Article et interviews de M. Jean Poperen, membre du PS, dans "Vu de gauche" de mars 1993 (intitulé "À demain, forcément"), "Le Figaro" du 1er mars et à RTL le 18, sur la campagne des législatives, le "big bang" de M. Michel Rocard et la recomposition de la gauche dans "un mouvement qui irait de l'extrême gauche à l'extrême centre".

Prononcé le 1er mars 1993

Intervenant(s) : 

Média : Le Figaro - RTL - Vu de gauche

Texte intégral

Ils ne nous terrasseront pas. Si nous ne le voulons pas.

Les forces de progrès ont dû mettre un genou à terre durant la précampagne. Mais au moment de la confrontation décisive, les brumes se dissipent. En ne chiffrant rien des annonces de son programme, la droite a fait l'aveu des mauvais coups qu'elle médite.

Et d'abord qu'elle ne tiendra pas la ligne de défense de la protection sociale, garantie ultime et inaliénable quand s'abat la tornade économique. Cette ligne, nous l'avons, nous, tenue, fût-ce au prix d'une rigueur dont on peut comprendre qu'elle nous vaille les reproches des défavorisés.

Puisque ce pari-là, nous l'avons gagné, puisqu'en même temps, nous avons placé la France aux tout premiers rangs de la compétitivité internationale, l'attente c'est que nous disions comment, désormais, la redistribution du temps de travail est devenue l'une des réponses obligées au défi central, celui du chômage.

En contrepoint, l'annonce de la droite est sans mystère… et sans surprise : réduire "les charges des entreprises". C'est-à-dire aggraver la charge des autres ! Sans aucune garantie – l'expérience l'a prouvé maintes fois depuis vingt ans – que moins de charges donnerait plus d'emplois.

Mais c'est la "solution" qu'exige le CNPF. Et le Premier ministre s'indigne – justement – de la collusion entre la droite et le CNPF. Est-ce une surprise ? Les corrélations de notre société sont devenues complexes, mais le déterminisme social reste un mécanisme central.

De bons esprits – des esprits forts – nous expliquent qu'il n'y a plus ni gauche ni droite. En tout cas, il y a une droite ! Et comment y aurait-il un "vote de gauche", s'il n'y avait plus de gauche ? …

Les exigences de "justice sociale", qui demeure la détermination essentielle, de tolérance et de libertés démocratiques, de recherche permanente d'équilibre entre croissance et milieu naturel, constituent la plate-forme sur laquelle peut se faire le grand rassemblement des hommes et des femmes de progrès, pour l'âge de la mondialisation.

C'est la proposition que j'ai faite voilà dix-huit mois, quand le coup de tonnerre de Moscou a bousculé toute la fourmilière politique. C'est l'idée que semble reprendre Michel Rocard. Cette concordance est encourageante.

En même temps, ce qui est bien normal, Michel Rocard rappelle sa qualité de candidat à l'élection présidentielle. La coïncidence entre cette qualité et sa proposition est un atout pour lui ; elle peut être une difficulté pour tous les autres. Il faudra la gérer et la réduire ensemble.

Mais il est stimulant, il peut être exaltant que nous soyons de plus en plus nombreux à montrer l'au-delà de mars 1993 : et ce n'est pas nous détourner du combat d'aujourd'hui. C'est en montrant l'avenir qu'on peut surmonter le présent.

 

11 mars 1993
Le Figaro

Le Figaro : Comment réagissez-vous au "big-bang" rocardien ?

Jean Poperen : Je me réjouis que Michel Rocard se trouve en total accord avec les propositions que j'ai présentées… il y a dix-huit mois ! L'idée centrale de ces propositions était qu'après les bouleversements que nous avons connus, après l'effondrement du monde communiste, il n'était plus possible de raisonner comme si le paysage politique en France n'avait pas évolué. Dès cette époque, j'avais estimé qu'il fallait tirer toutes les conséquences de ces mutations.

Il est certain que la mise en œuvre, en ce moment, de mes propositions nous aurait mis, aujourd'hui, en meilleure posture et, par exemple, éviterait à Brice Lalonde, dans un premier temps, de nous dire : "Venez chez nous." Ce qui, au passage, n'est pas très sérieux. Je suis donc pleinement d'accord avec la nécessité de créer une large structure la plus ouverte possible.

Le Figaro : Quel peut-être le contenu de cette "large structure ouverte" ?

