Texte intégral
Arabie saoudite. – Réponse du ministre à une question d'actualité (Assemblée nationale, le 10 novembre 1993)
Question : Je voudrais, M. le ministre des affaires étrangères, évoquer la situation de l'un de nos compatriotes, cadre d'une entreprise exportatrice à Limoges, aujourd'hui retenu contre son gré depuis le 8 août en Arabie Saoudite, mais aussi les conséquences économiques prévisibles d'une telle situation, notamment pour l'emploi dans ma ville. Il s'agit de M. Jacky Ducouret chargé par une entreprise de Limoges d'une mission commerciale au Moyen Orient.
Pour des raisons tenant à un simple litige de purement commercial, un haut dignitaire de l'État saoudien a fait confisquer le passeport de M. Ducouret et lui fait obligation de rester dans le pays jusqu'à règlement du contentieux. En même temps, ce dignitaire se soustrait à la justice locale. M. Ducouret a d'ailleurs été interpellé hier afin de l'empêcher de se rendre devant le tribunal.
Cette rétention arbitraire d'un autre âge a d'autre part des conséquences économiques d'une extrême gravité puisque les deux entreprises concernées à Limoges se voient privées de concours bancaires, entraînant à court terme un dépôt de bilan. Ainsi, 130 salariés à Limoges risque de perdre leur emploi dans les jours qui viennent ; ainsi 130 familles vont devoir assumer dans leur vie quotidienne les conséquences de cette violation des droits de l'un de nos concitoyens.
M. le ministre, seule votre action énergique et seule une action déterminée de la France sont susceptibles de mettre fin à cette violation des droits de la personne et surtout à la détresse des salariés. Rassurez-nous, M. le ministre des affaires étrangères.
Le ministre : Monsieur le député, je connais bien cette affaire. M. Ducouret est l'agent commercial d'une société de la région de Limoges, l'entreprise Maville. Il a effectué, dans le cadre d'un contrat passé avec une haute personnalité saoudienne, un certain nombre de travaux sur place et l'exécution de ces travaux a donné lieu à un litige commercial transmis à la justice saoudienne. Les tribunaux saoudiens ont décidé de retirer le passeport de M. Ducouret qui, depuis le début du mois d'août, est bloqué en Arabie saoudite.
Cette situation est tout à fait inacceptable et nous avons immédiatement multiplié les démarches auprès des autorités saoudiennes pour qu'il y soit mis un terme. La dernière de ces démarches date d'hier puisque, recevant moi-même le ministre des affaires étrangères saoudien, je lui ai exprimé la préoccupation du gouvernement français dans cette affaire. Notre ambassade a également apporté son soutien à M. Ducouret. Enfin, lors de son passage en Arabie saoudite, mon collègue Gérard Longuet a pu longuement rencontrer notre compatriote, qui est libre de ses mouvements sur le territoire saoudien et qui continue même son activité commerciale sur place, dans un certain nombre de manifestations qui ont lieu sur le territoire saoudien.
La justice saoudienne a demandé un certain nombre de garanties. Il faut aller dans la voie du compromis et de l'arbitrage. C'est la seule manière de résoudre cette affaire. Nous déployons nos efforts en ce sens, de façon que M. Ducouret puisse le plus rapidement possible rejoindre sa famille.
Vous m'indiquez que cette affaire est de nature à compromettre l'existence même de l'entreprise Maville. J'en prends note. Je signale néanmoins à votre attention que le contrat concerné portait sur 14 millions de francs, que cette somme a été entièrement encaissée par la société Maville. Le contentieux actuel a traité une indemnité non versée par la société, dont le montant est de 1,5 million de francs. Je ne suis donc pas sûr que cette seule affaire puisse contraindre à la faillite une entreprise de plus d'une centaine de personnes.
Quoi qu'il en soit, la situation est inacceptable et la diplomatie française se déploie pour essayer d'y mettre un terme.
Burundi. – Réponse du ministre à une question d'actualité (Assemblée nationale, le 10 novembre 1993)
Question : En tant que président du groupe d'amitié avec ce pays, je voudrais parler de la situation au Burundi. L'expérience de démocratisation récente permettait d'espérer que cessent durablement les affrontements tribaux qui régulièrement ensanglantent ce petit pays francophone. La France a participé à l'élaboration de ce régime démocratique. Le Constitution de Burundi s'inspire largement de la nôtre.
