Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Vous m'avez fait l'honneur de m'inviter à ouvrir cette journée que votre Haut Comité, monsieur le Président, consacre à la Défense civile. Je vous en remercie très sincèrement, d'autant que je suis ici, au titre de Ministre de la Défense, comme un des vôtres, par le cœur et par l'esprit, par la fonction aussi, convaincu que la Défense d'un pays ne peut en aucune manière se limiter à ses aspects militaires mais qu'il n'y a de Défense que globale : ce que cette journée d'études, j'en suis persuadé, va amplement démontrer. Je suis heureux de le dire aux côtés du Général Copel, du préfet Riolacci.
Votre Comité, le Haut Comité français pour la Défense civile, a aujourd'hui onze ans. C'est vous, monsieur le Président Maurice Schumann, qui présidez à ses destinées depuis dix ans avec l'engagement, la lucidité et la détermination que chacun connaît. Sans distinction d'aucune sorte, vous vous adressez à tous les Français pour promouvoir l'esprit de défense civile, qui est une composante de l'esprit de défense dans son ensemble sans lequel – nous le savons – aucune nation ne peut survivre.
Si j'avais à caractériser votre action, ce serait par un mot, par un mot symbole, par un mot clef de notre histoire et de notre mémoire, par le mot le plus proche de notre Histoire du siècle qui s'achève, le mot de résistance et je le fais avec respect devant vous, monsieur le Président.
Résistance de notre peuple, face aux catastrophes naturelles, technologiques, militaires qui sont toujours plus graves si la population n'est pas informée, entraînée, préparée, protégée. Il nous appartient donc, il vous appartient d'informer, de préparer, de protéger. De prévoir, pour ne pas avoir à subir. D'entraîner enfin, les esprits et les volontés.
Résistance de notre société, face aux vulnérabilités non-militaires qui peuvent l'assaillir – le terrorisme, le fanatisme comme l'indifférence, le culte de la dérision comme celui de la violence, le cumul de l'égoïsme et de l'ignorance, la drogue comme la misère. Risques d'autant plus évidents que notre société est en proie à la distension croissante de ses liens, et que monte dans le pays ce que Durkheim avait appelé l'anomie sociale, ou la perte des règles et des repères.
Résistance de notre pays, face à la prolifération d'armes et de techniques militaires, bactériologiques, chimiques – qui pourraient, un jour, tomber entre les mains de chefs irresponsables ou dans des régions du monde auxquelles la culture de la dissuasion est totalement étrangère.
À cet édifice de la résistance qu'il faut sans cesse construire et reconstruire, vous apportez votre pierre la plus humaine, c'est-à-dire la plus forte et la p]us nécessaire. Par l'information, par la formation, par la participation des Français. Par la présence dans certaines opérations mises en œuvre par les pouvoirs publics. Par une action concertée avec les autres pays européens, puisqu'aussi bien nous partageons désormais notre destin.
La défense civile est une composante essentielle de la défense nationale. À ce titre, elle est l'œuvre de plusieurs départements ministériels, sous la responsabilité de monsieur le Premier ministre. Le Secrétariat Général pour la Défense Nationale en assure la coordination.
La Défense civile s'articule autour de trois éléments forts, de trois points d'ancrage :
– c'est la continuité quoi qu'il arrive de l'appareil étatique et de ses prolongements, nécessaires à la vie de la Nation ;
– c'est l'ordre public, qui inclut le concept de "cohérence sociale", dont le terme de sécurité intérieure est une traduction actualisée ;
– c'est la protection de la population contre toutes les agressions, qu'elles soient d'ordre naturel, technologique, conflictuel.
Le ministère de la Défense est partie prenante de la Défense civile, et c'est le point que je voudrais évoquer quelques instants devant vous.
Dans ce cadre global de la Défense civile, la Défense stricto sensu dont je suis sous l'autorité du Premier ministre, le responsable, doit faire face à trois interrogations, à trois défis dont l'exercice du Livre Blanc permettra de rendre compte et auquel il apportera des éléments de réponse. Ce sont : le renforcement de nos unités, pour les rendre capables d'actions extérieures diversifiées et sans doute continues, en maintenant la base de la sécurité intérieure je pense, dans ce dernier cas, à la Gendarmerie.
C'est le maintien d'une conscription dont nous devrions célébrer cette année le bicentenaire, conscription mesurée dans ses coûts, valorisée dans son utilisation, qui permette d'étayer, à la fois, le choix de la dissuasion nucléaire fondement de notre Défense et la sécurité du Territoire, en constituant le vivier de la défense civile et militaire.
C'est enfin, la nécessité de renforcer l'esprit de défense qui est une de nos responsabilités essentielles. Si cet esprit fait défaut, c'est-à-dire n'a été ni enseigné, ni diffusé, ni maintenu, alors la nation est fragile et aucun outil – fût-il le plus performant, ne la défendra.
Je n'oublie pas que si les Armées sont bien l'expression la plus achevée de la cohésion nationale, si la mission première des Armées est de protéger notre peuple, les moments de péril et de crise doivent être aussi des moments forts de prise de conscience de l'appartenance à une communauté solidaire qui, seule, peut justifier, dans le respect des règles démocratiques. Les sacrifices et les contraintes.
Tout cela, dans l'esprit de l'ordonnance de 1959 que chacun, ici, connaît.
J'évoque, à l'instant, l'ordonnance de 7 janvier 1959, car elle exprime une conception globale de la défense : "… assurer en tout temps, en toutes circonstances, et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie des populations".
C'est dans ce cadre que le ministère de la Défense qui n'est plus seulement celui de la guerre, ni des armées, participe à la défense civile, dont le ministère de l'Intérieur est responsable avec ses moyens propres, disposant de surcroît du concours de la Gendarmerie nationale.
