Interviews de M. Henri Emmanuelli, président de l'Assemblée nationale et député PS, à France 2 et RTL les 4 et 11 février 1993, sur la campagne pour les législatives, la responsabilité de l'État en matière sociale pour une refonte de redistribution du travail et des revenus.

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Média : France 2 - RTL

Texte intégral

G. Leclerc : B. Tapie locomotive chez les radicaux de gauche, le MRG menace de rompre son alliance avec le PS.

H. Emmanuelli : Il n'est jamais trop tard pour mettre ses compétences au service d'un parti politique. Sur les risques de rupture, vieille histoire. Les affaires de couple, il faut les commenter modérément.

G. Leclerc : La commission demande 10 à 15 % de proportionnelle.

H. Emmanuelli : On était déjà parvenu à l'idée qu'il fallait instiller une dose de proportionnelle. Je suis ouvert à ce type de proposition. Une chose me paraîtrait regrettable et non souhaitable, c'est qu'on augmente le nombre de députés. Je ne suis pas favorable à cela. Je ne vois pas l'utilité de rajouter des députés. Il y aura des discussions infinies sur la dose de proportionnelle. L'idée d'avoir une représentation de toutes les formations est plutôt bonne. Après la difficulté, c'est d'arriver à mettre cela en pratique et de dégager en même temps des majorités.

G. Leclerc : Que pensez-vous de la division des socialistes sur la question écologiste ?

H. Emmanuelli : Je pense que toutes les spéculations sur les alliances et sur la cohabitation sont à éviter. Parce que ce sont elles qui donnent à cette campagne un air de vacuité. Je pense que chacun prendra ses responsabilités le moment venu. Je ne vois pas l'utilité de bâtir des hypothèses, de faire des constructions. Chacun doit dire ce qu'il est, faire ses propositions et chacun doit prendre ses responsabilités le moment venu. C'est la position que j'adopte.

G. Leclerc : Les sondages de L'Express et du Nouvel Obs confirment un raz-de-marée pour le RPR et l'UDF.

H. Emmanuelli : J'ai vécu juin 1988 où, au siège du PS, on était à 360, 400, 410 quinze jours avant. Je me souviens de cette époque où les investitures tournaient à l'hystérie parce que tout le monde se voyait député, élu, ministre. J'ai vu ce qui s'est produit quinze jours plus tard. Je crois que les rapports de forces sont clairement en faveur de l'opposition dans ce pays. Mais je pense que, d'ici mars, il y aura des rééquilibrages. Si ce n'est pas le cas, on gèrera bien ce pays.

G. Leclerc : On a un sentiment de démobilisation des socialistes.

H. Emmanuelli : Il faut se pencher sur les problèmes de ce temps qui sont graves, parce que trouver des solutions, ce n'est pas simple. Je vois ce qui se passe sur le plan social à la fois en Europe, et entre l'Europe et les pays du Tiers-Monde. Nous sommes dans un système où notre niveau de protection sociale, notre confort social est gravement menacé. Pas de réponse à cela. Je vois la sphère du travail se rétrécir face à la modernisation continue de la production dans l'industrie et les services. C'est une tendance lourde. Je ne crois pas de véritable interrogation là-dessus. Essayons d'apporter des réponses à ces problèmes qui passent tous par des problèmes de redistribution. Réfléchissons à cela.

G. Leclerc : On a l'impression qu'il y a une panne d'imagination des socialistes. La défense des acquis sociaux, c'est un peu faible comme thème ?

H. Emmanuelli : Pourquoi en particulier les socialistes ? Allez demander si la défense des acquis est un peu faible aux salariés de chez Hoover. Je ne pense pas qu'ils aient l'impression que c'est un sujet subalterne. J'ai regardé le problème de l'opposition qui est censée se préparer à tout ça depuis cinq ans. Je n'ai rien trouvé sur ces thèmes qui sont les problèmes que toute société démocratique développée va devoir affronter dans les cinq à dix ans. Les socialistes ont une réflexion sur la réduction du temps de travail. Vous leur en voulez, aux socialistes ?! On n'a jamais prétendu qu'ils étaient mieux que les autres.

