Texte intégral
D. Brunetti : Vous apparaissez parce que l'alibi Mellick semble fragilisé apparemment ?
B. Tapie : Vous dites "apparemment". M. Mellick n'est pas un alibi. M. Mellick est un député-maire, responsable, pour l'instant mis en cause et pratiquement déshonoré par des affirmations qui se suivent les unes derrière les autres, qui ne sont jamais confirmées, parce qu'elles sont fausses. M. Mellick est venu à son rendez-vous, il n'y était pas seul, il était accompagné de son chef de cabinet. J'étais moi-même accompagné d'un haut fonctionnaire. Nous étions quatre au rendez-vous qui a eu lieu comme prévu à non bureau.
D. Brunetti : À l'heure dite ?
B. Tapie : À l'heure dite. Parce qu'on n'a pas une montre dans la tête. Même si cela déplaît au juge, on n'est pas forcé de savoir ce qu'on a fait à 10 minutes près. Ensuite, je vais inventer un alibi si je suis accusé de quelque chose. Je ne suis accusé de rien, sauf dans les journaux. M. Primorac ne m'a jamais, ni face à face, ni dans ses auditions, accusé de lui avoir demandé de porter le chapeau, comme je l'ai lu partout.
D. Brunetti : Mais il vous a vu ?
B. Tapie : Je lui ai répondu que je ne l'ai jamais vu. D'ailleurs il était en face de moi très mal à l'aise. Il m'a d'abord dit le 16. J'étais à l'Assemblée nationale, c'était difficile de soutenir le contraire. Il a dit, c'est le 17. Manque de chance, j'étais dans une station de télé et après en rendez-vous à mon bureau. N'étant accusé de rien, je n'ai pas besoin de me créer un alibi. Ensuite, ce n'est pas parce que Mellick est là ou pas là que ça crédibilise le rendez-vous. Donc ce n'est pas nécessaire. Par contre le procédé utilisé pour déshonorer, pour faire mentir Mellick est le même que celui de la première affaire. Tous les jours ou tous les deux jours à 19 h 30 sortait un indice, une preuve, quelque chose qui démontrait notre culpabilité. Il y a eu les billets, le coffre de Bernes, des enveloppes uniquement faites pour l'OM, les empreintes qui allaient parler, mon collaborateur direct qui était le troisième homme du Fouquet's. Aucun de ces éléments-là n'était vrai. Aucun. Ensuite, on passe à l'affaire Mellick. Un coup, on dit : on a retrouvé sa carte de péage, c'est faux. Après on dit, il avait un carnet de bord, c'est faux. Et maintenant on dit : il y a quelqu'un qui a fait le plein, c'était son chauffeur, manque de chance, ce n'était pas sa voiture.
D. Brunetti : Il y a parfois des preuves matérielles difficiles à établir. C'est parole contre parole à chaque fois ?
B. Tapie : Non. Personne ne dit le contraire. Tout le monde dit entre 16 heures et 17 h 30 et vous ne pouvez pas en vouloir à des gens, deux mois après, de vous dire cela.
D. Brunetti : Pourquoi ne pas avoir donné cet alibi ?
B. Tapie : Le juge ne me l'a pas demandé. Il m'a demandé si j'avais un agenda, je lui ai dit non. Et à l'époque, quand il m'a vu, il ne savait même pas quel jour c'était.
D. Brunetti : Mais vous saviez que vous aviez un alibi ?
B. Tapie : Cessez d'utiliser ce mot. Vous allez continuer ? Pour l'instant, M. Primorac est le seul à déclarer ce qu'il déclare. Tous les témoins donnent une version contraire à la sienne. Cela fait maintenant plus de deux mois que l'on est soumis à cette pression. On a tenté de me déshonorer moi, le mal est fait depuis tellement de temps que cela ne risque rien. On essaie de déshonorer M. Mellick qui est un député formidable. Je ne le supporte plus. Hier il a vu le juge d'instruction et lui a dit : mettez-moi en examen.
