Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur la politique culturelle, notamment la liberté de création et d'expression, la créativité et la démocratisation des pratiques culturelles et de l'enseignement artistique et la construction de l'Europe des cultures, Paris le 30 juin 1999.

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Circonstance : 40 ème anniversaire du ministère de la culture à Paris le 30 juin 1999

Texte intégral

Merci à tous d'être ici ce soir, et d'être si nombreux.
Nous venons d'entendre des extraits du magnifique discours prononcé par André Malraux à Amiens, le 19 mars 1966. Permettez-moi d'y revenir un instant, de revenir sur les mots de conclusion par lesquels, ce jour-là, André Malraux interpellait son auditoire :
" Il n'y a pas, il n'y aura pas de maison de la culture sur la base de l'Etat, ni même de la municipalité. La maison de la culture, c'est vous et il s'agit de savoir si vous voulez le faire ou si vous ne le voulez pas ".
Eh bien, ce soir, je voudrais vous dire que le ministère de la Culture, c'est vous. Vous tous, hommes et femmes de culture et de conviction qui, pour certains, travaillent depuis l'origine à ce profond mouvement de développement de la politique culturelle de notre pays.
C'est vous aussi, madame et messieurs les ministres, qui avez eu l'honneur d'en exercer la responsabilité politique et d'en étendre les champs de compétences, qui avez su en affirmer l'identité et l'originalité comme vous avez su en renforcer la légitimité et le rayonnement, dans notre pays, bien sûr, et au-delà, dans le dialogue avec les peuples du monde.
Mais notre ministère, ce sont aussi ces milliers d'acteurs culturels, professionnels ou amateurs, et ces millions de citoyens qui, formant les publics, sont aussi acteurs de la vie culturelle.
Et bien sûr, et surtout, ce sont les artistes, les créateurs de toutes les disciplines qui, en nous offrant leur lecture du monde nous invitent à renouveler la nôtre, nous bousculent, nous touchent, cassent les faux-semblants, nous tiennent en éveil.
Je l'ai souvent affirmé : nous sommes avant tout ce ministère de la citoyenneté et de la civilisation, ce grand service public, au service de tous les publics, des créateurs et de la création.
C'est pourquoi il m'a semblé important de marquer par notre rencontre le 40ème anniversaire de cette aventure commune.
Quarante ans, ce n'est pas très long au regard de l'Histoire. Mais en quarante ans, la tâche accomplie a été gigantesque et ce que l'on appelait en 1959 un " petit ministère " est devenu un ministère comme les autres, mais avant tout, différent.
Tous ceux qui " travaillent à la culture ", comme on le dit couramment, le savent bien. Vous le savez bien : vous avez choisi ce ministère, car c'est un ministère que l'on choisit. Quelles que soient vos responsabilités et le domaine dans lequel vous exercez vos compétences, vous participez à la réussite d'une mission très ambitieuse, très généreuse, indispensable.
Malraux fut le fondateur de ce pacte républicain qui, aujourd'hui, rassemble tous les acteurs publics en faveur de la culture.
Je me réfère ici à l'idée généralement admise que la politique culturelle de l'Etat, accompagnant ou entraînant les collectivités locales dans une dynamique de développement, ne s'est véritablement organisée qu'à partir de l'instauration du ministère de la culture, même si les prémices viennent de plus loin. Je pense bien sûr à ceux qui, tels Jean Zay, ont porté haut l'ambition de l'affirmation de l'éducation et de la culture.
En 1959, tout était à entreprendre. Il fallait doter notre pays d'infrastructures culturelles, offrir à tous les clés d'accès à notre patrimoine, en révéler les beautés, ouvrir des chantiers dans tous les domaines des arts et de la création, apprendre à mesurer les liens entre la culture et l'économie.
Il a fallu devenir réaliste sans renoncer à l'imaginaire, structurer sans renoncer à l'audace, gérer sans renoncer au désir.
Le défi était certes enthousiasmant, mais il était immense. Il a été relevé. Un modèle a pris forme et l'on peut dire, je crois, qu'il a fait école.
Alors, si nous devons rester fidèles aux ambitions d'origine, si nous sommes collectivement comptables des savoirs acquis pendant ces quarante années, il nous revient d'actualiser les valeurs fondatrices de notre modèle de développement culturel et, certainement, de repasser à l'offensive.
Malraux réaffirmait la place et le rôle de la culture en rapport avec ce qu'il appelait la civilisation de la machine.
