Texte intégral
M. Michel Crépeau - Ma question s'adresse au Premier ministre, qui rentre d'un voyage aux Etats-Unis (Exclamations sur les bancs du RPR et du groupe UDF), et elle me paraît plus importante que tel ou tel match de football ou que les dates de la chasse à la bécasse…
Monsieur le Premier ministre, je souhaiterais que vous nous fassiez connaître vos impressions de ce voyage (Rires sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF), sans trahir aucun secret, évidemment.
Il est important que ceux qui ont la responsabilité des grandes nations puissent se connaître et se comprendre. (Interruptions sur les bancs du groupe UDF)
Je souhaiterais d'autant plus que vous nous parliez de ce voyage que comme le Président Clinton, comme le Premier ministre britannique, vous êtes un homme de la modernité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe RPR) et il vous appartient plus qu'à d'autres, qui s'enferment dans la nostalgie du passé et de leurs échecs, de répondre à cette question fondamentale : qu'est-ce que M. Clinton va faire en Chine à la fin de ce mois ? Va-t-il simplement, malgré l'opposition du Congrès et son opinion publique, rendre hommage aux victimes de la place Tien-An-Men ou bien va-t-il conclure de nouveaux accords de Yalta, pour partager le monde entre les superpuissances de demain ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)
M. Lionel Jospin, Premier ministre - A défaut d'être aussi lyrique que le président Crépeau, je m'efforcerai de ne lui céder en rien en pertinence !
Effectivement, je reviens d'un voyage de travail que j'ai fait aux Etats-Unis à l'invitation du Président Clinton, qui m'a permis de rencontrer pour la première fois les dirigeants américains, des responsables du Congrès, sans parler du secrétaire général des Nations Unies ni du directeur du FMI… (Rires sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR)
J'ai constaté que les autorités américaines attachaient une grande importance à ce qui se passe dans notre pays, notamment parce que le processus d'intégration européenne et le passage à l'euro sont pour eux un signe important de stabilité au moment où la crise asiatique démontre que l'économie n'est pas seulement affaire de compétitivité, mais suppose aussi un système politique démocratique, des relations sociales cohérentes, bref un modèle - et nous travaillons en France à ce modèle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)
J'ai découvert que le Président américain et son administration, qui s'apprêtent à proposer qu'une partie des excédents budgétaires soient affectés à des programmes sociaux, s'intéressent à la façon dont plusieurs pays européens, dont le nôtre, conduits par des gouvernements sociaux-démocrates, cherchent dans la conciliation de l'efficacité économique et de la justice sociale, à proposer un modèle au monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV)
Les autorités américaines comprennent notre attachement à la construction d'un monde multipolaire fondé sur la mise en valeur des grandes organisations internationales comme l'ONU, le FMI et l'OMC, même si la tentation d'un certain unilatéralisme existe, notamment sur les bancs d'un Congrès très conservateur. Les Etats-Unis constatent que l'Europe et la France sont des partenaires exigeants mais fiables dans les négociations commerciales.
Compte tenu de la reprise de la croissance en Europe et de la décision de passer à l'euro, le sommet franco-américain des entreprises, qui a réuni à Washington les chefs de cinquante très grandes entreprises, a revêtu une particulière importance : le Président Clinton, le ministre des finances, M. Strauss-Kahn, et moi-même avons eu l'occasion de nous exprimer devant ce conseil.
En ce qui concerne les crises internationales, la question du Kosovo a été au centre des discussions. J'ai rappelé, en plein accord avec le Président de la République, que pour nous, Français, l'emploi de la force devait être légitimé par un mandat des Nations Unies. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)
Je crois que les Américains commencent à prendre pleinement en compte le fait que les Européens, en particulier la France, assument leurs responsabilités face aux crises internationales. (Interruptions sur les bancs du groupe DL et sur les bancs du groupe UDF)
Je me réjouis que plusieurs textes aient été signés à l'occasion de ce voyage : l'accord sur les échanges aéronautiques, négocié avec efficacité par le ministre des transports, M. Gayssot, une déclaration commune sur la société d'information, la mise en place d'un groupe scientifique sur les produits transgéniques.
De façon générale, il m'a semblé qu'une plus grande sérénité s'était instaurée depuis quelques mois dans la relation entre nos deux pays.
Les autorités américaines ont été frappées, et d'une certaine façon rassurées, de constater qu'en matière de politique étrangère, la France parlait d'une seule voix. Ce consensus, qui n'empêche pas quelques nuances, est loin d'exister aux Etats-Unis, où le pouvoir exécutif se demande parfois comment jouer son rôle dans le monde en étant à ce point paralysé par un Congrès qui mêle problèmes intérieurs et extérieurs.
Je n'ai pas à commenter le voyage du Président Clinton en Chine, mais je me réjouis que les Etats-Unis approfondissent leur dialogue avec ce pays démographiquement si puissant. Pour sa part, la France a depuis longtemps noué avec lui des relations constructives, dans un esprit de partenariat. Le Président de la République s'est rendu en Chine au printemps 1997 pour une visite d'Etat, le Premier ministre chinois est venu à Paris en avril dernier ; je me rendrai moi-même à Pékin en septembre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)