D. Brunetti : Juridiquement ce n'est pas possible ?
B. Tapie : C'est tout à fait possible. Il n'y a pas d'immunité parlementaire pour la mise en examen. Il pouvait le faire. Il a dit : je ne le mets pas en examen. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a rien sur le plan du droit. Le parquet a dit qu'il n'y avait pas en l'état les éléments qui permettraient de le mettre en examen. Lorsqu'à la suite de cela, des réunions sont tenues avec des journalistes au cours desquelles sortent des rumeurs, ce n'est pas normal. La justice doit se faire pour tout le monde pareil. On est tous soumis à la justice, avec ses droits, ses devoirs. Et le devoir, c'est de protéger les gens, ce n'est pas de les mettre en garde à vue, en les attachant après les radiateurs avec des menottes.
D. Brunetti : C'est ce qui a été fait ?
B. Tapie : Oui, c'est ce qui a été fait. C'est honteux. Les procédures utilisées sont maladroites et ne correspondent pas à un état de droit démocratique moderne. La question qui se pose, c'est pourquoi, depuis deux mois et demi vous tenez en actualité les Français comme étant l'affaire la plus importante depuis 30 ou 40 ans.
D. Brunetti : C'est une machination médiatique. Il y a des objectifs derrière ?
B. Tapie : Je ne sais pas. À part la guerre du Golfe, cela fait 40 ans qu'aucun événement, ni criminel, ni judiciaire, ni politique n'a été couvert avec autant d'importance. Il n'y a pas un Français qui est dupe. Tout le monde a bien compris qu'il faut tuer ce Tapie. Qu'est-ce qu'il est là encore à tenir debout ?
Il faut le tuer. Vous imaginez la belle photo avec les menottes sortant de chez le juge pour aller passer ses vacances à Valenciennes. Vous l'aviez tellement annoncé la fin du roman que le fait que cela n'avance pas dans cette direction, cela rend les gens hargneux. Est-ce que vous croyez normal que le jour où Mellick décrit son emploi du temps, le lendemain toutes les rédactions ont fait la route avec leur voiture de mon bureau jusqu'à la mairie pour chronométrer. Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est des auxiliaires de police maintenant ? Ils veulent à ce point-là ma tête ?
D. Brunetti : Mais dans cette affaire, ce sont des paroles contre des paroles ?
B. Tapie : Eh bien attendez que la justice ait fait son boulot. Cessez de détruire les gens. Vous êtes en train de détruire les gens. Moi, vous ne me détruirez pas, parce que j'ai l'habitude. Mon fils est en observation, mon frère, dépression nerveuse, j'ai autour de moi des gens qui souffrent le martyre parce que vous avez décidé de me faire ma fête. La justice se prononcera un jour. Si j'ai fait une faute, je paierais, je paierais à hauteur de la faute que j'ai faite. Actuellement ce n'est pas le cas. Ne soyez plus complice, ni en anticipant sur ces événements, ni en anticipant sur ses conclusions.
17 août 1993
Europe 1
Europe 1 : En sortant de chez le juge vous aviez dit que vous ne diriez plus un mot et maintenant vous parlez.
J. Mellick : De nouveau, on met en garde à vue un de mes collaborateurs. Quand va-t-on s'arrêter ? J'ai dit que je ne parlerai plus sur le fond de l'affaire.
Europe 1 : Sur les derniers éléments d'information communiqués par le juge avant de partir en vacances, vous pouvez réagir ?
J. Mellick : Je suis pour une justice sereine et qui respecte les droits, le secret de l'instruction. Je ne savais pas que c'était mis sur la place publique.
Europe 1 : Sur l'affaire du plein d'essence quelle est votre réponse ?
J. Mellick : La carte utilisée était une carte pour une R25 78 11PH 62. Cette carte est à la disposition des membres de mon cabinet, des collaborateurs directs ou de moi-même. Quand j'ai cette carte sur moi, que je l'utilise pour des activités de la ville ou de la communauté du Béthunois, mes collaborateurs vont signer des bons et c'est mon chauffeur qui va régulariser ensuite, avec ma carte, leurs dépenses de carburant. Comme ce jour-là, il s'agissait d'un déplacement privé et l'éducation qui est la mienne fait que je n'ai pas utilisé ni la carte de péage, ni la carte d'essence, j'ai payé avec mes propres deniers. C'était pour une activité politique qui n'avait rien avoir avec la ville de Béthune, ni la communauté du Béthunois. Un de mes collaborateurs, je ne sais lequel, comme cela se fait parce qu'il avait besoin soit pour une voiture de fonction, soit pour sa voiture personnelle parce qu'il avait une mission à remplir pour moi, a utilisé cette carte. Un plein de Safrane de 29 litres comme on me le dit pour 150 francs, laissez-moi rire.
