Interview de M. Jean Poperen, membre du PS, à Europe 1 le 22 octobre 1993, sur le congrès du PS et son opposition à Michel Rocard.

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Média : Europe 1

Texte intégral

C. Nay : Vous attendiez-vous aux 82 % pour M. Rocard ?

J. Poperen : Les observateurs attendaient généralement plus. Ne chipotons pas. C'est un résultat tout à fait important. Ce n'est pas tout à fait un plébiscite. Il y a quand même près d'un cinquième des militants qui, malgré le climat d'unanimisme, la psychose d'unanimisme qui a régné au lendemain des états généraux, qui a choisi d'autres orientations. M. Rocard sera largement à coup sûr élu premier secrétaire du PS. Convenons aussi que moins de la moitié des militants ont voté. C'est une constatation relativement grave, dans une fédération comme celle du Nord, moins de 45 % des militants se sont exprimés ! C'est un signe de malaise que je ne veux pas aggraver dans mon propos. C'est une réalité dont nous devons partir pour remonter.

C. Nay : C'est l'anti-Rennes !

J. Poperen : Si nous pouvons faire apparaître une volonté de rassemblement et d'union, je m'en réjouirai, comme tout le monde. J'y travaillerai. Je ne viens pas pour des querelles misérables. J'ai le sentiment, avec plus de 11 % des militants de représenter une autre option. Mon sentiment est qu'on va parfaitement ressentir qu'il y a finalement deux conceptions du rôle de ce PS : nous entrons dans une époque nouvelle, à un moment d'une crise sociale formidable, pas seulement en France, mais aussi dans tous les pays avancés. Par rapport à cela, il y a, M. Rocard s'en est toujours déclaré, y compris dans son fameux discours de Montlouis où il a théorisé une nouvelle fois sa vision des choses, une vision de consensus social qui est la pente globale de la politique rocardienne et une vision de confrontation sociale qui considère que le progrès social, y compris dans les conditions actuelles, se fait par la confrontation.

C. Nay : N'allez-vous pas être taxé d'archaïsme ?

J. Poperen : Ça n'a pas manqué, y compris par A. Duhamel.

C. Nay : Quelles sont vos idées ?

J. Poperen : La distribution est beaucoup plus difficile qu'hier, raison de plus. On assiste actuellement à une vague de régressions sociales formidables avec ce thème "où vous acceptez les réductions de rémunérations, les réductions de protection sociale, voire les réductions de droits des syndicats, ou c'est la porte !". Devant cela, comment un PS peut-il être immobile comme il l'a été pendant tout l'été ? Ça a été un été de déferlantes antisociales, depuis le rapport Mattéoli jusqu'aux décisions prises par toute une série de chefs d'entreprises. Face à cela, le PS s'est tu. C'est là le grief de fonds que je fais à la gestion rocardienne.

C. Nay : Le PS est favorable à la signature du GATT qui implique que les entreprises françaises doivent se soumettre à une concurrence de plus en plus rude avec des pays qui ont des conditions sociales qui ne sont pas les nôtres. Donc cela entraîne la baisse des acquis sociaux ?

J. Poperen : C'est tout à fait la question. Vous mettez le doigt sur le cœur du sujet. Est-ce qu'à partir de là, on doit considérer que sur le plan social, il convient de s'aligner sur les situations les plus basses ? C'est bien le dilemme devant lequel on est. Et en effet, il faut contrer cette pente naturelle de l'évolution actuelle qui est un retournement de tendance. Pendant un demi-siècle cela a été la croissance, l'élévation du niveau de vie, les 30 glorieuses. Raison de plus pour que le mouvement social soit très vigilant, actif, dynamique. C'est cela que j'attends et je demande au PS.

C. Nay : Qu'est-ce que vous dites du conflit à Air France ?

J. Poperen : M. Blondel a insisté et j'insisterai après lui. Il faut modifier des choses, mais avec la vigilance d'une politique contractuelle, c'est-à-dire mener ces changements dans la négociation entre partenaires sociaux. À l'évidence cela n'a pas été fait comme cela aurait dû l'être puisqu'aujourd'hui on découvre qu'une grande partie des salariés sont mis devant le fait accompli de réductions incontestables, importantes de leur niveau de vie.

C. Nay : Les socialistes n'ont pas l'air de s'aimer entre eux. Comment voulez-vous rassembler si vous ne vous aimez pas ?

J. Poperen : Ils ne s'aiment pas et décidemment ils ne se corrigent pas de leurs défauts Je ressens tout cela assez mal et je ne vais pas au congrès du Bourget dans cet état d'esprit. Je n'ai pas de querelle personnelle avec M. Rocard. Entre ce qu'il représente et ce que je peux représenter, il y a une différence d'orientation. À partir de là, il va être consacré premier secrétaire et nous jouerons le jeu avec lui. Mais en même temps nous continuerons à partir de ce que nous avons réuni, à l'intérieur et au-delà des limites du PS, à travailler au rassemblement et au redressement. Il y a de quoi faire.