Jean Poperen : Tout le monde s'accorde pour constater la complexité de la société, pour dire que les déterminations sont multiples. Soit. Mais le problème de fond est de savoir s'il demeure, malgré tout, une détermination principale aux événements que nous vivons. Est-ce que cette détermination principale est sociale ? Jusqu'à ce que l'on me prouve le contraire, je réponds oui.

L'actualité nous donne des exemples nombreux de ce "déterminisme social". Quand Pierre Bérégovoy, que je ne range pas parmi les dangereux gauchistes, parle de la conjonction entre la droite et le CNPF, il ne fait que constater les faits. Il y a une détermination sociale à droite, faut-il la détruire à gauche ?

Quand Michel Rocard nous dit "égalité des chances", j'ai envie de répondre : "Mais enfin, cher Michel, l'égalité des chances, tout le monde sait qu'elle est d'abord commandée par la position sociale des familles !" Évidemment, cela ne gomme pas le reste, mais la complexité ne doit pas servir d'alibi et masquer l'essentiel. Là il y a matière à débat.

Le Figaro : Pour autant, Michel Rocard a relativisé dans son discours de Montlouis-sur-Loire la détermination sociale…

Jean Poperen : Comment, avec la crise que nous vivons, peut-on contester cette réalité ? Nous la vérifions tous les jours ! Que les structures sociales aient changé, que le monde du travail soit éclaté, tout cela est vrai. Mais je dirais au passage, sans malice excessive, que la tradition rocardienne, celle de la "deuxième gauche", avait pour ambition de fonder un grand mouvement sur les nouvelles classes, les cols blancs. Or ces derniers ressentent durement, aujourd'hui, les contrecoups de la crise sociale. Comment nier que les inégalités n'ont cessé de se creuser ?

Le Figaro : De quelle manière allez-vous participer au débat ?

Jean Poperen : Je publie un livre en avril prochain. Et je dois remercier Michel Rocard d'avoir ainsi préparé son lancement !

Le Figaro : Dans un discours récent, Jacques Delors s'est interrogé sur la pérennité des notions de gauche et de droite. Partagez-vous ses interrogations ?

Jean Poperen : Plus de gauche, plus de droite ? Ce qui saute aux yeux, c'est qu'il y a, en tout cas, une droite. Je me permets de rappeler, en outre, que nous sommes en pleine campagne électorale. Comment peut-on mobiliser les électeurs de gauche si l'on commence par dire qu'il n'y a pas de gauche ? La réalité est que, sur la question de la justice sociale notamment, et on s'en apercevra très vite, la droite ne pourra pas très longtemps faire plaisir à M. Périgot et s'efforcer de maintenir un semblant de politique sociale.

Le Figaro : Quels seront les contours du "large rassemblement" ?

Jean Poperen : Dans une structure commune. Il y aura une phase fédérative en attendant d'aller peut-être plus loin dans l'intégration. Il y a eu des précédents, très féconds, de fédération. Là je crois qu'on peut retrouver la plus grande partie des écologistes, j'en suis convaincu. L'essentiel des forces de la rénovation communiste, peut-être même des militants et responsables qui se tiennent plus à gauche. Bref, un grand mouvement qui irait de l'extrême gauche à l'extrême centre.

Le Figaro : En cas de duel au second tour des législatives entre un candidat Vert ancré à gauche et un candidat du PCF, le PS devra adopter quelle attitude ?

Jean Poperen : S'il y a un accord de coalition, c'est cet accord de coalition qui jouera naturellement. Pour le moment, il n'y a pas d'accord avec l'appareil communiste. Il y a, tout au plus, un réflexe républicain, qui s'est amenuisé en raison de l'attitude agressive des dirigeants du PCF à notre égard.

Le Figaro : Êtes-vous également partisan d'un congrès en juin prochain ?

Jean Poperen : Qui dit "big-bang" dit électrochoc. Il faut continuer sur cette lancée. Mais il convient également de préparer comme il se doit cette entreprise de rénovation. C'est pourquoi je souhaite que le débat ne soit pas escamoté comme il l'a été à d'autres occasions. Si le débat n'avait pas lieu, les Français seraient en droit de se demander si cette opération ne vise pas simplement à accrocher des individualités politiques au char d'une candidature à l'élection présidentielle. Le véritable défi est de se demander comment reconstruire, aujourd'hui, quelque chose qui ne soit pas entièrement subordonné à cette échéance qui pollue toute notre vie démocratique.

