Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière et candidate à l'élection présidentielle 2002, dans "Lutte ouvrière" les 4, 11 et 18 décembre 2001 sur les attentats-suicides en Israël et la riposte contre les Palestiniens et sur les revendications sociales des gendarmes et des policiers.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

UN PEUPLE QUI EN OPPRIME UN AUTRE EST LUI-MEME VICTIME
Lutte ouvrière 04/12/2001
On ne peut qu'être ému et horrifié par les attentats-suicides en Israël, l'un dans un bus bondé et deux dans une rue piétonnière, qui ont fait 30 morts et près de 200 blessés. Les victimes sont des civils, des enfants, des jeunes, comme il s'en trouve dans les quartiers populaires, un samedi, dans bien des endroits du monde. On ne peut que condamner ceux qui ont conçu et préparé ce carnage, qui n'avance en rien la cause du peuple palestinien que les auteurs de ces attentats prétendent défendre.
Mais pourquoi les responsables des mouvements intégristes qui pratiquent le terrorisme trouvent des exécutants au point de pouvoir se vanter qu'ils ont de quoi perpétrer des attentats du même genre pendant vingt ans, s'il le faut ? Un des hommes qui a explosé en même temps que la ceinture de bombes qui l'entourait n'avait que 17 ans ! Combien d'humiliations, combien de frustrations, combien de désespoirs derrière le geste d'un jeune qui, pour faire le maximum de victimes, a choisi de se tuer lui-même ?
Depuis plusieurs décennies, le peuple palestinien est soumis à un régime d'occupation militaire par un Etat d'Israël supérieurement armé ; un peuple qui a été spolié de ses terres et dont une grande partie s'entasse dans les camps de réfugiés des pays voisins ; un peuple à qui on ne reconnaît, en guise d'Etat national et depuis quelques années seulement, qu'une "Autorité palestinienne" sur un territoire minuscule, morcelé, un véritable camp de concentration pour pauvres.
C'est cette situation sans espoir et sans perspective qui a conduit la jeunesse palestinienne à la révolte de l'Intifada. Pour tenter d'écraser la révolte, l'armée israélienne donne systématiquement ses chars et ses hélicoptères de combat contre une population palestinienne désarmée.
Cette guerre menée au peuple palestinien depuis quatorze mois a fait plus de 1000 morts et 30 000 blessés. Elle a transformé les territoires réservés aux Palestiniens en champs de ruines dont les habitants sont condamnés à la faim chaque fois que les points de passage sont fermés par Israël. Ariel Sharon prétend résoudre le problème palestinien dans le sang et dans la violence, par le terrorisme d'Etat. Mais il a beau réprimer et affamer, cela ne met pas fin à la guerre mais, au contraire, pousse un nombre croissant de jeunes vers la résistance et vers les actions suicides.
Alors, comment ne pas être écoeuré par les réactions des dirigeants du monde impérialiste qui, de Bush à Chirac, en passant par Jospin, font mine de s'indigner, moralisent et appellent le peuple palestinien au calme, mais laissent en même temps les mains libres à l'homme d'extrême droite Sharon. Ce sont les grandes puissances qui ont créé cette situation inextricable où deux peuples vivant sur le même territoire sont dressés l'un contre l'autre. Ce sont ces grandes puissances qui ont voulu faire de l'Etat, créé notamment par des juifs fuyant l'Europe après les horreurs du nazisme, un gardien de la domination impérialiste sur les peuples arabes des alentours.
Les deux peuples auraient pu vivre ensemble fraternellement. Mais il aurait fallu une politique orientée dans ce sens. Il aurait fallu faire en sorte que l'Etat d'Israël nouvellement créé ne soit pas un instrument de spoliation du peuple palestinien et un instrument d'oppression.
Ce n'est pas ce qu'ont fait les dirigeants successifs d'Israël. Leur responsabilité est grande non seulement vis-à-vis du peuple palestinien mais aussi vis-à-vis de leur propre peuple qu'ils ont conduit dans une impasse. Si la situation est désespérée pour le peuple palestinien, elle est en train de le devenir aussi pour le peuple israélien. L'un subit jour après jour le terrorisme d'Etat d'Israël et l'autre subira de plus en plus le terrorisme individuel que le terrorisme d'Etat suscite. C'est cette situation-là que protègent les grandes puissances.
