Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, à RTL le 24 janvier 2002, sur la pré-campagne des élections présidentielles, le mécontentement des professions de santé et sur son livre intitulé "Pour une nouvelle gouvernance".

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief.- Vous êtes un des jokers de J. Chirac pour Matignon en cas de victoire. Est-ce vrai ou pas ? Ce n'est peut-être pas le moment d'en parler... Mais qu'est-ce que cela vous fait personnellement d'être en haut de l'affiche, d'être reçu ainsi ? Il paraît que beaucoup de gens approchent les premiers ministrables...
- "Je ne me laisse pas impressionner. Je sais que la sagesse populaire, c'est de ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Je sais ensuite que notre problème aujourd'hui, n'est pas de dégager une personnalité. Elle est de créer un esprit d'équipe, de créer une dynamique collective. Tout notre problème est de bien travailler ensemble. Et plus on dégage des individualités, plus on rend les choses compliquées. Donc, il y a un peu de malice ici où là, à sortir des individus, pour essayer d'empêcher la dynamique collective. Je travaille au collectif."
Vous savez que les têtes qui gonflent sont celles qui éclatent. Vous ne vous sentez pas menacé ?
- "Je me soigne tous les matins, je fais très attention, et dès que [c'est] un peu dur à Paris, je retourne en Poitou et je reprends ma sagesse."
Vous êtes modeste. Néanmoins, vous sortez quand même très opportunément un livre qui s'intitule "Pour une nouvelle gouvernance", édité à l'Archipel, avec des propositions concrètes qui ont un peu l'air d'un programme. Si on essaie de le résumer en trois mots - vous venez de la publicité -, comment le résumeriez-vous ?
- "Je viens de l'entreprise. J'ai travaillé dans une maison de café, et j'ai la réalité dans les veines. Ce que je veux dire, en regardant un peu comment les entreprises travaillent et comment l'Etat travaille, c'est qu'on travaille mal dans l'appareil de l'Etat. Au fond, l'Etat ne tient pas sa promesse. Pourquoi ? Parce qu'il arrive à être impuissant à cause du gigantisme dont parlait tout à l'heure A. Duhamel, à cause de procédures de bureaucratie. Et finalement, on a une très mauvaise gouvernance. On attaque toujours les hommes politiques, mais il faut penser que le système n'est pas bon et génère de l'impuissance."
Concrètement, puisqu'on est sur ce conflit social dans la santé, comment appliqueriez-vous cette "nouvelle gouvernance" à la santé ? Et précisément, ne regrettez-vous pas, à l'heure où un accord vient d'être conclu entre un syndicat et la Caisse d'assurance-maladie, que l'autre syndicat, majoritaire, n'ait pas participé aux négociations ? Vous qui êtes pour le dialogue social...
- "Justement. Que le syndicat majoritaire s'exprime. Il faut respecter les partenaires sociaux. C'est ce que le Gouvernement n'a pas fait. Sans quoi sa gouvernance sociale est très mauvaise. En fait, il faut donner à la société civile des responsabilités, si on veut que le politique soit respecté et soit à sa place. Avec les 35 heures d'une part, avec les négociations sociales d'autre part, le Gouvernement a toujours privilégié la loi sur le contrat. Il impose sa règle. Il n'estime pas le partenaire."
Concrètement, sur la santé, c'est une négociation avec des partenaires sociaux. Elle a abouti ce matin. Juste un mot là-dessus. Est-ce un bon résultat ?
- "Je souhaite qu'on respecte le travail des médecins, des infirmières, qu'on ne les traite pas comme on les a traités dans la rue l'autre jour, qu'on les respecte, parce qu'on a besoin d'eux et que leur travail est essentiel à l'humanité de la société. Je veux qu'on les respecte. Mais quand on a pris plus de 100 milliards de la Sécurité sociale pour aller financer les 35 heures, on a fait une sorte de hold-up vis-à-vis des médecins et des infirmières. On a pris de l'argent par la loi, pas par la négociation. On leur a enlevé de l'argent pour aller financer les 35 heures, cet argent qui était fait pour la santé des Français."
Que pensez-vous de cet accord ? Est-ce qu'il est bon ?
- "Il va dans la bonne direction. Il n'est pas à la hauteur de ce qu'attendent aujourd'hui les médecins généralistes notamment. Donc, que les partenaires sociaux poursuivent la discussion. Je souhaite qu'il y ait un accord et je souhaite qu'on respecte les partenaires sociaux. Et dans ce pays, la gouvernance sociale des socialistes est mauvaise, car elle ne respecte pas les partenaires sociaux. Regardez toutes les difficultés qu'on peut avoir aujourd'hui dans la fonction publique, notamment parce que l'Etat impose aux entreprises sur les 35 heures des règles qu'il n'est pas capable de s'appliquer à lui-même."