Europe 1 : Admettez que vos informations ne sont pas toutes faciles à recevoir ! Quand vous dites par exemple que dans votre interview au Point, vous n'avez pas dit les choses clairement parce que vous n'étiez pas sûr que cela soit un vrai journaliste…
J. Mellick : Quand on vous demande de rappeler un numéro qui n'est pas le numéro où on vous dit ici le standard du Point, je ne pouvais pas savoir.
Europe 1 : Quel est l'intérêt à ne pas dire la vérité aux uns et aux autres ?
J. Mellick : Je ne peux pas savoir si ce n'est pas de la provocation. Je suis un homme méfiant de nature.
Europe 1 : Cela n'oblige pas à mentir.
J. Mellick : Je prends mes précautions. Le journaliste m'a dit qu'il s'appelait Rousel, je ne le connaissais pas. Je n'avais pas d'éléments.
Europe 1 : Vous vous rendez compte que sur ce point vous n'arrivez pas à convaincre ?
J. Mellick : Je ne suis lié avec B. Tapie sur rien, ni sur les affaires industrielles, ni sur le football.
Europe 1 : Pas même par la présence de ses entreprises à Béthune ?
J. Mellick : Mes comptes de campagne sont à la disposition de tout le monde. Je l'ai dit au juge mes comptes bancaires sont à sa disposition. Si j'ai touché un centime de B. Tapie d'une manière ou d'une autre qu'on le mette sur la table.
Europe 1 : L'amitié qui vous lie n'est pas un élément qui compte ?
J. Mellick : Je suis socialiste, il n'est pas socialiste. Nous avons été ensemble au gouvernement. Il a un tempérament, j'en ai un autre, nous sommes totalement différents. Je n'ai jamais été invité sur le Phocéa. OM-VA je n'y connais rien, je suis un élu de ma région, je me bats pour l'emploi, pour mes concitoyens. J'ai transformé ma ville avec mes collaborateurs. Je suis un élu national qui entend que la justice et la police fassent normalement leur travail.
Europe 1 : Vous pouvez confirmer que vous avez bien fait le trajet Paris-Béthune dans une R25 ?
J. Mellick : Je n'ai pas effectué ce trajet dans une R25, mais dans une Safrane conduite par mon chauffeur.
Europe 1 : C'est cette voiture qui aurait fait le plein d'essence ?
J. Mellick : Je n'aurais pas fait le plein à 13 h 20, c'est une carte attribuée à une R25. J'ai payé de mes propres deniers car c'était un voyage privé, comme je le fais régulièrement. Je n'ai pas utilisé l'autoroute le 18.
Europe 1 : On dit qu'une carte de télépéage a servi ce jour-là.
J. Mellick : Un de mes collaborateurs, pour une voiture de fonction ou une voiture privée car il avait une mission, a utilisé cette carte.
Europe 1 : Vous allez continuer de communiquer, un membre de votre entourage a été placé en garde à vue ?
J. Mellick : On m'a dit qu'il avait été emmené et j'ai saisi les conseils de Mme Liebman. Je ne veux pas laisser dire n'importe quoi.
17 août 1993
France Inter
On parle d'essence qui a été pris, alors il faut savoir quel est le niveau d'essence. Il y en a eu pour 150 francs. Une Safrane, c'est environ 72 litres. Or là il n'y a eu que 29 litres. Ensuite, c'est à partir d'une carte pour une R25 qu'on se base, alors que j'avais une Safrane. Cette carte est utilisable par d'autres voitures. En réalité cette carte est pour le cabinet. Quand je ne l'ai pas et c'était le cas ce jour-là puisque c'était un déplacement privé purement politique. Et moi j'ai le souci, avec l'éducation qui est la mienne, de l'argent public. Je suis étranger à l'affaire OM-VA, je n'y connais rien en football. J'ai dit depuis le début que je n'avais pas utilisé cette carte à péage. Je ne suis pas allé à Paris le 18.
