Texte intégral
RMC : mardi 7 décembre 1993
P. Lapousterle : Le refus de la France d'accepter l'accord, est-ce que selon vous cela correspond à de réelles divergences, ou à des gesticulations pour camoufler un accord qui devrait intervenir dans les prochains jours ?
M. Blondel : C'est difficile de se prononcer sur cette affaire pour plusieurs raisons. Tout le monde parle d'un dossier que nous ne connaissons pas. Le document le plus important, cela serait ce qu'on appelle le préaccord de Blair House. Il paraît que la seule expression est en anglais. Je voudrais vous rappeler que nous avons été consultés là-dessus il y a déjà un moment. Or, à l'époque il n'avait pas été traduit. Ce qui fait qu'en définitive nous ne sentons pas les conséquences que tout cela peut avoir. On a été sollicité par le monde agricole, je crois fort justement, parce que c'est l'existence même de l'agriculture ou son influence dans le pays qui est en jeu, dans l'industrie aussi il faudrait regarder : il y notamment les problèmes de l'aéronautique. Mais nous n'avons eu à aucun moment une discussion en France, à quelque niveau que ce soit, qui soit une discussion globale. Le Premier ministre a su attirer l'intérêt de tout le monde vers cette affaire et de bien se montrer, notamment vis-à-vis de l'étranger, comme étant porteur d'une insatisfaction diffuse de la France. Et maintenant on négocie. Moi, je crois qu'il y a une part de théâtre, sans que cela soit péjoratif. Il faut conditionner un peu tout le monde pour l'échéance. Et à mon avis, l'échéance sera la signature.
P. Lapousterle : Est-ce que vous considérerez comme une très mauvaise nouvelle que la France ne signe pas, et est-ce que vous pensez que cela serait un risque de crise et de chômage ?
M. Blondel : Non, là je ne marche pas. C'est la même histoire qu'en matière européenne, si le non ne faisait pas plus de 50 %, c'était la fin du monde. Le 15 décembre, cela ne sera pas la fin du monde. Soyons très clairs, quelle que soit la position prise par la France. En plus, cela fait sept ans que l'on discute des tarifs commerciaux, permettez-moi de dire que pendant ce temps-là il y a eu du commerce. Nous sommes très demandeurs pour le GATT. Mais toujours de la même chose, de la clause sociale. Notamment, je souhaiterais bien qu'on finisse par interdire aux entreprises multinationales d'exiger que dans le pays où elles s'implantent, elles demandent aux autorités à s'engager à ce qu'il n'y a pas de syndicats par exemple. Y compris des multinationales françaises ! Ce qui veut dire qu'à l'intérieur des pays en voie de développement où on implante des multinationales, il n'y a pas de réaction sociale, les salariés sont corvéables et malléables, et là, ils sont très largement concurrentiels. Ce qui veut dire aussi que ce que ces gens-là gagnent, ne va pas au bénéfice des travailleurs du pays, mais au bénéfice de ceux qui dirigent le pays.
P. Lapousterle : Hier, vous avez rencontrez le président Mitterrand. Qu'est-ce que vous lui avez dit ?
M. Blondel : Le président a tout à fait bien senti ce que nous souhaitions. Et il nous a rappelé quelque chose qui était intéressant. Il a dit : avant Maastricht, j'étais à peu près le seul à parler de social et on me tournait quasiment en dérision. Maintenant, j'essaye. Nous lui avons demandé s'il avait l'intention de persister sur cette histoire d'emprunt. Il a l'intention de persister. Il semble même qu'il trouve maintenant des alliés et qu'on peut peut-être s'attendre à quelque chose d'intéressant sur ce plan. Moi, je suis pour.
P. Lapousterle : Le gouvernement pense à installer une TVA sociale. Qu'est-ce que vous en pensez ?
M. Blondel : Je trouve cela merveilleux. C'est un beau phénomène de communication. Sauf erreur de ma part, la TVA sociale, la première fois qu'on a parlé de cela, c'était la TVA que l'on voulait faire payer sur les produits importés avec l'objectif noble de réaffecter cet argent aux pays en voie de développement. Maintenant, c'est pour financer le régime de Sécurité sociale. Le problème est relativement simple. Nous allons faire un colloque international sur la Sécu. Si la Sécurité sociale est le dernier élément qui permette de solidariser les gens, il faut maintenir cela pour le tissu social, sinon il y aura de plus en plus d'exclusion. Ça mérite le déficit budgétaire et l'évaporation sociale. C'est le prix à payer pour que l'unité de la France existe encore. Si on ne comprend pas cela, on va faire des exclus parce que les régimes sociaux, y compris la Sécu, ne prendront plus en charge, et il faudra bien quelqu'un qui paye. Ce sera l'État en définitive, les bureaux d'aide sociale. Moi, j'aime mieux qu'on donne aux syndicats l'occasion de manifester leurs responsabilités dans la gestion de la Sécurité sociale. Et je ne pense pas que les politiques et les compagnies d'assurances feraient mieux. Soyons bien clairs, le mode de financement conditionnera le mode de gestion. La TVA, c'est quand même un impôt. L'impôt, ce sont les parlementaires qui le gèrent. Vous croyez que la Sécurité sociale serait mieux gérée s'il y avait un débat au Parlement, et qu'on considère la Sécu comme une annexe du Budget ? Cela se ferait à grandes coupes, et on serait bien emmerdé. La Sécurité sociale, ce n'est pas une structure économique. C'est tout autre chose. C'est une structure de vie. C'est totalement différent. Ce n'est pas une boite avec un déficit.
