Articles de M. Bruno Mégret, délégué général du Front national, dans "Présent" du 2 et 20 octobre ("Balladur, le grand anesthésiste", "L'impuissance de la classe politique") et interview dans "National Hebdo" du 14 octobre 1993, sur la politique gouvernementale et les négociations du GATT.

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Média : National Hebdo - Présent

Texte intégral

Après six mois de gouvernement RPR-UDF, il est possible d'affirmer que l'action de M. Balladur est plus nocive encore que celle de M. Bérégovoy.

Sur le fond des choses, il pratique en effet la même politique avec cette constance aggravante que, dans la forme, au lieu de susciter la réaction des Français, elle est conçue pour les endormir. Et il s'agit là d'un formidable gâchis au regard des atouts politiques dont disposait au départ M. Balladur et au regard de la nécessité de rompre vite avec plus d'une décennie de socialisme, afin d'engager la nécessaire renaissance de notre pays. Mais au-delà du gâchis, il y a plus grave, une tromperie à l'égard des Français.

M. Balladur est aujourd'hui le marchand de sable de la société française. Son principal propos est d'endormir nos compatriotes, plutôt que de résoudre leurs problèmes. M. Balladur est le grand anesthésiste de la France. Il administre la drogue, fait dormir le patient, mais il n'apporte aucun remède. Le réveil promet d'être dur.

C'est bien en effet comme cela qu'est bâtie son action gouvernementale. Il s'agit de faire croire aux Français que l'on fait tout ce qui peut être fait pour résoudre les problèmes.

On chercher à peser sur l'opinion publique en misant non pas sur les effets concrets des mesures qui sont prises mais sur les effets médiatiques des mesures que l'on annonce. On ne cherche pas à résoudre les problèmes, on cherche à faire croire que l'on prend toutes les mesures possibles pour les résoudre.

La politique de M. Balladur est la politique des bonnes intentions et non pas celle des réalités.

Sur le fond, il n'y a aucune rupture avec la politique de M. Bérégovoy.

En matière d'immigration, les quelques mesurettes présentées par M. Pasqua et pour partie censurées par le Conseil Constitutionnel, jouent pleinement ce rôle. Elles visent à démontrer que le gouvernement va dans le bon sens et fais ce qu'il peut.

Mais dans la réalité, sur les questions essentielles, rien n'est changé : la carte de séjour de dix ans renouvelable est maintenue, le principe du regroupement familial demeure, le droit du sol par lequel on fabrique les Français de papier, par centaines de milliers, et toujours inscrit dans notre Code de la nationalité : le principe de la préférence nationale est refusé. Bref, il s'agit toujours d'une politique d'intégration et non d'une politique de retour des immigrés dans leur pays d'origine. Charles Pasqua, lui-même, l'a reconnu dimanche au cours de son Heure de Vérité : la situation de l'immigration ne s'améliore pas.

Sur le plan des négociations du GATT, il en va de même. Le gouvernement accepte le principe du libre-échangisme mondial et celui de la destruction des frontières économiques. Il ne conteste pas l'existence même du GATT et entend seulement être plus ferme dans les négociations à venir.

Il s'agit pour les agriculteurs et pour tous les Français, d'un marché de dupes. Car les négociations portent sur l'abaissement des protections économiques et commerciales, alors qu'il faudrait les rétablir purement et simplement. L'intérêt de la France n'est donc pas d'être plus ferme dans les négociations, mais il est de provoquer la remise en cause du GATT. Or au lieu de sortir de la négociation, la France accepte à Bruxelles ce qu'elle s'était pourtant engagée à refuser : elle accepte que l'accord de Blair House ne soit pas renégocié, mais que M. L. Brittan soit seulement mandaté pour obtenir des éclaircissements de la part des Américains.

Voilà bien, là encore, un excellent exemple de la méthode Balladur : tout dans les apparences, rien sur le fond.

Lorsqu'il est arrivé au pouvoir, n'oublions pas que M. Balladur disposait d'atout considérables tels qu'aucun chef de gouvernement n'en avait connu depuis longtemps. Il a succédé à un pouvoir socialiste totalement discrédité. Aujourd'hui encore, il inscrit son action dans une situation politique créée en mars dernier par un vote massif à droite, il bénéficie d'une majorité parlementaire écrasante comme on en a jamais vu depuis vingt ans et il dispose enfin d'une cote de confiance considérable. Il y avait là tous les atouts nécessaires pour rompre nettement avec la politique socialiste selon les vœux des électeurs.

Or M. Balladur, fort de tous ces atouts, pratique la continuité dans l'immobilisme. La montagne parlementaire UPF accouche d'une souris politique et M. Balladur s'impose avant tout comme spécialiste des occasions manquées et virtuose du gâchis !

