Texte intégral
L'enseignement professionnel pour le Développement Humain et le Développement durable : l'objectif de professionnalisation durable.
L'intitulé de cette table ronde laisse entendre que le droit à l'éducation est encore loin d'être une réalité pour une part importante de l'humanité.
En effet, plus de 10 ans après la Conférence mondiale sur l'Education de JOMTIEN (1990), force est de constater que l'objectif de l'Education pour tous est encore loin d'être atteint au niveau mondial (900 millions d'adultes ne savent ni lire ni écrire , 100 millions d'enfants ne sont pas scolarisés).
A ce constat et à cette date référence pour la coopération éducative, je souhaite associer une autre date et d' autres références : 1992, le Sommet de la Terre de RIO (1992) et les rapports annuels produits par le PNUD. Ils nous proposent les concepts de Développement Durable et de Développement Humain qui me semblent particulièrement opératoires pour penser le lien entre Education et Développement.
Le troisième point d'appui que je propose à notre réflexion, est la place même de l'éducation dans notre identité républicaine.
Dans sa présence internationale, l'Éducation nationale ne propose pas qu'un savoir-faire! Elle porte en elle une identité républicaine. Si divers, si mêlés qu'ils soient, les Français ne peuvent avoir d'autre patrie que la République, c'est-à-dire d'autre patrie qu'une sorte d'idéal, peut-être de rêve qu'ils font sur eux-mêmes, en tout cas une communauté légale laïque qui leur permet de vivre ensemble.
Quel que soit notre nombre, nous les Français, (60 millions, c'est peu de chose dans les multitudes humaines), nous sommes souvent plus grands que ce nombre. Nous sommes souvent perçus dans la toute dimension de l'idéal dont nous sommes porteurs, par notre histoire, mais surtout par notre mode d'être : la force des idées peut devenir une force matérielle, vous le savez bien.
Et cette République entretient avec son école un lien intime, au point que l'on peut penser que c'est elle, l'école, qui en est le premier point d'appui. Elle est bien ce lieu où, sans cesse, se ressource, se reformule, se réorganise, se retrempe l'identité républicaine de notre patrie, dans une recherche persévérante d'égalité, parfois différée mais toujours là.
La France, fort heureusement, s'est protégée des folies du différencialisme qui, toujours, s'abîme dans le communautarisme, et celui-ci dans des micro-nationalismes haineux et obscurantistes qui finissent, partout où ils prennent la main, dans la guerre civile. Ce n'est donc pas rien que nos compatriotes vivent dans cette idée d'eux-mêmes, à travers ce sentiment d'une égalité qui leur est due.
Ce constat n'est pas anecdotique. Il fonde notre offre de mise en partage de nos options et pratiques éducatives.
Je soumets à votre réflexion une série d'oppositions fréquemment opérées qui empêchent de penser de façon dynamique le lien Education/Développement .
Je vous dirais ensuite comment je propose de résoudre ces fausses oppositions avec le concept de " Professionnalisation durable ", concept largement inspiré de ma pratique de Ministre français de l'Enseignement Professionnel.
DES OPPOSITIONS CONTRE-PERFORMANTES
1° - Opposition Développement Humain / Développement économique
Cette opposition a connu son paroxisme avec les politiques d'ajustement structurel du FMI dans les années 80/90. Si le dogme de réduction des dépenses publiques , notamment d'éducation , est devenu moins virulent, cette opposition subsiste. L'IDH (Indice de Développement Humain ) proposé par le PNUD pour mesurer le développement des nations est encore très marginalisé sur la scène internationale face à l'indicateur PIB.
2°- Opposition Education de base /formation des élites
L'opposition Développement Humain/développement économique entraîne l'opposition Education de base /Formation des élites.
Certes, des préoccupations humanistes poussent les Etats à accorder des moyens pour une éducation de base, minimale pour tous (lire/écrire), mais dés lors qu'il s'agit de penser le développement , l'effort consenti vise la formation des élites.