Tant que durera l'oppression, il y aura des hommes pour choisir de mourir plutôt que de vivre dans l'humiliation. Qui sème la violence récolte le désespoir. Des deux côtés cependant, ce ne sont pas les responsables, mais les peuples qui paient.
Arlette Laguiller
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 7 décembre 2001)
SI C'EST LE MOMENT, ALLONS-Y !
Après les concessions faites aux gendarmes dans le week-end, la presse s'est inquiétée : et si cela donnait l'idée aux autres couches de salariés de revendiquer à leur tour ? Eh bien, ce serait une bonne chose.
Après les policiers, les gendarmes étaient mécontents, et sont descendus le dire dans la rue, au mépris des règlements, puisqu'en tant que militaires ils n'ont pas le droit de grève. Même s'ils ne comptent pas parmi les salariés les plus défavorisés, leurs revendications, comme celles des policiers, étaient au moins en bonne partie fondées, non seulement sur le plan salarial, mais également en ce qui concerne leur dotation en équipement, telle que gilets pare-balles ou micro-ordinateurs. C'est que le gouvernement préfère employer ses fonds à faire des cadeaux aux grandes sociétés et qu'il a, vis-à-vis de ses policiers et de ses gendarmes, à peine plus de considération que vis-à-vis de simples travailleurs, c'est-à-dire très peu. Espérons que policiers et gendarmes s'en souviendront le jour où on les enverra réprimer une manifestation ouvrière, ou déloger des travailleurs qui occupent leur entreprise.
Mais vis-à-vis de la police et de la gendarmerie, le gouvernement a cédé vite. C'est que ce sont deux rouages de l'appareil d'Etat qui grinçaient, et que les classes dominantes ont absolument besoin de pouvoir compter sur cet appareil pour faire face à une éventuelle explosion sociale. Jospin a donc trouvé très vite de quoi donner en moyenne 12 000 F de plus par an à chaque gendarme, c'est-à-dire 1000 F par mois.
L'autre aspect du problème qui inquiète la grande presse, c'est que si Jospin a cédé si vite, c'est sans doute aussi parce que nous sommes entrés de fait dans la campagne pour les élections présidentielle et législatives de 2002, et qu'il n'est pas bon, pour un candidat "probable" à l'Elysée, de laisser de telles manifestations se prolonger. Et les commentateurs de se demander si le fait d'avoir cédé si vite à la gendarmerie ne va pas entraîner des mouvements revendicatifs dans tout le secteur public, voire dans le privé.
Mais les gens qui posent le problème ainsi sont ceux qui se placent dans le camp du patronat. Car si les salariés, du privé comme du public, profitaient de cette période pré-électorale pour porter leurs problèmes sur la place publique, ils auraient bien raison. Depuis plus de quatre ans et demi que la gauche gouvernementale s'est fait élire avec les voix des travailleurs, qu'a-t-elle fait pour ceux-ci ? Le quotidien Le Parisien (Aujourd'hui) pouvait titrer lundi qu'il y avait "plus de six millions de pauvres en France" et que "10 % des Français restent sous le seuil de la pauvreté", non seulement des chômeurs, mais des travailleurs en activité, à cause de la précarité, des temps partiels imposés, des "petits boulots". Quel bilan pour un gouvernement qui se prétend de gauche ! Depuis des mois, les plans sociaux (c'est-à-dire les plans de licenciements) succèdent aux suppressions d'emplois sans que le gouvernement fasse quoi que ce soit de concret pour s'y opposer (car ce n'est pas l'allongement des procédures, prévu par la Loi de modernisation sociale, qui empêchera le grand patronat de licencier pour faire plus de profit). Et les salaires de tous les travailleurs qui ont eu la chance de conserver leur emploi perdent peu à peu leur pouvoir d'achat à cause de la hausse des prix.
Alors, si le gouvernement est plus sensible aux revendications sociales à l'approche des élections, tant mieux. Et profitons-en. Il n'y a pas de raison de laisser croire à Jospin qu'il peut mener la politique de la droite, et recueillir quand même l'assentiment des travailleurs. De toute manière, les 1000 F de plus par mois que les gendarmes ont obtenus ne sont qu'une petite partie de ce qui manque sur la feuille de paie de la grande majorité des travailleurs. Et ce n'est qu'en montrant nous aussi, tous ensemble, notre détermination que nous pourrons avoir satisfaction.