Les Armées participent à la protection des populations. Ce concours est souvent décisif et doit être maintenu, ce qui suppose l'existence d'une coordination civilo-militaire exemplaire et la mise en œuvre, par les Armées, de moyens adaptés dans des délais très brefs. C'est, au moment où je vous parle, la situation en Corse, face aux risques naturels.
Les Armées interviennent, également, à titre exceptionnel et dans le but d'assurer la continuité du service public, dans le domaine de l'ordre public. Ces interventions doivent demeurer l'exception et être strictement circonscrites.
Les Armées contribuent à maintenir la continuité d'action du Gouvernement. En protégeant, sous la responsabilité des préfets, les installations indispensables à la défense et à la vie des populations. En les défendant, le cas échéant, sous celle de l'autorité militaire.
Chacun comprend, à l'évidence, que de l'efficacité d'une participation des forces armées et plus généralement du ministère de la Défense à la Défense civile dépend la bonne marche de celle-ci.
Nous devons donc réfléchir – et ce sera le dernier élément de ces réflexions – à la définition d'une situation qui prenne en compte, dès le temps normal, l'éventualité d'une crise grave, de forte intensité, où le concours des Armées peut être indispensable pour le fonctionnement normal des institutions et la cohésion sociale, sans se substituer à d'autres corps dans leurs propres missions de sécurité civile, de police, d'ordre public.
D'ores et déjà, je vois deux impératifs quant aux modalités de participation des moyens militaires à la Défense civile.
Le premier consiste à affirmer que la chaîne de commandement qui actionnera les forces armées doit être articulée, de façon à permettre une coopération civilo-militaire étroite, d'une absolue nécessité, dans le cadre de la Zone de Défense.
Le second tient au fait que nos forces armées doivent avoir une disponibilité identique, que ce soit pour les interventions extérieures ou pour les actions à l'intérieur du territoire. Pour défendre les intérêts de la France et pour protéger le pays.
Faut-il créer des forces spécialisées à cet effet ? Utiliser la disponibilité des forces d'active non engagées au moment d'une crise ? Confier aux réserves un rôle dans cette organisation ? Autant de questions auxquelles le Livre Blanc devra apporter des éléments de réponse. Autant de projets importants, auxquels les États-majors et mon cabinet travaillent.
Mais qu'il me soit permis d'ores et déjà d'affirmer ceci : le citoyen et le maire que je suis estime que l'idée de spécialisation ne répond pas à l'esprit même de la défense du pays. C'est le peuple lui-même qui se trouve être le meilleur défenseur de la nation et les forces armées ne doivent pas se substituer à la solidarité des hommes et aux valeurs qui les rassemblent. Elles sont et demeurent l'Ultima ratio du Gouvernement : nous sommes au cœur même du principe de l'État républicain.
Vous le voyez, le ministre de la Défense fait plus que de s'intéresser à la Défense civile. Il considère qu'il existe de véritables actions, militaires de défense civile. Il constate tous les jours que les forces armées participent à la défense civile. Tout simplement parce qu'elles sont au cœur de la société elle-même, qu'elles en sont issues et qu'elles ne peuvent pas se dissocier ni de ses progrès, ni de ses échecs.
Cette conviction très forte qui est la mienne s'appuie sur les leçons de notre longue histoire.
Jamais notre pays n'a été aussi fort, que lorsqu'il a été uni. Jamais il n'a été aussi uni, que lorsqu'il a su être conscient de son identité. Être fort, c'est savoir dire non. Savoir – je le disais en introduction – résister. Résister à la fatalité, à la passivité, aux douceurs funèbres du renoncement.
C'est aussi savoir qui l'on est, ce que l'on veut et à quoi l'on croit.
Cette journée que vous consacrez à la Défense civile, c'est aussi celle de la défense du civisme. La Nation est un organisme vivant. Et comme tous les corps vivants, elle peut perdre certaines de ses immunités. Elle unit, fraternellement, civils et militaires face aux périls nouveaux d'un monde plus incertain.
Pour réussir dans cette démarche, nous ne manquons ni de volonté, ni de vocations. Je pense au formidable tissu de générosité, de dévouement et de compétences constitué par les 500 000 élus locaux français. Je pense à l'utilisation des réserves dont nous ne savons pas encore tirer toute la richesse pour notre pays. Je pense au monde associatif, notamment celui des militaires en retraite, qui pourrait contribuer – pour peu qu'on le lui demande – à une pédagogie de la défense civile.
Il ne conviendrait pas, en d'autres termes, de limiter notre horizon à l'État et à ceux qui le servent. Autour de lui et sous son autorité, beaucoup de nos compatriotes aspirent à favoriser l'émergence d'un pays mieux protégé contre les adversités, plus solidaire et plus généreux.
Je terminerai sur une réflexion simple : tout ceci ne peut être engagé, expliqué, soutenu que sur le fondement des valeurs essentielles auxquelles une société peut adhérer. Avons-nous suffisamment expliqué les nôtres ? Sait-on encore enseigner ce qu'est :
– le prix de la liberté ; l'affirmation de la raison ;
– la valeur unique de la personne ; le respect de l'autre ;
– l'attachement à notre langue et à notre terre ;
– la beauté de notre patrimoine ;
– les leçons de notre histoire ?
Monsieur le Président, mieux que quiconque vous savez cela. Mieux que quiconque vous reprenez l'ancienne et toujours nouvelle question de Renan : qu'est-ce qu'une nation ? La réponse sous forme de "réforme intellectuelle et morale", formulée après la défaite de 1870, ne cessera pas d'être présentée aux Français. C'est notre tâche. Comme vous-mêmes ici de tenter d'y parvenir.