Cette opposition a créé, dans tous les pays en développement, un manque d'ouvriers spécialisés et de techniciens mais aussi d'artisans qualifiés et d'employés dans des domaines fondamentaux de l'activité économique (bâtiment, travaux publics, santé , tourisme, etc). Nombre de pays se tournent maintenant vers la France pour créer leur système d'enseignement professionnel.
3°- Opposition Education " académique " / " apprentissages informels "
Cette opposition distingue les savoirs fondamentaux, théoriques transmis par l'institution et les savoirs faire techniques et professionnels supposés être transmis de façon plus efficace par la pratique et l'expérience.
Cette opposition traduit une autre opposition d'ordre économique entre le secteur formel des activités économiques intégrant les notions de qualification, de code du travail, de conventions collectives et les secteurs économiques informels des " petits métiers " acquis par transmission familiale et par la coutume.
" Secteurs informels " dans lesquels n'existe aucune protection sociale , aucun moyen de valoriser les savoirs et les compétences, aucun espoirs de promotion sociale.
Ces oppositions existent en Europe comme dans le reste du monde, dans les pays développés comme dans les pays en développement. Partout elles s'avèrent contre performantes. Autant du point de vue des progrès de l'éducation et de son rôle émancipateur que du point de vue économique.
REPENSER LA RELATION EDUCATION /DEVELOPPEMENT
De ces observations générales, nous pouvons déduire des motifs d'inspiration pour le présent.
Je l'ai dit : la forme de l'organisation d'un système d'enseignement n'est jamais neutre politiquement. S'il faut prendre des exemples extrêmes, notamment en matière d'Enseignement professionnel, on peut comparer le lamentable système des Anglais avec le nôtre. Non seulement pour constater le désastre sur lequel débouche le premier, par comparaison aux réussites du second, mais également pour les logiques qu'il inspire.
Dans l'Enseignement professionnel, on voit tout de suite la différence : d'un côté (anglais), des clubs d'actionnaires qui délivrent des certificats de compétence validés à l'intérieur d'un groupe des entreprises ; de l'autre, le système français de diplôme à valeur nationale.
Notre modèle prépare ce que j'ai appelé " la professionnalisation durable ".
Ce modèle repose sur l'idée que les métiers de notre époque sont des " sciences pratiques " - science et pratique - c'est-à-dire qu'ils requièrent un haut niveau de savoirs fondamentaux et un haut niveau de savoirs techniques, à chaque degré de qualification. Et c'est bien comme tels qu'ils sont enseignés dans nos lycées, dans nos universités. Dès lors, on place chaque citoyen en capacité d'accompagner les mutations inévitables de la production qu'il serait ridicule de vouloir repousser. On lui assure une réelle garantie, un réel droit à la sécurité individuelle face à la mutation.
Ce contexte brièvement rappelé montre comment les mêmes mots peuvent vouloir dire des choses complètement opposées. " L'adaptabilité " par exemple : qui est assez stupide pour être contre l'adaptabilité des travailleurs ? Personne. Les travailleurs eux-mêmes ont le goût du travail bien fait, ils aiment mettre en uvre leurs capacités professionnelles les meilleures. Mais si " l'adaptabilité " signifie que, sous prétexte d'évolution rapide des techniques, on délivre, à la sauce anglaise, ou à la sauce UIMM, ce qui est la même chose, des certificats de compétence, validant une technique professionnelle jusqu'à épuisement de sa productivité, et qu'une autre vienne la remplacer, l'alternative est simple : soit le travailleur a assimilé les nouvelles compétences, soit il est détruit avec la machine qu'il maniait.
Dans notre société, celle de l'économie de marché, le travail est une marchandise. SAINT-AUGUSTIN et Karl MARX sont d'accord sur ce point : dès lors que le travail est une marchandise, il a une double valeur, comme toutes les marchandises, une valeur d'usage et une valeur d'échange. Nous inscrivons notre raisonnement et notre stratégie dans cette réalité.
