Article de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UDC à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" du 15 janvier 1993, sur la perspective d'un engagement militaire de la France en Bosnie, intitulé "Bosnie : vers l'intervention ?".

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  • Jacques Barrot - UDC, Assemblée nationale, président du groupe parlementaire

Média : Le Figaro

Texte intégral

L'émotion le partage à la raison. Un président bosniaque vient à Paris et implore notre aide. De vieux souvenirs affluent, ceux d'autres tourments, d'un autre attentat à Sarajevo, ceux aussi d'autres abandons, ces républicains espagnols que l'on refusait d'armer, ceux des camps de l'horreur et de la shoah, ces colonnes de réfugiés d'un après-guerre désespéré.

Qu'est la France dans ce conflit, qu'est l'Europe dans cette désespérance ? Où est l'honneur, où est l'avenir, où est l'espoir ?

L'émotion doit céder devant la raison. Partir, la fleur au fusil, armer les combattants, se passionner puis mobiliser pour Sarajevo, c'est déclencher un processus irréversible qui peut conduire notre pays à des déchirements profonds et qui mérite mieux que des effets d'annonce, des discours enflammés, des engagements hâtifs.

Affrontons ces Balkans compliqués avec une ferme conviction. L'enjeu du conflit qui se déroule en Bosnie dépasse le seul caractère humanitaire qui nous émeut tant. II est éminemment politique, puisqu'il s'agit de préserver le principe du droit des minorités à vivre sans crainte en toute intégrité au sein de la communauté internationale. Le processus qui fonctionne en Bosnie depuis 18 mois n'est pas de ces expériences que l'on sait arrêter. Sarajevo est un Tchernobyl politique, une réaction en chaîne que l'on ne maîtrise pas, une menace qui concerne toute l'Europe et donc la France. Si nous renonçons aujourd'hui à Sarajevo, nous abandonnerons demain en Macédoine, en Géorgie, en Arménie et peut-être ailleurs, plus près de nous encore, les peuples à la dérive que lègue le communisme soviétique avec pour seule passion la guerre, pour seul horizon la violence. Au-delà du partage de territoires se cache la vraie bataille de Sarajevo : le respect des droits de l'homme que nos peuples ont payé de larmes et de sang lors de la Seconde Guerre mondiale. Face à un tel enjeu, l'Europe ne peut se satisfaire de solutions précaires qui calmeraient un temps notre indignation mais laisseraient au cœur du continent les germes d'un conflit plus grave encore.

Trois conditions sont indispensables pour l'établissement d'une paix durable. D'abord, il n'y aura de solution en Bosnie que si une autre politique, voire un autre pouvoir, s'impose à Belgrade. Que peut-on attendre d'un gouvernement tyrannique ? Il faudra exiger du pouvoir serbe des gages sérieux d'une nouvelle conduite internationale et d'une démocratie authentique.

Ensuite, une diplomatie active sera seule capable de permettre une recherche forcément tâtonnante, des conditions d'un avenir en commun pour ces peuples que la géographie et l'histoire condamnent à vivre ensemble.

Un nouveau Munich ?

Moins que jamais, il ne faut renoncer à la construction patiente d'une nouvelle communauté adaptée à l'extraordinaire enchevêtrement des cultures et des religions qui composent cette partie des Balkans. Enfin, rien ne se fera sans une menace militaire crédible, seule capable d'imposer à des peuples passionnés le respect des règles du jeu international. Mais, si nous voulons réussir la paix, nous ne devons plus reculer sans cesse la perspective d'un engagement militaire de nos pays occidentaux. Le prix à payer pourra en être lourd, car tout acte militaire français, tout acte de guerre onusienne auquel la France participerait, comporte des risques que l'histoire de cette région du monde ne nous permet pas de sous-estimer.

Aussi, pour résister à la tentation d'un nouveau Munich, pour qu'en tirant les leçons des heures les plus noires de son histoire, notre pays choisisse d'assumer ses responsabilités, la France doit se donner les moyens de son courage !

Notre pays doit aborder cette épreuve lucide et uni. Lucide, avant tout, car l'opinion française n'a pas été préparée à ce que certains de ses enfants risquent leur vie à Sarajevo. Pour que la France pèse de tout son poids, soit prête aux sacrifices indispensables pour rétablir la paix, le premier devoir des responsables politiques est d'avertir avec solennité nos compatriotes de ce qui les attend et des raisons de cette probable intervention.

Il faut aussi que la France sache s'unir pour faire prévaloir l'intérêt principal du pays. Il serait bon que le Président de la République réunisse autour de lui toutes les composantes de la vie politique de ce pays pour déterminer ce que doit être notre attitude dans cette crise infiniment plus grave que la guerre du Golfe.

Enfin, il faut que la France mette tout son crédit international dans la balance. Demain, dans les réunions internationales de l'UEO, de l'Otan ou de l'ONU, il faudra qu'elle parle avec fermeté. Son rôle de puissance, son droit de veto au conseil de sécurité, sa place majeure dans l'équilibre européen, commandent qu'elle sache prendre l'initiative et montrer les chemins de l'espoir.