Texte intégral
Jean-Luc Mano : La victoire de l'opposition est-elle acquise ?
René Monory : Je pense que nous allons gagner assez facilement mais ce que je souhaiterais, c'est que nous ne gagnions pas seulement par défaut mais parce que nous représentons un véritable changement.
Jean-Luc Mano : Il y a de la revanche dans l'air ?
René Monory : On a déjà connu cela. Je ne le souhaite pas.
Jean-Luc Mano : La cohabitation avec le président de la République, c'est jouable ?
René Monory : Les problèmes en France et en Europe sont tellement difficiles que l'idéal serait d'avoir du temps, or, avec une élection présidentielle deux ans plus tard, la nouvelle majorité n'en aura pas. Mais la cohabitation ne se pose pas en ces termes, ce n'est pas une question de souhait ; il y a un président de la République qui est élu pour sept ans et il fait ce qu'il veut. Et puis il y a une réalité politique, c'est à nous de nous en arranger.
Jean-Luc Mano : La mode en ce moment dans l'opposition, c'est « la cohabitation sous conditions ».
René Monory : Il y a une Constitution qui donne des pouvoirs au président de la République et au gouvernement. Il est clair que la Défense et les Affaires étrangères sont du ressort du président de la République.
Jean-Luc Mano : Pour Matignon, vous avez un favori ?
René Monory : Non. C'est le président de la République qui le nomme. Il doit avoir son idée. On évoque certains noms, il peut y en avoir d'autres.
Jean-Luc Mano : Certains parlent de vous pour Matignon.
René Monory : Ce sont des gens gentils qui disent cela…
Jean-Luc Mano : Quel type de relations entretenez-vous avec le président de la République ?
René Monory : Des relations normales, correctes. Je peux même dire bonnes.
Jean-Luc Mano : On a dit de vous que vous étiez le plus barriste des chiraquiens, puis le plus chiraquien des barristes et maintenant le plus giscardien des chiraquiens ; c'est pratique.
René Monory : Je n'ai jamais été inféodé à personne. Je suis avant tout un libéral et, si je suis allé vers les centristes, c'est parce que je crois que la société doit avoir pour objectif d'accroître les richesses mais aussi de les redistribuer, d'être généreuse. Une société qui ne redistribue pas les richesses se condamne elle-même.
Jean-Luc Mano : On parle de vous comme d'un possible troisième homme. Est-ce que cela vous flatte, vous amuse ou vous intéresse ?
René Monory : Ça me flatte, bien sûr.
Jean-Luc Mano : Venons-en au bilan. Êtes-vous parmi ceux qui parlent de catastrophe de la gestion socialiste ?
René Monory : Non. Le bilan est mitigé. Vous savez, d'abord, les socialistes ont appris une chose : l'économie du marché. C'est important, car ce clivage traditionnel qui existait entre la gauche et la droite n'existe plus. Ce que je leur reproche, c'est qu'ils ont répondu à la crise par de l'assistanat plutôt que par des solutions. Ils ont mis en place une assistance qui mène à un système d'éviction sociale.
Jean-Luc Mano : L'opposition va arriver au pouvoir, et pourtant, il y a un grand doute sur sa capacité à changer les choses…
René Monory : C'est vrai, vous avez parfaitement raison. C'est d'abord parce que l'opinion publique est fatiguée des promesses, d'où qu'elles viennent. Ce que les hommes politiques ont mal compris, c'est qu'à l'heure des évolutions technologiques, il fallait aussi faire évoluer la société, et non la geler par des corporatismes de tous poils. Il y a un hiatus entre la société dans laquelle nous vivons et les moyens pour la faire vivre. Il va falloir avoir quelques grandes idées, et d'abord avoir le courage de dire qu'on ne pourra pas continuer, au moins pour quelque temps, à poursuivre la fuite en avant du pouvoir d'achat.
Jean-Luc Mano : Est-ce à dire que, selon vous, il n'y a plus d'espace pour de nouvelles conquêtes sociales ?
