Texte intégral
Le débat sur les 35 heures va-t-il se débloquer avec l’entretien entre le Premier ministre et le président du CNPF ? Il est trop tôt pour être affirmatif, on peut toutefois indiquer que, comme exemple de subsidiarité, nous sommes comblés.
En la matière, beaucoup font preuve d’amnésie. Il nous faut par exemple rappeler qu’avant les élections législatives, la Confédération avait régulièrement déposé ses revendications en matière de réduction de la durée du travail à tous les niveaux des organes patronaux.
Rappelons pour mémoire la sixième semaine de congés payés, la réduction de la durée hebdomadaire du travail, la revendication d’un accord-cadre pour la diminution substantielle des heures supplémentaires et, bien entendu, l’amélioration du pouvoir d’achat.
L’avatar électoral a conduit à la politisation du débat, le Gouvernement ayant décidé de s’engager sur la durée légale par la loi. Le changement de président du CNPF et le débat médiatique ayant conduit à un affrontement plus idéologique que pratique, où en sommes-nous ?
Du côté gouvernemental, on a le sentiment qu’il s’agit avant tout de tenir une promesse électorale : on fait une loi, la plus souple possible, on renvoie tout aux négociations (surtout d’entreprises) et on attend les résultats en espérant qu’ils seront fructueux.
De ce point de vue, il est significatif de relever que la plupart des études – indicatives et non prévisionnelles ! – concluent mécaniquement à un effet sur l’emploi d’autant plus important – l’équilibre économique – que les sacrifices des travailleurs seraient grands ! Fort heureusement la vie et les rapports sociaux ne répondent pas aux lois de la mécanique…
Dans ces conditions, au-delà des aspects politiques, voire politiciens, il faut relativiser les déclarations du président du CNPF qui, finalement, vouent aux gémonies un projet de loi dont les entreprises pourraient s’accommoder.
Que le patronat plaide pour une flexibilité maximale peut se comprendre, quand on sait que son rôle est de défendre les intérêts, à court terme du moins, des entreprises.
Mais qu’il s’abrite derrière certains arguments, dont l’emploi, surprend plus.
Ainsi, comment peut-on considérer que l’annualisation serait créatrice d’emplois ? En effet, l’objet même de celle-ci est de permettre aux entreprises de faire fluctuer le volume et la durée du travail en fonction de leurs besoins, et ce sans embauche ?
Là où des recrutements ou le paiement d’heures supplémentaires seraient nécessaires, l’annualisation permet de ne pas y avoir recours.
Or, n’oublions pas qu’aujourd’hui il y a 800 000 CDD et une augmentation importante de l’intérim, autant d’éléments qui posent également le problème de la précarisation du travail et mettent en exergue une priorité : limiter, y compris par la voie législative, cette précarisation.
Comment penser que la réduction de la durée du travail freinerait le temps partiel ? Bien au contraire, y compris parce que les aides financières sont cumulables, la réduction de la durée du travail risque de conduire, notamment dans les services, à un accroissement du recours au temps partiel contraint.
Comment voir, dans le principe de la réduction de la durée du travail, la perspective de problèmes d’emploi chez les cadres, souvent forfaités ? La notion bien française de cadre a, en fait, permis de considérer cette catégorie de salariés comme hybride : salarié, quand ça intéresse l’employeur (y compris pour leur licenciement), dirigeant, quand il faut faire remplir les objectifs.
Comment ne pas voir également que certains employeurs saisissent les 35 heures pour dénoncer des conventions collectives de branche et que cela leur est facilité par la priorité accordée aux négociations d’entreprise ? Ce n’est pas un hasard si, en France comme en Allemagne notamment, le niveau de la branche est de plus en plus contesté comme si entre la perspective (illusoire à court et moyen terme) du niveau européen et la réalité du niveau de l’entreprise il devait y avoir un « no man’s land » ou désert conventionnel.
Comment aussi ne pas sursauter quant à la volonté de définir de manière ambiguë le travail effectif afin de laisser aux employeurs la possibilité de garder le salarié à disposition sans le payer ?
Nous pourrions ainsi multiplier les exemples.
Le patronat aurait été plus inspiré s’il avait accepté, sur divers points, d’ouvrir des négociations comme nous le lui demandions : c’est vrai sur le temps partiel, le statut de cadre, les heures supplémentaires, la sixième semaine de congés payés, comme nous le rappelions en début de propos, mais aussi la cessation d’activité des salariés ayant commencé à travailler dès 14-15 ans.
Par définition le contrat collectif non seulement limite le recours à l’interventionnisme de l’État, mais constitue un signe fort de démocratie.
À FO, nous avons toujours expliqué que la réduction de la durée du travail (RDT) était une revendication destinée à faire bénéficier les salariés des gains de productivité, non une hypothèse théorique destinée à faire fonctionner les modèles économétriques qui traitent le travail au même rang que le capital en tant que ressource. Nous avons également toujours appelé à la prudence sur les effets emploi, notamment quand il s’agit de prôner la répartition entre les seuls salariés et rappelé qu’il fallait aussi et peut-être surtout examiner les effets indirects. Sans congés payés et sans augmentation du pouvoir d’achat, où en serait par exemple le tourisme ? C’est pourquoi nous combattons toutes les volontés d’accroître la flexibilité du travail. Ceux qui laissent croire que l’annualisation permettra aux salariés de faire autre chose les semaines où ils travailleront moins oublient de dire que ce ne sont pas eux qui décident de leur durée du travail et que la semaine où ils voudraient moins travailler sera peut-être celle où ils travailleront le plus !
Les bénéfices record réalisés par nombre de grandes entreprises et la bourse en 1997, ainsi que les dizaines de milliards de francs d’aides aux entreprises prouvent, si besoin était, que les marges de manœuvre financières et budgétaires existent. De même, il est pour le moins choquant de mettre en parallèle les aides publiques accordées à des entreprises qui ont finalement réalisé des bénéfices importants. Autrement dit, est-ce normal qu’une entreprise sollicite le FNE et que cela ait pour finalité d’accroître substantiellement ses bénéfices ?
Pour toutes ces raisons, FO n’entend pas accompagner ceux qui considéraient comme une victoire une reconnaissance a posteriori de la loi Robien. La RDT est une revendication noble qui ne peut s’accommoder des sirènes larmoyantes de la compétitivité ou du déficit budgétaire.
Pour toutes ces raisons, les organisations FO se battront, à tous les niveaux de négociations, pour faire vivre le contrat collectif en mettant en avant les contradictions et en faisant prendre en compte les revendications, y compris en matière de salaires. La réduction de la durée du travail ne supprime pas l’obligation annuelle de négocier les salaires.