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À victoire annoncée, responsabilité anticipée par Jacques Barrot
L'effondrement du socialisme dans une crise sociale et morale plus encore qu'économique ouvre vraisemblablement la voie à une large victoire de l'opposition. Mais qui dit victoire annoncée dit responsabilité anticipée. D'abord vis-à-vis des Français, souvent désabusés, ensuite vis-à-vis des partenaires internationaux de plus en plus inquiets de l'avenir de l'Europe. Plutôt que les discours d'un gouvernement en fin de course, ce sont désormais les positions des dirigeants de l'opposition qui seront observées à la loupe pour tenter de savoir où ira la France…
La perspective de la cohabitation suscite une curiosité bien légitime : Qui ne souhaite pas au fond de lui-même une clarification précoce que, dans nos institutions, seule une élection présidentielle permet d'obtenir ? Avec son exécutif à deux têtes, la cohabitation constitue une incertitude institutionnalisée. L'opposition doit, bien sûr, souligner ce handicap initial qui ne peut que grever une alternance de plein exercice. Mais cette question ne pourra se dénouer qu'au dernier moment dans une sorte de face à face entre l'opinion française et le président. Mieux vaut donc ne pas laisser s'enliser chaque matin le débat électoral dans des scénarios refaits et défaits à l'issue introuvable. Mieux vaut ne pas se limiter à une croisade anti cohabitationniste qui donnera aux Français le sentiment que tout se réduit à une question de prise de pouvoir au détriment de leurs problèmes et de ceux de la France. Les Français st le monde attendent mieux de nous. De la qualité, de la cohérence de notre action en même temps que la réussite de la France.
Le débat qui s'est ouvert sur la monnaie l'illustre bien : cette sorte de succédané du débat qui a entouré la ratification de Maastricht entraîne, selon les conclusions qu'on en tire, des conséquences très différentes, voire opposées. C'est pourquoi il doit être tranché clairement et sans trop attendre. Certes, personne n'avoue explicitement vouloir revenir au passé, aux manipulations monétaires à la baisse pour relancer nos exportations.
Mais on évoque ici et là le retour au flottement du franc, comme si cette forme d'indépendance économique momentanée et largement illusoire allait permettre de faire baisser les taux d'intérêt… C'est oublier qu'on ne peut s'affranchir de la suspicion et de la méfiance internationales d'un coup de baguette magique. C'est refuser de voir que la sortie du système monétaire européen prendrait nécessairement l'allure, aux yeux des observateurs internationaux, d'un renoncement à vingt ans d'efforts passés pour construira une stabilité européenne attractive.
Le franc flottant, symbole d'une dérive
Pour quelques soulagements momentanés, les futurs responsables de la France s'entendraient-ils prendre le risque d'un coup de bluff qui aurait vite fait de discréditer les joueurs qui l'auraient tenté ? Chaque hésitation détruit la confiance, chaque manipulation est un retour en arrière. L'écho de nos états d'âme, chez un cambiste new-yorkais comme chez un industriel de la France profonde, est ravageur. Le franc flottant, c'est le symbole d'une dérive, d'une France qui aurait larguée ses amarres européennes pour, errer au gré des courants. Questions et spéculations ne manqueraient pas de se multiplier. Ses dirigeants seraient vite accusés d'avoir sacrifié les disciplines d'une parité fixe par peur d'engager les grandes réformes de structure avant une élection présidentielle qui imposerait toutes les habiletés, toutes les précautions…
À l'inverse, l'assurance d'une ligne monétaire courageuse; qui correspond d'ailleurs aux performances de la France en matière d'inflation, attestera que ses futurs responsables auront fait des choix de long terme et soulignera leur fiabilité. La confiance internationale sera au rendez-vous et permettra à la nouvelle majorité d'annoncer un véritable plan de soutien aux investissements, gagé par des choix budgétaires courageux, assuré par des techniques bien connues de déductibilité fiscale ou de prêts bonifiés.
Ce qu'un gouvernement à bout de souffle ne peut entreprendre sans être suspect de faire feu de tout bois, une nouvelle majorité peut le faire : là réside la supériorité de l'opposition, capable, au lendemain des élections et dans un délai bref, de procéder à de véritables inversions de tendance. Elle pourra renverser l'actuelle situation, scandaleuse, où l'argent placé au jour le jour rapporte infiniment plus que les investissements ou l'épargne courageusement constituée et conservée. Le soutien sélectif à l'investissement et à nos entreprises, loin d'être un soulagement provisoire, donné à crédit, apparaîtra comme le fruit d'une volonté déterminée. Rassurer les Français par des perspectives claires, c'est la condition première pour leur proposer, le moment venu, les projets ambitieux de l'avenir.
L'opposition est investie, dès aujourd'hui, d'une responsabilité majeure : incarner l'espoir des Français et faire fructifier le crédit international de la France. Par-delà les victoires électorales, la vraie réussite se mesurera au redémarrage de l'économie française. C'est cette responsabilité que nous devons anticiper. C'est une démarche de courage que nous devons d'ores et déjà engager pour préparer un pouvoir neuf et cohérent.
Ce n'est pas au lendemain d'élections législatives qu'il faudra l'initier, Le temps presse. Il y va de la réussite de la France.