peuvent plus être sourdes à la montée des exigences comme celle de l'entreprise socialement responsable. Cela consiste à faire entrer dans les choix des investissements des critères qui ne soient pas seulement financiers, et pour cela, le mouvement syndical doit apprendre à agir sur l'acteur actionnaire. Tout ce qui va met en valeur la dimension sociale de la performance d'une entreprise est un point d'appui.
Le syndicalisme français ne s'est-il pas fait ravir la vedette par de nouveaux acteurs, comme Attac ?
Nous avons des débats avec Attac. Mais nous ne sommes ni sur le mêmes terrains ni sur les mêmes démarches d'intervention. Ces mouvements ont une logique de groupe de pression, qui n'est pas inutile. Mais le lobbying pour le lobbying ne sert à rien. Ils posent de vraies questions, sur les inégalités, l'injustice. Ils fonctionnent en réseau, et le syndicalisme a des choses à apprendre de ce mode de communication. Mais dès qu'il s'agit d'élaborer une position partagée, il faut plus qu'un e-mail. De plus, en France, ce mouvement s'inscrit dans une tradition historique anticapitaliste fondée sur la perspective d'un changement de société. L'histoire a montré que ce type d'alternative provoquait des lendemains qui déchantent sans parvenir à la réduction des maux constatés. Nous, nous aspirons à être des citoyens lucides, critiques, à être les artisans d'une mondialisation équilibrée et solidaire. Mais nous n'avons pas l'illusion de vouloir remplacer un système par un autre. Nous agissons dans le monde actuel pour le transformer.
La taxe Tobin ?
Au congrès de Lille, nous avons pris une position, en faveur de la taxe Tobin comme moyen de prélever des ressources au niveau mondial. Quelles que soient les modalités de prélèvement, ce qui nous intéresse d'abord c'est qu'elle puisse servir à financer des actions de développement dans le domaine social ou environnemental.
Votre intérêt pour ces questions a-t-il en rapport le job que vous prendrez après avoir quitté la tête de la CFDT en mai prochain? Par exemple dans un organisme international ?
Ces questions m'ont toujours passionné. Elles continueront à me passionner demain. n
Propos recueillis par Nicole Pénicaut et François Wenz-Dumas pour Libération.
(Source http://www.cfdt.fr, le 13 novembre 2001)
Ce n'est tout à fait exact : à Seattle, le cur des troupes était syndical. Dites aux syndicalistes américains que le syndicalisme n'était pas à Seattle, ils se mettront en colère. Cela dit, il est vrai que parce qu'elle rassemble des affiliés de tous les continents, la CISL a eu besoin d'un peu de temps pour harmoniser les exigences des uns et des autres. Mais aujourd'hui, avec la journée mondiale d'action, elle entre de plein pied dans l'action sur la mondialisation.
C'est l'acte de naissance ?
Ce n'est pas le premier. Mais il a sans doute une visibilité plus forte.
À quoi va servir cette journée de mobilisation ?
Nous l'utilisons comme tribune du mouvement syndical international, pour sensibiliser, informer les salariés du monde entier sur les enjeux de Doha. Et aussi pour peser sur les débats.
Qu'espérez vous ?
Que l'OMC intègre la question des droits sociaux fondamentaux dans les négociations commerciales. La mondialisation des échanges commerciaux ne sera porteuse de progrès économique que si l'on cesse d'appliquer à des pays qui n'ont ni les mêmes histoires, ni les mêmes niveaux de développement, des règles uniques qu'ils sont incapables de digérer. La mondialisation ne doit pas être réduite à une affaire de commerce international: elle concerne aussi l'environnement, l'évolution des droits sociaux fondamentaux, l'encrage de la démocratie..
Ces questions sont souvent abordées dans les instances internationales
C'est vrai. Mais chacune est traitée séparément, dans un cloisonnement total. Or, il y a des conflits de logique entre chacune d'entre elles qui nécessitent des arbitrages politiques.
L'Organisation internationale du travail serait-elle inefficace ?
L'OIT fait un excellent boulot. C'est elle qui produit toutes les conventions avec les employeurs, les salariés, les Etats. Cette organisation est donc légitime pour fixer ce que doivent être la progression et l'application des droits sociaux fondamentaux. Mais il faut aussi qu'une autorité politique puisse concilier les différentes priorités pour que les sujets ne touchant pas à la libéralisation des échanges ne soient perpétuellement relégués en arrière-plan.
Et L'OMC ?
Nous sommes favorables à l'ouverture d'un nouveau round de négociations car il doit permettre d'intégrer notre exigence d'une vraie stratégie de développement dans les échanges commerciaux.