Dans ce cadre , la " professionnalisation durable " implique une double exigence : élever sans cesse la valeur d'usage du travail et en garantir la valeur d'échange. Elle permet à chaque futur salarié de garantir sa carrière sur le long terme. Elle s'oppose à la spécialisation étroite des formations vite obsolètes. Seule une formation initiale de haut niveau de qualification, tant dans les savoirs fondamentaux que dans les domaines techniques et professionnels, peut assurer l'acquisition des bases nécessaires à la requalification permanente des salariés. Et seul l'Etat, en certifiant la valeur des diplômes sur la base de référentiels établis avec les professionnels et reconnus par tous, garantit la " bonne monnaie " que sont ses diplômes sur le marché du travail et dans le long terme.
Élever la valeur d'usage du travail
Élever la valeur d'usage , c'est garantir les qualifications que valident les diplômes. Dans cette optique, la manière dont est établie la qualification que le diplôme valide, est d'une importance fondamentale.
En France, les diplômes professionnels sont construits sur des référentiels qui décrivent les qualifications à acquérir et le contenu des formations pour y arriver. Le terme de qualification n'est pas neutre. Il s'oppose à la compétence. Cette opposition n'est pas efficace dans le vocabulaire usuel bien sûr : chacun veut légitimement voir reconnaître ses compétences. La distinction n'est pas absolue non plus, puisque la qualification reconnue par un diplôme est aussi composée d'un ensemble de compétences. Mais dans le débat idéologique avec un certain nombre d'organisations patronales cette distinction est cruciale.
Le MEDEF a déclaré la fin de la guerre idéologique avec l'éducation nationale. Il propose un partage des tâches. D'un côté, l'éducation nationale certifierait les connaissances, et de l'autre les entreprises certifieraient les compétences.
D'apparence chatoyante, cette proposition est en fait un véritable déni social contre les salariés. Pour former des gens à des compétences, il suffit de les amener à un niveau minimum de base : savoir lire, écrire, compter, voire maîtriser un peu de langues étrangères et quelques autres notions, en gros, de niveau 3ème .
Ensuite, on peut leur proposer, comme le fait le rapport du Plan, un " droit de tirage tout au long de la vie " pour arriver au total de vingt années de formation auxquelles on aurait droit. Ce droit de tirage servirait ainsi à acquérir les fameuses " compétences ". Par exemple, savoir se servir d'une machine à commandes numériques, savoir sur quel bouton appuyer, comment l'alimenter en matières premières, etc. Mais sans savoir comment elle fonctionne. Avec le développement accéléré des mutations technologiques, la machine change au bout de quelques années et le salarié ne sait pas s'adapter à la machine suivante. Au pire il est expulsé, au mieux il utilise sa période de chômage pour acheter une nouvelle compétence attachée à la machine suivante. Et ainsi de suite.
Au final, on se trouve dans un système totalement inverse de celui que nous défendons, que nous nommons " professionnalisation durable " et qui permet au salarié de se re-qualifier en permanence parce qu'il lui en donne les bases initiales.
Pour nous, éducation nationale, il n'y a donc pas de différence entre connaissances et compétences. Si la compétence dont certaines organisations patronales nous parlent est un savoir-faire professionnel incontournable, alors c'est qu'il comprend les deux dimensions de la technique et du savoir fondamental. Donc nous voulons l'intégrer à notre diplôme professionnel. Si elle n'est pas cela, alors qu'est-elle ? Rien. Un permis de travailler sur un chiffon de papier.
Il y a une conséquence politique à cette affirmation, car cela implique que nous ne faisons pas de la requalification une responsabilité individuelle, mais une responsabilité collective de la société.
Le modèle de la professionnalisation durable est donc une garantie sociale donnée aux individus. Ce n'est pas une simple technique de gestion de la " ressource humaine ".
Dans cette approche, il n'y a pas de contradiction entre l'enseignement disciplinaire académique et la professionnalisation, il n'y a pas de contradiction entre l'enseignement initial (Education de base) et la formation professionnelle initiale et continue.
A l'inverse, il y a une profonde convergence entre l'exigence démocratique d'un formation durable et l'exigence économique de développement durable.
Il est opératoire dans les pays développés, (En France où il est à l'uvre, il nous permet d'être la 4° puissance mondiale). Il peut l'être dans les pays les plus en difficulté économique dans lesquels l'Education pour tous est la moins développée.
