Article de M. Raymond Barre, député apparenté UDF et candidat à l'élection présidentielle de 1988, dans "Ouest-France" le 23 février 1988, sur ses projets pour combattre la pauvreté et réaliser une véritable politique familiale, intitulé "Pour une vraie solidarité".

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  • Raymond Barre - député apparenté UDF et candidat à l'élection présidentielle de 1988

Média : Ouest France

Texte intégral

Notre époque est celle de la liberté pour les individus comme pour les entreprises. Les Français aujourd’hui vivent, s’instruisent, travaillent, voyagent, se cultivent librement. Les entreprises ne peuvent s’adapter et prospérer dans une société complexe, ouverte et changeante comme la nôtre, que si elles sont libres et si l’Etat ne les ruine pas par ses contrôles et par ses impôts.

En contrepartie, il existe un profond besoin de solidarité. L’économie française n’a pas créé d’emplois depuis 1981. Le nombre des chômeurs a plus que doublé. Le nombre des divorces s’est accru. Parallèlement, la population a vieilli. Aujourd’hui, il y a en France plus de 3 millions de veuves. Le nombre des personnes seules et malades a considérablement augmenté.

Avec le vieillissement de la population, la montée de l’individualisme et le recul des valeurs familiales, la solitude s’est aggravée. Cette évolution cumule ses effets avec ceux de la crise économique. L’absence d’appuis familial rend l’expérience du chômage, de la retraite, de la maladie, de la vieillesse plus douloureuse encore.

Faut-il opposer la solidarité et la liberté ?

La suppression de la liberté économique ne résoudra pas le problème des chômeurs. Au contraire. On ne vaincra le chômage qu’en créant des emplois. Et les entreprises ne peuvent en créer que si elles disposent de la liberté d’investir, d’innover et d’exporter.

La société moderne est ainsi. Elle offre plus de libertés et crée plus de solitudes. Elle enrichi et appauvrit. Elle construit et elle détruit à la fois. S’il ne faut pas entraver son dynamisme et sa force, il ne faut pas oublier ses misères.

Mais alors quelle solidarité ? Une vraie solidarité. Non pas celle qui aurait pour but de perpétuer les dépendances, mais celle qui s’emploierait à redonner à chacun les moyens de son autonomie.

Prenons, pour illustrer ce principe, le douloureux problème de la pauvreté. Une des grandes innovations des socialistes a été de créer la « nouvelle pauvreté ». Un décret de 1982 a laissé sans ressources quelques centaines de milliers de chômeurs en fin de droit.

Cette erreur montre comment les meilleures intentions aboutissent parfois au pire des résultats.

Une seconde erreur a été de laisser la société civile, sans intervention de l’Etat, s’occuper de nourrir et de loger les pauvres ainsi créés. On a vu les Premiers ministres socialistes s’en remettre à Coluche et à l’abbé Pierre.

Aujourd’hui, les mêmes socialistes découvrent brusquement l’étendue de leur impéritie. Ils proposent, par une intervention massive de l’Etat, d’attribuer à tous les pauvres un revenu minimum. Les réponses électorales ne sont jamais de vraies réponses.

Pour résoudre le problème de la pauvreté, il faut en appeler à deux principes : la dignité de la personne qui ne saurait souffrir ni misère, ni déchéance ; la responsabilité de la personne, qui ne saurait souffrir ni dépendance, ni parasitisme.

Pour éviter que ces principes ne se contredisent, deux cas doivent être distingués :

Ceux qui sont dans l’incapacité complète de travailler - personnes âgées, handicapés, accidentés, invalides, malades de longue durée – doivent bénéficier d’une solidarité totale. Aussi ai-je proposé d’instituer un « revenu social garanti » qui comble les lacunes des dispositions actuelles.

En revanche, pour ceux qui pourraient subvenir à leurs besoins, mais qui n’y parviennent pas en pratique – les chômeurs notamment – il est indispensable de ne pas entretenir un état d’assistance qui susciterait le parasitisme ou la fraude et qui découragerait la reprise du travail. Il faut donc une forme d’aide que j’ai appelé « aide sociale personnalisée ».

Financée avec le concours de l’Etat, cette aide serait attribuée par les communes et les départements. Elle devrait, dans tous les cas possibles, entraîner en contrepartie un travail ou une activité pour ne pas transformer le bénéficiaire en assisté.

Un proverbe chinois dit excellemment les choses « Donne un poisson à un pauvre, il mangera un jour, apprends-lui à pêcher, il mangera tous les jours ».

Dans un autre ordre, la vraie solidarité est celle qui doit s’exercer à l’égard des familles. La France comme l’Europe tout entière, est menacée par un sombre hiver démographique. La baisse de la natalité fait que la croissance de notre population est arrêtée. Cela tient essentiellement à la diminution du nombre des familles de trois enfants. Ce sont ces familles qu’il faut donc encourager, en privilégiant l’aide que l’ensemble des Français apporteront aux mères qui acceptent la lourde charge d’élever et d’éduquer de nombreux enfants. Cette solidarité familiale est la condition même de la survie de notre pays.

C’est ainsi que nous devons comprendre la solidarité, comme le complément indispensable qui donne à nos sociétés plus de justice et plus de cohésion. Son but ne doit pas être la préservation indéfinie des avantages acquis, mais l’assistance à ceux qui en ont besoin, et à ceux-là seuls. Pour qu’elle ne soit pas détournée de ses fins, elle doit être adaptée à des cas concrets. Elle doit s’exprimer à des niveaux de plus en plus décentralisés. Elle doit être exclusivement inspirée par le respect de la personne et par l’intérêt public, et non par le clientélisme politique. C’est à ces conditions, et à ces conditions seulement, que nous conjuguerons liberté et solidarité.