 

18 mars 1993
RTL

P. Caloni : Le big bang était-il bien celui que vous attendiez ?

Jean Poperen : J'avais bien volontiers commenté le big bang il y a un mois. Vous me permettrez de ne pas trop commenter ce que vous appelez un nouveau big bang. Il faut un temps pour chaque chose. Nous aurons à faire nos comptes, quel que soit le résultat des élections. Après une grande épreuve politique, il faut voir où on en est. Nous n'aurons pas à régler les comptes. Je ne veux pas entrer dans ce propos.

P. Caloni : M. Rocard est-il toujours le candidat naturel du PS ?

Jean Poperen : Oui, c'est ce qu'avait dit à l'époque le Premier secrétaire. Je pense que nous irons certainement vers des délibérations sérieuses où la priorité devra être donnée aux perspectives politiques. Nous nous engagerons après cette bataille. Chaque instant compte. Les réunions que je fais montrent un grand intérêt. Si on ne peut inverser le sens du résultat, j'insiste sur l'ampleur du résultat. Ce n'est pas la même chose d'être battu d'une courte tête comme en 1986 et d'avoir un résultat comme on nous annonce, auquel je continue de ne pas croire. J'insiste sur le danger qu'il y aurait à avoir une majorité aussi massive à droite. Dans ce cas, ce sont les éléments les plus durs et les plus sectaires qui l'emporteraient. Des acquis essentiels seraient alors mis en cause. Au-delà, nous aurons 1995. Il faudra le préparer en choisissant un homme. C'est la loi du système dont je ne suis pas bien sûr qu'il soit très bénéfique à la démocratie. Il faudra dire pour quelle plate-forme.

P. Caloni : Rien n'est figé pour 1995 ?

Jean Poperen : Je ne découvre pas l'Amérique en disant cela ! Il y aura des délibérations démocratiques régulières du PS. Il est vrai que des choses ont été dites. Personne ne les a contestées concernant M. Rocard. C'est un acquis. C'est un élément de la situation politique. Pas davantage.

P. Caloni : Les présidentielles, c'est après-demain.

Jean Poperen : Sans doute. Nous avons à nous y préparer dans l'esprit que j'ai dit à l'instant, en sachant quoi proposer sur des questions essentielles, celles sur lesquelles la campagne a pris une grande part. Dans la chronique de J.-Y. Hollinger, s'il y avait une réponse positive du côté du chômage, comme je me réjouirais ! Permettez-moi pourtant d'être sceptique. Je ne crois pas qu'un gouvernement de droite accroché au libéralisme intégral apportera la réponse à cette question qui n'est soluble que par la voie de la négociation, la voie contractuelle, des accords entre des représentants du personnel et ceux du patronat. C'est comme cela qu'on discutera de la mise en place du dispositif, comme chez Thomson.

P. Caloni : Beaucoup veulent refaire la gauche. Ce n'est pas un peu trop de monde ? 

Jean Poperen : Je me réjouis qu'il y ait beaucoup de monde qui ait cela en tête. J'ai répondu hier aux propositions des quadras. Nous avons une sorte de table ronde sur le big bang avec Fiterman, Lipietz, Bérégovoy et d'autres. Le mouvement est en marche. Tout cela convergera. J'ai vécu d'autres recompositions : il y a d'abord multiplicité puis convergence dans une volonté commune de refaire un grand mouvement qui soit celui des forces de progrès, et où les socialistes auront leur place parmi beaucoup d'autres.

P. Caloni : Ne faut-il pas un fédérateur ou un congrès ?

Jean Poperen : Pourquoi pas à Mézieux ? À un moment donné, toute grande initiative s'organise autour d'une personnalité. Mais priorité à la recherche de la plate-forme politique. C'est ce qui intéresse les Français.

P. Caloni : Vous avez jeté l'éponge.

Jean Poperen : Je mène le combat avec M. David qui m'a succédé depuis cinq ans. Nous avons de bonnes raisons de penser que nous l'emporterons.

P. Caloni : Mais vous n'abandonnez pas le combat politique ?

Jean Poperen : Je l'ai mené toute ma vie. J'étais militant actif, je le reste. La mairie de Mézieux suffit, ainsi que le rôle que je compte jouer dès le 28 au soir.