Texte intégral
Les Balkans ont fait la preuve de la faiblesse de la Communauté européenne en matière de défense. La négociation du Gatt souligne cruellement notre manque d'unité commerciale. Avec Hoover, voilà le danger d'une véritable faillite sociale du grand marché unique !
Bien sûr, la cause en est d'abord britannique. L'ère Thatcher a progressivement démantelé le "système immunitaire social" d'un pays qui, un siècle après l'Empire, voit ses valeurs retourner à l'expéditeur ! Aujourd'hui, la Grande-Bretagne fabrique les autos japonaises et les Britanniques alignent leurs conditions de vie sur les dures règles sociales des nouveaux dragons asiatiques : utilisation discrétionnaire de la main-d'œuvre, disparition du droit de grève, récupération par l'entreprise des fonds de pension.
Cette situation fait courir un double risque à l'Europe :
1. Cédant aux nouveaux "maîtres de l'emploi", nos sociétés renonceraient aux mécanismes de protection et de dialogue social pourtant indispensables à leur unité.
2. Le chantage à l'aide publique, loin de favoriser un rééquilibrage au profit des régions les plus pauvres du continent, sera le plus sûr moyen de conforter les plus riches, seuls capables de poursuivre les enchères….
Ainsi, orphelins de tous ces mécanismes de solidarité, nos pays n'auront plus qu'à retrouver les vieux réflexes protectionnistes pour se protéger d'une concurrence redevenue sauvage.
Face à cette dérive, il faut une réaction européenne très ferme.
À l'égard des entreprises américaines et asiatiques d'abord. Elles doivent prendre conscience que l'accès, si indispensable pour elles, aux débouchés du Vieux Continent, a pour contrepartie indispensable le respect des règles et des valeurs qui y ont cours. Il leur faut prendre garde à ne pas tuer la poule aux œufs d'or !
À l'égard des pays tentés par le chacun pour soi, ensuite. La force de la Communauté naît d'un ensemble de solidarités complémentaires qui en assure la stabilité. Ainsi, résister aux spéculateurs qui affaiblissent la monnaie ou aux prédateurs qui menacent la cohésion sociale sont les deux faces d'une même médaille. Respecter nos règles du jeu, avancer sans tarder sur tous les fronts de la construction communautaire sont les seules voies praticables, par nos pays, pour compter encore dans le monde de demain.
Les États tentés, par calculs égoïstes, à n'accepter aucune des contraintes du jeu en équipe devront faire la course en solitaire avec tous les risques que cela comporte. D'ores et déjà, l'attribution de certaines aides communautaires devrait être conditionnée par le comportement loyal des États bénéficiaires.
En outre, nous avons besoin de véritables acteurs de cette intégration économique et sociale : des entreprises qui nouent des alliances européennes pour conquérir les marchés internationaux, mais aussi des syndicats qui développent une véritable stratégie adaptée à la dimension, désormais communautaire, des enjeux sociaux.
Pour autant, la France ne peut se contenter d'assister, inerte, à ces mutations industrielles.
Le coût du travail français, anormalement élevé en raison notamment du financement par l'entreprise de la totalité de la politique familiale, doit retrouver un niveau qui ne nous pénalise pas face aux autres pays de la Communauté.
Nous devons aussi, progressivement, faire évoluer notre système d'organisation du travail et de calcul des rémunérations. Aux rigidités réglementaires et administratives, il faut substituer une vie contractuelle plus intense, plus, ambitieuse, à charge pour l'État d'en vérifier la sincérité.
L'émotion soulevée par la décision de Hoover entraîne certains à instruire le procès d'une construction communautaire, vouée aux seuls profits et dévoreuse d'emplois. C'est commettre une grave erreur de diagnostic.
Aujourd'hui, la cohésion européenne est affaiblie par l'exception britannique en matière sociale. Face aux effets centrifuges de cette exception, les pays fondateurs de la Communauté doivent resserrer les rangs.
L'impuissance européenne devant la tragédie yougoslave rend évidente la nécessité absolue d'une défense et d'une diplomatie communes. Le développement des délocalisations d'emplois au sein des Douze illustre la nécessité impérative de franchir une étape nouvelle d'intégration économique et sociale de l'Europe.
Aujourd'hui, il faut un surcroît d'Europe : à la preuve par Sarajevo s'ajoute, désormais, la preuve par Hoover.