Interview de M. François Bayrou, président de Force démocrate et ancien ministre de l'éducation nationale, à RTL le 29 avril 1998, sur ses doutes relatifs au financement et à l'application des "49 principes" proposés par le gouvernement en matière de politique de l'enseignement, sur la motion de censure déposée par l'opposition, et sur les relations entre les tendances centristes et libérales.

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Intervenant(s) : 
  • François Bayrou - Président de Force démocrate et ancien ministre de l'éducation nationale

Circonstance : Colloque national "Quels savoirs enseigner dans les lycées ?", organisé par Claude Allègre au Palais des Congrès de Lyon les 28 et 29 avril 1998

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle
Il y a donc les 49 propositions pour le lycée : allégement des horaires, davantage de soutien, d’aide personnalisée au travail des lycéens, c’est positif ?

F. Bayrou
– « D'abord, j'ai lu les 49 principes, puisque c'est comme cela que cela a été appelé, je ne récuse pas le principe, mais en écoutant la revue de presse ce matin, il y a une éditorialiste qui écrivait : que de vent brassé ! Et je suis assez d'accord avec ce point de vue. Au fond, il y a deux questions : le contenu des savoirs et, sur ce sujet, je n'ai pas trouvé grand-chose et même pour ainsi dire rien... »

O. Mazerolle
Mais il y a tout de même un recentrage sur la littérature, sur la philosophie, sur...

F. Bayrou
– « Attendez, vous voulez bien que j’aille au bout. Et pour ainsi dire rien, une seule bonne nouvelle, on ne va pas changer les principes d'architecture de la réforme que j'avais mise en place il y a trois ans et qui avait fait ses preuves, le rapport Meirieu le reconnaît lui-même et je trouve cela très bien. Deuxièmement, les moyens ; parce qu'on annonce qu'on va baisser de 15 % le temps de travail des enseignants – je ne sais si c'était la priorité des priorités, mais M. Allègre a beaucoup à se faire pardonner de la part des enseignants et chaque fois que l'on se met en situation de critique comme cela, on sait comment cela finit. Donc, on va baisser de 15 % le temps de travail des enseignants, comment va-t-on remplacer ce temps de travail ? Parce que, que je sache, 28 heures d'enseignement pour les lycéens, cela n’est pas 15 % de moins de ce qu'ils recevaient avant. Donc, est-ce qu'ils vont devoir apprendre la même chose en ayant moins d'heures de cours et d'où vont venir les moyens supplémentaires et dans quelles disciplines ? Parce que j'imagine que l’on ne va pas baisser les horaires en français ou en philo ou en maths... »

O. Mazerolle
Non, cela fait partie de la culture commune.

F. Bayrou
– « Et si l'on ne baisse pas les horaires en français, en philo ou en maths, ou va-t-on trouver les enseignants qui vont devoir faire les 15 % de travail en plus ? On ne peut pas baisser le temps de travail des enseignants – était-ce la priorité, je ne l'aurais certainement pas fait de cette manière – mais on ne peut pas baisser le temps de travail des enseignants sans trouver des postes supplémentaires. Où va-t-on les trouver et pour quels résultats ? La question est là. Donc, j'attends, comme tout le monde, de voir ce que le ministre de l'Education nationale va dire cet après-midi en conclusion du colloque, mais je suis assez inquiet, et sur le contenu du savoir, et sur les moyens. Je me réjouis par ailleurs qu'on ne touche pas à ce qui marche. »

O. Mazerolle
Sur la Seine-Saint-Denis, la-aussi, le ministre se trouve confronté à une demande importance de moyens. Mais on peut dire aussi que c'est un peu l'accumulation de ce qui s'est passé tout au long des années précédentes. Cela vous concerne comme cela concernait aussi vos prédécesseurs ?

F. Bayrou
– « Cela concerne M. Jospin, comme cela nous concerne, puisque M. Jospin m'a précédé dans ce poste. Oui, sûrement, probablement n'a-t-on pas mis assez de moyens dans les zones qui en avaient le plus besoin. Et de ce point de vue-là, moi je dis que, sans doute, chacun à son tour et à sa place a eu tort de ne pas mobiliser ces moyens. Mais il y a déjà des moyens conséquents. Par exemple, je ne sais pas si l'annonce que le ministre a faite des 18 élèves par classe dans ce département pourra être tenue. J’en doute beaucoup. Vous voyez s'accumuler, chaque fois que M. Allègre parle, les exigences en moyens qui font des millions, des centaines de millions et des milliards ; la question, c'est, étant donné l'état des finances publiques en France, où va-t-on les trouver ? Et je trouve qu'il y a là de graves imprudences. Parce qu'on fait rêver les gens, ou plus exactement on leur donne à croire, que tous leurs problèmes vont se trouver résolus d'un coup de baguette magique. Et puis, on s'aperçoit que les moyens ne suivent pas. »

O. Mazerolle
Compte tenu de l'importance de l'enjeu, est-ce que cela ne pourrait pas justifier un gros transfert de moyens sur l'Education nationale avec des réductions par ailleurs ?

