Texte intégral
J.-P. Elkabbach : 20 ans militant et dirigeant du PS, vous avez renoncé samedi à tous les postes de responsabilités dans le PS. Quand l'avez-vous décidé ?
L. Jospin : Je l'ai décidé au lendemain de mon échec à l'élection législative. Lorsque j'ai eu l'impression que ma présence dans ces postes de responsabilité ne pouvait pas être utile, qu'elle m'entraînerait dans un engrenage humain et politique que je ne voulais pas. Également, quand j'ai eu l'impression que l'idée d'assumer collectivement cet échec sans précédent de la gauche dans l'histoire, échec qu'elle doit à elle-même, quand j'ai eu l'impression que cette capacité de désintéressement et d'assumer collectivement la responsabilité, ne serait pas acceptée.
J.-P. Elkabbach : C'est un constat d'échec personnel aussi ?
L. Jospin : Non. Pour moi, le fait d'avoir été battu dans l'élection législative – ce que je ne mets pas en cause – c'est la démocratie. Mais ce que j'ai ressenti a beaucoup d'égards comme injuste et de ce point de vue j'étais à l'unisson de dizaines et de dizaines de candidats qui n'auraient pas dû être battus dans cette élection c'est que je trouve son verdict disproportionné par rapport à ce qui s'est passé en France ces dernières années, j'en ai tiré des conclusions. Notamment, celle qui est liée à une règle personnelle de vie : si je ne suis plus député, je dois travailler, avoir une activité professionnelle. C'est pour moi une question d'éthique. Elle m'éloigne nécessairement des responsabilités politiques actives.
J.-P. Elkabbach : C'est une retraite définitive, provisoire, ou vous dites « dans deux, trois ans, je reviens » ?
L. Jospin : Les mouvements d'engagement représentent des engrenages, des logiques qui peuvent être souvent très longs. Quand en 73, j'ai accepté des responsabilités aux côtés de F. Mitterrand dans le PS, je n'imaginais pas que cela déboucherait sur ces 20 ans de vie. En tout cas ce n'est pas un simulacre, ça n'a rien de tactique. Mais je garde profondément ancrées mes convictions d'homme de gauche.
J.-P. Elkabbach : En 20 ans, vous avez donné, sacrifié, est-ce que aujourd'hui c'est comme un deuil ou une libération ?
L. Jospin : Je n'ai aucune amertume pour la vie que j'ai menée au cours de ces 20 ans. Ça a été une expérience humaine et politique extraordinaire. J'ai beaucoup donné mais j'ai reçu en échange. J'ai participé à un mouvement collectif qui a été extraordinaire. J'en ai bien supporté la dégradation.
J.-P. Elkabbach : Depuis quand la dégradation ?
L. Jospin : Le deuxième septennat ne s'est pas déroulé comme le premier du point de vue de la vie, des valeurs, des pratiques.
J.-P. Elkabbach : Même quand vous étiez ministre vous-même ?
L. Jospin : Quand j'étais ministre, je le sentais, je l'ai dit, écrit. Mais la tâche que j'accomplissais à l'éducation nationale était tellement passionnante et importante que je me suis mis un peu je crois que les choses tournent véritablement et décisivement au Congrès de Rennes. Et je l'avais dit à l'époque à F. Mitterrand et L. Fabius : « Attention, si on casse le courant majoritaire, si on détruit l'équilibre du PS, on va dérouler à l'envers la mécanique d'Épinay de rassemblement, pour aller vers une mécanique de division. »
J.-P. Elkabbach : Vous saviez ce qui se préparait samedi ?
L. Jospin : Je devinais, je savais que l'idée qu'aucune conclusion politique et de responsabilité humaine ne serait tirée de ce désastre électoral, que cette idée serait insupportable à beaucoup. C'est ce qui s'est passé. J'écoutais, E. Guigou et les quadras. Sur ce point, il m'a semblé qu'il y avait accord de tous ou de presque tous, il aurait fallu un geste par lequel les hommes et les femmes à la tête de ce parti, assumaient une responsabilité collective.
J.-P. Elkabbach : Les jospinistes sont maintenant associés à la direction de Rocard. Peut-il y avoir des jospinistes sans Jospin ?
L. Jospin : Non !
J.-P. Elkabbach : Ils ne peuvent pas se réclamer de vous désormais ?
L. Jospin : Non !
J.-P. Elkabbach : Vous ne les désavouez pas encore, mais ils font ce qu'ils veulent ?
L. Jospin : Vous dites « encore », il n'y a pas d'encore. Je ne les désavoue en rien. Les choses sont claires : il y a des hommes et des femmes responsables qui font leur choix. Je ne voulais pas être d'une nouvelle bataille fratricide. Ni de celle de ce week-end ni de celles qui vont venir, ou qui peut-être ne viendront pas.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que aujourd'hui M. Rocard est encore, ou reste le présidentiable de la gauche et du PS ?
L. Jospin : Je crois que M. Rocard a eu raison de faire un geste clair que je voudrais rappeler ici. Il a dit « je ne suis plus le candidat naturel ou désigné. Je n'ai plus cette légitimité. Il me reste à la reconquérir. » La question du candidat à la présidence de la République pour les socialistes, c'est une question qui a été à la fois effacée hier, en ce qui concerne M. Rocard, et pour lequel il y aura un choix à faire le moment venu.
J.-P. Elkabbach : Mais ce matin, Rocard ne l'est plus ?
L. Jospin : Non. Je dirais même que s'il l'était, il ne pourrait pas avoir la capacité ou la légitimité pour essayer de rassembler le PS.
J.-P. Elkabbach : Et si, dans les six mois, il y a une élection présidentielle. Qui représente la gauche ?
L. Jospin : À ce moment-là, il y aura un ou des candidats devant les militants et que ceux-là auront à désigner le candidat à l'élection. Mais maintenant, ou bien on laisse se poursuivre le processus de fractionnement et d'explosion du PS, ou bien on revient à une démarche de responsabilité. Et ceux qui ont dit : nous sommes pour l'unité, nous ne voulons pas d'un Rennes bis – y compris ceux qui se reconnaissent dans L. Fabius – doivent faire cet effort aujourd'hui. S'il y a une nouvelle bataille fratricide, je pense que le PS sera menacé. Il faut donc que chacun prenne sa part de ce processus collectif après ce qui s'est produit.