Interviews de M. Jean Puech, ministre de l'agriculture et de la pêche, à France 2 le 7 décembre 1993 (avec M. Luc Guyau, président de la FNSEA), et à RMC le 8, sur les négociations du GATT et les perspectives d'accord dans le domaine agricole.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - RMC

Texte intégral

B. Masure : Le fameux Blair House est-il mort ce soir ?

J. Puech : Évidemment, ça a beaucoup changé. Aujourd'hui, nous avons enregistré des évolutions très significatives, mais il n'y a pas d'accord. Il y a des avancées significatives mais pour le moment, on ne peut pas dire qu'on ait atteint le point qui permet de dire que nous donnons notre accord. Nous revenons de très loin, nous avons fait bouger les choses. Il y a encore quelques semaines, les Américains disaient qu'ils ne modifieraient pas une seule virgule du pré-accord de Blair House. Aujourd'hui, on enregistre des modifications sensibles sur notre capacité exportatrice, sur la politique agricole commune qui doit être préservée, la préférence communautaire, et nous avons besoin, compte tenu que cet édifice est assez complexe, de voir maintenant comment on peut assurer la compatibilité de ces futurs accords avec notre PAC. Nous sommes donc dans cette grande négociation. Ce qui fait que nous avons avancé. Il n'y a pas d'accord mais l'horizon se dégage.

P. Sassier : J'étais à Bruxelles avec vous, ainsi qu'avec A. Juppé et G. Longuet. Vous étiez assez content. Tous les journalistes ont remarqué que vous étiez content et satisfait. Qu'est-ce qui manque à cet accord ?

J. Puech : Il doit être global, équilibré et durable dans tous les secteurs. Au-dessus de l'agriculture, il y a notamment l'organisation mondiale du commerce, ses instruments de politique commerciale qu'il faut définir au niveau communautaire de façon à ce que tout le monde ait les mêmes règles du jeu. Tout cela doit avancer. Il y a cette nécessité d'assurer cette compatibilité et on sait très bien que les discussions vont être encore difficiles. Mais comme vous l'avez noté, nous avons obtenu de la part des Américains qu'ils acceptent de ré-ouvrir Blair House. Nous sommes debout, les yeux ouverts, nous voulons avancer et nous sommes confiants sur le résultat de toutes ces démarches. Mais il faut encore avancer.

P. Sassier : Les Américains n'iront pas plus loin ?

J. Puech : Il y a trois semaines, ils disaient qu'ils ne bougeraient pas une virgule. On va voir sur l'ensemble du grand dossier, y compris le volet culturel, les accès au marché. Toutes ces questions doivent encore évoluer.

B. Masure : Est-ce que les perspectives d'accord actuelles vont satisfont ?

L. Guyau : Première chose : on est loin du compte. Deuxième chose : il faut arrêter toute cette intoxication dans la presse. Un moment il y a accord, un moment il n'y a pas accord. Les citoyens, et les agriculteurs en particulier, n'y comprennent plus rien. Si je dis que nous sommes loin du compte, c'est parce que, s'il y a eu quelques avancées sur quelques sujets, nous savons qu'en contrepartie, il y a eu des concessions qui ont été faites, que nous ne connaissons pas aujourd'hui. Sur les importations de porc, sur les importations d'agriculture, de fruits et légumes, voire de céréales et sur tout ce qui est importation de produits dits de substitution des céréales, il n'y a pas eu d'avancées.

P. Sassier : On connaît parfaitement ce qui a été décidé. Personne ne pouvait imaginer qu'on aurait un tel accord ce soir, ni à Bruxelles ni à Paris. Cessez d'intoxiquer les Français, vous aussi. Cessez de dire un petit peu n'importe quoi. On a obtenu beaucoup de choses et il n'y a pas de lâchage de l'accord tel qu'il était prévu au départ.

L. Guyau : Si vous me dires que le gouvernement français, que l'Europe a obtenu une assurance qu'il n'y aurait pas plus de concessions à Genève, ce serait déjà un élément essentiel. Mon secrétaire général de la FNSEA était aujourd'hui à Genève où il a rencontré des délégations argentines, qui étaient surprises.

