Déclarations de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-israéliennes, sa récente "inquiétude" sur l'arrêt du processus de paix au Proche-Orient et sur les efforts de la diplomatie occidentale pour le relancer, Jérusalem le 24 novembre 1997.

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Circonstance : Voyage de M. Védrine au Proche-Orient du 24 au 26 novembre 1997-à Tel Aviv et Jérusalem (Israël) le 24, à Ramallah (Autorité palestinienne) le 25, au Caire (Egypte) le 26

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, merci de m'avoir attendu un certain temps puisque mes
entretiens ont presque tous duré plus longtemps que prévu et donc tout cela a
été décalé. Je voudrais vous dire que je viens de passer une journée d'un très
grand intérêt ici, même passionnante, et que j'ai eu une série d'entretiens qui
ont tous été très francs, très directs, très amicaux, très intéressants. J'ai
eu ce long déjeuner avec le ministre des Affaires étrangères, j'ai été reçu par
le président de l'Etat,. J'ai eu un entretien avec M. Barak, je viens d'avoir
un long entretien avec le Premier ministre. J'ai eu, en plus de ce qui était
prévu, quelques minutes d'entretien avec M. Pérès puisque je l'ai croisé à la
Knesset et naturellement tous les entretiens ont tourné autour de la situation
dans la région, de la situation du processus de paix et les perspectives pour
le consolider ou le relancer, et d'autre part la situation concernant le Liban
et la Syrie. On a également parlé de l'Iraq, de l'Iran et de toutes sortes
d'autres sujets. Voilà à quoi j'ai occupé les quelques heures que j'ai passées
ici depuis mon arrivée en fin de matinée. Maintenant, si vous voulez me poser
des questions, je répondrais volontiers.

Q - Est-ce que le Premier ministre vous a fait part de son plan de
redéploiement éventuel ?

R - C'est à lui d'en parler, c'est à lui d'annoncer ce qu'il peut avoir en
tête. Il m'a fait part de sa vision de la suite du processus. Il m'a longuement
expliqué les différents volets de ce que pourrait être la suite du processus.

Q - Ce n'est pas la première étape ?
R - Nous n'avons pas distingué les étapes. Il m'a longuement expliqué
l'ensemble, la suite. La question que je lui ai posée est celle-là. Je lui ai
dit qu'il y avait en France, comme dans beaucoup de pays d'Europe, une immense
espérance au moment où le processus de paix avait enfin été lancé après
tellement d'années, de décennies. Je lui ai expliqué que c'est à ce titre que
la France notamment a éprouvé un intérêt, à la fois raisonné et passionné pour
ce processus. Je lui ai expliqué que c'est pour cette raison qu'une vive
inquiétude et une grande perplexité s'étaient développées depuis quelque temps
par rapport à cela. La France, aussi bien ses dirigeants que l'opinion,
cherchait à voir où on en était, où on allait, quelles étaient les
perspectives. M. Netanyahou m'a redit que pour lui, le processus de paix, la
recherche de la paix, était une priorité, un véritable engagement qu'il voit
évidemment à sa façon. Mais je suis venu ici pour écouter, largement, pour
comprendre, mieux voir comment on apprécie la situation depuis Israël.

Q - Le Premier ministre vous a dit qu'il allait continuer le processus de paix.
L'avez-vous cru ?

R - Le problème n'est pas de savoir ce que je crois ou pas. Le problème est de
savoir si les situations politiques font que les gens doivent agir d'une façon
ou d'une autre. Donc, je ne me prononce pas sur les arrières pensées. Il m'a
dit sa détermination à poursuivre un processus de paix. Il m'a dit qu'il y
réfléchissait et qu'il y travaillait.

Q - Il y a deux mois vous avez dit qu'il n'y avait plus de processus de paix.
Sans revenir sur ces propos, est-ce que, après tout ce que vous avez entendu,
vous avez le sentiment qu'il y a une perspective, qu'il y a une dynamique de
paix ?

