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Minute : Les résultats financiers d'Air France pour l'an passé ont révélé un gouffre insoupçonné. La compagnie aérienne nationale est-elle menacée ?
Bernard Bosson : Pour parler clairement, la situation financière d'Air France est catastrophique. Son déficit devrait atteindre cette année la somme record de 5 milliards de francs ! Si nous croyons à la nécessité d'un pavillon national, nous avons le devoir de nous battre. Et de nous battre vite. Contre l'ultralibéralisme, cette jungle où il n'y a pas d'espace pour plusieurs compagnies, et contre un certain protectionnisme, dont Air France est en partie le produit.
Mais il va aussi nous falloir faire des économies et « remuscler » la compagnie. Car en plus de perdre beaucoup d'argent, on perd des parts de marché. C'est cette spirale qu'il faut enrayer. Je vais donc m'attacher à revoir toute la mécanique commerciale, car les réformes qui ont été faites il y a quelques années ont plutôt déresponsabilisé le secteur commercial d'Air France.
Il faut que le personnel sache qu'une compagnie est mortelle, et il est, il va être de son devoir d'accepter des efforts pour que nous sauvions ensemble le pavillon national. Dans l'Europe de demain, il n'y aura plus de place pour un très grand nombre de compagnies. La question est de savoir si l'on veut que la France soit du lot.
Le travail du gouvernement n'est pas aisé. Si nous sommes mal compris et brutaux, nous irons à une grève qui, il faut que chacun le sache, peut être mortelle pour Air France. Mais si nous ne sommes pas assez courageux, nous irons à un enlisement qui, de même, est inéluctablement mortel. Voilà l'enjeu. C'est pourquoi le plan de restructuration de l'ensemble Air Inter-Air France sera présenté au Conseil supérieur de la navigation aérienne dès la fin septembre.
Minute : La SNCF ne semble guère mieux se porter, soumise en plus aux critiques de plus en plus vives des usagers.
Bernard Besson : La perte en fin d'année de la SNCF sera, elle, de 7 à 8 milliards de francs, si ce n'est pire. Quand j'ai été nommé, c'était de l'ordre de 4,5 milliards de francs. Ça s'aggrave donc de jour en jour. En plus, comme vous le dites, la SNCF est de plus en plus en rupture avec les usagers.
Le nouveau système Socrate est bien sûr pour beaucoup dans la détérioration de l'image de marque de la compagnie. Nous n'allons pas revenir en arrière, il nous faut donc le faire fonctionner. Mais c'est vrai que nous pouvons apporter des aménagements, en revoyant notamment les prix. Mais il n'y aura pas de baisse spectaculaire, pour une raison essentielle. Si, par exemple, le prix du billet Lille-Paris baissait de manière trop importante, Lille, bientôt à une heure de Paris, deviendrait la première couronne de la région parisienne. Les emplois partiraient de Lille sur Paris, et les logements de Paris sur Lille. Et la capitale du Nord se transformerait en dortoir.
Minute : La RATP est-elle mieux portante ?
Bernard Besson : La RATP va perdre de 3 à 3,5 milliards de francs cette année. Et, là aussi, les usagers sont insatisfaits : les grèves à répétition deviennent intolérables. Il faut que le personnel comprenne qu'on ne peut pas continuer comme ça. Le projet que je veux mettre en œuvre est de régionaliser la RATP. Nous maintiendrons son statut public d'État pour le personnel, mais nous ferons en sorte que la RATP soit de plus en plus gérée par les élus de l’Île-de-France, concernés au premier chef.
Minute : La réforme du statut des dockers, et l'opposition d'une partie d'entre eux, à Marseille, est un des dossiers chauds de cette rentrée.
Bernard Besson : La réforme de la manutention est une obligation absolue si l'on veut sauver les ports français. Je suis heureux que les employeurs, les dockers et les syndicats aient su être responsables, car aujourd'hui, en dehors de Saint-Malo, tous les grands ports français ont signé des accords de mensualisation. Y compris Le Havre où nous avions vraiment tendu la main, et en même temps posé un ultimatum par lequel nous menacions de retirer toutes les aides de l'État et tous les crédits si l'accord n'était pas entériné. L'ultimatum expirait à minuit. À 17 heures, l'accord était conclu.
À Marseille, cet accord est signé depuis un an et demi. La CGT essaie de le réinterpréter. J'appelle à la responsabilité des dockers, de la CGT et des employeurs pour mettre en route cette réforme qui est, il faut bien en être conscient, la chance du port de Marseille comme de tous les autres. Et il doit être très clair que je n'accepterai pas d'exception à la loi il n'y aura pas d'interprétation marseillaise de la loi française ! Si le port de Marseille décide de se suicider, j'en serai malade de tristesse, mais je ne peux pas accepter quelque chose qui remettrait en cause l'avenir de tous les autres ports.