17 août 1993
RTL
Il s'agit d'une carte d'essence pour une voiture R25. Cela veut dire simplement que cette carte d'essence puisque je n'étais pas là à Béthune, que ce déplacement était un déplacement politique donc privé, que j'ai payé de mes propres deniers parce que c'est mon éducation, parce que ça ne concernait ni la ville de Béthune, ni la communauté du béthunois. Cette carte n'est pas une carte de J. Mellick, c'est une carte collective que mes collaborateurs utilisent lorsque je ne l'utilise pas. On parle d'un plein. La Safrane c'est 70 litres à peu près. Je ne sais pas exactement. Là, il s'agit d'un plein de 29 litres. Ça n'a rien à voir avec une Safrane. Il s'agit donc d'un véhicule beaucoup plus petit. Il y a des R5, il y a des Clio, R 19 et tout cela est tout à fait possible. Donc ne faisons pas de cet élément quelque chose qui soit déterminant. De la même manière, on a dit, J. Mellick est allé le 16 et le 18 il a utilisé l'autoroute. Le 16 ce n'est pas moi qui ai utilisé l'autoroute parce que je n'y suis pas allé. Or la carte a été utilisée par l'un de mes collaborateurs ou collaboratrices. Je n'en sais rien. Mon cabinet a les mêmes outils que moi pour travailler. Quand je ne l'utilise pas, ils utilisent ces éléments.
18 août 1993
France Inter
C. Hondelatte : L'enquête continue ?
B. Tapie : Contrairement à ce que j'ai entendu, je ne suis pas contre le principe de garder à vue des gens, dès lors qu'un magistrat a le sentiment que c'est un moyen de connaitre la vérité. Les grandes affaires de banditisme, de drogue ont été réglées par ce principe. Il n'est pas question de dénoncer la garde à vue. Simplement, elle répond à des critères qui sont simples. Est-ce que quelqu'un est directement ou indirectement en mesure d'apporter une lumière à une enquête et que si le magistrat est convaincu qu'il peut le faire, la garde à vue est un moyen d'y parvenir par une succession d'interrogatoires ? Le procureur a dit qu'aussi bien la prison que la garde à vue étaient des moyens de faire découvrir la vérité.
C. Hondelatte : La subornation de témoins est importante.
B. Tapie : Vous vous servez, paraît-il, de déclarations du principal témoin de cette affaire, Primorac, qui ne m'a jamais accusé ni directement, ni indirectement d'avoir tenté d'obtenir de lui des aveux contraires à la vérité. Avec un peu de bon sens, le mobile expliqué est d'avoir tenté de lui faire porter le chapeau, c'est idiot. Comment voulez-vous que Primorac porte le chapeau de cette affaire ? Le juge ne se contenterait pas de sa déclaration. Il lui demanderait l'origine des fonds, comment il a fait. Vous partez d'une affaire totalement imaginaire.
C. Hondelatte : Regrettez-vous d'avoir demandé à J. Mellick de témoigner en votre faveur ?
B. Tapie : Nous étions plusieurs à cette réunion. Le juge me demande les participants, je donne le nom de ces participants. Vous êtes en train de me faire la réponse à ces quotidiens qui font du spectacle. Une question de fond se pose : le principe est simple, toutes Les informations qui vous sont données, vous sont données par des gens qui se couvrent du secret et de la crédibilité de leur fonction. J'entends toute la journée sur les radios : "de source judiciaire", "policière" … Il faut arrêter cet intox-là. J'affirme que tout ce qui a fuité est faux. Cela avait deux objectifs. Premièrement, faire croire à notre culpabilité, convaincre l'opinion publique. Deuxièmement, c'est leur méthode d'obtenir pour ces moyens-là, en même temps qu'il y a de la garde à vue, des aveux des gens en leur tirant des aveux qui ne sont pas les vrais aveux. On a des témoignages écrits des gens qui nous racontent comment on a essayé d'obtenir d'eux des aveux sur des horaires. C'est scandaleux. Tous les moyens sont bons dès lors que l'on respecte l'individu. Vous êtes tellement partis avec la conviction que nous étions coupables, que le boulot des magistrats, ce n'est pas de chercher la vérité, c'est d'essayer de démontrer que cette thèse était la bonne.