R - D'abord, j'ai parlé à un moment où vraiment les perspectives étaient
spécialement absentes. D'autre part, je répondais à l'époque à des questions
extraordinairement critiques et donc j'avais exprimé un sentiment qui était, je
crois, assez répandu d'ailleurs. Il l'est peut-être encore plus depuis. Enfin,
il était déjà très répandu chez la plupart des gouvernements européens et
occidentaux. Depuis, il y a eu quelques éléments nouveaux qui ne changent pas
l'ensemble de cette analyse mais les Etats-Unis se sont réengagés de façon plus
nette, en tout cas à travers Mme Albright. Elle est venue dans la région, elle
a fait des efforts que nous avons à la fois encouragés et salués pour essayer
de relancer le processus, en tout cas le dialogue, les discussions sur une
série de points. Il y a eu son voyage dans la région, les conversations de
Washington. Tout cela est un engagement tout à fait indispensable et nous
continuons à le soutenir. Nous continuons à dire aux Etats-Unis qu'ils doivent
persévérer dans cette voie, quelles que soient les difficultés et quelle que
soit pour le moment l'extrême modestie des résultats. De même, nous sommes en
parfaite coordination entre Européens, puisque c'est un sujet qui est abordé
maintenant systématiquement par les ministres européens des Affaires
étrangères, et la dernière fois encore c'était au dîner du Luxembourg. Donc,
c'est extrêmement récent. Nous sommes également en parfaite synergie avec les
Etats-Unis sur ce plan. Il y a une série de choses qui se sont produites ces
dernières semaines qui ne changent peut-être pas la situation générale dans
laquelle nous nous trouvons mais, compte tenu de cet engagement américain,.
compte tenu de l'état d'esprit des Européens, compte tenu aussi de ce que j'ai
entendu aujourd'hui ici, des conversations que j'ai eues, cela me mène à penser
que tous ceux qui sont attachés à la poursuite ou à la relance d'un processus
de paix ne doivent en aucun cas se décourager. Il faut continuer à agir
tenacement et dans cette action, il y a le dialogue et dans le dialogue, il y a
naturellement le dialogue avec les responsables israéliens.

Q - Le Premier ministre vous a fait part de ses intentions. Est-ce que sa
vision vous paraît applicable, réaliste, compte tenu des nécessités objectives
?

R - Le contenu de votre remarque est pertinente. Je me garde bien de faire
moi-même des prévisions sur quoi que ce soit. Je vous parle simplement de
l'atmosphère et de la nature des conversations que j'ai eues aujourd'hui. Il a
une vision. Il a sa vision à lui, en tout cas, de ce que pourrait être un
processus. Je lui ai expliqué pourquoi les Européens, et en particulier les
Français étaient devenus extrêmement perplexes et sceptiques sur le sujet. Il
m'a expliqué pourquoi peut-être nous n'avions pas pris en compte l'ensemble des
éléments et que l'on sous-estime le facteur "sécurité". Je ne crois pas que
l'on sous-estime le facteur "sécurité" mais les responsables ici, et le Premier
ministre n'est pas le seul dans ce cas, considère que malgré tout on le
sous-estime quand même un peu. Donc, c'est une discussion. Nous sommes à
l'extérieur. Ils sont parmi les protagonistes essentiels, mais c'est une
discussion qui doit être menée, qui est tout à fait intéressante. En tout cas,
il s'est attaché à me convaincre qu'il avait sa vision à lui du processus que
naturellement son objectif était de le reprendre et que les efforts ne
pouvaient pas venir que d'un côté. Maintenant, je ne peux pas aller au-delà de
ce que je vous ai dit il y a un instant. Je crois qu'en aucune façon ceux qui
sont attachés à la paix, à une solution politique, équitable, durable et donc
sûre, ne doivent se décourager en aucune façon.

Q - Etes-vous plus optimiste après l'avoir entendu qu'avant, et pourquoi?
R - Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste mais je me demande à chaque moment
dans des situations complexes de ce type ce que l'on peut faire d'utile. Et je
crois que ce qui peut être fait d'utile par la France aujourd'hui, comme par
les Européens, c'est de continuer à être en contact avec tous les
protagonistes, à parler aux uns et aux autres, à dire pourquoi nous comprenons
certaines choses, pourquoi nous ne comprenons pas telle autre chose, à dire
pourquoi nous sommes inquiets et pourquoi l'attachement profond que nous avons
pour un processus de solution politique n'est pas antinomique de la
préoccupation de la sécurité, mais au contraire l'englobe complètement. Pour
nous, c'est la même démarche. Donc nous continuerons à parler avec les
responsables israéliens, que ce soit des responsables au pouvoir ou dans
l'opposition, nous continuerons à parler avec les Palestiniens, avec les
responsables de tous les pays de la région.

Q - (Sur le report de la visite de M. Cook et les difficultés rencontrées par
M. Netanyahou pour être reçu par M. Clinton)