On a peut-être un peu de mal à voir exactement où vous allez, où va l'opposition et où vont les mousquetaires de J. Chirac. Il y a tous les jours une réunion, mais avec des sigles différents. Un soir, c'est l'Union en mouvement ; un soir, ce sont les amis de J. Chirac ; un jour, le RPR... Aujourd'hui, il y a le programme électoral du RPR qui va être publié. Vos électeurs vont s'en sortir, vont s'y retrouver ?
- "La campagne est encore très longue. On a des élections jusqu'au 15 juin, donc cela va prendre beaucoup de temps. Pour le moment, nous nous mettons en ordre de marche, progressivement. Nous nous occupons du bilan de monsieur Jospin, de son échec social. Nous rappelons un certain nombre de vérités aux socialistes. Ils donnent le sentiment d'être sur une sorte de planète de l'autosatisfaction. Or, quand on regarde aujourd'hui par exemple l'échec social des socialistes - plus de 3 millions de Français aujourd'hui aux minima sociaux, 1.300.000 Français aujourd'hui en dessous du seuil de pauvreté -, le bilan des socialistes est un bilan antisocial. Il faut pouvoir le dire. Nous avons ce travail-là à faire et nous avons en effet à essayer de dégager un certain nombre de propositions. Le RPR, l'UDF, Démocratie libérale, les clubs, un certain nombre de partenaires aujourd'hui publient leurs propositions. Et le 23 février, à Toulouse, nous achèverons cette pré-campagne, où nous présenterons le projet de l'Union en mouvement, une sorte de synthèse de nos propositions. Et là, après, dans les semaines qui suivent, pourra s'engager la campagne électorale."
Vous êtes sénateur Démocratie libérale. A. Madelin faisait un meeting il y a quelques jours où il disait : "Je ne suis pas candidat contre Chirac, mais à la place de Chirac". Que lui dites-vous ? "Retire-toi, ce n'est pas la peine, cela ne sert à rien..." ?
- "La campagne d'A. Madelin est estimable. Et d'abord, parce que c'est une campagne d'idées. Et je le respecte. J'attaque beaucoup aujourd'hui les socialistes."
J'ai compris, j'ai compris, J.-P. Raffarin ! Mais parlons d'A. Madelin...
- "Dans A. Madelin, il n'y a pas de haine, il y a des idées."
Vous, Démocratie libérale, vous allez voter A. Madelin au premier tour et J. Chirac au deuxième tour ? Ou vous allez voter J. Chirac dès le premier tour ?
- "Je fais partie de ceux qui pensent que c'est J. Chirac qui sera au deuxième tour. Il y a beaucoup de Français qui le sentent aujourd'hui..."
Mais au premier tour ?!
- "Je suis plutôt partisan d'aider notre candidat dès le premier tour."
Donc, vous voterez J. Chirac dès le premier tour ?
- "Mais je respecte tout à fait l'idée de ceux qui peuvent penser qu'il faut, au premier tour, voter F. Bayrou ou voter A. Madelin. Ceci est tout à fait respectable. Nous travaillons au rassemblement pour le second tour."
Donc J.-P. Raffarin votera J. Chirac dès le premier tour, même s'il est Démocratie libérale... C'est ce que vous nous dites ce matin. Revenons sur le respect. Vous [parlez] de "nouvel humanisme", vous dites que les clivages droite-gauche ne sont plus opératoires. Je voudrais vous parler d'une phrase que vous avez prononcée il y a trois jours à Lyon : "Les socialistes font du mal à la France. C'est dans leur histoire, dans leur philosophie, dans leurs gènes..." Vous trouvez que c'est une façon humaniste de parler de son adversaire politique ?
- "C'est une boutade. C'était dans un débat où on montrait que les socialistes, aujourd'hui, ont une façon de promettre du social et finalement, ne sont pas au rendez-vous de leurs promesses. Ils nous ont promis un certain nombre d'avantages sociaux et on voit bien que la croissance est en train de se retirer comme la marée en ne laissant aucune trace. Et aujourd'hui, on est face à une grève de l'Education nationale, on a plus de 60.000 jeunes aujourd'hui qui sortent du système éducatif sans qualification."
Répondez à ma question, J.-P. Raffarin...
- "Je trouve que les socialistes génèrent aujourd'hui une politique de haine, une sorte de guérilla des affaires. La campagne démarre mal de ce point de vue. Il existe dans ce pays une entreprise de démolition de l'autorité. Je trouve que c'est très important. Comment voulez-vous que les jeunes aujourd'hui respectent la Marseillaise, respectent l'école, respectent la police, quand on ne respecte pas la fonction présidentielle, quand on ne respecte pas les institutions ? Je suis sénateur. Quand le président du Sénat rentre dans l'hémicycle, on se lève. Ce n'est pas de la gymnastique ! Ce n'est pas du décorum ! On se lève pour respecter la fonction, respecter ceux auxquels on a confié l'autorité. Il y a dans ce pays des écoles de pensée qui veulent saper l'autorité de l'Etat. Je veux une campagne propre, car il n'y aura pas d'institutions propres si on n'a pas une campagne propre. Et monsieur Jospin doit veiller à faire respecter par ses équipes une certaine dignité de campagne."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 24 janvier 2002)