Interview de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à "Europe 1" le 14 novembre 2001, sur les ultimes négociations de la conférence internationale de l'OMC à Doha au Quatar.

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Média : Europe 1

Texte intégral


J.-P. Elkabbach Je vous attendais dans le studio d'Europe 1, or l'OMC joue les prolongations et vous avez sans doute bien fait de rester à Doha, où la négociation continue. Vous venez de demander une suspension d'audience. Est-ce que l'accord de l'OMC est possible ce matin, peut-être pour aujourd'hui, peut-être pour demain ?
- "Ce que je peux dire, c'est que, par rapport à la situation d'hier, les choses ont progressé, plutôt dans le bon sens. Nous sommes en train - et c'est pour ça que j'ai demandé une suspension de séance - de les expertiser. Bien entendu, nous le faisons aussi en liaison avec l'ensemble du Gouvernent, le Premier ministre et le président de la République."
Il est deux heures de plus à Doha. Encore une fois, merci d'être avec nous en direct. Est-ce que vous avez l'impression, à partir du texte que vous avez, que l'Europe peut rester maîtresse de sa politique agricole pour les années qui viennent ?
- "Je pense que notre objectif - et c'est ce qui conditionnera notre réponse sur cette question de l'agriculture - est qu'il faut absolument que l'Europe reste maîtresse de sa PAC. Il ne serait pas acceptable qu'à Doha, on préempte l'évolution de la PAC. Depuis que je suis ici, j'ai insisté avec beaucoup de fermeté sur ce sujet. Il me reste maintenant à apprécier, dans la formulation exacte du texte, si ce résultat est bien obtenu."
Il faut expliquer aux Français que pendant, toute la nuit, il y a eu des discussions...
- "Oui, bien sûr."
Pour décrocher des parenthèses, des mots... L'OMC voulait "un retrait progressif" des subvention à l'exportation des produits agricoles, c'est-à-dire, à terme, la disparition ou la suppression des subventions - vous l'avez refusé au nom de la France.
- "Oui."
Et cette fois, dans le texte, on dit : "(...) Sans préjuger de l'issue de négociations."
- "Tout à fait. Ce qui veut dire que ce texte là, tel qu'il est, il faut que j'examine si la neutralisation de ce que nous ne voulions pas est effective."
Mais qu'est-ce qui gêne la France pour le moment ?
- "D'abord, je voudrais vous dire que nous sommes sur l'expertise du texte de l'agriculture, mais pas seulement. Il y a un paquet global qui concerne, d'une part, ce que les pays en développement ont obtenu, puisque c'est un signe de développement, compte tenu du fait qu'effectivement, cette mondialisation est déséquilibrée en leur défaveur. Je crois qu'ils ont aujourd'hui obtenu un certain nombre de choses positives, des avancées sur les médicaments et cette question essentielle du Sida et des grandes pandémies, c'est important..."
Au passage, l'accord sur le médicament peut-il être accepté s'il y a échec par ailleurs ? Je veux dire, peut-on séparer l'accord sur le médicament, parce qu'il concerne les Indiens, l'Afrique ?
- "Je le pense, parce que c'est une déclaration séparée, ce qu'on appelle "un délivrable à Doha." Par conséquent, cet accord, qui est incontestablement positif, peut être considéré comme acquis. Ils ont obtenu d'autres choses sur l'antidumping, qui est une préoccupation, et sur d'autres sujets aussi. La réponse aux pays en voie de développement a donc été forte. Dans ces conditions, comment se présente le bilan pour la France ? Sous réserve de l'expertise indispensable à laquelle je procède actuellement, je rappelle que, par exemple, nos services publics sont hors de cause aujourd'hui, ce qui est important. La culture aussi..."
La Commission européenne vient de recommander aux quinze Etats membres de l'Union européenne, d'accepter le projet d'accord commercial ...
- "Oui, c'est en effet la recommandation."
... de monsieur P. Lamy, de monsieur Fischer.
- "Absolument."
Donc, cela veut dire qu'il y a aussi une sorte de pression de l'Europe sur la France, pour qu'elle accepte en ce moment même ?
- "Vous savez, depuis que je suis ici, cela fait plusieurs jours que la France dit exactement ce qu'elle peut accepter et ce qu'elle n peut pas accepter. Je suis intervenu de façon extrêmement vigoureuse, au risque parfois d'être un peu désagréable vis-à-vis de certains. Cela veut dire qu'on sait bien que l'expertise à laquelle nous nous livrons aujourd'hui sera décisive. Nous travaillons en considérant que c'est de cette expertise, qui est globale au niveau des autorités françaises, que dépendra la décision. Nous ne nous laisserons pas ni influencer, ni distraire, par aucune pression d'aucune sorte."
Vous parlez à voix basse, comme s'il y avait encore les délégations à côté de vous. Peut-être aussi parce que vous avez eu toute la nuit de négociation. Je sais que vous êtes dans la salle qui est à côté de l'endroit où les choses se déroulent.
- "Oui."
La France, quatrième puissance industrialisée exportatrice au monde, peut-elle empêcher le développement du commerce mondial à cause de ses paysans qui ont été souvent aidés, qui ont besoin d'aide, et dont le nombre diminue ? Est-ce que tout peut capoter à cause, à la fois, des paysans et de 2002 ?