G. Leclerc : Il faudra pourtant le démontrer aux électeurs.

H. Emmanuelli : Ils font ce qu'ils peuvent, comme tout le monde. J'ai fait des propositions en matière de réduction du temps de travail, on m'a traité de démagogue. On verra bien. C'est une réflexion qu'il faut poursuivre. Je ne sais pas autrement ce que va devenir la société. Quand on dit que dans la libéralisation des échanges il faut marquer des paliers ; je suis ravi qu'on abandonne le libéralisme sauvage. Mais c'est récent. Je pense que si on continue au rythme où nous allons, nous allons avoir de graves problèmes.

 

11 février 1993
RTL

P. Caloni : Président de l'Assemblée nationale a priori jusqu'au 28 mars, 29 au matin…

H. Emmanuelli : A priori, mais rien n'est jamais joué. Il y aura peut-être une évolution à la britannique. On verra peut-être un membre de l'opposition présider l'Assemblée nationale.

P. Caloni : Vous avez lu, peut-être survolé, la plate-forme de l'opposition pour un programme commun. Votre avis ?

H. Emmanuelli : On se masque un peu ; il y a des choses qui me font sourire et d'autres qui m'inquiètent. Sourire, quand je vois l'opposition faire l'apologie de la décentralisation et que je me souviens des heures de débats passées à ferrailler à l'Assemblée nationale avec G. Defferre, à l'époque, pour mettre la décentralisation en place, ça me fait sourire. Je suis content de les voir convertis, ça prouve que l'on a fait une grande réforme. Inquiet : je constate que le libéralisme économique est en train d'échouer. Il avait promis aux gens la prospérité, le plein emploi partout en Europe. Et la droite ne comprend pas. Tout son programme est soutenu par cette philosophie. On s'en prend à l'État, aux fonctionnaires, aux monopoles publics. Exemple : quand on voit que J. Major se casse les dents sur la privatisation des mines de charbon et des chemins de fer, et que je vois apparaître dans le programme de l'opposition le démantèlement des monopoles – qui sera du reste au bénéfice des intérêts privés dont la plupart viendront d'ailleurs – quand je les vois avancer sur cette vieille idée de droite que pour créer des emplois il faut baisser les salaires – on parle de flexibilité. Va-t-on faire sauter le Smic ? – quand je les vois en matière de retraite avancer imprudemment l'oreille de la capitalisation, je me dis finalement ils n'ont pas changé. C'est vrai que dans la formulation ils sont plus prudents, mais la philosophie est toujours la même. Je pense profondément que nous allons vers des problèmes importants, notamment en matière d'emplois et qu'au contraire, il va bien falloir faire intervenir de nouveau l'État, mettre en place des systèmes de redistribution, et je les vois aller dans l'autre sens. Ça m'inquiète.

P. Caloni : Si les socialistes perdent le pouvoir cette année, c'est à cause d'un certain nombre de facteurs, dont le premier est bien le chômage. Pourquoi n'avez-vous pas tenté d'y apporter des réponses plus tôt ?