P. Sassier : Êtes-vous content de ce que les Américains ont accepté ?

L. Guyau : Non, ça n'est pas suffisant pour l'agriculture européenne.

B. Masure : Il s'agit d'un débat entre le ministre et L. Guyau. Monsieur le ministre…

J. Puech : Le résultat d'un travail, il faut le mesurer sur tout le chemin que nous avons parcouru. Nous revenons de très loin, nous avons refait du terrain. Aujourd'hui, nous essayons de finaliser toutes ces démarches de façon à ce que, en bout de course pour nos agriculteurs, il n'y ait pas un hectare de jachère supplémentaire. Et nous arriverons à ce type de situation : compatibilité des grandes mesures internationales avec notre politique agricole commune, pas un hectare de jachère supplémentaire. À partir de ce résultat, ce que je souhaite, c'est cette mobilisation qui nous motive. Notre agriculture occupe une place tout à fait exceptionnelle sur la planète, nous sommes le deuxième pays exportateur du monde, le premier pays exportateur en matière agro-alimentaire et nous avons une capacité pour faire face, qu'il faut exploiter. Je souhaiterais dire sincèrement aux agriculteurs qu'aujourd'hui, à travers cet ensemble de mesures internationales, européennes, les mesures d'accompagnement qui seront prises au niveau national, il y a pour ce secteur essentiel de notre économie, des perspectives d'avenir réelles.

B. Masure : Pensez-vous que ce discours de sagesse va être entendu dans les campagnes ?

L. Guyau : Banco sur pas un hectare de jachère en plus. Si vous pouvez nous démontrer, Monsieur le ministre, que les avancées que vous avez obtenues, aboutissent véritablement à cet objectif, nous pourrons juger de façon positive. Mais, à ce que j'en sais ce soir, avant que vous nous expliquiez clairement ce qui a été engagé, je ne peux pas dire que c'est satisfaisant et que nous y arriverons. Les agriculteurs qui sont sur le terrain sont très attentifs aux perspectives qu'on va pouvoir leur donner pour demain. Ils ont besoin que ces décisions, que ces conclusions du GATT s'inscrivent dans une véritable politique européenne. Il faut que l'Europe définisse bien sa politique européenne. GATT ou pas GATT, nous avons besoin d'une véritable politique pour la France, et pas uniquement avec des subventions supplémentaires mais avec un véritable projet pour les agriculteurs, pour leur place dans la société, pour l'aménagement du territoire : l'économie, l'emploi, l'espace. Voilà notre champ d'application aujourd'hui.

J. Puech : Un emploi sur cinq dépend de l'agriculture directement ou indirectement. Il faut certainement éviter toute dramatisation, toute surenchère, tout diktat. Nous avançons. Nous avons fait beaucoup de chemin et nous souhaitons conduire à son terme un dossier difficile et il sera conclu en tenant compte essentiellement des intérêts supérieurs de nos agriculteurs.

B. Masure : Quelle chance vous donnez-vous d'aboutir avant cette fameuse date butoir du 15 décembre ?

J. Puech : On n'a jamais été aussi proches de la conclusion.

 

Mercredi 8 décembre 1993
RMC

P. Lapousterle : Vivement la fin des négociations ?

J. Puech : On ne pense pas à la fin parce qu'il ne faut pas avoir un calendrier bien précis, arrêté. II y a des dossiers difficiles et il faut s'adapter.

P. Lapousterle : Est-ce que la France à, oui ou non, accepté le compromis agricole élaboré par la Commission avec les Américains ?

J. Puech : Le problème ne s'est pas posé en ces termes car c'est une négociation globale sur tous les secteurs, tous les volets économiques qui sont étudiés dans le cadre du GATT.

P. Lapousterle : Sur le domaine agricole ?

J. Puech : Sur le volet agricole, nous avons enregistré, dans les dernières propositions, des résultats satisfaisants. C'est-à-dire que les choses ont évolué. Et on peut dire que ce qui nous est proposé aujourd'hui ne ressemble plus à Blair House. Vous savez que nous avions dit que Blair House était inacceptable en l'état et nous enregistrons des évolutions qui sont positives.

P. Lapousterle : Ça veut dire que nous sommes arrivés à un point d'accord ou on va encore mieux faire que ce qui a été élaboré à Bruxelles ?