C. Hondelatte : Pourquoi les gens dont vous parlez ne se retournent pas en disant qu'on leur a arraché des aveux ?
B. Tapie : Vous croyez qu'on a dormi ? On a chaque fois averti le garde des Sceaux. Ce dernier a estimé qu'il n'y a rien à faire d'autre que de me poursuivre moi en diffamation. Cela veut dire qu'il entérine complètement tout ce qui s'est passé sur le plan judiciaire. On a des procédures à mettre en place, comme tout citoyen, on va le faire. On conteste la façon dont l'enquête a été menée. À nos avocats de le démontrer. Il y a deux dossiers : l'accumulation des indices dévoilés dans la presse et dont les médias sont les otages.
C. Hondelatte : Où veut-on en venir ?
B. Tapie : C'est un système classique que de savoir que tous les pouvoirs, dans tous les pays, essaient de l'emporter sur l'autre, les pouvoirs des médias, les pouvoirs judiciaire et politique. Je suis pratiquement l'incarnation de ce qui ne correspond à aucun de ces pouvoirs. Je ne suis pas dans le pouvoir politique. Le pouvoir médiatique, le fait est que je ne fais pas ce qu'il faut pour l'avoir de mon côté. J'agis mal avec eux, parce je me laisse aller à des débordements parfois disqualifiants. Le pouvoir judiciaire, je ne le respecte que quand il fait son boulot et j'ai le tort, quand il ne le fait pas, de le dire. La justice peut être différente selon le magistrat. Ma personnalité spontanée est le reflet de ce que beaucoup de gens sont. Je ne crois pas au complot organisé, mais je crois qu'à un moment donné, ils veulent tous me faire ma fête, ils en ont marre. On ne peut plus parler de secret de l'instruction, c'est illusoire. Il y a des passoires partout. Il ne faut plus se réfugier sous le secret de l'instruction, cela permet à ceux qui veulent nuire de dire n'importe quoi. Je propose que tout le dossier, tel qu'il est, soit diffusé à toutes les rédactions, puisque le procureur souhaite que cette affaire soit faite dans la clarté. Il a donné cela comme prétexte pour parler.
C. Hondelatte : Que répondez-vous à ceux qui estiment que dans cette enquête les magistrats font beaucoup de bruit et essaient de légitimer ce que les journalistes semblent vouloir ?
C. Pernolet : B. Tapie est libre d'avoir l'opinion qu'il veut sur la façon dont l'enquête est menée. Je note qu'il avait fait des déclarations relativement similaires à l'époque, il y a un an, quand il avait été impliqué dans la plainte de G. Tranchant. Il avait mis en cause le juge d'instruction.
C. Hondelatte : Est-on obligé pour interroger quelqu'un de le mettre en garde à vue ?
C. Pernolet : Faut-il reprocher à la justice d'en faire trop dans cette affaire ? On lui reproche habituellement de ne rien faire. Elle fait beaucoup d'investigations. Croyez-vous que les témoins souhaitent apporter spontanément leur contribution à la justice dans cette affaire ? Je n'en ai pas le sentiment. C'est pourquoi il me semblait justifié de les placer en garde à vue. Il y a des conditions qui sont normales résultant des textes. Dans cette affaire, j'aurais aimé que J. Mellick nous dise s'il y a eu effectivement une réunion de concertation entre les personnels de la mairie de Béthune dont il est le responsable. C'est une question qui nous intéresserait. Quand on sait que cela a pu avoir lieu. On comprend que les policiers aient voulu garder sous la main des témoins, les confronter, voire les forcer à dire des choses qu'ils n'auraient pas dites spontanément.