René Monory : Pour moi, la conquête sociale, c'est l'emploi. Il faut restaurer la responsabilité individuelle sans laquelle il n'y a pas de progrès possible. Je voudrais qu'on évite les catalogues de mesures, et qu'on se concentre sur quelques axes. Il y a une réforme urgente ; c'est la création d'une monnaie unique avec les pays qui y sont prêts, c'est-à-dire la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Allemagne et la France. Vous verrez que c'est la seule réponse que l'on peut avoir vis- à-vis des Américains.
Jean-Luc Mano : Pourquoi, chaque fois qu'un leader de l'opposition parle d'union, cela provoque-t-il l'hilarité générale ?
René Monory : Moi, ça ne me fait pas rire, ça m'attriste que personne n'y croie.
Jean-Luc Mano : Vous en êtes conscient, tout de même ?
René Monory : Oui, mais je crois que l'Europe va départager tout le monde.
Jean-Luc Mano : Pour la présidentielle, vous roulez pour qui ?
René Monory : Pour personne… Pour l'instant.
Jean-Luc Mano : Vous pensez à vous ?
René Monory : Non, je vous ai dit que je n'y songeais pas. Vous savez, il va se passer, dans les deux années qui viennent, des événements auxquels on n'a pas encore forcément pensé. Il ne faut pas essayer de répondre avec notre logique actuelle.
Jean-Luc Mano : Je voudrais vous faire réagir, d'une seule phrase, à cinq noms. Chirac, d'abord.
René Monory : Il est très convivial.
Jean-Luc Mano : Giscard ?
René Monory : Il est très intelligent.
Jean-Luc Mano : Balladur ?
René Monory : Il est… très courageux.
Jean-Luc Mano : Rocard ?
René Monory : J'ai besoin d'un décodeur pour comprendre ce qu'il dit.
Jean-Luc Mano : Tapie ?
René Monory : C'est un très bon manager, apparemment, pour une équipe de foot.
Jean-Luc Mano : C'est normal de dire du bien de ses amis et du mal de tous les autres ?
René Monory : Je ne dis pas de mal.
Jean-Luc Mano : Un peu quand même.
René Monory : Eh bien, c'est vrai. Rocard, je ne comprends rien à ce qu'il raconte, et Tapie ce n'est pas ma tasse de thé.
Jean-Luc Mano : L'intérim, ça vous titille ?
René Monory : Ça ne me réveille pas la nuit. J'y pense parce que vous m'en parlez. La fonction le prévoit, mais ce n'est pas à l'ordre du jour.
Jean-Luc Mano : Les manifestations étudiantes de 1986, Malik Oussekine, c'est un souvenir qui vous hante ?
René Monory : Dans ma vie, je ne suis pas poursuivi par des obsessions. Mais c'est un regret. J'avais dit au Premier ministre de ne pas faire cette réforme. Il a suivi d'autres avis issus de son cabinet.
Jean-Luc Mano : On a beaucoup raillé vos origines modestes. Cela vous peine ?
René Monory : Non, j'en suis fier. Finalement, ce n'est pas si mal, en partant de là, d'arriver où je suis.
Jean-Luc Mano : Vous avez deux surnoms : « le shérif » et « le garagiste » de Loudun. Lequel préférez-vous ?
René Monory : Le premier ne correspond pas à la réalité. Le second ne me dérange pas. Je n'ai pas honte de mes origines.
Jean-Luc Mano : J'ai lu que vous préfériez Sardou à Mozart, c'est une plaisanterie…
René Monory : J'aime beaucoup Mozart, j'aime aller à l'Opéra. J'y vais peu, faute de temps. Mais c'est vrai que, quand j'ai la chance de rentrer tôt chez moi, j'aime regarder des programmes divertissants. Ça me repose et ça me détend.
Jean-Luc Mano : Si vous arrêtiez la politique, vous feriez quoi ?
René Monory : Je partirai à la retraite.
Jean-Luc Mano : Ça ne vous tente pas parfois ?
René Monory : Non.