Texte intégral
Question : Sur la ratification de l'accord ALENA par le Congrès américain.
Le ministre : C'est une hypothèque qui a été levée depuis quelques semaines. La négociation du GATT du cycle de l'Uruguay round était bloquée en attente de cette décision du Congrès américain, la décision vient d'avoir lieu et ce que je souhaite maintenant c'est que l'on puisse très rapidement et très activement s'occuper du programme du GATT. Comme vous le savez, le représentant de la Communauté, Sir Leon Brittan, doit rencontrer lundi prochain le négociateur américain, M. Kantor. Il faut que cette rencontre soit une vraie rencontre de négociations, qu'il en sorte des propositions concrètes de façon que le conseil des ministres de l'Union européenne puisse les examiner au début du mois de décembre, c'est prévu le 2, ce qui nous laissera ensuite un délai suffisant avant le 15 pour organiser les concertations à la fois en France et à 12 qui sont nécessaires. Donc c'est à nouveau un appel à la discussion sérieuse que je lance sur tous les grands sujets où on n'a pas avancé, que vous connaissez : l'organisation du commerce mondial, l'accès au marché, les problèmes de l'audiovisuel et tous ces secteurs dans lesquels on n'y voit pas encore clair : textiles, aéronautique, acier et agriculture bien entendu.
Question : Et vous pensez que cet accord peut être bon pour l'Europe ou au contraire un obstacle ?
Le ministre : L'accord en tant que tel concerne les relations entre le Mexique, le Canada et les États-Unis, donc il ne touche pas directement l'Europe encore que tout ce qui va dans le sens de la libération des échanges soutiendra, je pense, la croissance mondiale, mais ce qui nous intéressait nous dans cette discussion de l'ALENA, c'étaient les conséquences, les répercussions, le blocage que cela comportait sur le GATT. Or le GATT, nous sommes dedans, alors maintenant le cap est franchi, et bien tant mieux ! Passons aux choses que je qualifierai de sérieuses du point de vue des Européens, c'est-à-dire le cycle de l'Uruguay.
Question : Ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, que les Américains, forts de cet accord se retrouvent avec une marge de manœuvre plus grande dans leurs discussions avec les Européens ?
Le ministre : Toutes les interprétations sont possibles. Si le Congrès avait refusé l'accord, on nous aurait expliqué que les États-Unis n'avaient aucune marge de manœuvre ; si la ratification s'était faite à une voix près, on aurait dit que le Président Clinton était « ficelé » pour parler vulgairement. Là, la ratification est intervenue avec une marge plus importante que ce qui était attendu ; je pense donc que cela permet à l'administration américaine de faire mouvement et c'est le mot que je retiendrai pour qualifier la réaction française. Il faut faire mouvement maintenant : on était un peu l'arme aux pieds depuis des semaines et des semaines, il faut que la discussion entre dans le vif du sujet.
Question : Est-ce que pour changer de sujet, je peux vous demander une faction à l'opération policière contre le PKK en France aujourd'hui ?
Le ministre : C'est la concrétisation de ce que nous avions dit les uns et les autres, le Premier ministre, le ministre de l'intérieur et moi-même depuis plusieurs semaines, à savoir que la France n'avait pas vocation à devenir la base arrière du terrorisme international. Nous sommes un pays d'asile, on le sait bien et nous sommes tout à fait prêts à accueillir des réfugiés politiques lorsqu'ils sont persécutés dans leur pays d'origine mais pas pour qu'ils viennent se livrer à un entraînement militaire ou paramilitaire ou à la préparation d'actes de terrorisme sur notre territoire. Cela n'est pas acceptable et le gouvernement français continuera à agir dans cette direction.
Je suis allé à Damas comme je viens maintenant à Amman et comme j'irai tout à l'heure à Beyrouth, d'abord pour m'informer de l'état actuel de la situation sur le terrain et ensuite pour rappeler les positions de la France qui est prête bien sûr à des aides à l'avancée du processus de paix. Nous nous sommes réjouis de l'accord d'Oslo parce qu'il est un pas décisif vers la paix. La reconnaissance mutuelle d'Israël et de l'OLP est en particulier un événement de portée historique. Cela dit, nous sommes parfaitement conscients des difficultés qui subsistent. L'évolution au cours de ces derniers jours, la tension dans les territoires occupés, la violence au Sud-Liban accroissent nos inquiétudes. Donc j'ai dit à Damas qu'il nous paraissait nécessaire que les autres volets de la négociation, notamment le volet syrien, puissent progresser dans le cadre du processus de Madrid. La France réclame l'application intégrale des résolutions du conseil de sécurité, c'est-à-dire le retrait israélien du Golan, ce qui inquiète la Syrie, et en parallèle dans le cadre du retour à la paix, l'établissement des relations diplomatiques, politiques, commerciales, touristiques normales. Voilà ce que j'ai dit en faisant part bien sûr de la disponibilité de la France à contribuer à ce processus mais je le répète, notre objectif n'était pas d'organiser une rencontre.
Question : Monsieur le ministre, dans le contexte du processus de paix, avez-vous des plans pour un programme d'assistance spécifique à la Jordanie à part l'assistance au développement économique que vous donnez aux Palestiniens ?