B. Tapie : En leur disant "si vous dites 14 heures, vous êtes dehors. Sinon, vous passez la nuit ici". C'est élégant !
C. Pernolet : Croyez-vous que le chauffeur ou le directeur de cabinet de J. Mellick souhaitait faire des déclarations spontanées ? C'est une évidence que non. Si on voulait qu'ils parlent franchement, il fallait bien les placer dans des conditions psychologiques qui les dégagent de pressions dont ils ont peut-être fait l'objet. Cela me gêne beaucoup. Dans une affaire d'insubordination de témoins, c'est grave. Cette affaire met en cause la crédibilité des témoins et celle de la justice. Quand on sait que dans cette affaire apparaissent chaque jour des personnalités politiques comme le sont B. Tapie et J. Mellick, on comprend que cette affaire ait ce retentissement. On comprend que la justice veuille aller au fond des choses.
B. Tapie : Rien ne m'étonne. Dès lors que vous attaquez un mot ou une virgule, il n'y a pas de sanction. C'est le seul métier où ils peuvent faire n'importe quoi, il n'y a pas de sanction. Le mari de l'attachée parlementaire de J. Mellick est en garde à vue. Je ne vois pas quel est le lien juridique entre le mari de cette attachée parlementaire et l'affaire Mellick. Il y a des textes qui disent que la garde à vue répond à certains critères de droit. On ne met pas en garde à vue n'importe qui.
18 août 1993
France Inter
B. Tapie : Moi, je suis simplement président d'un club de foot. J'essaie de faire le mieux possible. J'ai le sentiment d'avoir toujours essayé de donner à mon pays que des satisfactions. Je n'ai jamais eu le sentiment de voler un centime à quiconque, et je suis traité comme le plus grand des criminels du siècle.
France inter : Vous êtes très déçu actuellement ?
B. Tapie : Je ne suis pas déçu parce que, Dieu merci, dans la rue je rencontre les gens, qui me font des signes et m'indiquent leur solidarité. Ils me montrent d'ailleurs avec souvent beaucoup de gentillesse qu'il faut tenir le coup, qu'il faut se battre et se défendre. Je suis atterré de voir que toutes les autorités n'imposent pas que – ne serait-ce que parce que tout citoyen mérite d'avoir les mêmes égards – que la justice soit faite dans le calme et la sérénité, et surtout dans la clarté et aussi dans la modestie. Il ne faut pas faire comme on fait en ce moment. On est en train de faire un très mauvais roman qui finira forcément par une queue de poisson : elle ne peut pas déboucher sur autre chose qu'une toute petite affaire.
18 août 1993
TF1 et Europe 1
B. Tapie : Je vais inventer un alibi si je suis accusé de quelque chose. Je suis accusé de rien, sauf dans les journaux. M. Primorac ne m'a jamais – ni face-à-face, ni dans ses auditions – accusé de lui avoir demandé de porter le chapeau comme je l'ai lu partout. Il dit qu'il m'a vu. Je lui ai répondu que je ne l'avais jamais vu. Il était très mal à l'aise face à moi. Il a dit m'avoir vu d'abord le 16. J'étais alors à l'Assemblée. C'était difficile de soutenir que j'y étais. Donc il a dit vers le 17. Or, manque de chance, j'étais dans une station télé et, ensuite, en rendez-vous à mon bureau. N'étant accusé de rien, je n'ai pas besoin de me créer un alibi. Ce n'est pas parce que Mellick est là ou pas que cela crédibilise le rendez-vous. Il y a d'autres personnes qui sont là. Il faut tuer ce Tapie ! Qu'est-ce qu'il est, là, à tenir debout ! Il faut le tuer ! Imaginez la belle photo avec les menottes sortant de chez le juge pour aller passer ses vacances à Valenciennes ! Vous l'aviez tellement annoncée, la fin du roman, que le fait que cela n'avance pas dans cette direction, cela rend les gens hargneux. Si j'avais fait une faute, je la paierais. Mais je le paierais à la hauteur de la faute que j'aurais faite. Actuellement, ce n'est pas le cas. Donc, arrêtez ce cinéma ! Laissez faire la justice. Ne soyez plus complice, ni en anticipant sur les événements, ni en anticipant sur ses conclusions.