R - Je crois que cela ne se présente pas comme cela. Le président Clinton n'a
pas reçu M. Netanyahou pour des raisons qui sont les siennes. Je ne porte pas
d'appréciation sur les raisons mais ce n'est pas la même chose. Peut-être que
cela n'aurait pas eu la même signification. Le fait frappant des dernières
semaines est plutôt que les Etats-Unis se sont réengagés dans la recherche
d'une solution. Ce dont vous me parlez, c'est un épisode significatif mais
enfin ce n'est pas la définition de la réaction des dernières semaines. Après
une longue période qui a pu paraître comme passive par rapport au sujet, les
Etats-Unis se sont réengagés, le Secrétaire d'Etat est venu et considère que
c'est un sujet important. Elle y passe du temps, elle est en contact avec les
Européens, elle m'a appelé juste avant que je parte pour faire le point de nos
analyses respectives et des thèmes qui nous paraissaient importants. Cet
engagement, je le disais, va continuer. Aux yeux des ministres européens, c'est
très important que les uns et les autres viennent ici, viennent dans cette
région, aient le contact, viennent ici pour mieux comprendre car il y a des
choses que l'on comprend mieux sur place qu'ailleurs. Mais pour continuer à
plaider, à expliquer, à faire valoir un point de vue qui n'est pas forcément
celui des dirigeants israéliens, mais qui doivent entendre le point de vue des
autres, et qui d'ailleurs l'accueillent, je n'ai pas eu le sentiment d'avoir eu
la moindre difficulté à être écouté et à faire part de notre point de vue. Donc
il n'y a aucune espèce de doute, ni chez les Américains, ni chez les Européens,
sur le fait que ce soit utile de venir régulièrement. D'ailleurs, avec M. Cook
nous sommes en liaison depuis le début à propos de nos voyages respectifs et
c'est peut-être également en tenant compte du fait que je venais à cette date
qu'il a pensé que c'était moins indispensable qu'il vienne au même moment.
Donc, il a reporté en début d'année. Il y a une autre raison que vous ne citez
pas de reporter, c'est qu'il pourra faire ce voyage au titre de la présidence
européenne, de même que M. Poos est venu il y a quelques jours au titre de la
présidence. C'est devenu un sujet maintenant qui est abordé régulièrement par
les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne, les Quinze, lors
du Conseil Affaires générales qui a lieu chaque mois. C'est un sujet qui est
examiné donc systématiquement et à peu près chaque mois maintenant, compte tenu
de l'intensité de ces voyages. Le ministre qui en revient fait un exposé aux
autres. Il y a l'amorce d'une approche européenne plus commune qu'elle n'a
jamais été, me semble-t-il. Les analyses convergent, l'obsession commune est de
faire tout ce qui est possible, pas la forme forcément de déclarations, mais de
contacts, de travail, d'explications, de persuasion, de faire tout pour
relancer ce processus et faire en sorte qu'il conduise à la solution la
meilleure possible. Donc, voyez c'est une sorte de morale de l'effort au
quotidien.

Q - Monsieur le Ministre, avez-vous l'impression que le gouvernement israélien
est vraiment favorable à une intervention de la France, de l'Europe, dans le
processus de paix ?

R - Je crois que c'est une présentation ancienne et qui n'est pas forcément
pertinente par rapport à la situation actuelle. De toute façon, je pense que le
gouvernement israélien, comme d'autres gouvernements, n'est pas forcément
demandeur d'intervention de qui que ce soit.Auau point de départ, il s'estime
responsable, il s'estime en charge et spontanément il n'irait peut-être pas
demander l'intervention des uns et des autres. Mais en même temps, c'est un
gouvernement responsable, réaliste, qui connaît l'état du monde et qui sait
très bien qu'un certain nombre de pays ou de puissances, ou d'organisations ont
légitimement leur mot à dire sur l'ensemble des grands sujets du moment. C'est
pour vous dire que les ministres européens qui viennent (je l'ai vérifié avec
les autres qui sont venus, qui m'en ont parlé à chaque fois), je le vérifie en
ce qui me concerne aujourd'hui, j'ai été remarquablement bien accueilli et je
redis que j'ai passé une journée passionnante, que je sois convaincu ou non,
peu importe. C'était vraiment un vrai dialogue très intéressant, mais c'est
surtout la façon de poser les problèmes en termes de concurrence entre les
Etats-Unis et l'Europe qui à mon avis n'a pas de sens par rapport à
aujourd'hui. Si vous regardez bien les positions des uns et des autres, elles
sont très convergentes, la concertation entre les Européens et les Etats-Unis
est constante. Pour ma part j'ai déjà dû parler de cette question une dizaine
de fois avec Mme Albright. Donc, je ne sens en aucune façon une compétition,
une concurrence. Je ne sens aucune gêne du côté des Etats-Unis à ce qu'il y ait
une action européenne dynamique, je ne sens aucune gêne par rapport à M. Cook
ni par rapport à n'importe quel autre ministre européen. Au contraire. C'est un
petit jeu traditionnel de savoir s'il y a compétition, concurrence, quel rôle
joue X ou Y. Ce n'est pas la façon dont le problème se présente aujourd'hui. Il
est vraiment en train de se créer une synergie entre l'ensemble de ceux qui,
dans les différents pays dont nous parlons, sont attachés à la relance de ce
processus. Il est en train de se créer une sorte d'approche commune. Il y a des
nuances, bien sûr. Mais la complémentarité domine. Ensuite, il reste à en
parler aux responsables. On ne peut pas inventer des solutions artificiellement
de l'extérieur et en parler aux responsables. Il faut dialoguer avec le
gouvernement israélien, dialoguer avec l'Autorité palestinienne et dialoguer
avec les autres gouvernements de la région puisqu'il n'y a pas que le volet
israélo-palestinien. Donc, je ne sens pas du tout les choses telles que vous me
les dites./.

(source http://www,diplomatie,gouv,fr, : le 24 septembre 2001)