Mais au-delà, il s'agit bien d'une tromperie à l'égard des électeurs, car ce n'est pas pour cela qu'ils ont voté à droite en mars dernier.

Il est vrai que, dans cet exercice, M. Balladur dispose d'alliés de poids. Car M. Séguin, en organisant l'opposition intérieur au gouvernement, contribue à cette tromperie.

Cette pratique que je qualifierai d'auto-opposition revient à déplacer le lieu du débat du plan électoral vers les arcanes internes du parti au pouvoir. Il conduit à brouiller les cartes pour l'opinion publique et à déposséder les électeurs de leur pouvoir de choix. Il s'agit donc là d'une pratique anti-démocratique, expression inquiétante de la régression de notre système démocratique dont M. Balladur et ses amis sont actuellement largement responsables.

En réalité, M. Balladur trompe son monde. Contrairement à l'image qu'il souhaite donner de lui, le Premier ministre n'est pas un homme neuf mais un cheval de retour de la classe politique pompidolienne et chiraquienne, rompu aux arcanes politiciennes depuis trente ans.

M. Balladur ne résout pas les problèmes, il les contourne pour durer. En effet, il semble plus préoccupé de travailler en complicité avec M. Mitterrand à devenir calife de l'Élysée à la place du Maire de Paris que de régler les problèmes de la France.

La cohabitation qu'il a instaurée avec M. Mitterrand est une collaboration d'autant plus facile que, l'un comme l'autre, s'entendent à merveille pour esquiver la réalité et faire illusion.

Mais à jouer à ce petit jeu, M. Balladur nous prépare des lendemains qui déchantent. Avant Mai 68 aussi, les Français avaient été endormis par le pouvoir…

Aussi, le Front national s'affirme-t-il sans état d'âme, comme la véritable opposition à M. Balladur.

 

L'impuissance de la classe politique

Par Bruno Mégret

La France est en déclin et la classe politicienne qui la gouverne en est largement responsable. Il y a à cela de nombreuses explications de fond, mais il y a aussi une raison plus formelle qui joue un rôle primordial : c'est l'impuissance de la classe politique.

Celle-ci en effet semble être devenue totalement incapable de peser sur les événements et d'infléchir le cours des choses. Elle semble résignée à subir ce qui survient et se préoccupe principalement de donner le change. Elle fait croire qu'elle agit plutôt que d'agir, elle fait croire qu'elle a voulu ce qui est arrivé, et lorsque cela est trop difficile, elle affirme que ce qui se passe est bénéfique et doit être accepté comme tel.

L'immigration lui paraît impossible à combattre ? C'est donc une "chance" pour la France et il faut "intégrer" les immigrés. Le libre-échange mondial lui paraît incontournable ? C'est donc une nécessité pour notre pays.

Lorsque les événements vous dépassent, faites mine d'en être les instigateurs, tel est l'un des maître-mots de la classe politique.

Lors de la dernière campagne électorale, le discours politique est allé encore plus loin en ce sens. Les sortants affirmaient tout penauds "qu'ils avaient fait ce qu'ils avaient pu". Quant au RPR et à l'UDF, ils n'avaient jamais été aussi modestes : "Ce sera difficile", "On ne pourra pas faire de miracle", "La marge de manœuvre est limitée". Et aujourd'hui qu'ils sont au pouvoir, le discours est resté le même : "La crise est mondiale, on fait ce qu'on peut".

Jamais les hommes politiques n'auront adopté une attitude aussi humble quant à leur rôle et à leurs résultats.

Ce faisant, un curieux phénomène semble s'être développé. La politique, au lieu de se traduire par des actes et d'être jugée par ses résultats, semble être du domaine des paroles et des bonnes intentions. Telle est, par exemple, la méthode Pasqua en matière d'immigration, ce qui fait dire aux naïfs : "Il va dans le sens car il tient le bon discours. S'il n'y a pas de résultat, ce n'est pas sa faute, il a fait ce qu'il a pu".

Ainsi avons-nous quitté le monde réel pour pénétrer dans le théâtre des ombres : la politique semble être devenue une sorte de rite verbal et médiatique sans lien avec la réalité.

Le résultat, c'est l'impuissance du politique désormais déconnecté du concret. Le débat politique suit son cours dans un sens, la réalité évolue par ailleurs dans une autre direction.

La lutte contre le chômage est la priorité des priorités, le gouvernement agit verbalement avec la complicité des médias et dans le même temps le chômage ne cesse de se développer.

