Texte intégral
Le Figaro : Que pensez-vous du projet de loi quinquennale sur l'emploi ?
René Monory : Cette loi, c'est déjà quelque chose de positif. Mais je crains que le gouvernement n'ait pas pris complètement la dimension du problème, car nous assistons à un véritable changement de société, La production, en général, ne créera plus autant d'emplois, elle en détruira, même si l'on produit davantage. Nous sommes dans une situation internationale très difficile, qui ne laisse pas présager de croissance forte dans les prochaines années. Et l'on sait fort bien qu'en France, à moins de 3 % de croissance, on ne crée pas d'emplois, on en supprime encore.
Donc, s'il faut voter le projet de loi Giraud, il faut surtout réfléchir à d'autres solutions, qui passent sans doute par un nouveau partage du temps de travail et des revenus. On ne peut pas laisser les jeunes marginalisés comme ils le sont actuellement, c'est insupportable dans notre société ! Mais je conçois que le gouvernement, pris par le temps, n'ait pas réfléchi globalement. Il a pris des mesures intelligentes, intéressantes, nécessaires, mais certainement insuffisantes à terme pour régler le problème.
Le Figaro : Vous souhaitez une révolution des mentalités…
René Monory : Complète, oui, il y a plusieurs années que je le dis. Dans l'avenir, les gens travailleront moins longtemps, et sans doute gagneront moins d'argent. Ils mèneront une vie différente. Les sommes dépensées pour indemniser le chômage sont très importantes : de l'ordre de 400 milliards de francs. Redistribuées dans la vie active, elles compenseraient partiellement la perte de pouvoir d'achat.
Le Figaro : Coûte que coûte, faut-il réduire le nombre des chômeurs ?
René Monory : Bien sûr ! C'est une priorité absolue. Je reconnais que c'est difficile, car cela impose une remise en question des mentalités et des habitudes. Et, à dix-huit mois de la présidentielle, le poids des élections empêche de faire de vraies réformes...
Le Figaro : Un gouvernement de cohabitation dispose-t-il du temps suffisant ?
René Monory : On a toujours le temps, il faut prendre des risques. On n'est jamais forcé de raisonner en fonction d'une échéance électorale. Après tout, si l'on allait beaucoup plus loin, ne servirait-on pas l'élection ? Moi, je suis persuadé que celui qui réussira à opérer cette mutation sera suivi par l'opinion.
Le Figaro : À plusieurs reprises, vous avez reproché au gouvernement de ne pas « aller plus loin » dans le domaine de la lutte contre le chômage...
René Monory : Je ne fais pas de reproches, je fais des suggestions. Pour atténuer la détresse des gens, il n'y a pas de délai qui compte, il faut aller vite.
Le Figaro : Et dans le domaine du social ?
René Monory : Je ne suis pas là pour être populaire. J'estime qu'on ne peut pas vivre impunément avec une croissance de 1 % ou 2 % et avec une dérive des dépenses sociales de 7 % à 8 % par an. Cela nous conduit à faire des emprunts de plus en plus importants pour financer les dépenses de fonctionnement. Il faut donner à la Sécurité sociale 110 milliards de prêts sur quinze ans. D'une certaine façon, on marche sur la tête, même si le gouvernement n'a fait que réparer les erreurs qui ont été commises par ses prédécesseurs. Il y aura une fin à tout cela, et il faut en être conscient : un jour, on ne pourra plus payer.
Là encore, les remèdes ne sont pas agréables. Mais si l'on décentralisait un peu plus la gestion du social ? Il vaut mieux dépenser de l'argent pour remettre les gens au travail plutôt que de les assister par le chômage. Mon obsession, c'est d'investir pour que les gens aient du travail.
Le Figaro : Faut-il remettre en question les acquis sociaux ?
René Monory : Qu'est-ce qu'on entend par là ? Certaines méthodes utilisées actuellement pour lutter contre le chômage font baisser les statistiques, mais ce ne sont pas des acquis sociaux. Le véritable acquis social, c'est de remettre définitivement un chômeur au travail.
Le Figaro : Pensez-vous, à l'instar du ministre de l'Économie, Edmond Alphandéry, qu'il y a un « frémissement » de l'activité ?