- "Je vous ai dit tout à l'heure que c'était un paquet global. Nous examinons les autres sujets aussi, qui sont des sujets de régulation, parce que la position de la France est de faire en sorte que progressent la maîtrise et la régulation de la mondialisation - je suis donc très clair là-dessus. J'ajoute que, pour ce qui concerne l'agriculture, c'est la PAC et c'est aussi un des fondements du projet européen, même s'il doit évoluer, qui est mis en cause. Par conséquent, c'est au fond une politique qui a été fondatrice et qui soude 15 pays dans le monde, auxquels viendront s'ajouter dans un certain temps 14 autres. Je crois vraiment que la PAC est autre chose que la seule défense des subventions à l'exportation. C'est aussi une conception de l'agriculture, de l'aménagement du territoire, de ses relations à l'environnement. Et donc, c'est quelque chose pour nous qui est important et beaucoup plus large."
Est-ce que vous dites, ce matin, que la France n'est pas effrayée par un échec à Doha ?
- "Je dis, ce matin, que la France n'est pas, et jusqu'à la dernière minute, dans une stratégie d'échec. Mais la France est jusqu'à la dernière minute dans une stratégie de défense de ses ambitions et de ses exigences."
Et de ses agriculteurs ?
- "Et des agriculteurs qui sont, avec d'autres - j'ai beaucoup travaillé, ici même, avec des représentants de l'agriculture allemande - de nos concitoyens..."
Oui, mais il y a beaucoup d'agriculteurs et le patron de la FNSEA à Doha ; il y a même des représentants de la Confédération paysanne qui sont d'avis différents."
- "Absolument."
Quel délai vous donnez-vous ?
- "Je pense que maintenant, lorsque j'aurai terminé l'expertise à laquelle je dois procéder - le CSG doit reprendre à 10h30..."
La réunion des ministres...
- "La réunion du Conseil des ministres européens est reconvoquée à 10h30. J'attends d'avoir fait mon expertise, et même si je suis un petit peu en retard, il faut prendre le temps qu'il faut."
Quand vous dites "10h30", c'est-à-dire dans trois minutes...
- "Oui, c'est 8h30 pour vous."
Vous venez d'avoir le président de la République et vous avez eu, ou vous allez avoir, M. Jospin : est-ce que vous pouvez nous dire si c'est la même ligne pour les deux ?
- "Avant de partir à Doha, un conseil restreint avait été convoqué auprès du président de la République, avec le Premier ministre et les principaux ministres concernés, pour établir la position de la France. Par conséquent, je pense que c'est la France qui parlera."
En ce moment, d'après ce que vous avez eu comme contact avec l'Elysée, on vous encourage ?
- "Vous me permettrez, compte tenu que l'expertise n'est pas terminée, de ne pas vous en dire davantage sur ce sujet."
Donc, l'expertise se joue à la fois à Doha - pour être clair et pour les Français qui écoutent -, à l'Elysée et à Matignon. Et vous aurez la réponse dans les minutes qui viennent ?
- "Tout à fait."
S'il y a accord, cela veut dire qu'il y a des négociations qui commenceront au début de l'année prochaine, c'est ça ?
- "Oui. Ici, on ne fait qu'un agenda. Alors cela paraît banal de dire qu'on fait un agenda et pourquoi sommes-nous en train de tellement discuter et se battre sur un agenda ? Mais, si cet agenda n'est pas la négociation elle-même, il en fixe les contours et il en préfigure le contenu."
C'est un cycle de négociations ?
- "Qui va durer trois ou quatre ans."
Qui commencerait au début de l'année prochaine, pour trois ou quatre ans, au moment où il faudra renégocier la politique agricole commune.
- "Tout à fait. Et c'est dans ce sens que je dis que l'objectif prioritaire pour nous est qu'en effet, ici, on ne prenne pas de décisions qui soient une contrainte sur ce que l'Europe doit conserver de liberté, pour se déterminer elle-même."
S'il y a un accord et un jour un traité OMC, il faut - on le rappelle - que tous les parlements nationaux le ratifie et la France aussi ?
- "Absolument. Bien sûr."
Vous dites ce matin : 50/50 comme hier, ou 60/40 en faveur ?
- "Je dis ce matin, à l'heure où je parle : 50/50."
Encore 50/50 ! Il y a un risque sur deux d'échec.
- "Je le pense vraiment, parce que ces négociations sont extrêmement longues et sont extrêmement fatigantes, extrêmement compliquées. Tant qu'elles ne sont pas bouclées, les sujets où on a avancé peuvent, à la dernière minute, régresser. Il faut être vigilant jusqu'à la dernière minute."
Quand rentrez-vous à Paris ?
- "Je pense que je partirai dans l'après-midi, si les choses sont bouclées d'ici là."
Dans un sens où dans l'autre ?
- "Oui."
On vous remercie et on comprend votre tension et votre embarras, parce que cela est en train de se jouer.
- "Je ne suis pas embarrassé, ni tendu. Je suis assez décontracté, mais simplement je sais très bien..."
Que cela se joue maintenant ?
- "Absolument."
Vous allez reprendre votre place aux négociations. Bonne journée - on sent maintenant, au travers de ce que vous venez de dire, combien elle est décisive pour cet accord à l'OMC.
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 22 novembre 2001)