Texte intégral
Q - Une force militaire internationale sera-t-elle déployée très rapidement en Afghanistan ?
R - Oui. Une présence internationale, pour sécuriser les parties de l'Afghanistan qui sont progressivement libérées, est indispensable. Sous quelle forme ? L'ONU pense qu'une force afghane serait l'idéale mais on ne peut pas la composer sans un accord politique préalable. L'autre option serait une force de maintien de la paix de l'ONU. Le secrétaire général, Kofi Annan, et son représentant spécial pour l'Afghanistan, Lakhdar Brahimi, restent prudents. Ils ont raison car il n'y a en effet pas de paix à maintenir en Afghanistan, et il ne faut pas mettre l'ONU dans une situation de fiasco programmé. Il faut d'abord réunir les conditions pour qu'une force de maintien de la paix soit faisable.
Mais comme il existe un besoin urgent d'une présence militaire pour assurer la sécurité du pays, nous devons faire autrement. C'est-à-dire déployer une force multinationale, autorisée par les Nations unies. Des contingents multinationaux pourront entreprendre tout un éventail de taches ; assurer la sécurité dans les villes, dans les aérodromes, dans les camps de réfugiés, escorter les réfugiés qui vont vouloir rentrer chez eux, etc.
Q - Comment la France va-t-elle contribuer à la sécurité de l'Afghanistan ?
R - La France a décidé de contribuer à la sécurité dans le nord du pays, à partir de la ville de Mazar-i-Charif. Pour le reste d'autres demandes, soit américaines soit des Nations unies, sont en train d'être examinées par le président et le gouvernement français.
Q - Le Conseil de sécurité vient de voter une résolution franco-britannique sur l'Afghanistan. Autorise-t-elle cette présence multinationale ou faut-il d'autres textes plus précis ?
R- La résolution crée un cadre pour notre action, elle "encourage" les Etats membres à contribuer à la sécurité de l'Afghanistan. Les Etats membres n'ont donc pas besoin d'autres autorisations pour le faire, ceux qui sont volontaires peuvent d'ores et déjà s'organiser. Il faut maintenant des précisions sur les taches à accomplir.
Q - Cette force multinationale sera-t-elle déployée dans quelques jours ou bien dans quelques semaines ?
R - Aussi vite que possible.
Q - Pensez-vous que la mise en place d'une autorité politique est possible assez rapidement ?
R - Il est très urgent que les factions afghanes trouvent un compromis. Alliance du nord ou Pachtounes, politiques ou militaires, sont désormais devant leurs responsabilités. En 1992, le monde a abandonné l'Afghanistan, maintenant le monde entier est prêt à aider les Afghans à reconstruire un nouveau pays. Mais nous ne sommes pas prêts à aider l'Afghanistan à retomber dans la guerre civile ou à éclater en fiefs. Ces responsables ont beaucoup à gagner en faisant le bon choix. Ils doivent se mettre d'accord très vite sur un équilibre politique. J'ajoute que la même attente concerne les pays voisins qui soutiennent tel ou tel groupe en Afghanistan.
Q - Dans quel état se trouve la coalition internationale contre le terrorisme ?
R - L'engagement d'un grand nombre de pays contre le terrorisme est réel. L'idée que la réaction contre Al Qaïda était légitime et n'est pas contestée. Et il existe une vraie détermination à poursuivre dans la durée la lutte contre le terrorisme. Mais si l'on exige de certains pays - comme, par exemple, la Syrie ou le Liban - qu'ils qualifient de terroristes certains groupes qui, dans un contexte de politique locale, ne sont pas considérés tels, cela peut créer des problèmes. Le fait que le président George Bush ait dit dans son discours devant l'Assemblée générale de l'ONU que la création d'un Etat palestinien était un objectif a renforcé la coalition.
Q - Les Américains sont-ils devenus multilatéralistes depuis les attentats du 11 septembre ?
R - Non, je ne crois pas. Les Etats-Unis étaient unilatéralistes dans le désengagement, ils le restent dans leur réengagement. Le Sénat américain a toujours eu des positions très fermes contre tout engagement nouveau des Etats-Unis dans un système multilatéral, contre toute délégation de compétence. Cela n'a pas changé. Nous, Européens, espérons les convaincre d'accepter des règles de jeu multilatérales.
Le 11 septembre montre que la communauté internationale reste à construire. Avant même les attentats, des réunions internationales, comme celle de Gênes (G 8) ou de Durban (Conférence contre le racisme), ont révélé que nous avions trop vite cru à l'avènement d'une communauté vraiment unie, avec un consensus sur des valeurs, alors que cela demeure contesté. Nous devons avoir le courage de traiter cette réalité en face et de chercher aussi des solutions pour le conflit au Proche-Orient, pour l'Iraq, pour l'Afrique des Grands lacs, contre la pandémie du Sida.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2001)