Le concept de professionnalisation durable réconcilie la vocation humaniste de l'Education et le souci d'efficacité sociale et productive.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 30 novembre 2001)
L'intitulé de cette table ronde laisse entendre que le droit à l'éducation est encore loin d'être une réalité pour une part importante de l'humanité.
En effet, plus de 10 ans après la Conférence mondiale sur l'Education de JOMTIEN (1990), force est de constater que l'objectif de l'Education pour tous est encore loin d'être atteint au niveau mondial (900 millions d'adultes ne savent ni lire ni écrire , 100 millions d'enfants ne sont pas scolarisés).
A ce constat et à cette date référence pour la coopération éducative, je souhaite associer une autre date et d' autres références : 1992, le Sommet de la Terre de RIO (1992) et les rapports annuels produits par le PNUD. Ils nous proposent les concepts de Développement Durable et de Développement Humain qui me semblent particulièrement opératoires pour penser le lien entre Education et Développement.
Le troisième point d'appui que je propose à notre réflexion, est la place même de l'éducation dans notre identité républicaine.
Dans sa présence internationale, l'Éducation nationale ne propose pas qu'un savoir-faire! Elle porte en elle une identité républicaine. Si divers, si mêlés qu'ils soient, les Français ne peuvent avoir d'autre patrie que la République, c'est-à-dire d'autre patrie qu'une sorte d'idéal, peut-être de rêve qu'ils font sur eux-mêmes, en tout cas une communauté légale laïque qui leur permet de vivre ensemble.
Quel que soit notre nombre, nous les Français, (60 millions, c'est peu de chose dans les multitudes humaines), nous sommes souvent plus grands que ce nombre. Nous sommes souvent perçus dans la toute dimension de l'idéal dont nous sommes porteurs, par notre histoire, mais surtout par notre mode d'être : la force des idées peut devenir une force matérielle, vous le savez bien.
Et cette République entretient avec son école un lien intime, au point que l'on peut penser que c'est elle, l'école, qui en est le premier point d'appui. Elle est bien ce lieu où, sans cesse, se ressource, se reformule, se réorganise, se retrempe l'identité républicaine de notre patrie, dans une recherche persévérante d'égalité, parfois différée mais toujours là.
La France, fort heureusement, s'est protégée des folies du différencialisme qui, toujours, s'abîme dans le communautarisme, et celui-ci dans des micro-nationalismes haineux et obscurantistes qui finissent, partout où ils prennent la main, dans la guerre civile. Ce n'est donc pas rien que nos compatriotes vivent dans cette idée d'eux-mêmes, à travers ce sentiment d'une égalité qui leur est due.
Ce constat n'est pas anecdotique. Il fonde notre offre de mise en partage de nos options et pratiques éducatives.
Je soumets à votre réflexion une série d'oppositions fréquemment opérées qui empêchent de penser de façon dynamique le lien Education/Développement .
Je vous dirais ensuite comment je propose de résoudre ces fausses oppositions avec le concept de " Professionnalisation durable ", concept largement inspiré de ma pratique de Ministre français de l'Enseignement Professionnel.
DES OPPOSITIONS CONTRE-PERFORMANTES
1° - Opposition Développement Humain / Développement économique
Cette opposition a connu son paroxisme avec les politiques d'ajustement structurel du FMI dans les années 80/90. Si le dogme de réduction des dépenses publiques , notamment d'éducation , est devenu moins virulent, cette opposition subsiste. L'IDH (Indice de Développement Humain ) proposé par le PNUD pour mesurer le développement des nations est encore très marginalisé sur la scène internationale face à l'indicateur PIB.
2°- Opposition Education de base /formation des élites
L'opposition Développement Humain/développement économique entraîne l'opposition Education de base /Formation des élites.
Certes, des préoccupations humanistes poussent les Etats à accorder des moyens pour une éducation de base, minimale pour tous (lire/écrire), mais dés lors qu'il s'agit de penser le développement , l'effort consenti vise la formation des élites.
Cette opposition a créé, dans tous les pays en développement, un manque d'ouvriers spécialisés et de techniciens mais aussi d'artisans qualifiés et d'employés dans des domaines fondamentaux de l'activité économique (bâtiment, travaux publics, santé , tourisme, etc). Nombre de pays se tournent maintenant vers la France pour créer leur système d'enseignement professionnel.
