Texte intégral
P. Lapousterle : P. Bérégovoy était-il un homme plus fragile compte tenu d'une assurance qu'il voulait donner à toute épreuve ?
M. Blondel : C'est difficile à dire ; mais comme tous les hommes, il est fort probable qu'il y avait deux Bérégovoy : l'officiel, et l'homme individuel qui était fait aussi de chair et d'os avec des réactions.
P. Lapousterle : Vous l'avez revu après les élections ?
M. Blondel : Oui. Je le fréquentais car c'était d'abord un vieil ami, nous avons beaucoup travaillé et milité ensemble. Puis nos vies se sont séparées, la gauche arrivant au pouvoir, il est devenu membre du gouvernement. Je le voyais donc comme Premier ministre, comme ministre des Finances, du Travail. Nous discutions et sur la fin, l'orientation économique je la contestais, je le disais. Au-delà de ça nous avions gardé des contacts personnels affectueux, plus qu'amicaux. Il était ferme, avec ses idées, il travaillait beaucoup.
P. Lapousterle : Quel est votre sentiment quand vous lisez la presse ce matin, par exemple F. Léotard qui parle de "meurtre" ?
M. Blondel : Tout ça se sont des mots. Les mots peuvent être des balles. P. Bérégovoy était affecté pour des affaires personnelles, et pour différentes choses. Il n'a pas su s'en expliquer. C'était simple en fait : cet homme qui avait été ministre des Finances, des Affaires sociales, Secrétaire général de l'Élysée, puis Premier ministre, cet homme-là quand il a fait l'acquisition de cet appartement, n'avait pas 250 millions pour le payer. Il en avait 150 et il en manquait 100. Si vous saviez, il y a toute une série de gens qui lèvent le doigt et leurs désirs sont satisfaits ! Être ministre des Finances, c'est avoir désigné je ne sais combien de présidents de banques nationalisées ou de présidents de compagnies d'assurance. Je ne dis pas qu'il aurait eu son appartement gratuit, mais s'il avait voulu utiliser son influence, il l'aurait pu. À cet âge-là, avec toute son expérience et l'exercice du pouvoir, il aurait pu. À la limite ça l'honore ce qu'il a été obligé de faire. Moi je n'acceptais pas non plus, non pas l'information mais tout ce qu'on a mis autour de l'information et tous ceux qui ont voulu y mettre leur nez pour des intérêts divers. Ça, je pense qu'il l'avait mal supporté. Ensuite, les problèmes de politiques aussi. Il était convaincu, je l'avais vu avant les élections, il savait que c'était perdu. Il espérait limiter la casse. Le vide peut-être aussi après avoir été Premier ministre.
P. Lapousterle : Votre sentiment sur le gel des salaires des fonctionnaires ?
M. Blondel : Je crois que le gouvernement commence à montrer sa couleur. M. Balladur commence à aller vers l'austérité. J'aurais aimé qu'il le dise plus clairement. Il veut nous faire de l'austérité à doses homéopathiques. Il faut que l'on regarde les choses. Car si on dit que l'effort doit être équitablement réparti, il faut voir l'ensemble. Nous sommes en dehors des critères de convergence européenne et on commence par bloquer les salaires des fonctionnaires. Vous verrez, on dit "bloqués" maintenant, mais je pense qu'on lâchera un petit quelque chose à la fin de l'année pour essayer de rattraper un peu les choses. Je pense que c'est une mauvaise politique, c'est celle que je reprochais justement à Bérégovoy. C'est une politique qui est basée justement sur la restriction de la consommation.
P. Lapousterle : C'est-à-dire ?
M. Blondel : Il faut d'abord commencer à expliquer aux fonctionnaires, mais ils le savent bien. La grille Durafour ils en sont mécontents, et ensuite pas d'augmentation de salaire cette année. Il va falloir que nous rouspétions après le gouvernement pour lui faire comprendre qu'il ne peut pas sacrifier ainsi la consommation.
P. Lapousterle : Qu'allez-vous faire ?
M. Blondel : Je crois que mon ami Gaillard a annoncé qu'il allait mobiliser.