Et cette impuissance est sans doute la principale tare de l'établissement aujourd'hui. Car le propre du pouvoir, comme le dirait M. de La Palice, est de pouvoir, le propre du politique et d'agir, d'être suffisamment puissant pour peser sur les cours des événements. Si les gouvernements sont impuissants, ils ne servent à rien et ne sont plus légitimes. Ils deviennent comme des ingénieurs qui ne sauraient pas construire ou des médecins qui ne sauraient rien guérir.

Or cette impuissance n'est pas le fruit de la fatalité, elle résulte de la lâcheté des politiciens mais elle est aussi la conséquence directe de leurs choix idéologiques. En mondialisant la France, en détruisant ses frontières, en noyant notre pays dans un ensemble multinational et cosmopolite, ils privent notre nation de sa souveraineté et dépossèdent de ce fait son gouvernement de sa capacité d'agir.

Si en effet les décisions qui concernent les Français ne sont plus prises à Paris, mais à Washington pour le GATT, à New-York pour l'ONU, à Bonn pour les taux d'intérêt, à Bruxelles pour la PAC, à Londres ou à Tokyo, il est clair que le gouvernement de la France ne peut plus agir par lui-même. Si dans le même temps les frontières sont grandes ouvertes tant pour les hommes que pour les produits, les emplois ou les capitaux, il est clair là encore que le gouvernement français ne peut plus rien réguler ni contrôler dans l'intérêt national et que la France ne peut plus que subir passivement les phénomènes qui nous viennent de l'étranger.

La classe politique s'est donc privée elle-même de tous les moyens d'intervention dont dispose un gouvernement souverain. Ce faisant, elle s'est condamnée à l'impuissance. C'est pourquoi, elle est inutile et illégitime. La plus grande faute pour un gouvernement, c'est l'impuissance.

 

Les négociations du Gatt sacrifient la France

Bruno Mégret : "Le gouvernement ne défend pas notre économie"

Édouard Balladur fait mine de défendre fermement les intérêts français dans les négociations internationales du Gatt dont dépend l'avenir de l'économie française. Mais, en même temps, un proche du gouvernement, le député RPR Patrick Devedjian, publie un rapport qui justifie l'ouverture totale de nos frontières, laquelle amènerait la ruine de l'industrie, de l'agriculture, et accroîtrait encore le chômage.

National Hebdo : Édouard Balladur fustige aujourd'hui le "pseudo-accord de Blair House" sur le Gatt et déclare fermement qu'il faut le renégocier. Est-il sincère ? A-t-il une politique réelle à ce sujet ?

Bruno Mégret : Les mots "Blair House" et "Gatt" sont rébarbatifs, mais ils recouvrent une réalité capitale pour l'avenir de notre pays : c'est, par le biais du commerce international, toute notre économie, notre industrie, notre agriculture, et par conséquent l'emploi, la prospérité des Français, qui sont en cause. Je pense que sur ce sujet comme sur les autres, M. Balladur applique sa tactique habituelle : faire semblant et ne rien faire. Il annonce de la fermeté dans les négociations, en réalité il cherche le moyen de capituler sans perdre la face.

La logique voudrait que la France sorte purement et simplement des négociations du Gatt. Le Gatt a pour objectif de réduire les frontières économiques. Peu nous importe qu'il les réduise un peu, beaucoup, ou à la folie : il s'agit pour nous de les rétablir. On peut en sortir, on peut vivre sans signer ce que les spécialistes nomment "L'Uruguay round". C'est d'ailleurs ce qu'on aurait fait si Chirac et Noir n'avaient accepté en 1986 de faire entrer l'agriculture et la culture dans la négociation. À l'époque, ils ne parlaient pas "d'exception culturelle".

National Hebdo : Sortir du Gatt, est-ce réaliste ? Le député RPR Patrick Devedjian vient de publier un rapport où il affirme que la France a intérêt à signer "l'Uruguay Round".

Bruno Mégret : Voilà une nouvelle indication que le gouvernement va capituler : Devedjian est un proche du pouvoir, et son rapport est destiné à préparer l'opinion à la signature des accords du Gatt. Patrick Devedjian me fait penser à Bernard Stasi. Il y a quelques années, lorsque Le Pen dénonçait les dangers de l'immigration, Stasi déclarait que l'immigration était une chance pour la France. Aujourd'hui, alors que nous lançons une grande campagne contre le libre-échangisme, Devedjian nous assure que le Gatt est une chance pour la France.

National Hebdo : Mais pour le consommateur que nous sommes tous, le libre-échange, l'ouverture des frontières ne sont-ils pas avantageux ? Ils nous permettent d'acheter une foule de produits à moindre prix.