J. Puech : Cela veut dire que, sur ces bases-là, nous estimons que les choses ont évolué d'une façon satisfaisante et maintenant il faut finaliser tout cela. C'est toujours mieux faire. C'est voir comment on peut rendre compatible ce futur volet agricole avec notre politique agricole commune, telle que nous l'avons réformée. Vous savez, l'organisation de notre agriculture européenne et française, c'est un édifice. Il y a les accords internationaux, il y a les accords européens et puis il y a aussi la politique nationale que nous pouvons initier heureusement. C'est tout cet ensemble qu'il faut coordonner, qu'il faut harmoniser.

P. Lapousterle : Donc, si j'ai bien compris, avec les Américains l'accord est fait. Il reste maintenant des choses internes à la Communauté à finaliser ?

J. Puech : Ne me faire pas dire ce que je n'ai pas dit. Avec les Américains, nous continuerons à négocier parce qu'il va falloir avoir l'accord global concernant l'organisation mondiale du commerce. Vous savez qu'il nous faut avoir les instruments de politique commerciale de façon à ce que, notamment dans le domaine agricole, nous puissions faire respecter les règles du jeu. Tout cela entrera dans le cadre général qui doit être bien précisé.

P. Lapousterle : Pourquoi la France avait déclaré cet accord inacceptable le lundi soir et, le mardi matin, le même accord, à la virgule près, était déclaré satisfaisant ?

J. Puech : Ce que j'ai constaté, mais a posteriori, c'est qu'il y a eu une avalanche de communiqués. Nous nous étions dans nos salles de réunion en train de travailler. Et je comprends que les agences de presse aient eu du mal, certainement, dans le journée d'hier, à dégager d'idée directrice, précise, de ce qui se passait. Mais aujourd'hui si vous voulez bien, je suis là pour préciser un certain nombre de choses.

P. Lapousterle : Là, je parlais du même monsieur, c'est-à-dire du ministre des affaires étrangères français, M. Juppé, qui lundi soir déclarait l'accord inacceptable et, le même M. Juppé le déclarait satisfaisant.

J. Puech : Les choses ont évolué et je peux préciser sur quels points elles ont évolué.

P. Lapousterle : Comment vous qualifieriez l'accueil que les organisations agricoles ont faites à la proposition d'accord que vous leur avez montré ?

J. Puech : Moi, je livre l'information. Je crois que chacun a à faire son analyse à travers les responsabilités que nous avons les uns et les autres. J'ai eu à expliquer, hier, aux représentants des organisations professionnelles agricoles combien la vocation exportatrice de l'agriculture européenne était préservée. Nous avons obtenu, dans le cadre de ce que l'on appelle le lissage, une augmentation très sensible des exportations comparé à ce que prévoyait Blair House. Il fallait également assurer la préférence communautaire. Et là, au niveau des importations, nous avons obtenu ce que l'on appelle l'agrégation. C'est-à-dire qu'on ne traitera pas produit par produit mais par groupes de produits. Cela veut dire qu'il n'y aura pratiquement pas d'importations supplémentaires. Cela se traduit en terme de céréales par plus de 3,7 millions de tonnes. Pour la viande, cela se traduit par 600 000 tonnes supplémentaires, notamment de viande porcine. Ce qui montre bien que nous avons obtenu des résultats tangibles, positifs. Et nous avons donc préservé cette pérennité de la politique agricole commune.

P. Lapousterle : L. Guyau, de la FNSEA, a dit qu'on était loin du compte. P. Arnaud, de la coordination rurale, est plus sévère, il dit que le gouvernement français a trahi les agriculteurs français.

J. Puech : On n'est pas là pour trahir les agriculteurs français. Tout le monde se rend bien compte qu'on est vraiment mobilisé depuis sept mois sur ce dossier. Pour apprécier le résultat d'un travail, il s'agit de savoir d'où l'on vient, où on est sur ce chemin, et où l'on veut aller. Aujourd'hui, on peut dire qu'on a fait vraiment très sérieusement bouger les choses. Il y a encore quelques semaines les Américains disaient "on ne changera pas une virgule au texte de Blair House". Et M. Kantor disait "on ne changera pas une virgule, on ne veut pas rouvrir le dossier". Le dossier est ouvert à nouveau et on est un peu surpris effectivement d'avoir obtenu des résultats significatifs. Il faut peaufiner.