3°- Opposition Education " académique " / " apprentissages informels "
Cette opposition distingue les savoirs fondamentaux, théoriques transmis par l'institution et les savoirs faire techniques et professionnels supposés être transmis de façon plus efficace par la pratique et l'expérience.
Cette opposition traduit une autre opposition d'ordre économique entre le secteur formel des activités économiques intégrant les notions de qualification, de code du travail, de conventions collectives et les secteurs économiques informels des " petits métiers " acquis par transmission familiale et par la coutume.
" Secteurs informels " dans lesquels n'existe aucune protection sociale , aucun moyen de valoriser les savoirs et les compétences, aucun espoirs de promotion sociale.
Ces oppositions existent en Europe comme dans le reste du monde, dans les pays développés comme dans les pays en développement. Partout elles s'avèrent contre performantes. Autant du point de vue des progrès de l'éducation et de son rôle émancipateur que du point de vue économique.
REPENSER LA RELATION EDUCATION /DEVELOPPEMENT
De ces observations générales, nous pouvons déduire des motifs d'inspiration pour le présent.
Je l'ai dit : la forme de l'organisation d'un système d'enseignement n'est jamais neutre politiquement. S'il faut prendre des exemples extrêmes, notamment en matière d'Enseignement professionnel, on peut comparer le lamentable système des Anglais avec le nôtre. Non seulement pour constater le désastre sur lequel débouche le premier, par comparaison aux réussites du second, mais également pour les logiques qu'il inspire.
Dans l'Enseignement professionnel, on voit tout de suite la différence : d'un côté (anglais), des clubs d'actionnaires qui délivrent des certificats de compétence validés à l'intérieur d'un groupe des entreprises ; de l'autre, le système français de diplôme à valeur nationale.
Notre modèle prépare ce que j'ai appelé " la professionnalisation durable ".
Ce modèle repose sur l'idée que les métiers de notre époque sont des " sciences pratiques " - science et pratique - c'est-à-dire qu'ils requièrent un haut niveau de savoirs fondamentaux et un haut niveau de savoirs techniques, à chaque degré de qualification. Et c'est bien comme tels qu'ils sont enseignés dans nos lycées, dans nos universités. Dès lors, on place chaque citoyen en capacité d'accompagner les mutations inévitables de la production qu'il serait ridicule de vouloir repousser. On lui assure une réelle garantie, un réel droit à la sécurité individuelle face à la mutation.
Ce contexte brièvement rappelé montre comment les mêmes mots peuvent vouloir dire des choses complètement opposées. " L'adaptabilité " par exemple : qui est assez stupide pour être contre l'adaptabilité des travailleurs ? Personne. Les travailleurs eux-mêmes ont le goût du travail bien fait, ils aiment mettre en uvre leurs capacités professionnelles les meilleures. Mais si " l'adaptabilité " signifie que, sous prétexte d'évolution rapide des techniques, on délivre, à la sauce anglaise, ou à la sauce UIMM, ce qui est la même chose, des certificats de compétence, validant une technique professionnelle jusqu'à épuisement de sa productivité, et qu'une autre vienne la remplacer, l'alternative est simple : soit le travailleur a assimilé les nouvelles compétences, soit il est détruit avec la machine qu'il maniait.
Dans notre société, celle de l'économie de marché, le travail est une marchandise. SAINT-AUGUSTIN et Karl MARX sont d'accord sur ce point : dès lors que le travail est une marchandise, il a une double valeur, comme toutes les marchandises, une valeur d'usage et une valeur d'échange. Nous inscrivons notre raisonnement et notre stratégie dans cette réalité.
Dans ce cadre , la " professionnalisation durable " implique une double exigence : élever sans cesse la valeur d'usage du travail et en garantir la valeur d'échange. Elle permet à chaque futur salarié de garantir sa carrière sur le long terme. Elle s'oppose à la spécialisation étroite des formations vite obsolètes. Seule une formation initiale de haut niveau de qualification, tant dans les savoirs fondamentaux que dans les domaines techniques et professionnels, peut assurer l'acquisition des bases nécessaires à la requalification permanente des salariés. Et seul l'Etat, en certifiant la valeur des diplômes sur la base de référentiels établis avec les professionnels et reconnus par tous, garantit la " bonne monnaie " que sont ses diplômes sur le marché du travail et dans le long terme.