H. Emmanuelli : Je crois que tout le monde, à droite comme à gauche, a sous-estimé l'ampleur du problème. On a tous pensé jusqu'à il y a an, deux ans, qu'avec un peu de croissance retrouvée et beaucoup de formation, on s'en sortirait. En réalité, l'évolution de la productivité, du progrès scientifique et technique dans les usines, dans les administrations, dans les services, est telle que le problème du chômage ne sera pas résolu simplement par un petit retour de croissance ou par la formation. Il faudra redistribuer et le travail et les revenus. C'est le champ privilégié de la gauche, et la droite est en train de prendre le chemin inverse. Elle est en train de nous fabriquer des sociétés à plusieurs vitesses, de faire éclater l'Éducation nationale, de privilégier la clinique privée au détriment de l'hôpital public alors qu'on a, par exemple, en ce moment les hôpitaux de Lille et d'Arras qui sont pleins d'Anglais qui ne peuvent plus se faire soigner de l'autre côté. Eux trouvent que le modèle anglais est bon. Ils n'ont pas de vision de l'avenir. La gauche, doit muscler ses propositions. Je pense que cette question de réduction du temps de travail est fondamentale, qu'il faut revoir complètement le problème des dépenses actives et passives. À savoir qu'il vaut mieux donner de l'argent aux gens pour créer des emplois, que les indemniser simplement. Il y a des modèles qui fonctionnent sur cette typologie, je pense à la Suède. Il va falloir que l'État reprenne certaines responsabilités. Je ne serais pas choqué qu'un jour, on découvre que dans les ensembles à plus de dix logements, pour des raisons de sécurité, de bien-être, il faudra un gardien, par exemple.

P. Caloni : Vous ne marchez pas à contre-courant de certains de vos amis ?

H. Emmanuelli : Je marche comme je le sens ! Et si je croise mes amis en route, on se fera un signe de la main.

P. Caloni : Certains au PS vous appellent "l'Ayatollah" …

H. Emmanuelli : Je n'ai jamais été religieux. Je n'ai pas été démocrate-chrétien, car un démocrate-chrétien c'est quelqu'un qui admire Saint-Martin parce qu'il a coupé son manteau en deux. Un socialiste c'est un emmerdeur qui dit pourquoi Saint-Martin a un manteau, et pourquoi les autres n'en ont pas. Je fais partie des emmerdeurs.

P. Caloni : De sondages en sondages, les écologistes prennent une énorme place. Il y a un score de 17 % dans un sondage de ce matin, un autre de 19,5 au-dessus du PS. Les socialistes sont-ils vraiment 19 % en France ?

H. Emmanuelli : Je pense qu'il y a dans le mouvement écologiste un fond écologiste de quelques points. Et puis il y a beaucoup de déçus de la gauche et quelques déçus de la droite. Tout le problème des écologistes est de savoir tout ce que ça deviendra. La question des alliances ne me préoccupe pas. Je pense que c'est aux socialistes de se ressaisir des vrais problèmes, les problèmes sociaux en particulier, de réaffirmer qu'à côté de la logique économique il y a des nécessités sociales. À partir de là, chacun prendra ses responsabilités, les écologistes comme les autres. Moi aussi. Je suis persuadé que si le clivage se produit, il faudra bien que chacun se reclasse.

P. Caloni : On parle de cure d'opposition dans le PS ; dans le mot "cure" il y a le mot "soin". Vous souhaitez cette cure d'opposition ?

H. Emmanuelli : Je ne suis pas masochiste par principe, je ne souhaite pas une cure d'opposition, mais elle ne me terrorise pas non plus. Je suis président d'un département où il y a la première ville thermale de France, les cures ce n'est pas forcément désagréable.

P. Caloni : Est-ce que les affaires auront pesé beaucoup pour la mauvaise image de marque des socialistes ?

H. Emmanuelli : Quand je prends un avocat, s'il me coûte très cher et qu'il me défend bien, je ne lui en veux pas trop de me prendre beaucoup d'argent. Mais s'il me prend de l'argent, et que j'ai l'impression qu'il ne me défend pas, alors je deviens féroce. C'est un peu le processus qui se passe en ce moment.

P. Caloni : Dans un an on est déjà dans la campagne présidentielle pratiquement…

H. Emmanuelli : C'est le calendrier de la Constitution. Certains y sont depuis un moment dans la campagne présidentielle. Les leaders de l'opposition, "j'y vais, j'y vais pas", "je cohabite, je ne cohabite pas" tout ça est passionnant…

P. Caloni : Pourquoi votre briquet a-t-il le sigle RPR ?

P. Caloni : C'est un cadeau de mon attaché de presse qui, manifestement, a de mauvaises fréquentations.