Les intérêts des salariés des pays du nord et ceux du sud ne sont pas les mêmes
C'est vrai, il y a des intérêts contradictoires. Tous ceux qui font croire qu'il n'y a pas des conflits d'intérêts entre les salariés du nord et ceux du sud ne rendent service ni aux uns ni aux autres. Regardez Moulinex. Voilà un secteur d'activité très concurrencé par d'autres pays, la Chine par exemple. Si cette entreprise avait su, plus tôt, prendre les décisions qui s'imposaient, on aurait évité bien des drames. Continuer à dire que Moulinex va continuer à fabriquer des fers à repasser et des micro ondes, alors qu'ils sont fabriqués dans des pays en voie de développement a été une grave erreur.
Dans les pays du nord, le mouvement syndical ne joue-t-il pas aussi la carte du protectionnisme ?
On a parfois un réflexe de protection des emplois, c'est humain, mais cela est perçu dans les pays en développement, comme le refus de voir des activités s'implanter chez eux. Derrière les discours généreux de certains en faveur de l'accès aux droits sociaux dans les pays en développement, il ne faut pas se cacher qu'il peut y avoir des arrières-pensées visant à éliminer une concurrence. D'où la nécessité de se réinterroger sur les modalités d'une vraie solidarité mondiale dans le contexte d'aujourd'hui.
Que proposez-vous pour parvenir à une meilleure régulation de la mondialisation ?
Il faut utiliser toutes les opportunités. D'abord le volet politique. L'Europe a un rôle à jouer en proposant un modèle de développement qui ne célèbre pas le culte du marché à tous prix et la puissance publique faible. Je trouve d'ailleurs encourageante la manière dont elle a défini le mandat de Pascal Lamy, qui devient ainsi l'interlocuteur identifié et le porte-drapeau du modèle européen de développement, dans ces négociations.
Au delà de l'Europe comment comptez vous faire progresser les droits fondamentaux ?
Je vois deux leviers. Le premier, se situe dans les multinationales. Il faut que partout où une multinationale s'implante, les syndicats puisent poser la question des droits sociaux et de toutes autres questions liées à l'éducation, à l'alphabétisation. Si le concept d'entreprise citoyenne peut avoir un sens, c'est bien là. Les syndicats doivent pouvoir y négocier des chartes de bonne conduite, se doter d'instruments de suivi des politiques sociales et obtenir des rendez vous réguliers de concertation et de négociation sur ces questions. L'autre voie est celle que nous avons conduite avec les ONG au moment du Mondial lorsque nous avons lancé la campagne "éthique sur étiquette" sur les vêtements de sport. Nous la recommençons aujourd'hui, sur les jouets, avec une campagne "exploiter n'est pas jouer". L'une et l'autre consistent à amener le consommateur à peser sur les comportements sociaux des fabricants de ces produits.
Croyez vous que les entreprises puisse s'amender ?
Elles ne peuvent plus être sourdes à la montée des exigences comme celle de l'entreprise socialement responsable. Cela consiste à faire entrer dans les choix des investissements des critères qui ne soient pas seulement financiers, et pour cela, le mouvement syndical doit apprendre à agir sur l'acteur actionnaire. Tout ce qui va met en valeur la dimension sociale de la performance d'une entreprise est un point d'appui.
Le syndicalisme français ne s'est-il pas fait ravir la vedette par de nouveaux acteurs, comme Attac ?
Nous avons des débats avec Attac. Mais nous ne sommes ni sur le mêmes terrains ni sur les mêmes démarches d'intervention. Ces mouvements ont une logique de groupe de pression, qui n'est pas inutile. Mais le lobbying pour le lobbying ne sert à rien. Ils posent de vraies questions, sur les inégalités, l'injustice. Ils fonctionnent en réseau, et le syndicalisme a des choses à apprendre de ce mode de communication. Mais dès qu'il s'agit d'élaborer une position partagée, il faut plus qu'un e-mail. De plus, en France, ce mouvement s'inscrit dans une tradition historique anticapitaliste fondée sur la perspective d'un changement de société. L'histoire a montré que ce type d'alternative provoquait des lendemains qui déchantent sans parvenir à la réduction des maux constatés. Nous, nous aspirons à être des citoyens lucides, critiques, à être les artisans d'une mondialisation équilibrée et solidaire. Mais nous n'avons pas l'illusion de vouloir remplacer un système par un autre. Nous agissons dans le monde actuel pour le transformer.
La taxe Tobin ?
Au congrès de Lille, nous avons pris une position, en faveur de la taxe Tobin comme moyen de prélever des ressources au niveau mondial. Quelles que soient les modalités de prélèvement, ce qui nous intéresse d'abord c'est qu'elle puisse servir à financer des actions de développement dans le domaine social ou environnemental.
Votre intérêt pour ces questions a-t-il en rapport le job que vous prendrez après avoir quitté la tête de la CFDT en mai prochain? Par exemple dans un organisme international ?
Ces questions m'ont toujours passionné. Elles continueront à me passionner demain. n
Propos recueillis par Nicole Pénicaut et François Wenz-Dumas pour Libération.
(Source http://www.cfdt.fr, le 13 novembre 2001)