Interviews de M. Hervé de Charette, président du PPDF, dans "Ouest-France" le 4 mai 1998 et dans "Libération" le 12, sur la crise interne et les tentatives de recomposition de l'UDF.

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Média : Emission Forum RMC Libération - Libération - Ouest France

Texte intégral

Ouest-France le lundi 4 mai 1998

Ouest-France
La droite française est-elle, comme disant jadis Guy Mollet « la plus bête du monde » ?

Hervé de Charette
La dissolution de 1997 a provoqué une secousse politique comme nous n’en avons pas subi depuis 1981. Il n’est pas surprenant, après une telle défaite, que pointent la tentation de règlements de comptes mais surtout le besoin pour chacun d’y voir clair. La crise de confiance politique est plus profonde chez nous que dans aucun autre pays d’Europe.

Ouest-France
A l’UDF, on ne sait plus très bien qui veut quoi…

Hervé de Charette
A l’origine, s’étaient retrouvées à l’UDF des familles différentes : indépendants et paysans, radicaux centristes chrétien-sociaux. En vingt ans, sans nous en apercevoir, nous avons fait naître une nouvelle famille politique : l’UDF. L’importance de sa place dans la politique française ne dépend que de sa capacité à s’organiser. La tentation existe de repartir chacun de son côté et je vois bien le durcissement de la démarche libérale. Mais l’immense majorité de nos élus, adhérents et électeurs ne souhaitent pas que nous nous séparions. Le moment est venu de passer d’une confédération de formations politiques à un vrai parti, en fusionnant toutes les composantes.

Ouest-France
Réussirez-vous, par là, à changer la manière de faire de la politique ?

Hervé de Charette
Si nous sommes décidés, comme je le suis, à faire l’UDF nouvelle, il faut que cela se traduise par des actes précis. Nous avons besoin d’une charte qui soit à la fois projet commun et code déontologie. Sur les relations avec le Front national, nous devons être clairs et convaincants. Du point de vue de l’organisation du parti, il nous faut faire des progrès décisifs en matière de partage des responsabilités.

Ouest-France
Par exemple ?

Hervé de Charette
Par exemple, dans l’Ouest, je souhaite que nos forces régionales de Bretagne et des Pays de la Loire soient capables de prendre le pouvoir. C’est-à-dire que les élus et les adhérents montrent comment pourrait fonctionner un parti politique nouveau. A partir de deux orientations essentielles :1) La base doit exercer la plénitude de ses responsabilités ; 2) Ces deux régions ont un destin commun à assumer ensemble. Il faut que nous soyons le premier parti à donner à cette vitalité interrégionale une expression politique. Un peu à la manière de la CSU par rapport à la CDU en Allemagne.

Ouest-France
Approuvez-vous les tentatives de créer – comme Jean-Yves Cozan en Bretagne – des mouvements régionaux en rupture avec des états-majors parisiens ?

Hervé de Charette
Je comprends la tentation de certains responsables de se replier sur leur espace territorial, s’estimant qualités pour assumer la plénitude de leur responsabilité. Surtout là où, comme en Bretagne, une forte identité régionale appelle une expression politique autonome. Ce n’est pas mon objectif. Je cherche à faire en sorte qu’au sein de ma famille politique on prenne en considération les territoires, les « pays », les espaces régionaux où se partagent spontanément beaucoup de chose entre des populations qui se reconnaissent une communauté de destin. La Bretagne et les Pays de la Loire ont évidemment un destin commun. L’Ouest français comprend que c’est à lui de défendre ses propres intérêts, y compris face à Paris, car il est menacé dans une Europe qui voit son centre de gravité de déplacer vers l’Est. J’aimerais que l’UDF, famille politique nationale, se fasse l’écho de cette aspiration montante et y réponde. Cela ne veut pas dire que je néglige ou perds de vue la nation : je ne prêche pas pour l’éclatement régionaliste, mais pour l’expression de la personnalité des territoires au sein de la nation.

Ouest-France
Comment allez-vous faire pour que ce parti nouveau, que vous souhaitez, n’apparaisse pas comme le tremplin ou l’écurie d’un nouveau présidentiable ?

Hervé de Charette
Beaucoup d’élus et d’adhérents pensent qu’ils ont été victimes de la guerre des chefs. Il faudra séparer concrètement la fonction de président de l’UDF nouvelle et celle de candidat éventuel à l’élection présidentielle.

Ouest-France
L’opposition ne souffre-t-elle pas de l’absence d’un chef unique ?