19 août 1993
RTL
R. Arzt : Dans l'affaire Mellick, est-ce que c'est vous qui êtes visé ?
B. Tapie : Je ne fais pas de parano. Je n'ai jamais dit qu'il y avait un complot organisé Je dis simplement qu'il y a la rencontre de nombreux intérêts à ce que je n'existe plus. Il y a disproportion entre l'affaire dans laquelle on veut absolument me mêler et l'importance qu'on lui donne. J'entendais M. Alexandre dire qu'il était normal qu'on mette les gros moyens ! Mais pas plus ni moins que lorsqu'on est un citoyen normal. En tout cas, la couverture médiatique doit correspondre à l'importance de l'événement. Si on me l'explique autrement que par le fait qu'on veuille me faire tomber, j'attends qu'on me donne une autre solution.
R. Arzt : Le comportement des magistrats est quelque chose que vous voulez dénoncer ?
B. Tapie : Chaque fois que vous parlez d'un magistrat quel qu'il soit, vous avez l'ensemble des autres magistrats qui vous tombe dessus. Ils ont tort de faire cela. Le public a besoin d'avoir confiance dans sa justice. Et la justice, ce n'est rien d'autre que ce que les hommes en font. Il y a, comme dans tous les corps de métiers, d'énormes différences entre les hommes. Vous avez des magistrats qui sont exceptionnels, exemplaires, courageux et il y en a d'autres qui le sont moins. Maintenant, je ne peux pas parler des magistrats en relation avec mon affaire personnelle dans la mesure où je suis le principal intéressé. On a la chance d'être dans un pays de droit où, si on n'est pas content de ses magistrats, On a des actions à mener. On est en train de les mener, les avocats vont le faire.
R. Arzt : N. Defachelles dit qu'on l'a obligé à demander à C. Krajewsky d'avouer qu'elle n'avait pas assisté à la rencontre entre vous et J. Mellick. Vous croyez cela possible ?
B. Tapie : Objectivement, j'ai appris cela dans la nuit. J'attends d'avoir la confirmation de cela parce que ce serait le dernier étage d'une turpitude inimaginable. On n'est pas dans une affaire de crime ou dans une affaire de drogue, où tous les moyens sont bons pour faire avouer, Y compris de faire une pression affectueuse et psychologique aussi grave que de faire écrire des faux pour faire avouer. Parce que si c'est ça, alors vraiment je suis très inquiet de voir comment vont réagir les autorités judiciaires. C'est les autorités judiciaires qui doivent assurer le contrôle de la bonne marche de la justice dans notre pays. La justice est souveraine, elle a tous les droits, elle les a voulus, elle les a en partie, mais elle doit aussi faire respecter les devoirs qui font la justice de ce pays.
R. Arzt : Vous avez écrit au ministre de la Justice, votre avocat aussi. Quel genre de réponse attendez-vous de M. Méhaignerie ?
B. Tapie : M. Méhaignerie, on ne lui demande pas d'intervenir parce que politiquement, cela serait injuste et maladroit, on lui demande simplement de faire respecter tous les droits de chaque citoyen. Il a le pouvoir et le devoir de le faire. Il n'a pas répondu. Si après ce dernier épisode, il ne répondait pas, ce serait clair : on saurait d'où vient cette technique et ce qui permet aux magistrats de Valenciennes d'agir de cette sorte. À la limite, cela voudrait dire qu'ils sont totalement garantis, couverts, et qu'ils savent qu'ils peuvent agir dans n'importe quelle direction, sous n'importe quelle forme, avec n'importe quels moyens, en toute impunité.
R. Arzt : Vous avez dit que si vous êtes atteint, cela peut faire l'affaire de certains dans l'entourage de Rocard. Est-ce que vous souhaitez le rencontrer ?
B. Tapie : C'est la version que je me fais quand je vois l'attitude de certains. Je suis absolument sûr que Rocard n'est pas lui-même personnellement dernière cela. Mais j'ai bien vu, ne serait-ce que dans certaines rédactions, qu'il y a des gens qui sont très amis avec lui, qui partagent ses convictions ; et je les sens de plus en plus déchainés. Ce qui me laisse penser que tout ce qui a été dit sur Tapie qui serait une espèce d'anti-Rocard à gauche a l'air d'avoir laissé du crédit auprès de certains. Je les rassure, il faut qu'il sache que ce n'est pas vrai. Mon camp est à gauche, et s'il faut être à côté de Rocard pour faire gagner au moment de la finale, j'y serai. Mais pas à n'importe quelle condition, et pas n'importe comment. Cela n'a pas été plus loin.