France Inter : lundi 13 décembre 1993
A. Ardisson : Ce sommet européen vous a-t-il déçu ou pas ? Vous étiez pour l'emprunt et contre le reste des mesures Delors.
M. Blondel : Nous étions allés voir, avec la Confédération européenne des syndicats, F. Mitterrand pour préparer justement le sommet en question et nous avions beaucoup insisté sur la relance de l'activité et si possible, la relance de l'activité au niveau européen, ce qui donnait quelque chose au crédit de l'Europe qui est plutôt vécue, en ce moment, comme un instrument qui se détériore. Nous étions même assez satisfaits de la façon dont le président nous avait répondu. Nous avions fait remarquer que les structures économiques et financières, étaient plutôt hostiles à la notion d'emprunt. Le président semblait, lui, espérer que nous aurions satisfaction. Les Allemands étaient d'accord avec nous, selon mes informations. Ce matin, il semble que la notion de l'emprunt qui, si elle n'a pas été abandonnée, est quand même mise en position secondaire, même s'il y a une tentative de financement pour des grands travaux d'infrastructure.
A. Ardisson : Au bout du compte, c'est bien cela qui compte : créer de l'emploi ?
M. Blondel : Le président de la République avait lancé des idées qui allaient très loin en matière d'emprunt et là, il semble bien que ce soit du ravaudage et que l'on soit dans l'obligation de trouver un peu de financement, ce qui ne donne pas finalement l'assurance que nous espérions. Sur l'autre facette, tout le monde s'est mis d'accord, c'est clair. Ça commence par la modération salariale et ensuite pour lutter pour l'emploi, c'est une version à laquelle je ne souscris pas. Ensuite, la baisse tendancielle du coût du travail et notamment avec cette histoire d'exonérations diverses selon les pays, sur les salaires les plus bas. Ce qui est à noter c'est que l'on rentre dans une mécanique qui est celle d'essayer de se mettre à niveau des pays qui sont nouvellement industrialisés ou en voie de l'être. C'est sans limite. Sauf si dans les autres pays on augmente les salaires. Les Américains et le Mexique par exemple, c'est 1/10ème. Nous entrons là dans une mécanique très grave. Comment vais-je faire pour négocier les salaires dans la limite où les salaires les moins qualifiés feront l'objet d'exonérations sociales et que, à Chaque fois que nous voudrons une augmentation, cela aura pour effet de modifier ces exonérations justement ! Ça veut dire que cela va être une mesure incitative à telle enseigne que lorsque M. Giraud a présenté son texte, il y avait 1 million de salariés payés au SMIC. Je suis sûr que nous atteindrons, avant la fin de l'année 94, 2 millions de salariés payés au SMIC.
A. Ardisson : Quand on laisse entendre la création de la TVA sociale pour alléger le coût du travail, vous dites bravo ! Ça permettra de redémarrer l'emploi ?
M. Blondel : Il y a d'abord l'exonération des cotisations sociales en ensuite, parce que cette exonération crée un problème, car il faut bien que quelqu'un paye ou on met en l'air complètement les régimes, donc un nouveau financement pour les régimes sociaux. En ce qui concerne la TVA sociale, c'est amusant d'avoir le culot d'appeler la TVA « sociale ». La TVA c'est l'impôt le plus indolore et c'est celui dont sont victimes tous les consommateurs, y compris les plus défavorisés, Pourquoi l'appelle-t-on TVA « sociale » ? Il s'agissait dans l'esprit de ceux qui avaient inventé le concept de faire payer une TVA sur les produits importés, ceux qui venaient de pays qui, justement, ont des salaires très bas. L'idée était de renvoyer à ces pays la TVA pour qu'ils constituent des régimes sociaux. J'étais assez pour améliorer la situation et d'essayer de rendre solvables ces pays. Cette démarche était une démarche de pays riches vers des pays pauvres. On se considère maintenant comme un pays pauvre, puisque l'on dit que la TVA sociale on va la garder pour nous. Ce sera un moyen de compenser les exonérations. Sur ce point c'est un peu déplacé. En ce qui concerne les régimes sociaux, les exonérations ça a toujours été une plaie pour différentes raisons. Quand il y a exonération, il y a toujours, de la part du gouvernement, une tendance à prendre son temps pour justement rembourser les exonérations aux régimes en question. C'est le cas en ce moment déjà. Le gouvernement doit environ 42 milliards. Il faut aussi trouver l'équilibre des régimes et si l'on parle de Sécurité sociale universelle, je suis assez favorable à l'idée d'évaporation sociale. À savoir considérer une Sécurité sociale universelle regroupant tout le monde. Pourquoi dans les 300 milliards de déficit du budget il n'y aurait pas 30 ou 40 milliards correspondants au déficit de Sécurité sociale ?
A. Ardisson : Et le GATT ?
M. Blondel : Je suis en colère car je vois que l'idée de la clause sociale va encore être reportée et c'est terrible ! Je crois que l'on ferait plus pour les pays en voie de développement si justement on avait mis la clause sociale. Ensuite, je ne suis pas sûr que les négociations soient allées jusqu'au terme et je ne voudrais pas que, notamment sur l'Aérospatiale, nous abandonnions la place de numéro un, y compris la recherche, au bénéfice de quelques compensations. Je crains que ce soit du donnant-donnant. Ce que je regrette le plus, c'est qu'il n'y ait pas une structure normative pour les échanges commerciaux.