Nos collègues, Philippe Legras et Michel Voisin, sont allés sur place en tant qu'observateurs lors des récentes élections présidentielles et législatives. Notre assemblée a participé à un projet de règlement de l'Assemblée nationale burundaise. Enfin, nous attendions pour la fin de ce mois la visite d'une délégation de parlementaire du Burundi.
Lors du putsch du 21 octobre, le Président de la République, M. Nadaye, a été assassiné ainsi que le Président de l'Assemblée nationale. Ces assassinats ont déclenché le déferlement de représailles et d'exactions dans le pays d'une effroyable brutalité, exactions de nature ethnique entre Hutus et Tutsis. On avance le chiffre de dizaines de milliers de morts et on se souvient hélas des 200 000 morts qu'avaient fait des événements comparables en 1972. De très importants mouvements de populations ont conduit vers les pays voisins, le Rwanda, le Zaïre ou la Tanzanie des centaines de milliers de réfugiés. On parle de 700 000 qui vivent dans des conditions particulièrement précaires pendant la saison des pluies. Dès le début du putsch, le Premier ministre, Mme Kiningi et plusieurs membres du gouvernement se sont réfugiés à l'Ambassade de France à Bujumbura. Ils y ont séjourné deux semaines et l'on quittée sous la protection d'une garde spéciale.
Ma question, monsieur le ministre, est double : comment la France entend-elle continuer à défendre le droit au Burundi, quelles mesures va-t-elle prendre pour venir en aide aux populations déplacées ?
Le ministre : Monsieur le député, le drame que vit actuellement de petit pays qu'est le Burundi est très révélateur des difficultés de la transition démocratique en Afrique.
Vous le savez, des élections pont eu lieu il y a plusieurs mois. Elles ont permis de constituer un gouvernement légal que la France a, bien sûr, soutenu. Ce gouvernement étant à majorité hutue, certains éléments de l'armée, à majorité tutsie quant à elle, ont tenté un coup d'État, il y a quelques semaines. Ils se sont emparés du Président de la République, M. Ndadaye, et d'un certain nombre de personnalités qu'ils ont assassinées. Nous avons immédiatement réagi en condamnant ces assassinats odieux. Nous avons suspendu, en accord avec M. Michel Roussin, notre coopération civile et militaire pour marquer cette condamnation. Nous avons également, et je réponds par-là à l'une de vos deux questions, mis en place une aide humanitaire importante : plus de quarante tonnes de matériel et de vivres ont été acheminées sur place. Nous avons, en outre, mobilisé, nos partenaires de la communauté internationale.
Par ailleurs, nous avons accueilli à l'ambassade de France le gouvernement légal du pays et nous avons décidé par l'envoi d'un certain nombre de gendarmes supplémentaires, de contribuer à la protection de ce gouvernement afin qu'il puisse assumer toutes ses responsabilités.
Ainsi que vous pouvez le constater, il s'agit non pas de décisions à prendre mais de décisions déjà prises. Il semble, aujourd'hui, que malgré la multiplication des violences dans une partie du pays, la situation soit en train de se stabiliser et que le gouvernement légal soit en train de reprendre le contrôle de la situation.
Nous avons également tout fait pour qu'une force internationale puisse se mettre en place, Mais l'Organisation des Nations unies qui a été contactée, a décidé qu'elle n'enverrait pas de forces internationales. Nous agissons auprès de l'Organisation de l'Unité africaine afin qu'elle mette dans les plus brefs délais sur le terrain un contingent auquel nous sommes prêts à apporter notre soutien logistique.
Je crois pouvoir dire, et je parle sous le contrôle de mon collègue ministre de la coopération qu'aucun grand pays, aucun pays particulièrement intéressé à l'histoire du Burundi n'a fait, depuis le début de ces événements, autant que la France qui a assumé ses responsabilités non seulement sur le plan humanitaire mais aussi sur les plans politique et diplomatique.