Article de M. Dominique Baudis, président exécutif du CDS, dans "Le Monde" du 12 mars 1993, suite à la nomination de M. Pierre Joxe Premier président de la Cour des comptes, intitulé "Aux pieds du général vaincu".

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Média : Le Monde

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Pierre Joxe est un homme respectable et compétent. Aucun doute non plus, Pierre Joxe est le militant acharné et fidèle d'un Parti socialiste dans lequel il a toujours inscrit son action. Si le combattant politique est honorable, la ferveur de son engagement n'est pas compatible avec la sérénité d'une fonction exigeant avant tout impartialité et neutralité.

Cette nomination – pour ne parler que de celle-là parmi tant d'autres – est un acte de colonisation de l'État. La date à laquelle le président y procède est une forme de mépris du citoyen. Mais après tout, faut-il s'en étonner ? Quand on fait écouter les conversations téléphoniques les conversations téléphoniques des journalistes, peut-on hésiter à nommer ses partisans à des fonctions de magistrature ?

Ce qui étonne, en revanche, c'est l'étrange silence des "grands dirigeants de l'opposition". Certes, la campagne retentit aujourd'hui d'exclamations indignées. Je crains que ce ne soit que du théâtre. Car après la décision il est trop tard. C'est avant la nomination qu'il fallait parler fort, interpeller le président, jeter dans la balance le poids d'un éventuel refus de gouverner avec lui. Bref, tenter d'empêcher ce que l'on qualifie aujourd'hui d'inacceptable. Trop tard. La fonction est inamovible.

Or depuis quelques semaines la presse l'avait annoncé et tout le monde politique savait. Nous sommes quelques-uns à avoir, de meeting en meeting, alerté l'opinion. Mais pourquoi n'avons-nous pas entendu les "grandes voix", qu'amplifient immédiatement les médias parce qu'elles appartiennent à ceux qui peuvent être appelés, dans quelques jours, à devenir premier ministre. À condition, bien sûr, d'être appelé par François Mitterrand.

Pourquoi taire un doute ? Chacun n'a-t-il pas voulu, par son silence, préserver ses chances d'être désigné ? Mais une victoire à ce prix reviendrait à déposer les armes aux pieds d'un général vaincu. Un doute tout à fait injustifié, j'espère...