Texte intégral
L'Assemblée Nationale française remercie Leurs Majestés le Roi Juan Carlos et la Reine Sophie d'Espagne d'avoir bien voulu répondre à son invitation ; elle se réjouit d'autant plus de leur présence dans son hémicycle que celle-ci constitue un événement très exceptionnel dans sa longue histoire. C'est aujourd'hui pour notre Assemblée, comme pour chacun de ses membres, un grand jour !
Il est particulièrement heureux que la première visite rendue, sous la Ve République, par un chef d'Etat ou de gouvernement à la représentation nationale soit celle d'un souverain qui, depuis le 22 novembre 1975, date de son avènement, a consacré une énergie inlassable à l'épanouissement de la démocratie dans son pays – cette Espagne si chère au coeur des Français -. Personne n'a oublié, Sire, la détermination que vous avez montrée tout au long des années au cours desquelles s'installèrent les nouvelles institutions de votre pays, le sang-froid et la fermeté avec lesquels vous les avez défendues, la hauteur et la clarté de vues grâce auxquelles vous avez réconcilié votre peuple avec son destin.
Il est vrai que vous êtes un pédagogue patient et avisé de la démocratie ; vous savez combien la liberté peut être une toile de Pénélope dont les mailles filent si l'on ne sait chaque jour les prendre et cette sagesse tenace a suscité en Europe et dans le monde une admiration unanime. Chacun sait que, si la démocratie s'enracine, en Espagne, dans le sentiment très fort que lui porte le peuple, elle doit aussi beaucoup aux qualités propres de son Roi.
En montrant avec quelle maîtrise elle savait conjurer les périls, en témoignant d'un sens moral sans faille qui situe aux yeux de tous la vraie dignité de l'action publique, la Couronne d'Espagne d'une grande nation, et sans doute beaucoup plus encore.
Comment de ne pas évoquer aussi en ces lieux que jouent à ses côtés les Cortès dans l'épanouissement des libertés et l'animation du débat politique dans votre pays ? Ces Cortès où trouvent à s'exprimer pleinement la diversité et la richesse des régions qui composent le royaume d'Espagne, tout en manifestant également sa capacité de rassemblement et son unité.
Le modèle de démocratie jeune et brillante que vous incarnez, Sire, rayonne d'autant mieux dans les esprits et dans les coeurs qu'est toujours présente à vos côtés la Reine Sophie ; par son dévouement et son attention aux plus démunis, mais aussi par sa grâce, la Reine Sophie occupe une place privilégiée dans votre pays, comme dans le nôtre. Et si votre peuple voue à ses Rois une affection respectueuse et confiante, son élan est partagé en Europe, en Amérique, et sous bien d'autres horizons encore. Ce sentiment est tout particulièrement présent en France, ressenti par des millions de nos compatriotes – nous souhaitons vous en porter témoignage -. Ainsi, à travers vos personnes, c'est l'entente entre nos nations qui se trouve revivifiée.
Les Français voient en effet combien, depuis que vous en tenez les rênes, l'Espagne étonne le monde. Nous sommes ici les témoins admiratifs du foisonnement d'initiatives prises par votre pays, tout particulièrement au cours des derniers mois. C'est à Madrid, le 30 octobre 1991, que s'ouvrit la Conférence de Paix Proche-Orient, qui eut récemment les premiers résultats heureux que l'on sait. C'est à Séville que fut inaugurée quelques mois plus tard, le 20 avril 1992, l'Exposition Universelle qui eut à travers la planète un rayonnement sans égal depuis des décennies. C'est à Barcelone que s'ouvrirent peu après, en juillet 1992, les derniers Jeux Olympiques, dont l'organisation et le déroulement furent salués dans le monde entier comme une exceptionnelle réussite. Et, pour couronner ce bel ensemble, Madrid était dans le même temps proclamée par la Communauté Européenne « Capitale Culturelle de l'Europe ».
Ces privilèges n'étaient pas les fruits du hasard ; tout le monde y a vu les signes du dynamisme de votre peuple, de vos provinces, de tous les âges de l'Espagne et d'abord sa jeunesse. Mais ils sont aussi le signe d'une cohésion sociale à laquelle vous veillez avec grand soin, nous le savons – comme nous vous savons préoccupés de saisir, à chaque instant, les exigences de l'histoire et de repenser ainsi, sans répit, les éléments de votre prospérité et de votre avenir, cet alliage remarquable de tradition et de modernité qu'incarnent vos fonctions comme vos personnes.
Ce travail de réflexion, Sire, il paraît hautement souhaitable que l'Espagne et la France l'accomplissent ensemble. Car, si « la crise », comme il est convenu d'appeler cette mutation profonde que nos deux pays, parmi d'autres, affrontent au même titre, et côte à côte, si cette crise donc a d'évidentes manifestations économiques, elle a aussi de très lourdes conséquences sur l'ensemble de nos sociétés.
Nous sommes, dans ce domaine, tantôt les témoins plus ou moins conscients, tantôt les acteurs plus ou moins avertis d'une formidable métamorphose de la vie sociale, et peut-être même de la vie tout court. C'est bien à une révolution culturelle que nous devons faire face, révolution culturelle dont l'Espagne de la Movida offre un fascinant exemple. Il se trouve en effet que, non seulement nos deux nations sont voisines, mais encore qu'elles appartiennent à une même histoire, à une même civilisation.
Appartenance à l'Europe, d'abord, cette Europe qu'il nous faut voir toujours plus large, plus ambitieuse, plus originale aussi, et qui a appris qu'elle ne saurait exister sans l'Espagne, l'un des piliers, et l'une de ses portes ouvertes sur le grand large.
Appartenance, ensuite, aux mêmes rivages de la Méditerranée, « mer entre les terres » qui nous apporte à flots réguliers les alluvions souvent fécondes de l'Asie, du monde arabe et de l'Afrique.
Appartenance, enfin au cercle de la latinité, qui n'a pas fini de dévoiler ses promesses, et dont je vois un signe dans l'excellente connaissance que vous avez du français. Soyez certain, Sire, que l'hommage que nous rendez à notre langue, en la maniant avec tant de bonheur, nous touche profondément et qu'il ne peut que nous exhorter à mieux connaître la langue espagnole, elle aussi parlée sur plusieurs continents. Car la langue est bien, n'est-ce-pas, comme disait votre grand poète Miguel de Unamuno, « le sang de notre âme ! ».
C'est bien pourquoi nous vous entendrons avec une attention passionnée, persuadés qu'il nous faut réfléchir ensemble sur les mutations de cette fin de siècle, et sur ce siècle nouveau dont nous pourrions craindre à bien des égards les terribles défis, si nous devions les relever seuls.
Sachez que tous ceux qui vont vous écouter partagent cette conviction que l'Espagne et la France ont un message et une espérance à offrir au monde, et d'abord à l'Europe. Un message et une espérance issus de leur histoire commune et nourris d'un idéal partagé fait de justice, de solidarité et de paix.
La parole est à Sa Majesté, le Roi d'Espagne.