Nous devons à notre tour réaffirmer cette place et ce rôle de la culture, alors que la société de l'information, de l'image et de la communication a profondément transformé l'univers quotidien de chacun, les modes d'accès aux savoirs et à la culture, mais aussi les repères du temps, et précipité l'immédiateté et l'éphémère.
Nous le devons d'autant plus que se sont manifestées dans notre pays au cours de ces dernières années des remises en cause sournoises et malignes du socle de nos valeurs républicaines.
Nous avons enfin à ouvrir de nouveaux horizons, à la dimension de l'Europe qui se construit chaque jour davantage.
Tout cela, nous l'entreprenons autour de quelques idées fortes :
· Tout d'abord garantir le principe de liberté de création dans nos sociétés et convaincre de la nécessité d'une recherche artistique vivante, non tributaire d'un utilitarisme politique ou social.
Pour que l'acte de création soit respecté, il faut que la liberté d'expression et la créativité deviennent un enjeu individuel et collectif.
· C'est bien pourquoi la démocratisation des pratiques culturelles demeure notre objectif fondamental.
Démocratiser l'accès aux pratiques culturelles, c'est l'ouvrir à tous en réduisant les contraintes d'origine économique et sociale qui font obstacle à la fréquentation des équipements culturels et des oeuvres. Je viens de rendre publiques une série de mesures fortes en ce sens. Cette étape, à laquelle, vous le savez, j'étais très attachée, est franchie. Mais l'objectif n'est pas atteint : il nous faut intensifier notre action.
Démocratiser la culture, c'est prendre date avec l'avenir. C'est se porter à l'écoute des formes d'expression et de création en train de naître ; c'est deviner et accueillir les mutations ; c'est prendre en considération ce qui est émergent, comme fut un jour émergente la culture aujourd'hui établie ; c'est passer le relais aux jeunes générations ; c'est favoriser la rencontre entre les artistes, et avec les publics.
L'enjeu de la démocratisation, c'est bien celui de la rencontre. Tel est le sens de l'effort engagé en faveur de l'éducation artistique. La culture, c'est aussi un bien partagé.
· La légitimité de l'intervention de l'Etat en faveur de la création et de la culture doit être refondée pour mieux être acceptée.
Cette légitimité de l'intervention de l'Etat se fonde sur le devoir de transmission, qui est le devoir de la République. Il s'agit de mettre à la disposition de la communauté nationale, et de l'humanité, l'ensemble de notre héritage culturel. Ce n'est pas d'abord de ses financements que le ministère de la culture tient sa légitimité, c'est de la manière dont il remplit ses missions. L'une est à mes yeux essentielle : préserver, pour chaque citoyen, la capacité de choisir, c'est-à-dire d'exercer sa propre responsabilité.
La collectivité publique doit corriger la logique du marché pour garantir la diversité culturelle. Nous devons désormais en défendre le principe au plan européen, non pas pour imposer notre modèle, mais pour construire une véritable Europe des cultures, forte de son patrimoine commun, forte de ses différences.
Je le disais à l'instant, notre ministère a atteint l'âge de la maturité. Il est aujourd'hui respecté comme toutes les grandes administrations de l'Etat. C'est la qualité et le sérieux du travail que vous accomplissez chaque jour qui permet au ministère de la culture de tenir son rang parmi ces grandes administrations.
Je sais que je vous demande des efforts. Je n'ai pas fini de vous en demander : mon ambition pour notre ministère, et l'ensemble de ses personnels, cette forte ambition que j'inscris dans la durée, me fait devoir de vous entendre.
Vous savez combien la situation des personnels de ce ministère et de ses établissements me préoccupe. Je ne cesse de me consacrer à cette tâche de redressement financier, matériel, et, en premier lieu humain. En retour, je sais que je peux compter sur vous. J'ai aujourd'hui la garantie que ce mouvement de redressement se poursuivra.
Que cette belle soirée soit pour moi une nouvelle occasion de vous remercier tous et, à travers vous, l'ensemble des agents du ministère qui fêtent cet anniversaire dans leur région, mais aussi tous ceux qui nous ont quittés et qui, au cours de ces quarante dernières années, ont apporté leur pierre à l'édifice en choisissant de travailler dans notre ministère.
Que cette soirée d'anniversaire, ce moment d'amitié et de fête, nous donne aussi une ardeur renouvelée pour aller encore plus loin, pour faire avancer la cause de la culture et lui permettre d'occuper, en chacun de nous et dans la société, la place qui lui revient : la première.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 28 juillet 1999)