Hervé de Charette
C’est autour du Président de la République que l’opposition doit trouver sa sérénité. C’est lorsqu’elle se met à chercher par qui elle pourrait remplacer Jacques Chirac qu’elle commence à s’enfoncer. Ce qui divise le RPR et menace de faire éclater l’UDF. Focaliser notre débat autour du leadership c’est, pour notre famille politique, aller droit dans le mur.

Ouest-France
Êtes-vous gêné que le Président soit obligé de ménager le Premier ministre et son gouvernement ?

Hervé de Charette
Ce que je trouve mauvais pour la France, c’est la cohabitation, même si nos concitoyens n’en sont pas mécontents. Il n’est pas bon que le pouvoir exécutif soit partagé, surtout sur une longue période. Cela crée de la confusion quant aux responsabilités des uns et des autres, et contribue à l’atmosphère délétère que nous connaissons. Cela affaiblit la France dans le monde, contrairement à ce qu’on croit trop souvent. Parce que, naturellement, les « grands » de ce monde – États-Unis, Allemagne, Russie, Grande-Bretagne – prennent l’habitude de cette situation et savent en jouer à leur profit.

 

Libération le 12 mai 1998

Libération
L’UDF est en pleine déconfiture. François Bayrou souhaite la création d’un nouveau parti unifié, alors qu’Alain Madelin refuse la fusion des actuelles composantes de l’UDF. Comment sortir de la confusion ?

Hervé de Charrette
Nous sommes à un tournant de la crise née des régionales. La situation est paradoxale. D’un côté, la quasi-totalité des députés UDF qui se réunissent ce matin veulent rester ensemble. De l’autre, le parti d’Alain Madelin, Démocratie libérale, s’apprête à refuser un parti unitaire. Personnellement, j’ai été favorable à la fusion totale et définitive de l’ensemble des composantes dans une grande formation politique unitaire et rassemblée autour d’un projet préparé et adopté en commun. Je reste dans cette perspective. Mais si le prix à payer est le départ des libéraux d’Alain Madelin, il est trop élevé. La mort de l’UDF ne rendra servie qu’à la gauche. Par conséquent, il est sans doute plus sage aujourd’hui de réfléchir à des étapes intermédiaires.

Libération
Freiner un processus déjà pas très vaillant, n’est-ce pas prendre le risque du statu quo ?

Le statu quo donnerait le sentiment d’une vaste guignolade. Ce serait ridicule. Nos adhérents en ont gros sur la patate. Ils ont le sentiment d’avoir été grugés et veulent du changement. Il faut donc chercher les moyens pour avancer en partant des atouts de l’UDF. Et ils sont beaucoup plus nombreux que la situation actuelle pourrait nous le faire croire. C’est d’abord l’enracinement de nos élus. Les élections régionales et cantonales ont montré que l’UDF reste la première force politique française dans les départements et les régions. Ce grand nombre d’hommes et de femmes élus de terrain n’imaginent pas, après vingt ans de vie commune, être séparés au nom des projets de carrières nationales de tel ou tel de nos dirigeants. Nous n’allons pas être victimes de la guerre des chefs. Ensuite, la marque de l’UDF dans l’opinion publique, c’est son engagement européen. Nous l’avons vu encore, la semaine passée à l’Assemblée nationale, lors du vote de la résolution sur l’euro où nous étions la seule formation à avoir une position claire et unanime. Enfin, je reste persuadé que le positionnement politique de l’UDF, des libéraux aux sociaux-chrétiens, fait de notre famille celle dont peut sortir le seul projet politique capable de rassembler demain une majorité de Français pour l’alternance. Franchement, je ne me vois pas jeter tout ça par-dessus bord. Ceux qui en prendraient la responsabilité devront en rendre compte.

Libération
Que proposez-vous concrètement pour sortir l’UDF de son marasme ?

Il faut nous coaliser pour maintenir notre famille politique. Je propose premièrement que nous donnions à nos élus une responsabilité particulière dans la réorganisation de l’UDF en mettant en place, par exemple, une conférence nationale des élus. Je pense tout particulièrement à ces conseillers régionaux, généraux et maires qui n’ont jamais l’occasion de se réunir et qui pourtant sont porteurs d’une connaissance vivantes de nos électeurs et de notre base. Deuxièmement, il est nécessaire que la réflexion sur le projet futur se fasse sur le terrain. Les états généraux de l’opposition organisés il y a dix ans par le RPR et l’UDF étaient, en fait, les états généraux du VIIe arrondissement de Paris. Je propose cette fois des « états régionaux de l’UDF », qui permettront à nos responsables et militants de conduire eux-mêmes le débat sur le projet futur pour l’alternance. Cela ouvrirait un espace formidable pour le débat d’idées. Il y a un débat entre les libéraux et les autres, que la base en discute et tranche.