Arlette Laguiller
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 14 décembre 2001)

DES PEUPLES NE PEUVENT ETRE MARTYRS SANS QUE TOUTE L'HUMANITE N'EN SOUFFRE
C'est une véritable guerre qui se déroule en Palestine, une guerre menée par une armée israélienne disposant d'avions, de missiles, d'hélicoptères, de chars et de toute la technologie moderne. En face, il y a un peuple palestinien désarmé, subissant l'occupation israélienne et à qui, il y a quelques années, on a accepté de concéder une caricature d'Etat, l'"Autorité palestinienne" qui n'exerce un semblant de pouvoir que sur un territoire réduit, dispersé en plusieurs entités minuscules, séparées les unes des autres. Ces territoires, où le chômage et la pauvreté sont catastrophiques, servent de réservoir de main-d'oeuvre pour l'économie israélienne. Mais l'Etat d'Israël a la possibilité à chaque moment de fermer les frontières, couper les territoires palestiniens les uns des autres et surtout du restant du pays, privant de travail et de ressources ceux qui y habitent.
C'est cette situation insupportable qui a poussé, il y a quatorze mois, la jeunesse palestinienne à la guerre des pierres, l'Intifada. Pour la briser, Israël a choisi l'escalade en bouclant les territoires palestiniens et en transformant les villes en amas de ruines.
Voilà ce qui conduit un nombre croissant de Palestiniens vers les attentats-suicides, cette arme des désespérés et des faibles. Bien sûr, ces attentats terroristes qui visent à faire des morts et des blessés y compris dans la population civile israélienne sont insupportables du point de vue humain. Les organisations intégristes réactionnaires qui les organisent, en approfondissant le fossé de sang qui sépare les deux peuples, poussent le peuple palestinien vers une voie sans issue.
Mais, plus criminels sont encore les dirigeants d'Israël qui mènent une politique symétrique, mais avec les moyens supérieurs d'un Etat. Ils prennent prétexte du terrorisme individuel des opprimés poussés au désespoir pour pratiquer en grand le terrorisme d'Etat, destiné à démontrer aux Palestiniens qu'ils n'ont droit même à cette caricature d'Etat qu'est l'Autorité palestinienne qu'à condition qu'elle se fasse l'instrument docile de l'Etat d'Israël. Un terrorisme d'Etat destiné à ôter tout espoir à un peuple opprimé.
Mais c'est en même temps ôter tout espoir au peuple israélien lui-même. Car, malgré le nombre de morts, malgré les villes dévastées, malgré l'humiliation permanente ou, plus précisément, à cause de tout cela, il y aura inévitablement de nouvelles générations de Palestiniens qui préféreront mourir plutôt que de subir cette vie-là.
Et si les Palestiniens sont condamnés à s'endormir la peur au ventre, ne sachant pas si leurs maisons ne seront pas éventrées la nuit, les civils israéliens sont condamnés à vivre la peur au ventre, en sachant qu'ils risquent leur vie en sortant dans la rue ou en prenant l'autobus.
Les deux peuples israélien et palestinien pourraient pourtant cohabiter fraternellement sur cette terre. Mais il faudrait une toute autre politique de la part de leurs dirigeants respectifs, et avant tout de la part des dirigeants d'Israël qui ont le pouvoir et la supériorité économique et militaire.
L'homme d'extrême droite qui dirige Israël, Sharon, a choisi la politique du pire. Mais il n'a pas choisi tout seul.
Le président américain, George Bush, après avoir évoqué, il y a quelques semaines, l'idée d'un Etat palestinien, est revenu même sur cette concession verbale. Il donne carte blanche à Sharon.
Que deux peuples se perdent dans une guerre interminable ne gêne pas les grandes puissances impérialistes. Leur domination sur le monde repose sur le "diviser pour régner", sur la répression, sur les guerres, sur les massacres.
Ceux qui meurent au Moyen-Orient, victimes du terrorisme d'Etat d'Israël, comme ceux qui meurent dans les attentats-suicides, sont victimes d'un même ordre impérialiste mondial, protégeant la même exploitation dont sont victimes les travailleurs, ici en France comme partout dans le monde. Ne croyons pas que ce n'est tragique que pour les Israéliens et les Palestiniens, c'est tragique aussi pour nous, et c'est pourquoi cela nous concerne aussi.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 21 décembre 2001)