R. Arzt : Vous avez plus d'ennemis à gauche qu'à droite ?
B. Tapie : On n'a pas d'ennemis. Il y a des gens qui ne partagent pas vos convictions et qui vous combattent loyalement. C'est le jeu politique. Et apparemment, j'en ai plus à droite qu'à gauche.
R. Arzt : Les 250 000 francs, est-ce que vous pensez savoir d'où ils viennent ?
B. Tapie : Oui !
R. Arzt : Vous ne pouvez pas le dire ?
B. Tapie : Je suis sûr qu'ils ne viennent pas du club, dans la limite où 250 000 francs, c'est à la fois peu, mais beaucoup. C'est peu par rapport à une affaire qui avoisine les 300 millions de chiffre d'affaires. Mais c'est beaucoup par rapport à la façon de les sortir lorsque la gestion est assurée par des gens qui sont rigoureux.
R. Arzt : Cela viendrait qui ?
B. Tapie : Je ne vais pas me prêter au jeu que je dénonce par ailleurs. La justice doit se faire entre des témoins, des mises en examen, un parquet, des juges et des avocats, et non pas par fuites interposées en prenant les médias à témoin. C'est ce qui se passe actuellement. Le drame de cette affaire, c'est qu'on vous met vous aussi otage, et par conséquent vos auditeurs. Quand un magistrat ou quand un policier, ou quand un procureur vous dit officiellement quelque chose et qu'il prend la responsabilité de son communiqué – ce que faisait de temps en temps le procureur – au moins, on sait d'où vient la source, on peut la combattre, on peut lui donner une controverse. Maintenant, cela ne se fait plus comme ça. Cela se fait par des fuites bien organisées. On rend les journalistes prisonniers d'une fausse information, d'un faux indice. Or le crédit d'un magistrat d'un policier ou d'un procureur est tel que le journaliste se sent obligé de le communiquer. Et on inonde la presse d'indices totalement faux, mais totalement faux ! Parce qu'en utilisant cette formule épouvantable qui est le "off", on a dit des choses qui ne sont pas vraies. Je serais pour qu'il n'y ait plus de secret d'instruction. Je ne dénonce pas ce qui se dit. Je dénonce ce qui se dit sous le manteau et qui est faux.
R. Arzt : Pourquoi est-ce que J.-J. Eydelie accuse J.-P. Bernes ?
B. Tapie : Quand on va faire le bilan de cette affaire, vous aurez l'occasion d'avoir Eydelie en face de vous. Il faudra qu'il explique les conditions de son aveu. Pendant des jours, à moi personnellement, il m'avait certifié qu'il n'était pour rien dans cette affaire, et Eydelie est un garçon courageux que j'ai cru. La nuit qui a précédé ses aveux, avec sa femme qu'on lui a présenté deux fois dans la prison, avec le juge qui est venu le voir seul le dimanche, avec son avocat qui a été révoqué… si tout cela n'interpelle pas les gens, je n'y comprends plus rien ! Ce n'est pas du tout Eydelie qui, un matin, se réveille et dit la vérité. C'est Eydelie qui, pendant des jours et des jours, lutte malgré la prison en disant : je vous assure, je suis innocent, je n'ai rien fait. Et subitement, on lui amène sa femme, et il dit : je veux faire des aveux, et il avoue. Et il avoue quoi ? Qu'il a servi de facteur. Il n'y a qu'une chose qui me gêne, c'est qu'il a remis une enveloppe, mais quand il la décrit, il ne la décrit pas comme elle est, et il y a plein d'empreintes sauf les siennes. Il a dû mettre des gants de boxe.
R. Arzt : Si vous dites vrai…
B. Tapie : Mais je dis vrai ! Je ne dis pas que ce n'est pas lui, mais je dis que pour l'instant ce ne sont pas Les aveux qu'il a fait qui m'ont convaincu.
R. Arzt : Si vous dites vrai, comment réagirez-vous ?
B. Tapie : Avec plaisir, avec bonheur, en disant que la justice a fait son boulot.