Élever la valeur d'usage du travail
Élever la valeur d'usage , c'est garantir les qualifications que valident les diplômes. Dans cette optique, la manière dont est établie la qualification que le diplôme valide, est d'une importance fondamentale.
En France, les diplômes professionnels sont construits sur des référentiels qui décrivent les qualifications à acquérir et le contenu des formations pour y arriver. Le terme de qualification n'est pas neutre. Il s'oppose à la compétence. Cette opposition n'est pas efficace dans le vocabulaire usuel bien sûr : chacun veut légitimement voir reconnaître ses compétences. La distinction n'est pas absolue non plus, puisque la qualification reconnue par un diplôme est aussi composée d'un ensemble de compétences. Mais dans le débat idéologique avec un certain nombre d'organisations patronales cette distinction est cruciale.
Le MEDEF a déclaré la fin de la guerre idéologique avec l'éducation nationale. Il propose un partage des tâches. D'un côté, l'éducation nationale certifierait les connaissances, et de l'autre les entreprises certifieraient les compétences.
D'apparence chatoyante, cette proposition est en fait un véritable déni social contre les salariés. Pour former des gens à des compétences, il suffit de les amener à un niveau minimum de base : savoir lire, écrire, compter, voire maîtriser un peu de langues étrangères et quelques autres notions, en gros, de niveau 3ème .
Ensuite, on peut leur proposer, comme le fait le rapport du Plan, un " droit de tirage tout au long de la vie " pour arriver au total de vingt années de formation auxquelles on aurait droit. Ce droit de tirage servirait ainsi à acquérir les fameuses " compétences ". Par exemple, savoir se servir d'une machine à commandes numériques, savoir sur quel bouton appuyer, comment l'alimenter en matières premières, etc. Mais sans savoir comment elle fonctionne. Avec le développement accéléré des mutations technologiques, la machine change au bout de quelques années et le salarié ne sait pas s'adapter à la machine suivante. Au pire il est expulsé, au mieux il utilise sa période de chômage pour acheter une nouvelle compétence attachée à la machine suivante. Et ainsi de suite.
Au final, on se trouve dans un système totalement inverse de celui que nous défendons, que nous nommons " professionnalisation durable " et qui permet au salarié de se re-qualifier en permanence parce qu'il lui en donne les bases initiales.
Pour nous, éducation nationale, il n'y a donc pas de différence entre connaissances et compétences. Si la compétence dont certaines organisations patronales nous parlent est un savoir-faire professionnel incontournable, alors c'est qu'il comprend les deux dimensions de la technique et du savoir fondamental. Donc nous voulons l'intégrer à notre diplôme professionnel. Si elle n'est pas cela, alors qu'est-elle ? Rien. Un permis de travailler sur un chiffon de papier.
Il y a une conséquence politique à cette affirmation, car cela implique que nous ne faisons pas de la requalification une responsabilité individuelle, mais une responsabilité collective de la société.
Le modèle de la professionnalisation durable est donc une garantie sociale donnée aux individus. Ce n'est pas une simple technique de gestion de la " ressource humaine ".
Dans cette approche, il n'y a pas de contradiction entre l'enseignement disciplinaire académique et la professionnalisation, il n'y a pas de contradiction entre l'enseignement initial (Education de base) et la formation professionnelle initiale et continue.
A l'inverse, il y a une profonde convergence entre l'exigence démocratique d'un formation durable et l'exigence économique de développement durable.
Il est opératoire dans les pays développés, (En France où il est à l'uvre, il nous permet d'être la 4° puissance mondiale). Il peut l'être dans les pays les plus en difficulté économique dans lesquels l'Education pour tous est la moins développée.
Le concept de professionnalisation durable réconcilie la vocation humaniste de l'Education et le souci d'efficacité sociale et productive.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 30 novembre 2001)