Le ministre : Oui, d'abord la France a une coopération bilatérale avec la Jordanie que nous souhaitons développer. Un nouveau protocole financier pour l'année 1994 sera signé dans quelques semaines, dans quelques jours même, et par ailleurs, la France a demandé à ses partenaires de l'Union européenne, au-delà de l'enveloppe qui est déjà prévue pour les territoires palestiniens, que la Communauté puisse mettre en place un programme pour l'ensemble de la région, y compris la Jordanie, dès lors que le processus de paix aura avancé. Nous avons pu avancer un chiffre pour ce programme régional : celui d'un milliard d'écus, ce qui représente un milliard 2, un milliard 3 de dollars. Voilà ce que souhaite la France.
Question : Comment connaître le montant du protocole avec la Jordanie ?
Vous le connaîtrez quand il sera signé au début du mois de décembre, il sera d'un montant significatif.
Question : Avez-vous soulevé le problème de la dette de la Jordanie, et la France est-elle disposée à annuler sa part de cette dette ?
Le ministre : Nous avons évoqué cette question et je sais le fardeau que constitue la dette pour l'économie jordanienne. La France est tout à fait disposée à aider la Jordanie dans le cadre du Club de Paris qui doit discuter du rééchelonnement de cette dette. Une nouvelle réunion du Club de Paris est prévue l'année prochaine, nous y jouerons bien sûr un rôle tout à fait positif.
Question : Avez-vous le sentiment d'une disposition syrienne à progresser dans les négociations de paix ?
Le ministre : J'ai eu le sentiment effectivement que mes interlocuteurs en Syrie souhaitaient que les négociations bilatérales prévues dans le cadre du processus de Madrid reprennent et je les y ai vivement encouragés. Une dynamique s'est créée, il ne faut pas la casser. Beaucoup de forces contraires sont en train d'essayer de paralyser la mise en œuvre de l'accord qui a été conclu et il faut faire jouer les forces positives pour permettre d'assurer les meilleures chances de succès. Dans cette perspective, je pense qu'il faut aller le plus vite possible vers une paix globale qui est seule de nature à assurer le succès.
Question : Pourquoi la France et l'Union européenne ne veulent-elles pas donner directement l'assistance aux territoires occupés, en passant par l'OLP ?
Le ministre : Non, nous donnons notre assistance à l'autorité palestinienne qui aura la responsabilité des territoires occupés. Je ne comprends pas très bien votre question, parce que l'accord qui a été conclu tend à créer précisément à Gaza et à Jéricho l'autorité nationale palestinienne, donc c'est bien elle qui aux termes de l'accord doit recevoir la part de l'aide qui revient à ces territoires.
Question : En raison de la recrudescence de la violence dans les territoires occupés, il y a un appel pour une sorte de déploiement d'une force internationale dans les territoires occupés. Comment la France voit-elle (ou perçoit-elle) cette proposition ?
Le ministre : Écoutez, ceci ne figure pas dans l'état actuel des choses dans les accords qui or.t été conclus. Il faut que le processus qui a été engagé se poursuive et aboutisse. C'est en fonction de ce que souhaiteront les parties que la communauté internationale prendra ses responsabilités.
Question : Au sujet du redéploiement des forces syriennes au Liban ?
Le ministre : J'ai confirmé à mes interlocuteurs ce qu'a toujours été la position de la France dans ce domaine. Nous comprenons parfaitement que pour des raisons historiques, géographiques, il existe une relation particulière entre la Syrie et le Liban, mais la France qui a pour le Liban et pour toutes les communautés du Liban, chrétiennes et musulmanes, à la fois un attachement et une responsabilité elle aussi particulière, a toujours dit que son seul objectif était le retour à la pleine souveraineté, à l'intégrité territoriale, bref à l'indépendance du Liban.
Cela signifie que l'ensemble des troupes étrangères qui se trouvent au Liban ont vocation à te quitter : c'est vrai bien évidemment pour les troupes israéliennes en application de la résolution 425 et notre position là-dessus est tout à fait claire, lorsque le processus de paix aura abouti et que la sécurité ne sera plus en cause dans cette région. C'est également vrai pour les troupes syriennes ; voilà quelle est la position de la France et je l'ai réaffirmée.
Question : Israël vous a demandé de jouer les médiateurs ?
Le ministre : Non, j'ai lu ça dans la dépêche de presse mais ce n'est pas ce qui s'est dit dans ma conversation avec M. Shimon Peres. J'ai toujours dit que la France, compte-tenu des bonnes relations qu'elle a avec tous les pays de la région, Israël, la Syrie, la Jordanie, le Liban, etc. était prête à jouer tout son rôle. Elle le joue déjà dans les négociations multilatérales qui permettent de préparer ce que sera le développement économique de la région une fois paix revenue et c'est très utile. Elle le joue aussi au sein de la Communauté européenne en étant l'aiguillon, et elle peut le jouer bien sûr dans les contacts bilatéraux. Contrairement à ce qui a été écrit par quelques journalistes, je n'étais pas investi d'une mission de médiateur en venant ici. J'ai confirmé notre analyse et notre position et je pense que ceci a été utile.