Bruno Mégret : En tant que consommateur, je puis y trouver un intérêt en effet. Mais comme tout Français, je ne suis pas seulement consommateur, je suis producteur et citoyen. À quoi sert-il d'acheter un magnétoscope cinq cent francs moins cher si en même temps on perd son emploi, et si, en tant que contribuable, on paie plus d'impôts et de charges pou payer l'ex-producteur qui ne fabrique plus de magnétoscopes ?

National Hebdo : La France est actuellement le 4e exportateur du monde : elle exporte plus qu'elle n'importe, cela ne montre-t-il pas qu'il faut ouvrir nos frontières au maximum ?

Bruno Mégret : D'abord, si nous importons moins aujourd'hui que nous n'exportons, c'est que la France est en crise économique, et que cette crise n'est pas mondiale : les Français consomment moins alors qu'à l'étranger on consomme toujours autant. Cette performance de notre commerce extérieur est donc le fait paradoxal de la mauvaise santé économique du pays.

Ensuite, notre objectif n'est pas d'interrompre le commerce mondial mais de le réguler. Pour nous, l'accroissement du commerce international n'est valable que s'il sert les intérêts de la France. Le nouveau protectionnisme que nous préconisons vise précisément à nous permettre, comme le font Américains et Japonais, de protéger notre marché intérieur sans cesser d'exporter.

National Hebdo : Mais le gouvernement et la gauche pensent, comme le dit Devedjian, que le Gatt fera cesser les pratiques protectionnistes des USA et du Japon !

Bruno Mégret : Cet espoir est parfaitement illusoire ! On voit mal comment ceux qui ne sont pas capables d'obtenir un accord équilibré dans des négociations en cours (voir Blair House et l'agriculture) seraient capables de rééquilibrer des accords déjà signés, et de faire plier des géants économiques.

National Hebdo : Leur rêve s'apparente à un désarmement unilatéral ?

Bruno Mégret : Pire, c'est le mot d'ordre des pacifistes : pour éviter la guerre, rien n'est plus simple que de capituler devant l'ennemi.

National Hebdo : Pourtant, il y a un argument des partisans du Gatt qui ne laisse pas insensible. Il se résume ainsi : ou bien il faut délocaliser les entreprises, ou bien supporter l'immigration. Et l'immigration…

Bruno Mégret : C'est un comble ! Que je sache, l'immigration n'a pas cessé, et rien de sérieux n'a été fait pour la stopper. M. Devedjian se fiche des Français. Actuellement nous avons l'immigration et la mort de notre outil de production, c'est-à-dire le chômage. Nous, nous ne voulons ni de l'un, ni de l'autre.

National Hebdo : En deux mots, à quoi est due la "délocalisation", le départ de nos entreprises à l'étranger ?

Bruno Mégret : Cette délocalisation résulte de la concurrence sauvage qui existe entre des pays comme la France et un certain nombre de pays à bas salaire. Si vous mettez en concurrence directe une entreprise du centre de la France avec Séoul, ou Taiwan, ou Bornéo, quel que soit le savoir-faire de nos ouvriers, nous produisons toujours plus cher, à cause du coût de la main-d'œuvre. Résultat : faillites d'entreprises, fermetures d'usines, délocalisations. Et, au bout du compte, effondrement de pans entiers de notre économie. Hier constructions navales, textile, métallurgie. Aujourd'hui agriculture, informatique grand public. Et demain…

National Hebdo : Ce que vous souhaitez, c'est rétablir une concurrence loyale entre économies comparables ?

Bruno Mégret : Exactement ! le Gatt instaure une concurrence déloyale et désordonnée. Nous proposons d'établir des écluses douanières pour compenser les différences de coûts liées aux différences de systèmes économiques et sociaux. C'est exactement ce que préconise un grand théoricien, le prix Nobel d'économie Maurice Allais, et un grand praticien, l'homme d'affaires international Jimmy Goldsmith.

National Hebdo : À l'intérieur des "pays développés" européens, des distorsions existent. Une entreprise vient d'être délocalisée en Ecosse où les charges sociales sont moins lourdes. Notre ruine serait donc le fait des amours coupables entre le libre-échangisme et l'État providence ?

Nous faisons en effet le contraire de ce qu'il faudrait faire : nous ouvrons grand les frontières en même temps que nous accablons de charges les entreprises. Les Japonais, eux, maintiennent leurs frontières pour protéger leur marché intérieur, et aident leurs entreprises à produire et exporter avec des charges réduites. Imitons-les puisqu'ils sont champions du monde toutes catégories de l'économie. Je ne pense pas que ce soit passéiste ou ringard. Cela pourra rétablir, au contraire, avec notre économie, l'emploi des Français.