René Monory : Pour un ministre de l'Économie, c'est un terme qu'il ne faut jamais employer. D'abord parce que le contexte international a évolué et que les pays d'Europe ne connaîtront pas de forte croissance dans les prochaines années. Même si l'on avait une timide reprise, ce n'est pas cela qui résoudrait le problème du chômage. L'erreur que commettrait le gouvernement, c'est de penser que l'on résoudrait ce problème, d'ordre structurel, par un frémissement de la croissance. De plus, il y a actuellement une importante épargne de précaution, j'appelle cela de l'épargne d'angoisse. On peut espérer qu'en inversant la courbe du chômage cette épargne se mobilisera. L'erreur serait de croire que les quelques avantages fiscaux qui ont été donnés permettront de relancer la consommation.
Le Figaro : À propos du grand débat sur l'aménagement du territoire, qui vient de s'ouvrir, vous avez parlé de « casser les banlieues ». Qu'entendez-vous par là ?
René Monory : Il ne s'agit pas de casser, mais de prendre conscience du problème de certaines banlieues pour leur offrir de nouvelles structures. Nous allons vers une société dans laquelle les Français demanderont autre chose, en termes de qualité de la vie, d'environnement. Le bonheur, demain, ne sera pas forcément synonyme d'argent supplémentaire. Sans opposer la région parisienne au reste du territoire, il est évident qu'il faut l'aménager pour que les gens y soient plus heureux.
Le Figaro : Qu'attendez-vous de ce débat sur l'aménagement du territoire ?
René Monory : Posé depuis longtemps, ce débat est très important. Il est clair que l'on ne définira pas la France de l'an 2015 en six mois. La réflexion doit être beaucoup plus longue. Ce serait une erreur de clore ce débat au printemps prochain par une loi élaborée un an avant l'élection présidentielle. Elle risquerait d'apparaître trop politique. Par contre, ce que l'on peut faire dès à présent, c'est donner des gages dans ce sens. Par exemple, ne pas dissocier du débat général le schéma directeur de l'Île-de-France.
J'ajoute que l'on ne peut pas irriguer le territoire sans diffuser la matière grise. Demain, le véritable combat à mener face aux pays nouveaux sera celui de l'intelligence, de l'excellence. Or, actuellement, 56 % des chercheurs, 40 % des cadres et 78 % des sièges sociaux des deux cents plus grandes entreprises se trouvent à Paris.
L'aménagement du territoire est certainement le grand projet du futur Président de la République. Si l'on veut agir dans la précipitation, on échouera.
Le Figaro : Que pensez-vous de la « cohabitation » Balladur-Chirac et de la précampagne présidentielle qui s'annonce ?
René Monory : C'est peut-être inévitable, mais je pense surtout aux Français. Avant les élections, ils en avalent assez du débat des hommes. Je souhaite que l'on ne recommence pas. Quant à l'échéance présidentielle, on en parlera bien assez tôt. Je ne souhaite pas que le conflit Giscard-Chirac soit remplacé par le conflit Balladur- Chirac...
Le Figaro : Selon vous, Édouard Balladur est-il un bon rassembleur ?
René Monory : Si l'on en croit les sondages, cela semble être le cas. Pour l'instant, le Premier ministre rassemble sur son nom plus que n'importe quel autre. Si les sondages baissent, cela sera différent.
Le Figaro : Faut-il une ou deux listes de la majorité aux élections européennes ?
René Monory : Peu importe la tête de liste si les candidats de cette liste s'engagent sur un véritable programme européen. Je souhaite avant tout un contenu clair. Il faut cesser de culpabiliser l'Europe et profiter de cette campagne pour relancer l'idée européenne. La prochaine étape sera la structuration politique de l'Europe. La concurrence internationale nécessite une cohésion européenne. Je porte un jugement sévère sur ceux qui ne croient pas à l'Europe. C'est l'avenir de nos petits-enfants qui est en jeu.
Le Figaro : Le président du Parti républicain, Gérard Longuet, a déclaré récemment que le PR avait « vocation à gouverner l'UDF ». Êtes-vous d'accord avec ce propos ?
René Monory : Vous ne me ferez pas entrer dans la polémique des hommes. Le PR et le CDS ont encore un long chemin à parcourir ensemble pour remettre la France sur les rails.
Le Figaro : Édouard Balladur parié, aux journées parlementaires de l'UDF, d'une future grande formation de la droite. Est-ce envisageable ?
René Monory : Je ne crois pas trop à une grande formation unitaire. Le lendemain, vous aurez deux formations qui se créeront à côté car elles ne seront pas d'accord.
L'important, c'est de créer une bonne entente entre les deux partis – c'est le cas en ce moment et que l'on sache ce que l'on veut faire par rapport aux perspectives qui s'ouvrent devant nous.