F. Bayrou
– « En tout cas, moi, je le soutiendrai. Je suis persuadé, j'ai essayé d'expliquer cela du temps où j’étais dans cette responsabilité. J'ai essayé d'expliquer que, dans la dépense publique, il y avait des postes prioritaires et d'autres pas. Or la manie de Bercy, de toutes les époques à Bercy, c'est qu'on traite également tous les postes de dépenses publiques. Et avec cette méthode, on fait de graves erreurs. »

O. Mazerolle
Aujourd'hui, l'opposition soutient une motion de censure à l'Assemblée nationale contre le Gouvernement. Quelle est l'utilité de cet exercice qui est totalement sans espoir ?

F. Bayrou
– « Oh vous savez, c'est un peu le rituel parlementaire. Toutes les oppositions, dans tous les temps, même quand elles n'avaient que quelques dizaines de députés – c'est arrivé, vous le savez, en 1993 – ont déposé des motions de censure... »

O. Mazerolle
Mats cela ne vous ennuie pas d'être dans la routine... ?

F. Bayrou
– « C'est le moyen de faire un bilan et de dire quelles sont nos inquiétudes. Et nos inquiétudes portent sur le long terme. Le Gouvernement bénéficie d'une vague optimiste, parce qu'il y a de la croissance en France. Ce n'est pas ce gouvernement qui a créé la croissance, c'est la croissance que le gouvernement précédent a laissé dans son héritage. Et donc, il bénéficie de cette croissance, mais il ne s'en sert pas pour faire les réformes indispensables à l'avenir de la France. Il ne s'en sert pas pour régler ou en tout cas apporter une réponse au problème de la fiscalité qui est trop importante en France, comme le Premier ministre pour la première fois l'a reconnu hier du bout des lèvres. Il ne s'en sert pas pour faire les réformes en profondeur qui s'imposent ; il y en a une qui s'imposera de toute évidence, c'est la retraite dans le secteur public. Il ne s'en sert pas pour baisser la dépense publique. Et on a, de ce point de vue-là, à exprimer des inquiétudes sur demain. Parce que, en politique, demain se prépare aujourd'hui. Et aujourd'hui, avec le Gouvernement, c'est aujourd'hui dont on profile et c'est aujourd'hui que l'on gère alors faudrait prendre les décisions qui s'imposent pour préparer demain. »

O. Mazerolle
Alors la droite est-elle en état de se tenir tout droit, parce que véritablement chaque jour nous apporte de nouveaux exocets qui sont tirés au sein même de l'UDF, les uns contre les autres, cela a été vous, ensuite maintenant Madelin qui dit le contraire de ce que vous dites ?

F. Bayrou
– « D'abord, c'est vrai que l'opposition est dans un état de désordre dont il faut qu'on sorte... »

O. Mazerolle
Après votre proposition sur le parti du centre, A. Madelin a dit : le centre, c'est un lieu géographique, ce n'est pas une dynamique politique. Vous avez encore des choses à vous dire ?

F. Bayrou
– « Oui, ce sont des formules. Moi, ce que je crois, c'est que du désordre, il faut que l'on passe à l'ordre. Et du découragement, il faut que l'on passe à un projet. Pour l'instant, on est dans le désordre. Qu’est-ce que l’on peut faire pour sortir du désordre ? Ma proposition à moi est simple, elle est de simplifier le paysage politique. Au lieu d'avoir chacun sa chapelle, chacun son petit bout de parti ou son parti qui n’est pas de taille suffisante pour les grandes démocraties dans lesquelles nous vivons, je dis à A. Madelin : nous appartenons à la même famine. Il y a des nuances. Disons que je suis pour un libéralisme à visage humain, il est pour un libéralisme... »

O. Mazerolle
Totalitaire ?

F. Bayrou
– « Non, plus systématique. Je suis pour une société dans laquelle le social et même le projet de société, la nouvelle démocratie, aura plus de place. Nous avons des nuances entre nous, mais ces nuances sont bien moins importantes qu'a l'intérieur d'aucune autre des familles politiques françaises. Si vous regardez le Parti socialiste et le RPR, vous vous apercevrez que, entre nous UDF qui allons fonder demain un parti nouveau comme je le souhaite, nous sommes tous libéraux, nous avons tous un projet de société. Ce projet de société repose sur le pouvoir de près et nous sommes tous européens. La preuve, c'est que nous avons tous ensemble voté pour l'euro à l'Assemblée nationale la semaine dernière. Et donc, mon affirmation est celle-là : nous appartenons à la même famille, ce n'est pas le moment de nous diviser, c'est au contraire le moment de mettre l'accent sur ce qui rassemble au lieu de mettre l'accent sur ce qui nous sépare. Et quant à moi, en tout cas, j'ai tout à fait conscience d'appartenir à la même famine de pensée. Et les nuances entre nous, nous en discuterons une fois que nous serons dans la même maison. »