Article de Mme Lucette Michaux-Chevry, ministre délégué à l'action humanitaire et aux droits de l'homme, dans "Le Monde" du 30 octobre 1993, sur la proposition de création d'une commission nationale consultative des droits de l'homme, et l'importance de l'humanitaire, générateur d'emplois, intitulé "Dialogue et confiance".

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Média : Le Monde

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La France est l'un des rares États, sinon le seul, qui maintienne depuis plusieurs années, au sein de son gouvernement, un ministère chargé de l'action humanitaire Pour tous ceux qui participent à cette action, c'est une reconnaissance et une chance pour la développer encore.

Les demandes de secours sont innombrables. Les espoirs, les attentes de ceux qui souffrent, comme la folie destructrice de certains autres, restent immenses. L'humanitaire aura donc encore longtemps besoin des compétences de chacun, et même au-delà. Pour ma part, je m'efforce de mettre au service de cette action le maximum des moyens dont dispose l'État, Mes collègues, ministre de la Défense et de la santé, le savent pour avoir été déjà beaucoup sollicités, mais je sais que nous partageons les mêmes convictions.

Une instance de concertation

Pour être à l'écoute du monde et porter secours le plus efficacement possible au-delà de nos frontières, il est indispensable que se tissent en France, entre les pouvoirs publics et les acteurs humanitaires, le dialogue et la confiance qui se manifestent déjà sur le terrain. Je suis convaincue que si l'action humanitaire s'est parfois montrée dans le passé tapageuse et provocatrice, c'est aussi parce qu'elle souhaitait tout simplement être reconnue et entendue.

En conséquence, plus qu'une présence fugace sur le terrain, où notre réseau diplomatique et les ONG travaillent efficacement, c'est sur notre sol, auprès de ceux qui orchestrent tous les jours les actions lointaines, qu'il m'a d'abord paru important d'agir.

Les ONG humanitaires sont connues du public, certaines sont mêmes célèbres Toutefois, au jour le jour, dans les coulisses, dans leurs rapports avec tes pouvoirs publics et la société civile, elles ne disposent en fait ni des relais ni des instances dont bénéficient déjà d'autres organismes, qu'il s'agisse des Droits de l'Homme ou de l'aide au développement.

L'action humanitaire n'est le sous-produit ni dos droits de l'homme, ni de l'aide au développement. C'est une fonction distincte qui a ses règles et ses contraintes propres. Elle mérite donc de bénéficier de moyens qui lui sont adaptés, même si Celle-ci peuvent heureusement bénéficier par ricochet à d'autres ONG.

Les rencontres et entretiens que j'ai menés depuis ma prise de fonctions me convainquent qu'il est important de disposer en premier lieu d'une instance permanente de concertation. Nous avons sous les yeux l'exemple réussi de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme : pourquoi ne pas s'en inspirer et, sur ce modèle, avec les modifications qui s'imposent, mettre sur pied une commission nationale consultative de l'action humanitaire ?

Celle-ci réunirait des personnalités compétentes et reconnues pour leur action, ainsi que des représentants des pouvoirs publics, forum de discussion, de concertation, de proposition et de réflexion ouvert au plus grand nombre, cette commission accompagnerait l'humanitaire dans sa maturité.

Une commission de plus ! objectera-t-on. Voire ! Dans ce Forum, seraient débattus les problèmes spécifiques de l'humanitaire, de l'aide d'urgence, de l'action militaro-humanitaire un Somalie, de l'Angola, du Liberia et de tant d'autres actions. Les sujets de discussion et de réflexion ne manquent pas, ni les intervenants qualifiés pour en débattre. Encore fallait-il leur proposer les moyens de le faire.

Si cette commission ne devait permettre qu'un simple dialogue, elle serait déjà utile Je fais confiance à ceux qui y participeront et au tempérament des humanitaires pour aller au-delà de la simple discussion. À en juger par le travail et l'impact de la commission nationale consultative des Droits de l'Homme, cette initiative mérite largement d'être tentée.

Une amélioration du statut fiscal

La concertation doit s'accompagner d'une plus grande transparence, notamment financière. Dans l'humanitaire plus qu'ailleurs, l'argent est indispensable. Les Français sont généreux pour leurs associations humanitaires, mais ils le seraient encore plus si le statut fiscal accordé aux donateurs et aux associations était amélioré.

Loin de moi l'idée de promettre des mesures financières que la rigueur actuelle et les contraintes budgétaires ne pourraient assumer. Mais je soutiendrai auprès de mes collègues du gouvernement certaines mesures, peu coûteuses me semble-t-il, qui permettraient à nos associations d'être compétitives vis-à-vis de leurs homologues européens et anglo-saxons,

Gardons aussi présent à l'esprit que l'humanitaire est non seulement un réservoir de courage et de talent, mais aussi et surtout un réservoir d'emplois. Un volontaire de l'humanitaire, c'est souvent eu demandeur d'emploi de moins, ou un étudiant qui trouve là son premier emploi. Soyons réalistes et même calculateurs ! Un jeune qui se donne dans l'humanitaire et qui y trouve un idéal, c'est un chômeur de moins.

Une école de réalisme

L'humanitaire, comme tout secteur en croissance, est générateur d'emplois. Nous allons donc développer le volontariat, mieux le faire connaître, en proposer de nouvelles formes, et améliorer le sort des volontaires au retour de leurs missions,

Il faut ouvrir des bureaux d'information dans tout le pays, favoriser les stages humanitaires et les faire valider, auprès des universités par exemple, ou encore instaurer un congé humanitaire sur le modèle du congé formation Les pistes de réflexions et d'action ne manquent pas.

Nous sommes dans une économie de marché : observons donc le coût du chômage et comparons-le à celui que représenterait par exemple une limitation des charges des associations, ou un éventuel accroissement de la déductibilité fiscale liée aux dons, sans compter les résultats tangibles pour notre pays du dévouement dont font preuve les héritiers des "french doctors".

L'ensemble des professions est touché, nous dit-on, par la "crise". J'observe pour ma part chez mes interlocuteurs du monde humanitaire un engagement et une volonté qui me font penser que l'école de l'humanitaire est une école de réalisme, un des derniers lieux où le don des valeurs, du don de soi et du respect d'autrui est vivace. C'est pourquoi j'en serai le porte-parole auprès des différents décideurs, à tous les niveaux de l'appareil d'État.