P. Lapousterle : C'est le jour et la nuit le pré-accord de Bruxelles et celui de Blair House ?

J. Puech : Ce n'est pas le même pré-accord. Il n'y a plus de pré-accord de Blair House. Il a très sensiblement évolué sur les points fondamentaux : politique agricole commune reconnue au niveau international, pérennité de la PAC, capacité exportatrice préservée. Je pense que, à partir de là, si on sait organiser la compatibilité avec notre politique agricole commune nous avons des possibilités réelles pour un développement de notre agriculture.

P. Lapousterle : Si j'ai bien compris, la France et d'autres pays vont demander des compensations agricoles ?

J. Puech : Ce n'est pas le mot, ce n'est pas compensation. J'ai bien dit, c'est la compatibilité. C'est-­à-dire qu'il faut aménager. Et j'espère beaucoup qu'avec ces accords au GATT il va il y avoir un développement du commerce international au niveau planétaire. Il y a de nouveaux des marchés qui vont s'ouvrir à partir du moment où il y a une ouverture nouvelle, une dynamique nouvelle. J'espère bien que l'Europe n'aura pas une facture à assurer à l'issue de ces négociations.

P. Lapousterle : Est-ce que les négociations entre les Douze qui vont s'engager conditionnent l'accord final avec les Américains ?

J. Puech : Il vous faut savoir que ce que nous demandons, c'est-à-dire la compatibilité ; tous les autres pays la demandent, ce n'est pas une initiative originale. Dès le moment où on modifie les règles du jeu au niveau international, il faut que toutes nos politiques européennes et nationales soient compatibles. Et c'est pour ça qu'il faut assurer ces réajustements. Et il faut d'une façon concomitante, simultanée, prendre les dispositions politiques, ce que j'appelle les garanties politiques fortes de la part de l'Europe, pour dire à nos agriculteurs : quoi qu'il arrive, il n'y aura pas un hectare de jachère supplémentaire. C'est un point essentiel. Et nos agriculteurs savent très bien qu'on est mobilisé. On avait dit qu'on ferait bouger Blair House. On a fait bouger les États-Unis, on a modifié Blair House et on va finaliser tout ça de façon à ce que l'ensemble soit cohérent, de façon à ce que l'édifice représente vraiment quelque chose de solide.

P. Lapousterle : Est-ce que le ministre de l'agriculture peut dire aux agriculteurs : il n'y aura pas un hectare de jachère en plus et de baisse de revenu ?

J. Puech : Il n'y aura pas un hectare de jachère de plus. Il y aura la garantie des revenus de nos producteurs. Et l'Europe prendra les dispositions en conséquence, de façon à occuper, sur le marché mondial, la place qui lui revient. Un mot sur cette place : l'Europe est le premier ensemble exportateur au monde, la France, dans cette Europe, est le deuxième exportateur en matière agricole et alimentaire, le premier dans le domaine agro-alimentaire. Ne soyons pas frileux. On est debout, on est offensif, on occupe des parts de marché et il faut que nos agriculteurs se rendent compte qu'à travers ces nouvelles bouffées d'oxygène, il y a des possibilités, il y a un avenir réel dans un secteur aussi important.

P. Lapousterle : Comment se fait-il que les agriculteurs, en leur donnant la lune, se montrent réservés ?

J. Puech : Je comprends que dans ces grands changements, ils s'interrogent. Vous imaginez que le monde bouge et tout le monde se dit : "mais que nous réserve l'avenir ?" Et c'est pour cela, que nous, aux responsabilités qui sont les nôtres, nous devons expliquer, et surtout faire en sorte, qu'à travers les mesures, les dispositions, les grands accords qui sont pris, on puisse donner confiance, dégager les perspectives pour ce monde agricole. C'est notre seul objectif.

P. Lapousterle : On ne pouvait pas faire un centimètre de plus que ce que l'on a fait ?

J. Puech : On est toujours en train de faire des centimètres de plus. Nous sommes partis de loin, la situation était bloquée, nous l'avons débloquée. Je crois qu'objectivement, quand on fait un point étape comme aujourd'hui, on se dit, si on regarde dans le rétroviseur, qu'on a parcouru du chemin.